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Читать книгу: «La petite Fadette», страница 7

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XVIII

Landry fut fâché d'abord d'être obligé de trouver toujours la petite Fadette sur son chemin; mais comme elle paraissait avoir une peine, il en eut compassion. Et voilà l'entretien qu'ils eurent ensemble:

– Comment, Grelet, c'est toi qui pleurais comme ça? Quelqu'un t'a-t-il frappée ou pourchassée encore, que tu te plains et que tu te caches?

– Non, Landry, personne ne m'a molestée depuis que tu m'as si bravement défendue; et d'ailleurs je ne crains personne. Je me cachais pour pleurer, et c'est tout, car il n'y a rien de si sot que de montrer sa peine aux autres.

– Mais pourquoi as-tu une si grosse peine? Est-ce à cause des méchancetés qu'on t'a faites aujourd'hui? Il y a eu un peu de ta faute; mais il faut t'en consoler et ne plus t'y exposer.

– Pourquoi dites-vous, Landry, qu'il y a eu de ma faute? C'est donc un outrage que je vous ai fait de souhaiter de danser avec vous, et je suis donc la seule fille qui n'ait pas le droit de s'amuser comme les autres?

– Ce n'est point cela, Fadette; je ne vous fais point de reproche d'avoir voulu danser avec moi. J'ai fait ce que vous souhaitiez, et je me suis conduit avec vous comme je devais. Votre tort est plus ancien que la journée d'aujourd'hui, et si vous l'avez eu, ce n'est point envers moi, mais envers vous-même, vous le savez bien.

– Non, Landry; aussi vrai que j'aime Dieu, je ne connais pas ce tort-là; je n'ai jamais songé à moi-même, et si je me reproche quelque chose, c'est de vous avoir causé du désagrément contre mon gré.

– Ne parlons pas de moi, Fadette, je ne vous fais aucune plainte; parlons de vous; et puisque vous ne vous connaissez point de défauts, voulez-vous que, de bonne foi et de bonne amitié, je vous dise ceux que vous avez?

– Oui, Landry, je le veux, et j'estimerai cela la meilleure récompense ou la meilleure punition que tu puisses me donner pour le bien ou le mal que je t'ai fait.

– Eh bien, Fanchon Fadet, puisque tu parles si raisonnablement, et que, pour la première fois de ta vie, je te vois douce et traitable, je vas te dire pourquoi on ne te respecte pas comme une fille de seize ans devrait pouvoir l'exiger. C'est que tu n'as rien d'une fille et tout d'un garçon, dans ton air et dans tes manières; c'est que tu ne prends pas soin de ta personne. Pour commencer, tu n'as point l'air propre et soigneux, et tu te fais paraître laide par ton habillement et ton langage. Tu sais bien que les enfants t'appellent d'un nom encore plus déplaisant que celui de grelet. Ils t'appellent souvent le mâlot. Eh bien, crois-tu que ce soit à propos, à seize ans, de ne point ressembler encore à une fille? Tu montes sur les arbres comme un vrai chat-écurieux, et quand tu sautes sur une jument, sans bride ni selle, tu la fais galoper comme si le diable était dessus. C'est bon d'être forte et leste; c'est bon aussi de n'avoir peur de rien, et c'est un avantage de nature pour un homme. Mais pour une femme trop est trop, et tu as l'air de vouloir te faire remarquer. Aussi on te remarque, on te taquine, on crie après toi comme après un loup. Tu as de l'esprit et tu réponds des malices qui font rire ceux à qui elles ne s'adressent point. C'est encore bon d'avoir plus d'esprit que les autres; mais à force de le montrer, on se fait des ennemis. Tu es curieuse, et quand tu as surpris les secrets des autres, tu les leur jettes à la figure bien durement, aussitôt que tu as à te plaindre d'eux. Cela te fait craindre, et on déteste ceux qu'on craint. On leur rend plus de mal qu'ils n'en font. Enfin, que tu sois sorcière ou non, je veux croire que tu as des connaissances, mais j'espère que tu ne t'es pas donnée aux mauvais esprits; tu cherches à le paraître pour effrayer ceux qui te fâchent, et c'est toujours un assez vilain renom que tu te donnes là. Voilà tous tes torts, Fanchon Fadet, et c'est à cause de ces torts-là que les gens en ont avec toi. Rumine un peu la chose, et tu verras que si tu voulais être un peu plus comme les autres, on te saurait plus de gré de ce que tu as de plus qu'eux dans ton entendement.

– Je te remercie, Landry, répondit la petite Fadette, d'un air très-sérieux, après avoir écouté le besson bien religieusement. Tu m'as dit à peu près ce que tout le monde me reproche, et tu me l'as dit avec beaucoup d'honnêteté et de ménagement, ce que les autres ne font point; mais à présent veux-tu que je te réponde, et, pour cela, veux-tu t'asseoir à mon côté pour un petit moment?

– L'endroit n'est guère agréable, dit Landry, qui ne se souciait point trop de s'attarder avec elle, et qui songeait toujours aux mauvais sorts qu'on l'accusait de jeter sur ceux qui ne s'en méfiaient point.

– Tu ne trouves point l'endroit agréable, reprit-elle, parce que vous autres riches vous êtes difficiles. Il vous faut du beau gazon pour vous asseoir dehors, et vous pouvez choisir dans vos prés et dans vos jardins les plus belles places et le meilleur ombrage. Mais ceux qui n'ont rien à eux n'en demandent pas si long au bon Dieu, et ils s'accommodent de la première pierre venue pour poser leur tête. Les épines ne blessent point leurs pieds, et là où ils se trouvent ils observent tout ce qui est joli et avenant au ciel et sur la terre. Il n'y a point de vilain endroit, Landry, pour ceux qui connaissent la vertu et la douceur de toutes les choses que Dieu a faites. Moi, je sais, sans être sorcière, à quoi sont bonnes les moindres herbes que tu écrases sous tes pieds; et quand je sais leur usage, je les regarde et ne méprise ni leur odeur ni leur figure. Je te dis cela, Landry, pour t'enseigner tout à l'heure une autre chose qui se rapporte aux âmes chrétiennes aussi bien qu'aux fleurs des jardins et aux ronces des carrières; c'est que l'on méprise trop souvent ce qui ne paraît ni beau ni bon, et que par là on se prive de ce qui est secourable et salutaire.

– Je n'entends pas bien ce que tu veux signifier, dit Landry en s'asseyant auprès d'elle; – et ils restèrent un moment sans parler, car la petite Fadette avait l'esprit envolé à des idées que Landry ne connaissait point; et, quant à lui, malgré qu'il en eût un peu d'embrouillement dans la tête, il ne pouvait pas s'empêcher d'avoir du plaisir à entendre cette fille; car jamais il n'avait entendu une voix si douce et des paroles si bien dites que les paroles et la voix de la Fadette dans ce moment-là.

– Écoute, Landry, lui dit-elle, je suis plus à plaindre qu'à blâmer; et si j'ai des torts envers moi-même, du moins n'en ai-je jamais eu de sérieux envers les autres; et si le monde était juste et raisonnable, il ferait plus d'attention à mon bon cœur qu'à ma vilaine figure et à mes mauvais habillements. Vois un peu, ou apprends si tu ne le sais, quel a été mon sort depuis que je suis au monde. Je ne te dirai point de mal de ma pauvre mère qu'un chacun blâme et insulte, quoiqu'elle ne soit point là pour se défendre, et sans que je puisse le faire, moi qui ne sais pas bien ce qu'elle a fait de mal, ni pourquoi elle a été poussée à le faire. Eh bien, le monde est si méchant, qu'à peine ma mère m'eut-elle délaissée, et comme je la pleurais encore bien amèrement, au moindre dépit que les autres enfants avaient contre moi, pour un jeu, pour un rien qu'ils se seraient pardonné entre eux, ils me reprochaient la faute de ma mère et voulaient me forcer à rougir d'elle. Peut-être qu'à ma place une fille raisonnable, comme tu dis, se fût abaissée dans le silence, pensant qu'il était prudent d'abandonner la cause de sa mère et de la laisser injurier pour se préserver de l'être. Mais moi, vois-tu, je ne le pouvais pas. C'était plus fort que moi. Ma mère était toujours ma mère, et qu'elle soit ce qu'on voudra, que je la retrouve ou que je n'en entende jamais parler, je l'aimerai toujours de toute la force de mon cœur. Aussi, quand on m'appelle enfant de coureuse et de vivandière, je suis en colère, non à cause de moi: je sais bien que cela ne peut m'offenser, puisque je n'ai rien fait de mal; mais à cause de cette pauvre chère femme que mon devoir est de défendre. Et comme je ne peux ni ne sais la défendre, je la venge, en disant aux autres les vérités qu'ils méritent, et en leur montrant qu'ils ne valent pas mieux que celle à qui ils jettent la pierre. Voilà pourquoi ils disent que je suis curieuse et insolente, que je surprends leurs secrets pour les divulguer. Il est vrai que le bon Dieu m'a faite curieuse, si c'est l'être que de désirer connaître les choses cachées. Mais si on avait été bon et humain envers moi, je n'aurais pas songé à contenter ma curiosité aux dépens du prochain. J'aurais renfermé mon amusement dans la connaissance des secrets que m'enseigne ma grand'mère pour la guérison du corps humain. Les fleurs, les herbes, les pierres, les mouches, tous les secrets de nature, il y en aurait eu bien assez pour m'occuper et pour me divertir, moi qui aime à vaguer et à fureter partout. J'aurais toujours été seule, sans connaître l'ennui; car mon plus grand plaisir est d'aller dans les endroits qu'on ne fréquente point et d'y rêvasser à cinquante choses dont je n'entends jamais parler aux personnes qui se croient bien sages et bien avisées. Si je me suis laissée attirer dans le commerce de mon prochain, c'est par l'envie que j'avais de rendre service avec les petites connaissances qui me sont venues et dont ma grand'mère elle-même fait souvent son profit sans rien dire. Eh bien, au lieu d'être remerciée honnêtement par tous les enfants de mon âge dont je guérissais les blessures et les maladies, et à qui j'enseignais mes remèdes sans demander jamais de récompense, j'ai été traitée de sorcière, et ceux qui venaient bien doucement me prier quand ils avaient besoin de moi, me disaient plus tard des sottises à la première occasion.

Cela me courrouçait, et j'aurais pu leur nuire, car si je sais des choses pour faire du bien, j'en sais aussi pour faire du mal; et pourtant je n'en ai jamais fait usage; je ne connais point la rancune, et si je me venge en paroles, c'est que je suis soulagée en disant tout de suite ce qui me vient au bout de la langue, et qu'ensuite je n'y pense plus et pardonne ainsi que Dieu le commande. Quant à ne prendre soin ni de ma personne ni de mes manières, cela devrait montrer que je ne suis pas assez folle pour me croire belle, lorsque je sais que je suis si laide que personne ne peut me regarder. On me l'a dit assez souvent pour que je le sache; et, en voyant combien les gens sont durs et méprisants pour ceux que le bon Dieu a mal partagés, je me suis fait un plaisir de leur déplaire, me consolant par l'idée que ma figure n'avait rien de repoussant pour le bon Dieu et pour mon ange gardien, lesquels ne me la reprocheraient pas plus que je ne la leur reproche moi-même. Aussi, moi, je ne suis pas comme ceux qui disent: Voilà une chenille, une vilaine bête; ah! qu'elle est laide! il faut la tuer! Moi, je n'écrase pas la pauvre créature du bon Dieu, et si la chenille tombe dans l'eau, je lui tends une feuille pour qu'elle se sauve. Et à cause de cela on dit que j'aime les mauvaises bêtes et que je suis sorcière, parce que je n'aime pas à faire souffrir une grenouille, à arracher les pattes à une guêpe et à clouer une chauve-souris vivante contre un arbre. Pauvre bête, que je lui dis, si on doit tuer tout ce qui est vilain, je n'aurais pas plus que toi le droit de vivre.

XIX

Landry fut, je ne sais comment, émotionné de la manière dont la petite Fadette parlait humblement et tranquillement de sa laideur, et, se remémorant sa figure, qu'il ne voyait guère dans l'obscurité de la carrière, il lui dit, sans songer à la flatter:

– Mais, Fadette, tu n'es pas si vilaine que tu le crois, ou que tu veux bien le dire. Il y en a de bien plus déplaisantes que toi à qui l'on n'en fait pas reproche.

– Que je le sois un peu de plus, un peu de moins, tu ne peux pas dire, Landry, que je suis une jolie fille. Voyons, ne cherche pas à me consoler, car je n'en ai pas de chagrin.

– Dame! qu'est-ce qui sait comment tu serais si tu étais habillée et coiffée comme les autres? Il y a une chose que tout le monde dit: c'est que si tu n'avais pas le nez si court, la bouche si grande et la peau si noire, tu ne serais point mal; car on dit aussi que, dans tout le pays d'ici, il n'y a pas une paire d'yeux comme les tiens, et si tu n'avais point le regard si hardi et si moqueur, on aimerait à être bien vu de ces yeux-là.

Landry parlait de la sorte sans trop se rendre compte de ce qu'il disait. Il se trouvait en train de se rappeler les défauts et les qualités de la petite Fadette; et, pour la première fois, il y donnait une attention et un intérêt dont il ne se serait pas cru capable un moment plus tôt. Elle y prit garde, mais n'en fit rien paraître, ayant trop d'esprit pour prendre la chose au sérieux.

– Mes yeux voient en bien ce qui est bon, dit-elle, et en pitié ce qui ne l'est pas. Aussi je me console bien de déplaire à qui ne me plaît point, et je ne conçois guère pourquoi toutes ces belles filles, que je vois courtisées, sont coquettes avec tout le monde, comme si tout le monde était de leur goût. Pour moi, si j'étais belle, je ne voudrais le paraître et me rendre aimable qu'à celui qui me conviendrait.

Landry pensa à la Madelon, mais la petite Fadette ne le laissa pas sur cette idée-là; elle continua de parler comme s'ensuit:

– Voilà donc, Landry, tout mon tort envers les autres, c'est de ne point chercher à quêter leur pitié ou leur indulgence pour ma laideur. C'est de me montrer à eux sans aucun attifage pour la déguiser, et cela les offense et leur fait oublier que je leur ai fait souvent du bien, jamais de mal. D'un autre côté, quand même j'aurais soin de ma personne, où prendrais-je de quoi me faire brave? Ai-je jamais mendié, quoique je n'aie pas à moi un sou vaillant? Ma grand'mère me donne-t-elle la moindre chose, si ce n'est la retirance et le manger? Et si je ne sais point tirer parti des pauvres hardes que ma pauvre mère m'a laissées, est-ce ma faute, puisque personne ne me l'a enseigné, et que depuis l'âge de dix ans je suis abandonnée sans amour ni merci de personne? Je sais bien le reproche qu'on me fait, et tu as eu la charité de me l'épargner: on dit que j'ai seize ans et que je pourrais bien me louer, qu'alors j'aurais des gages et le moyen de m'entretenir; mais que l'amour de la paresse et du vagabondage me retient auprès de ma grand'mère, qui ne m'aime pourtant guère et qui a bien le moyen de prendre une servante.

– Eh bien, Fadette, n'est-ce point la vérité? dit Landry. On te reproche de ne pas aimer l'ouvrage, et ta grand'mère elle-même dit à qui veut l'entendre, qu'elle aurait du profit à prendre une domestique à ta place.

– Ma grand'mère dit cela parce qu'elle aime à gronder et à se plaindre. Et pourtant quand je parle de la quitter, elle me retient, parce qu'elle sait que je lui suis plus utile qu'elle ne veut le dire. Elle n'a plus ses yeux ni ses jambes de quinze ans pour trouver les herbes dont elle fait ses breuvages et ses poudres, et il y en a qu'il faut aller chercher bien loin et dans des endroits bien difficiles. D'ailleurs, je te l'ai dit, je trouve moi-même aux herbes des vertus qu'elle ne leur connaît pas, et elle est bien étonnée quand je fais des drogues dont elle voit ensuite le bon effet. Quant à nos bêtes, elles sont si belles qu'on est tout surpris de voir un pareil troupeau à des gens qui n'ont de pacage autre que le communal. Eh bien, ma grand'mère sait à qui elle doit des ouailles en si bonne laine et des chèvres en si bon lait. Va, elle n'a point envie que je la quitte, et je lui vaux plus gros que je ne lui coûte. Moi, j'aime ma grand'mère, encore qu'elle me rudoie et me prive beaucoup. Mais j'ai une autre raison pour ne pas la quitter, et je te la dirai si tu veux, Landry.

– Eh bien, dis-la donc, répondit Landry, qui ne se fatiguait point d'écouter la Fadette.

– C'est, dit-elle, que ma mère m'a laissé sur les bras, alors que je n'avais encore que dix ans, un pauvre enfant bien laid, aussi laid que moi, et encore plus disgracié, pour ce qu'il est éclopé de naissance, chétif, maladif, crochu, et toujours en chagrin et en malice parce qu'il est toujours en souffrance, le pauvre gars! Et tout le monde le tracasse, le repousse et l'avilit, mon pauvre sauteriot! Ma grand'mère le tance trop rudement et le frapperait trop, si je ne le défendais contre elle en faisant semblant de le tarabuster à sa place. Mais j'ai toujours grand soin de ne pas le toucher pour de vrai, et il le sait bien, lui! Aussi quand il a fait une faute, il accourt se cacher dans mes jupons, et il me dit: «Bats-moi avant que ma grand'mère ne me prenne!» Et moi, je le bats pour rire, et le malin fait semblant de crier. Et puis je le soigne; je ne peux pas toujours l'empêcher d'être en loques, le pauvre petit; mais quand j'ai quelque nippe, je l'arrange pour l'habiller, et je le guéris quand il est malade, tandis que ma grand'mère le ferait mourir, car elle ne sait point soigner les enfants. Enfin, je le conserve à la vie, ce malingret, qui sans moi serait bien malheureux, et bientôt dans la terre à côté de notre pauvre père, que je n'ai pas pu empêcher de mourir. Je ne sais pas si je lui rends service en le faisant vivre, tortu et malplaisant comme il est; mais c'est plus fort que moi, Landry, et quand je songe à prendre du service pour avoir quelque argent à moi et me retirer de la misère où je suis, mon cœur se fend de pitié et me fait reproche, comme si j'étais la mère de mon sauteriot, et comme si je le voyais périr par ma faute. Voilà tous mes torts et mes manquements, Landry. A présent, que le bon Dieu me juge; moi, je pardonne à ceux qui me méconnaissent.

XX

Landry écoutait toujours la petite Fadette, avec une grande contention d'esprit, et sans trouver à redire à aucune de ses raisons. En dernier lieu, la manière dont elle parla de son petit frère le sauteriot, lui fit un effet, comme si, tout d'un coup, il se sentait de l'amitié pour elle, et comme s'il voulait être de son parti contre tout le monde.

– Cette fois-ci, Fadette, dit-il, celui qui te donnerait tort serait dans son tort le premier; car tout ce que tu as dit là est très-bien dit, et personne ne se douterait de ton bon cœur et de ton bon raisonnement. Pourquoi ne te fais-tu pas connaître pour ce que tu es? on ne parlerait pas mal de toi, et il y en a qui te rendraient justice.

– Je te l'ai bien dit, Landry, reprit-elle. Je n'ai pas besoin de plaire à qui ne me plaît point.

– Mais si tu me le dis à moi, c'est donc que…

Là-dessus Landry s'arrêta, tout étonné de ce qu'il avait manqué de dire; et, se reprenant:

– C'est donc, fit-il, que tu as plus d'estime pour moi que pour un autre? Je croyais pourtant que tu me haïssais à cause que je n'ai jamais été bon pour toi.

– C'est possible que je t'aie haï un peu, répondit la petite Fadette; mais si cela a été, cela n'est plus à partir d'aujourd'hui, et je vas te dire pourquoi, Landry. Je te croyais fier, et tu l'es; mais tu sais surmonter ta fierté pour faire ton devoir, et tu y as d'autant plus de mérite. Je te croyais ingrat, et, quoique la fierté qu'on t'a enseignée te pousse à l'être, tu es si fidèle à ta parole que rien ne te coûte pour t'acquitter; enfin, je te croyais poltron, et pour cela j'étais portée à te mépriser; mais je vois que tu n'as que de la superstition, et que le courage, quand il s'agit d'un danger certain à affronter, ne te fait pas défaut. Tu m'as fait danser aujourd'hui, quoique tu en fusses bien humilié. Tu es même venu, après vêpres, me chercher auprès de l'église, au moment où je t'avais pardonné dans mon cœur après avoir fait ma prière, et où je ne songeais plus à te tourmenter. Tu m'as défendue contre de méchants enfants, et tu as provoqué de grands garçons qui, sans toi, m'auraient maltraitée. Enfin, ce soir, en m'entendant pleurer, tu es venu à moi pour m'assister et me consoler. Ne crois point, Landry, que j'oublierai jamais ces choses-là. Tu auras toute ta vie la preuve que j'en garde une grande souvenance, et tu pourras me requérir, à ton tour, de tout ce que tu voudras, dans quelque moment que ce soit. Ainsi, pour commencer, je sais que je t'ai fait aujourd'hui une grosse peine. Oui, je le sais, Landry, je suis assez sorcière pour t'avoir deviné, encore que, ce matin, je ne m'en doutais point. Va, sois certain que j'ai plus de malice que de méchanceté, et que, si je t'avais su amoureux de la Madelon, je ne t'aurais pas brouillé avec elle, comme je l'ai fait en te forçant à danser avec moi. Cela m'amusait, j'en tombe d'accord, de voir que, pour danser avec une laideron comme moi, tu laissais de côté une belle fille; mais je croyais que c'était seulement une petite piqûre à ton amour-propre. Quand j'ai peu à peu compris que c'était une vraie blessure dans ton cœur, que, malgré toi, tu regardais toujours du côté de Madelon, et que son dépit te donnait envie de pleurer, j'ai pleuré aussi, vrai! j'ai pleuré au moment où tu as voulu te battre contre ses galants, et tu as cru que c'étaient des larmes de repentance. Voilà pourquoi je pleurais encore si amèrement quand tu m'as surprise ici, et pourquoi je pleurerai jusqu'à ce que j'aie réparé le mal que j'ai causé à un bon et brave garçon comme je connais à présent que tu l'es.

– Et, en supposant, ma pauvre Fanchon, dit Landry, tout ému des larmes qu'elle recommençait à verser, que tu m'aies causé une fâcherie avec une fille dont je serais amoureux comme tu dis, que pourrais-tu donc faire pour nous remettre en bon accord?

– Fie-toi à moi, Landry, répondit la petite Fadette. Je ne suis pas assez sotte pour ne pas m'expliquer comme il faut. La Madelon saura que tout le tort est venu de moi. Je me confesserai à elle et je te rendrai blanc comme neige. Si elle ne te rend pas son amitié demain, c'est qu'elle ne t'a jamais aimé et…

– Et que je ne dois pas la regretter, Fanchon; et comme elle ne m'a jamais aimé, en effet, tu prendrais une peine inutile. Ne le fais donc pas, et console-toi du petit chagrin que tu m'as fait. J'en suis déjà guéri.

– Ces peines-là ne guérissent pas si vite, répondit la petite Fadette; et puis, se ravisant: – Du moins à ce qu'on dit, fit-elle. C'est le dépit qui te fait parler, Landry. Quand tu auras dormi là-dessus, demain viendra et tu seras bien triste jusqu'à ce que tu aies fait la paix avec cette belle fille.

– Peut-être bien, dit Landry, mais, à cette heure, je te baille ma foi que je n'en sais rien et que je n'y pense point. Je m'imagine que c'est toi qui veux me faire accroire que j'ai beaucoup d'amitié pour elle, et moi, il me semble que si j'en ai eu, c'était si petitement que j'en ai quasiment perdu souvenance.

– C'est drôle, dit la petite Fadette en soupirant; c'est donc comme ça que vous aimez, vous, les garçons?

– Dame! vous autres filles, vous n'aimez pas mieux; puisque vous vous choquez si aisément, et que vous vous consolez si vite avec le premier venu. Mais nous parlons là de choses que nous n'entendons peut-être pas encore, du moins toi, ma petite Fadette, qui vas toujours te gaussant des amoureux. Je crois bien que tu t'amuses de moi encore à cette heure, en voulant arranger mes affaires avec la Madelon. Ne le fais pas, te dis-je, car elle pourrait croire que je t'en ai chargée, et elle se tromperait. Et puis ça la fâcherait peut-être de penser que je me fais présenter à elle comme son amoureux attitré; car la vérité est que je ne lui ai encore jamais dit un mot d'amourette, et que, si j'ai eu du contentement à être auprès d'elle et à la faire danser, elle ne m'a jamais donné le courage de le lui faire assavoir par mes paroles. Par ainsi, laissons passer la chose; elle en reviendra d'elle-même si elle veut, et si elle n'en revient pas, je crois bien que je n'en mourrai point.

– Je sais mieux ce que tu penses là-dessus que toi-même, Landry, reprit la petite Fadette. Je te crois quand tu me dis que tu n'as jamais fait connaître ton amitié à la Madelon par des paroles: mais il faudrait qu'elle fût bien simple pour ne l'avoir pas connue dans tes yeux, aujourd'hui surtout. Puisque j'ai été cause de votre fâcherie, il faut que je sois cause de votre contentement, et c'est la bonne occasion de faire comprendre à Madelon que tu l'aimes. C'est à moi de le faire et je le ferai si finement et si à propos, qu'elle ne pourra point t'accuser de m'y avoir provoquée. Fie-toi, Landry, à la petite Fadette, au pauvre vilain grelet, qui n'a point le dedans aussi laid que le dehors; et pardonne-lui de t'avoir tourmenté, car il en résultera pour toi un grand bien. Tu connaîtras que s'il est doux d'avoir l'amour d'une belle, il est utile d'avoir l'amitié d'une laide; car les laides ont du désintéressement et rien ne leur donne dépit ni rancune.

– Que tu sois belle ou laide, Fanchon, dit Landry en lui prenant la main, je crois comprendre déjà que ton amitié est une très-bonne chose, et si bonne, que l'amour en est peut-être une mauvaise en comparaison. Tu as beaucoup de bonté, je le connais à présent; car je t'ai fait un grand affront auquel tu n'as pas voulu prendre garde aujourd'hui, et quand tu dis que je me suis bien conduit avec toi, je trouve, moi, que j'ai agi fort malhonnêtement.

– Comment donc, ça, Landry? Je ne sais pas en quoi…

– C'est que je ne t'ai pas embrassée une seule fois à la danse, Fanchon, et pourtant c'était mon devoir et mon droit, puisque c'est la coutume. Je t'ai traitée comme on fait des petites filles de dix ans, qu'on ne se baisse pas pour embrasser, et pourtant tu es quasiment de mon âge; il n'y a pas plus d'un an de différence. Je t'ai donc fait une injure, et si tu n'étais pas si bonne fille, tu t'en serais bien aperçue.

– Je n'y ai pas seulement pensé, dit la petite Fadette; et elle se leva, car elle sentait qu'elle mentait, et elle ne voulait pas le faire paraître. Tiens, dit-elle en se forçant pour être gaie; écoute comme les grelets chantent dans les blés en chaume; ils m'appellent par mon nom, et la chouette est là-bas qui me crie l'heure que les étoiles marquent dans le cadran du ciel.

– Je l'entends bien aussi, et il faut que je rentre à la Priche; mais avant que je te dise adieu, Fadette, est-ce que tu ne veux pas me pardonner?

– Mais je ne t'en veux pas, Landry, et je n'ai pas de pardon à te faire.

– Si fait, dit Landry, qui était tout agité d'un je ne sais quoi, depuis qu'elle lui avait parlé d'amour et d'amitié, d'une voix si douce que celle des bouvreuils qui gazouillaient en dormant dans les buissons paraissait dure auprès. Si fait, tu me dois un pardon, c'est de me dire qu'il faut à présent que je t'embrasse pour réparer de l'avoir omis dans le jour.

La petite Fadette trembla un peu: puis, tout aussitôt reprenant sa bonne humeur:

– Tu veux, Landry, que je te fasse expier ton tort par une punition. Eh bien, je t'en tiens quitte, mon garçon. C'est bien assez d'avoir fait danser la laide, ce serait trop de vertu que de vouloir l'embrasser.

– Tiens, ne dis pas ça, s'exclama Landry en lui prenant la main et le bras tout ensemble; je crois que ça ne peut être une punition de t'embrasser… à moins que la chose ne te chagrine et ne te répugne, venant de moi…

Et quand il eut dit cela, il fit un tel souhait d'embrasser la petite Fadette, qu'il tremblait de peur qu'elle n'y consentît point.

– Écoute, Landry, lui dit-elle de sa voix douce et flatteuse, si j'étais belle, je te dirais que ce n'est le lieu ni l'heure de s'embrasser comme en cachette. Si j'étais coquette, je penserais, au contraire, que c'est l'heure et le lieu, parce que la nuit cache ma laideur, et qu'il n'y a ici personne pour te faire honte de ta fantaisie. Mais, comme je ne suis ni coquette ni belle, voilà ce que je te dis: Serre-moi la main en signe d'honnête amitié, et je serai contente d'avoir ton amitié, moi qui n'en ai jamais eu, et qui n'en souhaiterai jamais d'autre.

– Oui, dit Landry, je serre ta main de tout mon cœur, entends-tu, Fadette? Mais la plus honnête amitié, et c'est celle que j'ai pour toi, n'empêche point qu'on s'embrasse. Si tu me dénies cette preuve-là, je croirai que tu as encore quelque chose contre moi.

Et il tenta de l'embrasser par surprise; mais elle y fit résistance, et, comme il s'y obstinait, elle se mit à pleurer en disant:

– Laisse-moi, Landry, tu me fais beaucoup de peine.

Landry s'arrêta tout étonné, et si chagriné de la voir encore dans les larmes, qu'il en eut comme du dépit.

– Je vois bien, lui dit-il, que tu ne dis pas la vérité en me disant que mon amitié est la seule que tu veuilles avoir. Tu en as une plus forte qui te défend de m'embrasser.

– Non, Landry, répondit-elle en sanglotant; mais j'ai peur que, pour m'avoir embrassée la nuit, sans me voir, vous ne me haïssiez quand vous me reverrez au jour.

– Est-ce que je ne t'ai jamais vue? dit Landry impatienté; est-ce que je ne te vois pas, à présent? Tiens, viens un peu à la lune, je te vois bien, et je ne sais pas si tu es laide, mais j'aime ta figure, puisque je t'aime, voilà tout.

Et puis il l'embrassa, d'abord tout en tremblant, et puis, il y revint avec tant de goût qu'elle en eut peur, et lui dit en le repoussant:

– Assez! Landry, assez! on dirait que tu m'embrasses de colère ou que tu penses à Madelon. Apaise-toi, je lui parlerai demain, et demain tu l'embrasseras avec plus de joie que je ne peux t'en donner.

Là-dessus, elle sortit vitement des abords de la carrière, et partit de son pied léger.

Landry était comme affolé, et il eut envie de courir après elle. Il s'y reprit à trois fois avant de se décider à redescendre du côté de la rivière. Enfin, sentant que le diable était après lui, il se mit à courir aussi et ne s'arrêta qu'à la Priche.

Le lendemain, quand il alla voir ses bœufs au petit jour, tout en les affenant et les câlinant, il pensait en lui-même à cette causerie d'une grande heure qu'il avait eue dans la carrière du Chaumois avec la petite Fadette, et qui lui avait paru comme un instant. Il avait encore la tête alourdie par le sommeil et par la fatigue d'esprit d'une journée si différente de celle qu'il aurait dû passer. Et il se sentait tout troublé et comme épeuré de ce qu'il avait senti pour cette fille, qui lui revenait devant les yeux, laide et de mauvaise tenue, comme il l'avait toujours connue. Il s'imaginait par moment avoir rêvé le souhait qu'il avait fait de l'embrasser, et le contentement qu'il avait eu de la serrer contre son cœur, comme s'il avait senti un grand amour pour elle, comme si elle lui avait paru tout d'un coup plus belle et plus aimable que pas une fille sur terre.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
210 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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