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XVII. La petite Marie

Enfin, le dimanche matin, au sortir de la messe, sa belle-mère lui demanda ce qu’il avait obtenu de sa bonne amie depuis la conversation dans le verger.

– Mais, rien du tout, répondit-il. Je ne lui ai pas parlé.

– Comment donc voulez-vous la persuader si vous ne lui parlez pas ?

– Je ne lui ai parlé qu’une fois, répondit Germain. C’est quand nous avons été ensemble à Fourche ; et, depuis ce temps-là, je ne lui ai pas dit un seul mot. Son refus m’a fait tant de peine que j’aime mieux ne pas l’entendre recommencer à me dire qu’elle ne m’aime pas.

– Eh bien ! mon fils, il faut lui parler maintenant ! votre beau-père vous autorise à le faire. Allez, décidez-vous ! je vous le dis, et, s’il le faut, je le veux ; car vous ne pouvez pas rester dans ce doute-là.

Germain obéit. Il arriva chez la Guillette, la tête basse et l’air accablé. La petite Marie était seule au coin du feu, si pensive qu’elle n’entendit pas venir Germain. Quand elle le vit devant elle, elle sauta de surprise sur sa chaise, et devint toute rouge.

– Petite Marie, lui dit-il en s’asseyant auprès d’elle, je viens te faire de la peine et t’ennuyer, je le sais bien : mais l’homme et la femme de chez nous (désignant ainsi, selon l’usage, les chefs de famille) veulent que je te parle et que je te demande de m’épouser. Tu ne le veux pas, toi, je m’y attends.

– Germain, répondit la petite Marie, c’est donc décidé que vous m’aimez ?

– Ça te fâche, je le sais, mais ce n’est pas ma faute : si tu pouvais changer d’avis, je serais trop content, et sans doute je ne mérite pas que cela soit. Voyons, regarde-moi, Marie, je suis donc bien affreux ?

– Non, Germain, répondit-elle en souriant, vous êtes plus beau que moi.

– Ne te moque pas ; regarde-moi avec indulgence ; il ne me manque encore ni un cheveu ni une dent. Mes yeux te disent que je t’aime. Regarde-moi donc dans les yeux, ça y est écrit et toute fille sait lire dans cette écriture-là.

Marie regarda dans les yeux de Germain avec son assurance enjouée ; puis, tout à coup, elle détourna la tête et se mit à trembler.

– Ah ! mon Dieu ! je te fais peur, dit Germain, tu me regardes comme si j’étais le fermier des Ormeaux. Ne me crains pas, je t’en prie, cela me fait trop de mal. Je ne te dirai pas de mauvaises paroles, moi ; je ne t’embrasserai pas malgré toi, et quand tu voudras que je m’en aille, tu n’auras qu’à me montrer la porte. Voyons, faut-il que je sorte pour que tu finisses de trembler ?

Marie tendit la main au laboureur, mais sans détourner sa tête penchée vers le foyer et sans dire un mot.

– Je comprends, dit Germain ; tu me plains car tu es bonne ; tu es fâchée de me rendre malheureux : mais tu ne peux pas m’aimer ?

– Pourquoi me dites-vous de ces choses-là, Germain ? répondit enfin la petite Marie, vous voulez donc me faire pleurer ?

– Pauvre petite fille, tu as bon cœur, je le sais ; mais tu ne m’aimes pas et tu me caches ta figure parce que tu crains de me laisser voir ton déplaisir et ta répugnance. Et moi ! je n’ose pas seulement te serrer la main ! Dans le bois, quand mon fils dormait et que tu dormais aussi, j’ai failli t’embrasser tout doucement. Mais je serais mort de honte plutôt que de te le demander et j’ai autant souffert dans cette nuit-là qu’un homme qui brûlerait à petit feu. Depuis ce temps-là j’ai rêvé à toi toutes les nuits. Ah ! comme je t’embrassais, Marie ! Mais toi, pendant ce temps-là, tu dormais sans rêver. Et, à présent, sais-tu ce que je pense ? c’est que si tu te retournais pour me regarder avec les yeux que j’ai pour toi, et si tu approchais ton visage du mien, je crois que j’en tomberais mort de joie. Et toi, tu penses que si pareille chose t’arrivait tu en mourrais de colère et de honte !

Germain parlait comme dans un rêve sans entendre ce qu’il disait. La petite Marie tremblait toujours ; mais comme il tremblait encore davantage, il ne s’en apercevait plus. Tout à coup elle se retourna ; elle était tout en larmes et le regardait d’un air de reproche. Le pauvre laboureur crut que c’était le dernier coup et, sans attendre son arrêt, il se leva pour partir, mais la jeune fille l’arrêta en l’entourant de ses deux bras et, cachant sa tête dans son sein :

– Ah ! Germain, lui dit-elle en sanglotant, vous n’avez donc pas deviné que je vous aime ?

Germain serait devenu fou si son fils, qui le cherchait et qui entra dans la chaumière au grand galop sur un bâton, avec sa petite sœur en croupe qui fouettait avec une branche d’osier ce coursier imaginaire, ne l’eût rappelé à lui-même. Il le souleva dans ses bras et, le mettant dans ceux de sa fiancée :

– Tiens, lui dit-il, tu as fait plus d’un heureux en m’aimant !

Appendice

I. Les noces de campagne

Ici finit l’histoire du mariage de Germain, telle qu’il me l’a racontée lui-même, le fin laboureur qu’il est ! Je te demande pardon, lecteur ami, de n’avoir pas su te la traduire mieux ; car c’est une véritable traduction qu’il faut au langage antique et naïf des paysans de la contrée que je chante (comme on disait jadis). Ces gens-là parlent trop français pour nous et, depuis Rabelais et Montaigne, les progrès de la langue nous ont fait perdre bien des vieilles richesses. Il en est ainsi de tous les progrès, il faut en prendre son parti. Mais c’est encore un plaisir d’entendre ces idiotismes pittoresques régner sur le vieux terroir du centre de la France ; d’autant plus que c’est la véritable expression du caractère moqueusement tranquille et plaisamment disert des gens qui s’en servent. La Touraine a conservé un certain nombre précieux de locutions patriarcales. Mais la Touraine s’est grandement civilisée avec et depuis la Renaissance. Elle s’est couverte de châteaux, de routes, d’étrangers et de mouvement. Le Berry est resté stationnaire, et je crois qu’après la Bretagne et quelques provinces de l’extrême midi de la France, c’est le pays le plus conservé qui se puisse trouver à l’heure qu’il est. Certaines coutumes sont si étranges, si curieuses, que j’espère t’amuser encore un instant, cher lecteur, si tu permets que je te raconte en détail une noce de campagne, celle de Germain par exemple, à laquelle j’eus le plaisir d’assister il y a quelques années.

Car, hélas ! tout s’en va. Depuis seulement que j’existe, il s’est fait plus de mouvement dans les idées et dans les coutumes de mon village, qu’il ne s’en était vu durant des siècles avant la Révolution. Déjà la moitié des cérémonies celtiques, païennes ou moyen âge, que j’ai vues encore en pleine vigueur dans mon enfance, se sont effacées. Encore un ou deux ans peut-être, et les chemins de fer passeront leur niveau sur nos vallées profondes, emportant, avec la rapidité de la foudre, nos antiques traditions et nos merveilleuses légendes.

C’était en hiver, aux environs du carnaval, époque de l’année où il est séant et convenable chez nous de faire les noces. Dans l’été on n’a guère le temps, et les travaux d’une ferme ne peuvent souffrir trois jours de retard, sans parler des jours complémentaires affectés à la digestion plus ou moins laborieuse de l’ivresse morale et physique que laisse une fête. J’étais assis sous le vaste manteau d’une antique cheminée de cuisine, lorsque des coups de pistolet, des hurlements de chiens et les sons aigus de la cornemuse m’annoncèrent l’approche des fiancés. Bientôt le père et la mère Maurice, Germain et la petite Marie, suivis de Jacques et de sa femme, des principaux parents respectifs et des parrains et marraines des fiancés, firent leur entrée dans la cour.

La petite Marie, n’ayant pas encore reçu les cadeaux de noces, appelés livrées, était vêtue de ce qu’elle avait de mieux dans ses hardes modestes : une robe de gros drap sombre, un fichu blanc à grands ramages de couleurs voyantes, un tablier d’incarnat, indienne rouge fort à la mode alors et dédaignée aujourd’hui, une coiffe de mousseline très blanche et dans cette forme, heureusement conservée, qui rappelle la coiffure d’Anne Boleyn et d’Agnès Sorel. Elle était fraîche et souriante, point orgueilleuse du tout, quoiqu’il y eût bien de quoi. Germain était grave et attendri auprès d’elle, comme le jeune Jacob saluant Rachel aux citernes de Laban. Toute autre fille eût pris un air d’importance et une tenue de triomphe ; car, dans tous les rangs, c’est quelque chose que d’être épousée pour ses beaux yeux. Mais les yeux de la jeune fille étaient humides et brillants d’amour ; on voyait bien qu’elle était profondément éprise et qu’elle n’avait point le loisir de s’occuper de l’opinion des autres. Son petit air résolu ne l’avait point abandonnée ; mais c’était toute franchise et tout bon vouloir chez elle ; rien d’impertinent dans son succès, rien de personnel dans le sentiment de sa force. Je ne vis oncques si gentille fiancée, lorsqu’elle répondait nettement à ses jeunes amies qui lui demandaient si elle était contente.

– Dame ! bien sûr ! je ne me plains pas du bon Dieu.

Le père Maurice porta la parole ; il venait faire les compliments et invitations d’usage. Il attacha d’abord au manteau de la cheminée une branche de laurier ornée de rubans ; ceci s’appelle l’exploit, c’est-à-dire la lettre de faire part ; puis il distribua à chacun des invités une petite croix faite d’un bout de ruban bleu traversé d’un autre bout de ruban rose ; le rose pour la fiancée, le bleu pour l’épouseur ; et les invités des deux sexes durent garder ce signe pour en orner les uns leur cornette, les autres leur boutonnière le jour de la noce. C’est la lettre d’admission, la carte d’entrée.

Alors le père Maurice prononça son compliment. Il invitait le maître de la maison et toute sa compagnie, c’est-à-dire tous ses enfants, tous ses parents, tous ses amis et tous ses serviteurs, à la bénédiction, au festin, à la divertissance, à la dansière et à tout ce qui en suit. Il ne manqua pas de dire : « Je viens vous faire l’honneur de vous semondre. » Locution très juste, bien qu’elle nous paraisse un contresens puisqu’elle exprime l’idée de rendre les honneurs à ceux qu’on en juge dignes.

Malgré la libéralité de l’invitation portée ainsi de maison en maison dans toute la paroisse, la politesse, qui est grandement discrète chez les paysans, veut que deux personnes seulement de chaque famille en profitent, un chef de famille sur le ménage, un de leurs enfants sur le nombre.

Ces invitations faites, les fiancés et leurs parents allèrent dîner ensemble à la métairie.

La petite Marie garda ses trois moutons sur le communal et Germain travailla la terre comme si de rien n’était.

La veille du jour marqué pour le mariage, vers deux heures de l’après-midi, la musique arriva, c’est-à-dire le cornemuseux et le vielleux, avec leurs instruments ornés de longs rubans flottants, et jouant une marche de circonstance, sur un rythme un peu lent pour des pieds qui ne seraient pas indigènes, mais parfaitement combiné avec la nature du terrain gras et des chemins ondulés de la contrée. Des coups de pistolet, tirés par les jeunes gens et les enfants, annoncèrent le commencement de la noce. On se réunit peu à peu et l’on dansa sur la pelouse devant la maison pour se mettre en train. Quand la nuit fut venue, on commença d’étranges préparatifs, on se sépara en deux bandes, et quand la nuit fut close, on procéda à la cérémonie des livrées.

Ceci se passait au logis de la fiancée, la chaumière à la Guillette. La Guillette prit avec elle sa fille, une douzaine de jeunes et jolies pastoures, amies et parentes de sa fille, deux ou trois respectables matrones, voisines fortes en bec, promptes à la réplique et gardiennes rigides des anciens us. Puis elle choisit une douzaine de vigoureux champions, ses parents et amis ; enfin le vieux chanvreur de la paroisse, homme disert et beau parleur s’il en fut.

Le rôle que joue en Bretagne le bazvalan, le tailleur du village, c’est le broyeur de chanvre ou le cardeur de laine (deux professions souvent réunies en une seule) qui le remplit dans nos campagnes. Il est de toutes les solennités tristes ou gaies, parce qu’il est essentiellement érudit et beau diseur, et dans ces occasions il a toujours le soin de porter la parole pour accomplir dignement certaines formalités, usitées de temps immémorial. Les professions errantes, qui introduisent l’homme au sein des familles sans lui permettre de se concentrer dans la sienne, sont propres à le rendre bavard, plaisant, conteur et chanteur.

Le broyeur de chanvre est particulièrement sceptique. Lui et un autre fonctionnaire rustique, dont nous parlerons tout à l’heure, le fossoyeur, sont toujours les esprits forts du lieu. Ils ont tant parlé de revenants et ils savent si bien tous les tours dont ces malins esprits sont capables, qu’ils ne les craignent guère. C’est particulièrement la nuit que tous, fossoyeurs, chanvreurs et revenants, exercent leur industrie. C’est aussi la nuit que le chanvreur raconte ses lamentables légendes. Qu’on me permette une digression…

Quand le chanvre est arrivé à point, c’est-à-dire suffisamment trempé dans les eaux courantes et à demi séché à la rive, on le rapporte dans la cour des habitations ; on le place debout par petites gerbes qui, avec leurs tiges écartées du bas et leurs têtes liées en boules, ressemblent déjà passablement, le soir, à une longue procession de petits fantômes blancs, plantés sur leurs jambes grêles et marchant sans bruit le long des murs.

C’est à la fin de septembre, quand les nuits sont encore tièdes, qu’à la pâle clarté de la lune on commence à broyer. Dans la journée, le chanvre a été chauffé au four ; on l’en retire, le soir, pour le broyer chaud. On se sert pour cela d’une sorte de chevalet surmonté d’un levier en bois qui, retombant sur des rainures, hache la plante sans la couper. C’est alors qu’on entend la nuit, dans les campagnes, ce bruit sec et saccadé de trois coups frappés rapidement. Puis, un silence se fait ; c’est le mouvement du bras qui retire la poignée de chanvre pour la broyer sur une autre partie de sa longueur. Et les trois coups recommencent ; c’est l’autre bras qui agit sur le levier, et toujours ainsi jusqu’à ce que la lune soit voilée par les premières lueurs de l’aube. Comme ce travail ne dure que quelques jours dans l’année, les chiens ne s’y habituent pas et poussent des hurlements plaintifs vers tous les points de l’horizon.

C’est le temps des bruits insolites et mystérieux dans la campagne. Les grues émigrantes passent dans des régions où, en plein jour, l’œil les distingue à peine. La nuit, on les entend seulement ; et ces voix rauques et gémissantes, perdues dans les nuages, semblent l’appel et l’adieu d’âmes tourmentées qui s’efforcent de trouver le chemin du ciel, et qu’une invincible fatalité force à planer non loin de la terre, autour de la demeure des hommes ; car ces oiseaux voyageurs ont d’étranges incertitudes et de mystérieuses anxiétés dans le cours de leur traversée aérienne. Il leur arrive parfois de perdre le vent, lorsque des brises capricieuses se combattent ou se succèdent dans les hautes régions. Alors on voit, lorsque ces déroutes arrivent durant le jour, le chef de file flotter à l’aventure dans les airs, puis faire volte-face, revenir se placer à la queue de la phalange triangulaire, tandis qu’une savante manœuvre de ses compagnons les ramène bientôt en bon ordre derrière lui. Souvent, après de vains efforts, le guide épuisé renonce à conduire la caravane ; un autre se présente, essaie à son tour et cède la place à un troisième, qui retrouve le courant et engage victorieusement la marche. Mais que de cris, que de reproches, que de remontrances, que de malédictions sauvages ou de questions inquiètes sont échangés, dans une langue inconnue, entre ces pèlerins ailés !

Dans la nuit sonore, on entend ces clameurs sinistres tournoyer parfois assez longtemps au-dessus des maisons ; et comme on ne peut rien voir, on ressent malgré soi une sorte de crainte et de malaise sympathique, jusqu’à ce que cette nuée sanglotante se soit perdue dans l’immensité.

Il y a d’autres bruits encore qui sont propres à ce moment de l’année, et qui se passent principalement dans les vergers. La cueille des fruits n’est pas encore faite, et mille crépitations inusitées font ressembler les arbres à des êtres animés. Une branche grince, en se courbant sous un poids arrivé tout à coup à son dernier degré de développement ; ou bien une pomme se détache et tombe à vos pieds avec un son mat sur la terre humide. Alors vous entendez fuir, en frôlant les branches et les herbes, un être que vous ne voyez pas : c’est le chien du paysan, ce rôdeur curieux, inquiet, à la fois insolent et poltron, qui se glisse partout, qui ne dort jamais, qui cherche toujours on ne sait quoi, qui vous épie, caché dans les broussailles et prend la fuite au bruit de la pomme tombée, croyant que vous lui lancez une pierre.

C’est durant ces nuits-là, nuits voilées et grisâtres, que le chanvreur raconte ses étranges aventures de follets et de lièvres blancs, d’âmes en peine et de sorciers transformés en loups, de sabbat au carrefour et de chouettes prophétesses au cimetière. Je me souviens d’avoir passé ainsi les premières heures de la nuit autour des broyes en mouvement, dont la percussion impitoyable, interrompant le récit du chanvreur à l’endroit le plus terrible, nous faisait passer un frisson glacé dans les veines. Et souvent aussi le bonhomme continuait à parler en broyant ; et il y avait quatre à cinq mots perdus : mots effrayants, sans doute, que nous n’osions pas lui faire répéter, et dont l’omission ajoutait un mystère plus affreux aux mystères déjà si sombres de son histoire. C’est en vain que les servantes nous avertissaient qu’il était bien tard pour rester dehors, et que l’heure de dormir était depuis longtemps sonnée pour nous : elles-mêmes mouraient d’envie d’écouter encore ; et avec quelle terreur ensuite nous traversions le hameau pour rentrer chez nous ! comme le porche de l’église nous paraissait profond et l’ombre des vieux arbres épaisse et noire ! Quant au cimetière, on ne le voyait point ; on fermait les yeux en le côtoyant.

Mais le chanvreur n’est pas plus que le sacristain adonné exclusivement au plaisir de faire peur ; il aime à faire rire, il est moqueur et sentimental au besoin, quand il faut chanter l’amour et l’hyménée ; c’est lui qui recueille et conserve dans sa mémoire les chansons les plus anciennes et qui les transmet à la postérité. C’est donc lui qui est chargé, dans les noces, du personnage que nous allons lui voir jouer à la présentation des livrées de la petite Marie.

II. Les livrées

Quand tout le monde fut réuni dans la maison, on ferma avec le plus grand soin les portes et les fenêtres ; on alla même barricader la lucarne du grenier ; on mit des planches, des tréteaux, des souches et des tables en travers de toutes les issues, comme si on se préparait à soutenir un siège ; et il se fit, dans cet intérieur fortifié, un silence d’attente assez solennel, jusqu’à ce qu’on entendit au loin des chants, des rires et le son des instruments rustiques. C’était la bande de l’épouseur, Germain en tête, accompagné de ses plus hardis compagnons, du fossoyeur, des parents, amis et serviteurs, qui formaient un joyeux et solide cortège.

Cependant, à mesure qu’ils approchèrent de la maison, ils se ralentirent, se concertèrent et firent silence. Les jeunes filles, enfermées dans le logis, s’étaient ménagé aux fenêtres de petites fentes, par lesquelles elles les virent arriver et se développer en ordre de bataille. Il tombait une pluie fine et froide, qui ajoutait au piquant de la situation, tandis qu’un grand feu pétillait dans l’âtre de la maison. Marie eût voulu abréger les lenteurs inévitables de ce siège en règle ; elle n’aimait pas à voir ainsi se morfondre son fiancé mais elle n’avait pas voix au chapitre dans la circonstance, et même elle devait partager ostensiblement la mutine cruauté de ses compagnes.

Quand les deux camps furent ainsi en présence, une décharge d’armes à feu, partie du dehors, mit en grande rumeur tous les chiens des environs. Ceux de la maison se précipitèrent vers la porte en aboyant, croyant qu’il s’agissait d’une attaque réelle, et les petits enfants que leurs mères s’efforçaient en vain de rassurer, se mirent à pleurer et à trembler. Toute cette scène fut si bien jouée qu’un étranger y eût été pris et eût songé peut-être à se mettre en état de défense contre une bande de chauffeurs.

Alors le fossoyeur, barde et orateur du fiancé, se plaça devant la porte et, d’une voix lamentable, engagea avec le chanvreur, placé à la lucarne qui était située au-dessus de la même porte, le dialogue suivant :

Le fossoyeur

– Hélas ! mes bonnes gens, mes chers paroissiens, pour l’amour de Dieu, ouvrez-moi la porte.

Le chanvreur

– Qui êtes-vous donc, et pourquoi prenez-vous la licence de nous appeler vos chers paroissiens ? Nous ne vous connaissons pas.

Le fossoyeur

– Nous sommes d’honnêtes gens bien en peine. N’ayez peur de nous, mes amis ! donnez-nous l’hospitalité. Il tombe du verglas, nos pauvres pieds sont gelés, et nous revenons de si loin que nos sabots en sont fendus.

Le chanvreur

– Si vos sabots sont fendus, vous pouvez chercher par terre ; vous trouverez bien un brin d’oisil (d’osier) pour faire des arcelets (petites lames de fer en forme d’arcs qu’on place sur les sabots fendus pour les consolider).

Le fossoyeur

– Des arcelets d’oisil, ce n’est guère solide. Vous vous moquez de nous, bonnes gens, et vous feriez mieux de nous ouvrir. On voit luire une belle flamme dans votre logis ; sans doute vous avez mis la broche, et on se réjouit chez vous le cœur et le ventre. Ouvrez donc à de pauvres pèlerins qui mourront à votre porte si vous ne leur faites merci.

Le chanvreur

– Ah ! ah ! vous êtes des pèlerins ? vous ne nous disiez pas cela. Et de quel pèlerinage arrivez-vous, s’il vous plaît !

Le fossoyeur

– Nous vous dirons cela quand vous nous aurez ouvert la porte, car nous venons de si loin que vous ne voudriez pas le croire.

Le chanvreur

– Quelle bêtise nous contez-vous ? Nous ne connaissons pas cette paroisse-là. Nous voyons bien que vous êtes de mauvaises gens, des brigands, des rien du tout et des menteurs. Allez plus loin chanter vos sornettes ; nous sommes sur nos gardes et vous n’entrerez point céans.

Le fossoyeur

– Hélas ! mon pauvre homme, ayez pitié de nous ! Nous ne sommes pas des pèlerins, vous l’avez deviné ; mais nous sommes de malheureux braconniers poursuivis par les gardes. Mêmement les gendarmes sont après nous et, si vous ne nous faites point cacher dans votre fenil, nous allons être pris et conduits en prison.

Le chanvreur

– Et qui nous prouvera que, cette fois-ci, vous soyez ce que vous dites ? car voilà déjà un mensonge que vous n’avez pas pu soutenir.

Le fossoyeur

– Si vous voulez nous ouvrir, nous vous montrerons une belle pièce de gibier que nous avons tuée.

Le chanvreur

– Montrez-la tout de suite, car nous sommes en méfiance.

Le fossoyeur

– Eh bien, ouvrez une porte ou une fenêtre, qu’on vous passe la bête.

Le chanvreur

– Oh ! que nenni ! pas si sot ! je vous regarde par un petit pertuis et je ne vois parmi vous ni chasseurs, ni gibier.

Ici un garçon bouvier, trapu et d’une force herculéenne, se détacha du groupe où il se tenait inaperçu, éleva vers la lucarne une oie plumée, passée dans une forte broche de fer, ornée de bouquets de paille et de rubans.

– Oui-da ! s’écria le chanvreur, après avoir passé avec précaution un bras dehors pour tâter le rôt ; ceci n’est point une caille, ni une perdrix ; ce n’est ni un lièvre, ni un lapin ; c’est quelque chose comme une oie ou un dindon. Vraiment, vous êtes de beaux chasseurs ! et ce gibier-là ne vous a guère fait courir. Allez plus loin, mes drôles ! toutes vos menteries sont connues, et vous pouvez bien aller chez vous faire cuire votre souper. Vous ne mangerez pas le nôtre.

Le fossoyeur

– Hélas ! mon Dieu, où irions-nous faire cuire notre gibier ? C’est bien peu de chose pour tant de monde que nous sommes ; et d’ailleurs, nous n’avons ni feu ni lieu. À cette heure-ci toutes les portes sont fermées, tout le monde est couché ; il n’y a que vous qui fassiez la noce dans votre maison, et il faut que vous ayez le cœur bien dur pour nous laisser transir dehors. Ouvrez-nous, braves gens, encore une fois ; nous ne vous occasionnerons pas de dépenses. Vous voyez bien que nous apportons le rôti ; seulement un peu de place à votre foyer, un peu de flamme pour le faire cuire, et nous nous en irons contents.

Le chanvreur

– Croyez-vous qu’il y ait trop de place chez nous, et que le bois ne nous coûte rien ?

Le fossoyeur

– Nous avons là une petite botte de paille pour faire le feu, nous nous en contenterons ; donnez-nous seulement la permission de mettre la broche en travers à votre cheminée.

Le chanvreur

– Cela ne sera point ; vous nous faites dégoût et point du tout pitié. M’est avis que vous êtes ivres, que vous n’avez besoin de rien et que vous voulez entrer chez nous pour nous voler notre feu et nos filles.

Le fossoyeur

– Puisque vous ne voulez entendre à aucune bonne raison, nous allons entrer chez vous par force.

Le chanvreur

– Essayez, si vous voulez. Nous sommes assez bien renfermés pour ne pas vous craindre. Et puisque vous êtes insolents, nous ne vous répondrons pas davantage.

Là-dessus le chanvreur ferma à grand bruit l’huis de la lucarne et redescendit dans la chambre au-dessous, par une échelle. Puis il reprit la fiancée par la main et, les jeunes gens des deux sexes se joignant à eux, tous se mirent à danser et à crier joyeusement tandis que les matrones chantaient d’une voix perçante et poussaient de grands éclats de rire en signe de mépris et de bravade contre ceux du dehors qui tentaient l’assaut.

Les assiégeants, de leur coté, faisaient rage : ils déchargeaient leurs pistolets dans les portes, faisaient gronder les chiens, frappaient de grand coups sur les murs, secouaient les volets, poussaient des cris effroyables ; enfin, c’était un vacarme à ne pas s’entendre, une poussière et une fumée à ne se point voir

Pourtant cette attaque était simulée : le moment n’était pas venu de violer l’étiquette. Si l’on parvenait, en rôdant, à trouver un passage non gardé, une ouverture quelconque, on pouvait chercher à s’introduire par surprise, et alors, si le porteur de la broche arrivait à mettre son rôti au feu, la prise de possession du foyer ainsi constatée, la comédie finissait et le fiancé était vainqueur.

Mais les issues de la maison n’étaient pas assez nombreuses pour qu’on eût négligé les précautions d’usage et nul ne se fût arrogé le droit d’employer la violence avant le moment fixé pour la lutte.

Quand on fut las de sauter et de crier, le chanvreur songea à capituler. Il remonta à sa lucarne, l’ouvrit avec précaution et salua les assiégeants désappointés par un éclat de rire.

– Eh bien, mes gars, dit-il, vous voilà bien penauds ! Vous pensiez que rien n’était plus facile que d’entrer céans et vous voyez que notre défense est bonne. Mais nous commençons à avoir pitié de vous, si vous voulez vous soumettre et accepter nos conditions.

Le fossoyeur

– Parlez, mes braves gens ; dites ce qu’il faut faire pour approcher de votre foyer.

Le chanvreur

– Il faut chanter, mes amis, mais chanter une chanson que nous ne connaissions pas, et à laquelle nous ne puissions pas répondre par une meilleure.

– Qu’à cela ne tienne ! répondit le fossoyeur, et il entonna d’une voix puissante :

Voilà six mois que c’était le printemps,

– Me promenais sur l’herbette naissante, répondit le chanvreur d’une voix un peu enrouée, mais terrible. Vous moquez-vous, mes pauvres gens, de nous chanter une pareille vieillerie ? Vous voyez bien que nous vous arrêtons au premier mot !

– C’était la fille d’un prince…

– Qui voulait se marier, répondit le chanvreur. Passez, passez à une autre ! nous connaissons celle-là un peu trop.

Le fossoyeur

– Voulez-vous celle-ci ? En revenant de Nantes…

Le chanvreur

– J’étais bien fatigué, voyez ! J’étais bien fatigué. Celle-là est du temps de ma grand’mère. Voyons-en une autre !

Le fossoyeur

– L’autre jour en me promenant…

Le chanvreur

– Le long de ce bois charmant ! En voilà une qui est bête ! Nos petits enfants ne voudraient pas se donner la peine de vous répondre ! Quoi ! voilà tout ce que vous savez ?

Le fossoyeur

– Oh ! nous vous en dirons tant que vous finirez par rester court.

Il se passa bien une heure à combattre ainsi. Comme les deux antagonistes étaient les deux plus forts du pays sur la chanson, et que leur répertoire semblait inépuisable, cela eût pu durer toute la nuit, d’autant plus que le chanvreur mit un peu de malice à laisser chanter certaines complaintes en dix, vingt ou trente couplets, feignant, par son silence, de se déclarer vaincu. Alors on triomphait dans le camp du fiancé, on chantait en chœur à pleine voix et on croyait que, cette fois, la partie adverse ferait défaut ; mais, à la moitié du couplet final, on entendait la voix, rude et enrhumée du vieux chanvreur beugler les derniers vers ; après quoi il s’écriait :

– Vous n’aviez pas besoin de vous fatiguer à en dire une si longue, mes enfants ! Nous la savions sur le bout du doigt !

Une ou deux fois pourtant le chanvreur fit la grimace, fronça le sourcil et se retourna d’un air désappointé vers les matrones attentives. Le fossoyeur chantait quelque chose de si vieux, que son adversaire l’avait oublié, ou peut-être qu’il ne l’avait jamais su ; mais aussitôt les bonnes commères nasillaient, d’une voix aigre comme celle de la mouette, le refrain victorieux ; et le fossoyeur, sommé de se rendre, passait à d’autres essais.

Il eût trop long d’attendre de quel côté resterait la victoire à condition qu’on offrirait à celle-ci un présent digne d’elle.

Alors commença le chant des livrées sur un air solennel comme un chant d’église.

Les hommes du dehors dirent en basse-taille à l’unisson :

 
Ouvrez la porte, ouvrez,
Marie, ma mignonne,
J’ons de beaux cadeaux à vous présenter
Hélas ! ma mie, laissez-nous entrer
 

À quoi les femmes répondirent de l’intérieur, et en fausset, d’un ton dolent :

 
Mon père est en chagrin, ma mère en grand tristesse,
Et moi je suis fille de trop grand merci
Pour ouvrir ma porte à cette heures ici.
 

Les hommes reprirent le premier couplet jusqu’au quatrième vers, qu’ils modifièrent de la sorte :

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
140 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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