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Читать книгу: «La mare au diable», страница 4

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VIII. Sous les grands chênes

– Eh bien ! prenons patience, Germain, dit la petite Marie. Nous ne sommes pas mal sur cette petite hauteur. La pluie ne perce pas la feuillée de ces gros chênes, et nous pouvons allumer du feu car je sens des vieilles souches qui ne tiennent à rien et qui sont assez sèches pour flamber. Vous avez bien du feu, Germain ? Vous fumiez votre pipe tantôt.

– J’en avais ! mon briquet était sur le bât dans mon sac, avec le gibier que je portais à ma future ; mais la maudite jument a tout emporté, même mon manteau, qu’elle va perdre et déchirer à toutes les branches.

– Non pas, Germain ; la bâtine, le manteau, le sac, tout est là par terre, à vos pieds. La Grise a cassé les sangles et tout jeté à côté d’elle en partant.

– C’est, vrai Dieu, certain ! dit le laboureur ; et si nous pouvons trouver un peu de bois mort à tâtons, nous réussirons à nous sécher et à nous réchauffer.

– Ce n’est pas difficile, dit la petite Marie, le bois mort craque partout sous les pieds ; mais donnez-moi d’abord ici la bâtine.

– Qu’en veux-tu faire ?

– Un lit pour le petit : non, pas comme ça, à l’envers ; il ne roulera pas dans la ruelle ; et c’est encore tout chaud du dos de la bête. Calez-moi ça de chaque coté avec ces pierres que vous voyez là !

– Je ne les vois pas, moi ! Tu as donc des yeux de chat !

– Tenez ! voilà qui est fait, Germain. Donnez-moi votre manteau, que j’enveloppe ses petits pieds, et ma cape par-dessus son corps. Voyez ! s’il n’est pas couché là aussi bien que dans son lit ! et tâtez-le comme il a chaud !

– C’est vrai ! tu t’entends à soigner les enfants, Marie !

– Ça n’est pas bien sorcier. À présent, cherchez votre briquet dans votre sac et je vais arranger le bois.

– Ce bois ne prendra jamais, il est trop humide.

– Vous doutez de tout, Germain ! vous ne vous souvenez donc pas d’avoir été pâtour et d’avoir fait de grands feux aux champs, au beau milieu de la pluie ?

– Oui, c’est le talent des enfants qui gardent les bêtes ; mais moi j’ai été toucheur de bœufs aussitôt que j’ai su marcher.

– C’est pour cela que vous êtes plus fort de vos bras qu’adroit de vos mains. Le voilà bâti ce bûcher, vous allez voir s’il ne flambera pas ! Donnez-moi le feu et une poignée de fougère sèche. C’est bien ! soufflez à présent ; vous n’êtes pas poumonique ?

– Non pas que je sache, dit Germain en soufflant comme un soufflet de forge. Au bout d’un instant, la flamme brilla, jeta d’abord une lumière rouge et finit par s’élever en jets bleuâtres sous le feuillage des chênes, luttant contre la brume et séchant peu à peu l’atmosphère à dix pieds à la ronde.

– Maintenant, je vais m’asseoir auprès du petit pour qu’il ne lui tombe pas d’étincelles sur le corps, dit la jeune fille. Vous, mettez du bois et animez le feu, Germain ! nous n’attraperons ici ni fièvre ni rhume, je vous en réponds.

– Ma foi, tu es une fille d’esprit, dit Germain, tu sais faire le feu comme une petite sorcière de nuit. Je me sens tout ranimé et le cœur me revient ; car avec les jambes mouillées jusqu’aux genoux et l’idée de rester comme cela jusqu’au point du jour, j’étais de fort mauvaise humeur tout à l’heure.

– Et quand on est de mauvaise humeur, on ne s’avise de rien, reprit la petite Marie.

– Et tu n’es donc jamais de mauvaise humeur, toi ?

– Eh non ! jamais. À quoi bon ?

– Oh ! ce n’est bon à rien, certainement ; mais le moyen de s’en empêcher, quand on a des ennuis ! Dieu sait que tu n’en as pas manqué, toi, pourtant, ma pauvre petite : car tu n’as pas toujours été heureuse !

– C’est vrai, nous avons souffert, ma pauvre mère et moi. Nous avions du chagrin, mais nous ne perdions jamais courage.

– Je ne perdrais pas courage pour quelque ouvrage que ce fût, dit Germain ; mais la misère me fâcherait ; car je n’ai jamais manqué de rien. Ma femme m’avait fait riche et je le suis encore ; je le serai tant que je travaillerai à la métairie : ce sera toujours, j’espère ; mais chacun doit avoir sa peine ! J’ai souffert autrement.

– Oui, vous avez perdu votre femme, et c’est grand’pitié.

– N’est-ce pas ?

– Oh ! je l’ai bien pleurée, allez, Germain ! car elle était si bonne ! Tenez, n’en parlons plus ; car je la pleurerais encore, tous mes chagrins sont en train de me revenir aujourd’hui.

– C’est vrai qu’elle t’aimait beaucoup, petite Marie ! elle faisait grand cas de toi et de ta mère. Allons ! tu pleures ? Voyons, ma fille, je ne veux pas pleurer, moi…

– Vous pleurez, pourtant, Germain ! Vous pleurez aussi ! Quelle honte y a-t-il pour un homme à pleurer sa femme ? Ne vous gênez pas, allez ! je suis bien de moitié avec vous dans cette peine-là !

– Tu as bon cœur, Marie, et ça me fait du bien de pleurer avec toi. Mais approche donc tes pieds du feu ; tu as tes jupes toutes mouillées aussi, pauvre petite fille ! Tiens, je vais prendre ta place auprès du petit, chauffe-toi mieux que ça.

– J’ai assez chaud, dit Marie ; et si vous voulez vous asseoir, prenez un coin du manteau, moi je suis très bien.

– Le fait est qu’on n’est pas mal ici, dit Germain en s’asseyant tout auprès d’elle. Il n’y a que la faim qui me tourmente un peu. Il est bien neuf heures du soir, et j’ai eu tant de peine à marcher dans ces mauvais chemins que je me sens tout affaibli. Est-ce que tu n’as pas faim aussi, toi, Marie ?

– Moi ? pas du tout. Je ne suis pas habituée, comme vous, à faire quatre repas, et j’ai été tant de fois me coucher sans souper qu’une fois de plus ne m’étonne guère.

– Eh bien, c’est commode une femme comme toi ; ça ne fait pas de dépense, dit Germain en souriant.

– Je ne suis pas une femme, dit naïvement Marie, sans s’apercevoir de la tournure que prenaient les idées du laboureur. Est-ce que vous rêvez ?

– Oui, je crois que je rêve, répondit Germain ; c’est la faim qui me fait divaguer peut-être !

– Que vous êtes donc gourmand ! reprit-elle en s’égayant un peu à son tour ; eh bien ! si vous ne pouvez pas vivre cinq ou six heures sans manger, est-ce que vous n’avez pas là du gibier dans votre sac et du feu pour le faire cuire ?

– Diantre ! c’est une bonne idée ! mais le présent à mon futur beau-père ?

– Vous avez six perdrix et un lièvre ! Je pense qu’il ne vous faut pas tout cela pour vous rassasier ?

– Mais faire cuire cela ici, sans broche et sans landiers, ça deviendra du charbon !

– Non pas, dit la petite Marie ; je me charge de vous le faire cuire sous la cendre sans goût de fumée. Est-ce que vous n’avez jamais attrapé d’alouette dans les champs, et que vous ne les avez pas fait cuire entre deux pierres ? Ah ! c’est vrai ! j’oublie que vous n’avez pas été pastour ! Voyons, plumez cette perdrix ! Pas si fort ! vous lui arrachez la peau.

– Tu pourrais bien plumer l’autre pour me montrer !

– Vous voulez donc en manger deux ? Quel ogre ! Allons, les voilà plumées, je vais les cuire.

– Tu ferais une parfaite cantinière, petite Marie ; mais, par malheur, tu n’as pas de cantine, et je serai réduit à boire l’eau de cette mare.

– Vous voudriez du vin, pas vrai ? Il vous faudrait peut-être du café ? Vous vous croyez à la foire sous la ramée ! Appelez l’aubergiste : de la liqueur au fin laboureur de Belair !

– Ah ! petite méchante, vous vous moquez de moi ? Vous ne boiriez pas du vin, vous, si vous en aviez ?

– Moi ? J’en ai bu ce soir avec vous chez la Rebec pour la seconde fois de ma vie ; mais si vous êtes bien sage, je vais vous en donner une bouteille quasi pleine, et du bon encore !

– Comment, Marie, tu es donc sorcière, décidément ?

– Est-ce que vous n’avez pas fait la folie de demander deux bouteilles de vin à la Rebec ? Vous en avez bu une avec votre petit, et j’ai à peine avalé trois gouttes de celle que vous aviez mise devant moi. Cependant vous les avez payées toutes les deux sans y regarder.

– Eh bien ?

– Eh bien, j’ai mis dans mon panier celle qui n’avait pas été bue, parce que j’ai pensé que vous ou votre petit auriez soif en route ; et la voilà.

– Tu es la fille la plus avisée que j’aie jamais rencontrée. Voyez ! elle pleurait pourtant, cette pauvre enfant en sortant de l’auberge ! ça ne l’a pas empêchée de penser aux autres plus qu’à elle-même. Petite Marie, l’homme qui t’épousera ne sera pas sot.

– Je l’espère car je n’aimerais pas un sot. Allons, mangez vos perdrix, elles sont cuites à point ; et faute de pain, vous vous contenterez de châtaignes.

– Et où diable as-tu pris aussi des châtaignes ?

– C’est bien étonnant ! tout le long du chemin, j’en ai pris aux branches en passant et j’en ai rempli mes poches.

– Et elles sont cuites aussi ?

– à quoi donc aurais-je eu l’esprit si je ne les avais pas mises dans le feu dès qu’il a été allumé ? Ça se fait toujours, aux champs.

– Ah ça, petite Marie, nous allons souper ensemble ! je veux boire à ta santé et te souhaiter un bon mari… là, comme tu le souhaiterais toi-même. Dis-moi un peu cela !

– J’en serais fort empêchée, Germain, car je n’y ai pas encore songé.

– Comment, pas du tout ? jamais ? dit Germain en commençant à manger avec un appétit de laboureur, mais coupant les meilleurs morceaux pour les offrir à sa compagne, qui refusa obstinément et se contenta de quelques châtaignes. Dis-moi donc, petite Marie, reprit-il, voyant qu’elle ne songeait pas à lui répondre, tu n’as pas encore eu l’idée du mariage ? tu es en âge pourtant !

– Peut-être, dit-elle ; mais je suis trop pauvre. Il faut au moins cent écus pour entrer en ménage, et je dois travailler cinq ou six ans pour les amasser.

– Pauvre fille ! je voudrais que le père Maurice voulût bien me donner cent écus pour t’en faire cadeau.

– Grand merci, Germain. Eh bien ! qu’est-ce qu’on dirait de moi ?

– Que veux-tu qu’on dise ? on sait bien que je suis vieux et que je ne peux pas t’épouser. Alors on ne supposerait pas que je… que tu…

– Dites donc, laboureur ! voilà votre enfant qui se réveille, dit la petite Marie.

IX. La prière du soir

Petit-Pierre s’était soulevé et regardait autour de lui d’un air pensif.

– Ah ! il n’en fait jamais d’autre quand il entend manger, celui-là ! dit Germain, le bruit du canon ne le réveillerait pas ; mais quand on remue les mâchoires auprès de lui, il ouvre les yeux tout de suite

– Vous avez dû être comme ça à son âge dit la petite Marie avec un sourire malin. Allons, mon petit Pierre, tu cherches ton ciel de lit ? Il est fait de verdure, ce soir, mon enfant ; mais ton père n’en soupe pas moins. Veux-tu souper avec lui ? Je n’ai pas mangé ta part ; je me doutais bien que tu la réclamerais !

– Marie, je veux que tu manges, s’écria le laboureur, je ne mangerai plus. Je suis un vorace, un grossier : toi, tu te prives pour nous, ce n’est pas juste, j’en ai honte. Tiens, ça m’ôte la faim ; je ne veux pas que mon fils soupe si tu ne soupes pas.

– Laissez-nous tranquilles, répondit la petite Marie, vous n’avez pas la clef de nos appétits. Le mien est fermé aujourd’hui, mais celui de votre Pierre est ouvert comme celui d’un petit loup. Tenez, voyez comme il s’y prend ! Oh ! ce sera aussi un rude laboureur !

En effet, Petit-Pierre montra bientôt de qui il était fils, et à peine éveillé, ne comprenant ni où il était, ni comment il y était venu, il se mit à dévorer. Puis, quand il n’eut plus faim, se trouvant excité comme il arrive aux enfants qui rompent leurs habitudes, il eut plus d’esprit, plus de curiosité et plus de raisonnement qu’à l’ordinaire. Il se fit expliquer où il était, et quand il sut que c’était au milieu d’un bois, il eut un peu peur.

– Y a-t-il des méchantes bêtes dans ce bois ? demanda-t-il à son père.

– Non, fit le père, il n’y en a point. Ne crains rien.

– Tu as donc menti quand tu m’as dit que si j’allais avec toi dans les grands bois les loups m’emporteraient ?

– Voyez-vous ce raisonneur ? dit Germain embarrassé.

– Il a raison, reprit la petite Marie, vous lui avez dit cela : il a bonne mémoire, il s’en souvient. Mais apprends, mon petit Pierre, que ton père ne ment jamais. Nous avons passé les grands bois pendant que tu dormais, et nous sommes à présent dans les petits bois, où il n’y a pas de méchantes bêtes.

– Les petits bois sont-ils bien loin des grands ?

– Assez loin ; d’ailleurs les loups ne sortent pas des grands bois. Et puis, s’il en venait ici, ton père les tuerait.

– Et toi aussi, petite Marie ?

– Et nous aussi, car tu nous aiderais bien, mon Pierre ? Tu n’as pas peur, toi ? Tu taperais bien dessus !

– Oui, oui, dit l’enfant enorgueilli, en prenant une pose héroïque, nous les tuerions !

– Il n’y a personne comme toi pour parler aux enfants, dit Germain à la petite Marie, et pour leur faire entendre raison. Il est vrai qu’il n’y a pas longtemps que tu étais toi-même un petit enfant et tu te souviens de ce que te disait ta mère. Je crois bien que plus on est jeune, mieux on s’entend avec ceux qui le sont. J’ai grand’peur qu’une femme de trente ans, qui ne sait pas encore ce que c’est que d’être mère, n’apprenne avec peine à babiller et à raisonner avec des marmots.

– Pourquoi donc pas, Germain ? Je ne sais pourquoi vous avez une mauvaise idée touchant cette femme ; vous en reviendrez !

– Au diable la femme ! dit Germain. Je voudrais en être revenu pour n’y plus retourner. Qu’ai-je besoin d’une femme que je ne connais pas ?

– Mon petit père, dit l’enfant, pourquoi donc est-ce que tu parles toujours de ta femme aujourd’hui puisqu’elle est morte ?…

– Hélas ! tu ne l’as donc pas oubliée, toi, ta pauvre chère mère ?

– Non, puisque je l’ai vu mettre dans une belle boîte de bois blanc et que ma grand’mère m’a conduit auprès pour l’embrasser et lui dire adieu !… Elle était toute blanche et toute froide, et tous les soirs ma tante me fait prier le bon Dieu pour qu’elle aille se réchauffer avec lui dans le ciel. Crois-tu qu’elle y soit, à présent ?

– Je l’espère, mon enfant ; mais il faut toujours prier, ça fait voir à ta mère que tu l’aimes.

– Je vas dire ma prière, reprit l’enfant ; je n’ai pas pensé à la dire ce soir. Mais je ne peux pas la dire tout seul ; j’en oublie toujours un peu. Il faut que la petite Marie m’aide.

– Oui, mon Pierre, je vas t’aider, dit la jeune fille. Viens là, te mettre à genoux sur moi.

L’enfant s’agenouilla sur la jupe de la jeune fille, joignit ses petites mains et se mit à réciter sa prière, d’abord avec attention et ferveur, car il savait très bien le commencement ; puis avec plus de lenteur et d’hésitation, et enfin répétant mot à mot ce que lui dictait la petite Marie, lorsqu’il arriva à cet endroit de son oraison où, le sommeil le gagnant chaque soir, il n’avait jamais pu l’apprendre jusqu’au bout. Cette fois encore, le travail de l’attention et la monotonie de son propre accent produisirent leur effet accoutumé, il ne prononça plus qu’avec effort les dernières syllabes, et encore après se les être fait répéter trois fois ; sa tête s’appesantit et se pencha sur la poitrine de Marie : ses mains se détendirent, se séparèrent et retombèrent ouvertes sur ses genoux. À la lueur du feu du bivouac, Germain regarda son petit ange assoupi sur le cœur de la jeune fille qui, le soutenant dans ses bras et réchauffant ses cheveux blonds de sa pure haleine, s’était laissée aller aussi à une rêverie pieuse et priait mentalement pour l’âme de Catherine.

Germain fut attendri, chercha ce qu’il pourrait dire à la petite Marie pour lui exprimer ce qu’elle lui inspirait d’estime et de reconnaissance, mais ne trouva rien qui pût rendre sa pensée. Il s’approcha d’elle pour embrasser son fils qu’elle tenait toujours pressé contre son sein, et il eut peine à détacher ses lèvres du front du petit Pierre.

– Vous l’embrassez trop fort, lui dit Marie en repoussant doucement la tête du laboureur, vous allez le réveiller. Laissez-moi le recoucher puisque le voilà reparti pour les rêves du paradis.

L’enfant se laissa coucher mais, en s’étendant sur la peau de chèvre du bât, il demanda s’il était sur la Grise. Puis, ouvrant ses grands yeux bleus et les tenant fixés vers les branches pendant une minute, il parut rêver tout éveillé ou être frappé d’une idée qui avait glissé dans son esprit durant le jour, et qui s’y formulait à l’approche du sommeil.

– Mon petit père, dit-il, si tu veux me donner une autre mère, je veux que ce soit la petite Marie.

Et sans attendre de réponse, il ferma les yeux et s’endormit.

X. Malgré le froid

La petite Marie ne parut pas faire d’autre attention aux paroles bizarres de l’enfant que de les regarder comme une preuve d’amitié ; elle l’enveloppa avec soin, ranima le feu et, comme le brouillard endormi sur la mare voisine ne paraissait nullement près de s’éclaircir, elle conseilla à Germain de s’arranger auprès du feu pour faire un somme.

– Je vois que cela vous vient déjà, lui dit-elle, car vous ne dites plus mot et vous regardez la braise comme votre petit faisait tout à l’heure. Allons, dormez, je veillerai à l’enfant et à vous.

– C’est toi qui dormiras, répondit le laboureur, et moi je vous garderai tous les deux, car jamais je n’ai eu moins envie de dormir ; j’ai cinquante idées dans la tête.

– Cinquante, c’est beaucoup, dit la fillette avec une intention un peu moqueuse ; il y a tant de gens qui seraient heureux d’en avoir une !

– Eh bien ! si je ne suis pas capable d’en avoir cinquante, j’en ai du moins une qui ne me lâche pas depuis une heure.

– Et je vas vous la dire, ainsi que celles que vous aviez auparavant.

– Eh bien ! oui, dis-la si tu la devines, Marie ; dis-la-moi toi-même, ça me fera plaisir.

– Il y a une heure, reprit-elle, vous aviez l’idée de manger… et à présent vous avez l’idée de dormir.

– Marie, je ne suis qu’un bouvier, mais vraiment tu me prends pour un bœuf. Tu es une méchante fille, et je vois bien que tu ne veux point causer avec moi. Dors donc, cela vaudra mieux que de critiquer un homme qui n’est pas gai.

– Si vous voulez causer, causons, dit la petite fille en se couchant à demi auprès de l’enfant, et en appuyant sa tête contre le bât. Vous êtes en train de vous tourmenter, Germain, et en cela vous ne montrez pas beaucoup de courage pour un homme. Que ne dirais-je pas, moi, si je ne me défendais pas de mon mieux contre mon propre chagrin ?

– Oui, sans doute, et c’est là justement ce qui m’occupe, ma pauvre enfant ! Tu vas vivre loin de tes parents et dans un vilain pays de landes et de marécages où tu attraperas les fièvres d’automne, où les bêtes à laine ne profitent pas, ce qui chagrine toujours une bergère qui a bonne intention ; enfin tu seras au milieu d’étrangers qui ne seront peut-être pas bons pour toi, qui ne comprendront pas ce que tu vaux. Tiens, ça me fait plus de peine que je ne peux te le dire et j’ai envie de te remmener chez ta mère au lieu d’aller à Fourche.

– Vous parlez avec beaucoup de bonté mais sans raison, mon pauvre Germain ; on ne doit pas être lâche pour ses amis, et au lieu de me montrer le mauvais côté de mon sort, vous devriez m’en montrer le bon, comme vous faisiez quand nous avons goûté chez la Rebec.

– Que veux-tu ! ça me paraissait ainsi dans ce moment-là, et à présent ça me paraît autrement. Tu ferais mieux de trouver un mari.

– Ça ne se peut pas, Germain, je vous l’ai dit ; et comme ça ne se peut pas, je n’y pense pas.

– Mais enfin si ça se trouvait ? Peut-être que si tu voulais me dire comment tu souhaiterais qu’il fût, je parviendrais à imaginer quelqu’un.

– Imaginer n’est pas trouver. Moi, je n’imagine rien puisque c’est inutile.

– Tu n’aurais pas l’idée de trouver un riche ?

– Non, bien sûr, puisque je suis pauvre comme Job.

– Mais s’il était à son aise, ça ne te ferait pas de peine d’être bien logée, bien nourrie, bien vêtue et dans une famille de braves gens qui te permettrait d’assister ta mère ?

– Oh ! pour cela, oui ! assister ma mère est tout mon souhait.

– Et si cela se rencontrait, quand même l’homme ne serait pas de la première jeunesse, tu ne ferais pas trop la difficile ?

– Ah ! pardonnez-moi, Germain. C’est justement la chose à laquelle je tiendrais. Je n’aimerais pas un vieux !

– Un vieux, sans doute ; mais, par exemple, un homme de mon âge ?

– Votre âge est vieux pour moi, Germain ; j’aimerais l’âge de Bastien, quoique Bastien ne soit pas si joli homme que vous.

– Tu aimerais mieux Bastien le porcher ? dit Germain avec humeur. Un garçon qui a des yeux faits comme les bêtes qu’il mène ?

– Je passerais par-dessus ses yeux, à cause de ses dix-huit ans.

Germain se sentit horriblement jaloux.

– Allons, dit-il, je vois que tu en tiens pour Bastien. C’est une drôle d’idée, pas moins !

– Oui, ce serait une drôle d’idée, répondit la petite Marie en riant aux éclats, et ça ferait un drôle de mari. On lui ferait accroire tout ce qu’on voudrait. Par exemple, l’autre jour, j’avais ramassé une tomate dans le jardin à monsieur le curé ; je lui ai dit que c’était une belle pomme rouge et il a mordu dedans comme un goulu. Si vous aviez vu quelle grimace ! Mon Dieu, qu’il était vilain !

– Tu ne l’aimes donc pas puisque tu te moques de lui ?

– Ce ne serait pas une raison. Mais je ne l’aime pas : il est brutal avec sa petite sœur et il est malpropre.

– Eh bien ! tu ne te sens pas portée pour quelque autre ?

– Qu’est-ce que ça vous fait, Germain ?

– Ça ne me fait rien, c’est pour parler. Je vois, petite fille, que tu as déjà un galant dans la tête.

– Non, Germain, vous vous trompez, je n’en ai pas encore ; ça pourra venir plus tard : mais puisque je ne me marierai que quand j’aurai un peu amassé, je suis destinée à me marier tard et avec un vieux.

– Eh bien, prends-en un vieux tout de suite.

– Non pas ! quand je ne serai plus jeune, ça me sera égal ; à présent, ce serait différent.

– Je vois bien, Marie, que je te déplais : c’est assez clair, dit Germain avec dépit, et sans peser ses paroles.

La petite Marie ne répondit pas. Germain se pencha vers elle : elle dormait ; elle était tombée vaincue et comme foudroyée par le sommeil, comme font les enfants qui dorment déjà lorsqu’ils babillent encore.

Germain fut content qu’elle n’eût pas fait attention à ses dernières paroles ; il reconnut qu’elles n’étaient point sages et il lui tourna le dos pour se distraire et changer de pensée.

Mais il eut beau faire, il ne put ni s’endormir, ni songer à autre chose qu’à ce qu’il venait de dire. Il tourna vingt fois autour du feu, il s’éloigna, il revint ; enfin, se sentant aussi agité que s’il eût avalé de la poudre à canon, il s’appuya contre l’arbre qui abritait les deux enfants et les regarda dormir.

– Je ne sais pas comment je ne m’étais jamais aperçu, pensait-il, que cette petite Marie est la plus jolie fille du pays !… Elle n’a pas beaucoup de couleurs mais elle a un petit visage frais comme une rose de buissons ! Quelle gentille bouche et quel mignon petit nez !… Elle n’est pas grande pour son âge, mais elle est faite comme une petite caille et légère comme un petit pinson !… Je ne sais pas pourquoi on fait tant de cas chez nous d’une grande et grosse femme bien vermeille… La mienne était plutôt mince et pâle, et elle me plaisait par-dessus tout… Celle-ci est toute délicate mais elle ne s’en porte pas plus mal, et elle est jolie à voir comme un chevreau blanc !… Et puis, quel air doux et honnête ! comme on lit son bon cœur dans ses yeux, même lorsqu’ils sont fermés pour dormir !… Quant à de l’esprit, elle en a plus que ma chère Catherine n’en avait, il faut en convenir, et on ne s’ennuierait pas avec elle… C’est gai, c’est sage, c’est laborieux, c’est aimant, et c’est drôle. Je ne vois pas ce qu’on pourrait souhaiter de mieux…

« Mais qu’ai-je à m’occuper de tout cela ? reprenait Germain, en tâchant de regarder d’un autre côté. Mon beau-père ne voudrait pas en entendre parler, et toute la famille me traiterait de fou !… D’ailleurs, elle-même ne voudrait pas de moi, la pauvre enfant !… Elle me trouve trop vieux, elle me l’a dit… Elle n’est pas intéressée, elle se soucie peu d’avoir encore de la misère et de la peine, de porter de pauvres habits et de souffrir de la faim pendant deux ou trois mois de l’année, pourvu qu’elle contente son cœur un jour et qu’elle puisse se donner à un mari qui lui plaira… elle a raison, elle ! je ferais de même à sa place… et, dès à présent, si je pouvais suivre ma volonté, au lieu de m’embarquer dans un mariage qui ne me sourit pas, je choisirais une fille à mon gré… »

Plus Germain cherchait à raisonner et à se calmer, moins il en venait à bout. Il s’en allait à vingt pas de là, se perdre dans le brouillard ; et puis, tout d’un coup, il se retrouvait à genoux à côté des deux enfants endormis. Une fois même il voulut embrasser Petit-Pierre, qui avait un bras passé autour du cou de Marie, et il se trompa si bien que Marie, sentant une haleine chaude comme le feu courir sur ses lèvres, se réveilla et le regarda d’un air tout effaré, ne comprenant rien du tout à ce qui se passait en lui.

– Je ne vous voyais pas, mes pauvres enfants ! dit Germain en se retirant bien vite. J’ai failli tomber sur vous et vous faire du mal.

La petite Marie eut la candeur de le croire et se rendormit. Germain passa de l’autre côté du feu et jura à Dieu qu’il n’en bougerait jusqu’à ce qu’elle fût réveillée. Il tint parole, mais ce ne fut pas sans peine. Il crut qu’il en deviendrait fou.

Enfin, vers minuit, le brouillard se dissipa et Germain put voir les étoiles briller à travers les arbres. La lune se dégagea aussi des vapeurs qui la couvraient et commença à semer des diamants sur la mousse humide. Le tronc des chênes restait dans une majestueuse obscurité ; mais, un peu plus loin, les tiges blanches des bouleaux semblaient une rangée de fantômes dans leurs suaires. Le feu se reflétait dans la mare ; et les grenouilles, commençant à s’y habituer, hasardaient quelques notes grêles et timides ; les branches anguleuses des vieux arbres, hérissées de pâles lichens, s’étendaient et s’entre-croisaient comme de grands bras décharnés sur la tête de nos voyageurs ; c’était un bel endroit, mais si désert et si triste que Germain, las d’y souffrir, se mit à chanter et à jeter des pierres dans l’eau pour s’étourdir sur l’ennui effrayant de la solitude. Il désirait aussi éveiller la petite Marie ; et lorsqu’il vit qu’elle se levait et regardait le temps, il lui proposa de se remettre en route.

– Dans deux heures, lui dit-il, l’approche du jour rendra l’air si froid que nous ne pourrons plus y tenir malgré notre feu… à présent, on voit à se conduire et nous trouverons bien une maison qui nous ouvrira, ou du moins quelque grange où nous pourrons passer à couvert le reste de la nuit.

Marie n’avait pas de volonté ; et, quoiqu’elle eût encore grande envie de dormir, elle se disposa à suivre Germain.

Celui-ci prit son fils dans ses bras sans le réveiller et voulut que Marie s’approchât de lui pour se cacher dans son manteau, puisqu’elle ne voulait pas reprendre sa cape roulée autour du petit Pierre.

Quand il sentit la jeune fille si près de lui, Germain, qui s’était distrait et égayé un instant, recommença à perdre la tête. Deux ou trois fois il s’éloigna brusquement et la laissa marcher seule. Puis, voyant qu’elle avait peine à le suivre, il l’attendait, l’attirait vivement près de lui, et la pressait si fort qu’elle en était étonnée et même fâchée sans oser le dire.

Comme ils ne savaient point du tout de quelle direction ils étaient partis, ils ne savaient pas celle qu’ils suivaient ; si bien qu’ils remontèrent encore une fois tout le bois, se retrouvèrent, de nouveau en face de la lande déserte, revinrent sur leurs pas et, après avoir tourné et marché longtemps, ils aperçurent de la clarté à travers les branches.

– Bon ! voici une maison, dit Germain, et des gens déjà éveillés puisque le feu est allumé. Il est donc bien tard ?

Mais ce n’était pas une maison : c’était le feu de bivouac qu’ils avaient couvert en partant, et qui s’était rallumé à la brise…

Ils avaient marché pendant deux heures pour se retrouver au point de départ.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
140 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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