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Читать книгу: «La Daniella, Vol. II», страница 4

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XXXIV

Mondragone, 22 avril.

Hier matin, nous avons déjeuné copieusement; malgré mes recommandations de sobriété et de prudence, Tartaglia a la passion de la cuisine. Faire de bons plats et en manger sa bonne part, voilà pour lui une jouissance intellectuelle et physique du premier ordre. Il aurait aussi le goût de l'économat; son rêve serait de devenir majordome dans une grande maison. En attendant, il est fier et comme charmé, malgré notre situation précaire, de commander, dans les ruines de Mondragone, à une valetaille imaginaire, et d'y ordonner toutes choses en vue du bien et la satisfaction de ses seigneurs. Je crois qu'il y a des moments où il me prend pour l'ombre d'un ancien pape, car il sollicite mes éloges avec une ardeur naïve, et je suis forcé de l'en accabler et de paraître très-sensible à ses soins, sous peine de le voir s'affecter et se démoraliser.

Il semble aussi que, de son côté, il soutienne son personnage facétieux et comique dans l'intention de me conserver en belle humeur; mais c'est peut-être tout simplement le résultat d'une habitude invétérée de poserie burlesque. Ainsi, ce matin, je l'ai trouvé dans le parterre avec le capucin, qu'il avait affublé d'un torchon en guise de tablier de cuisine, et qu'il employait à la recherche des asperges sauvages. Il lui avait donné un nom. Ce n'était plus frère Cyprien; c'était Carcioffo (artichaut).

– Il n'y a plus de moine ici, disait-il. Il n'y a plus qu'un marmiton, un éplucheur de légumes, un plumeur de volaille, sous les ordres du chef Tartaglia; et, si Carcioffo ne travaille pas, Carcioffo ne mangera pas.

– Tu n'oublies qu'une chose, lui dis-je, c'est que nous n'avons ni légumes ni volaille.

– Pardon, Excellence, voilà des asperges, petites, mais succulentes; et, quant à la volaille… regardez!

Il me montrait une poule morte dans son panier.

– Tu es donc sorti?

– Hélas! non. J'ai essayé, et comme hier, au moment où j'appelais par le guichet, on a répondu par ce mot stupide et brutal: En joue! Moi, j'ai répondu: Feu! en fermant le guichet, et je les ai entendus rire.

– Rire? c'est bon signe pour toi. Ils s'adouciront peut-être en ta faveur.

– Non, mossiou. L'Italien, ça rit toujours, mais ça ne se radoucit point pour ça!

– Mais cette poule, d'où vient-elle?

– C'est eux, mossiou, c'est les carabiniers qui me l'ont donnée.

– Ah bah! ils consentent à nous faire passer des vivres? Oh! alors…

– Non, non! ils ne nous font rien passer du tout; pas si sots! mais ils sont sots quand même, car cette pauvre bête, qui vient je ne sais d'où, s'étant approchée apparemment de l'avoine de leurs chevaux, ils ont voulu la prendre; ils l'ont manquée, effrayée, et, comme elle vole bien, elle est venue se percher sur notre mur, où… crac! d'un coup de pierre, je l'ai abattue à mes pieds. Eh! ce n'est pas maladroit, ça, mossiou!

– Non certes!

– Mais, dit le capucin, elle n'est pas tombée d'un coup de pierre; elle a volé de mon côté, et c'est moi qui vous ai aidé à la prendre et a lui tordre le cou.

– Taisez-vous, Carcioffo, reprit Tartaglia; vous ne devez jamais contredire votre supérieur!

Voyant que le capucin se prêtait en riant à être l'esclave et le jouet de Tartaglia, pourvu que celui-ci consentît à le nourrir, je crus devoir ne pas me mêler de leurs relations. Seulement, je les observais sans en avoir l'air, afin d'intervenir s'il arrivait que le pauvre frère devint victime de la malice de notre Scapin ou de sa propre cupidité. Mais je fus bientôt à même de constater que Tartaglia, au milieu de tous ses vices de bohémien, est naturellement bon et même charitable et généreux. Tout en accablant le moine de menaces et de quolibets, il le soignait fort bien, et je vis que ce régime convenait très-fort au capucin, qui, abandonné à lui-même, se serait laissé complètement abrutir par l'effroi et la tristesse de la situation.

Après le déjeuner, je surpris Tartaglia rangeant et cachant avec soin certains paquets. C'était une provision de lazagnes et de capellini, autre pâte de même genre, qu'il avait apportée avant-hier matin, et dont il ne voulut pas me dire la quantité.

– Non, non! s'écria-t-il en couvrant cette réserve de son tablier de cuisine; vous vous laisseriez aller à en donner au capucin, qui mangerait plus que sa faim. Il mangera comme nous, ni plus, ni moins.

– A la bonne heure; mais voici le moment de travailler au Pianto.

Viens-tu?

– Oui, oui, partons! Mais cachons tout, et fermons bien le casino.

Nous laissâmes le capucin en prières devant une Vierge Louis XV qui est sous le portique, et nous retournâmes à notre soupirail, munis de la corde à noeuds et de deux bougies.

Tout allait bien; la petite voûte n'avait pas bougé: aucune partie de l'édifice n'avait fléchi. Nous descendîmes sans peine dans la cave. Nous montâmes sur le tas de décombres qui obstrue l'arcade, et nous parvînmes, en un quart d'heure de travail, à en déblayer assez pour nous faire un passage. Tartaglia cause plus qu'il ne travaille. La fatigue du pionnier lui est très-antipathique; mais il m'anime par son babil, que j'arrive à trouver très-divertissant.

L'arcade, devenue praticable, me semble être une découverte assez sérieuse. Elle s'ouvre sur une galerie qui tourne en demi-cercle et qui a dû servir de lit artificiel à un courant d'eau destiné à alimenter cette fameuse cuisine que nous cherchons.

Cette galerie est large de cinq pieds et haute de quinze ou vingt. C'est un ouvrage magnifique. La voûte est en très-bon état. Des dépôts sédimenteux sur les parois attestent le passage et le séjour des eaux. Pourtant l'élévation de la voûte ferait croire que c'était un passage pour des cavaliers lansquenets.

Nous marchâmes à la lueur de nos bougies pendant environ cinq minutes, et, autant que j'en puis juger, nous étions sous le terrazzone; nous en suivions le mouvement demi-circulaire. Aucun bruit ne parvenait jusqu'à nous.

Nous chantions déjà victoire, lorsque nous fûmes arrêtés net par un écroulement qui me parut dater de plusieurs années. La voûte avait cédé. L'eau filtrant, du terrazzone probablement, avait à la longue causé ce désastre. Le sol était inondé d'une flaque où nous l'entendions tomber goutte à goutte.

– Ou bien encore, me dit Tartaglia, c'est un craquement souterrain, résultat d'un tremblement de terre.

– Peu importe la cause, répondis-je. Il s'agit de savoir si nous pourrons triompher de l'accident.

Je revins sur mes pas, je les comptai, j'observai le mouvement de la galerie, je consultai les souvenirs et les observations de mon compagnon sur la forme et l'étendue extérieure de la terrasse. Nous n'en pouvions plus douter, nous étions tout près de la face extérieure centrale. La voûte qui nous abritait supportait l'immense et magnifique balustrade qui entoure l'esplanade. Une porte, une issue, une bouche quelconque devait être là, devant nous, sous cet éboulement. Il fallait le traverser.

– Nous le pourrons, dis-je à Tartaglia; il faut le pouvoir! Nous étudierons avec soin la superposition des blocs écroulés. Nous ne toucherons pas à ceux qui nous préservent d'un prolongement de rupture dans la voûte; nous fouirons pierre à pierre, et nous creuserons, parmi ces débris, un couloir suffisant!

– C'est bien dangereux, dit-il en secouant la tête, et cela peut durer plus d'un mois!

– Mais cela peut n'être ni long ni dangereux, nous n'en savons rien.

– De même que notre blocus peut n'être ni l'un ni l'autre, si nous en attendons la fin sans nous éreinter et nous exposer!

– De même qu'il peut être l'un et l'autre, si nous en attendons la fin sans rien faire!

– Vous avez raison, mossiou! Allons! j'aime les gens qui raisonnent juste. D'ailleurs, vous avez une confiance et un courage qui me plaisent, et, avec vous, je sens que je ferais des choses que je n'aurais jamais tentées tout seul! Oui, oui, avec vous, je descendrais dans un volcan, dans un enfer.

Nous retournâmes chercher des outils, c'est-à-dire nous en fabriquer tant bien que mal avec ceux que les ouvriers ont laissés ici pour d'autres usages. Comme il les ont abandonnés hors de service, nous étions d'abord assez mal outillés; mais la découverte d'un pic énorme et d'une pioche en assez bon état nous permettent, depuis ce matin, de travailler utilement. Nous avons ouvert dans la journée trois pieds de tranchée.

Aux heures de repos, nous surveillons nos carabiniers, qui paraissent se déplaire beaucoup autour de cette ruine menaçante en certains endroits. Tartaglia a imaginé de faire tomber de temps en temps des pierres pour les inquiéter; mais ce jeu est dangereux, et, quelque doute leur étant venu, l'officier a commandé de faire feu à tout hasard sur la première brèche qui s'ouvrirait aux murailles.

J'examine ces gendarmes, et je vois qu'ils sont beaucoup plus fins que les nôtres. Es sont italiens. Ce n'est pas ici que l'idée viendrait de les chansonner comme on le faisait chez nous, il y a quelques années, sur la candeur proverbiale de leur institution. Je crois bien qu'ils ne doivent pas être aussi incorruptibles; mais je ne suis pas assez muni d'argent pour espérer de les séduire, quand même je pourrais m'aboucher avec eux, ce que la surveillance de leurs chefs rend jusqu'ici tout à fait impossible.

Je ne m'ennuie ni ne me décourage. Sans le chagrin que j'éprouve en songeant aux anxiétés de ma Daniella, et le serrement de coeur qui me saisit au souvenir de ma trop courte félicité, je prendrais gaîment l'étrange existence qui m'est faite. Tartaglia m'amuse malgré moi, et le capucin paraît s'accoutumer sans effort à son rôle de Carcioffo. Il dort à genoux devant la madone du portique, son chapelet enlacé aux doigts, tout le temps que nous passons à travailler. La prévoyance n'est pas le fléau de son imagination, et, tant qu'il aura quelque chose à mettre sous la dent, il conservera son sourire de crétinisme béat.

J'en étais là, vous écrivant ces choses, pendant que Tartaglia mettait mon couvert, quand une circonstance inouïe ne fit courir sur la petite terrasse du casino.

– Mossiou! mossiou! disait Tartaglia criant à voix basse, comme on s'habitue à le faire dans notre situation: voyez, voyez! Pouvez-vous expliquer pareille chose? Est-que je rêve? Est-que vous la voyez aussi? Regardez donc le haut des grandes clarinettes du terrazzone!

Je levai la tête et vis les mascarons grotesques de ces grands tuyaux de cheminée se détacher en noir sur un fond rougeâtre, en même temps que, de leurs vastes bouches, sortaient des tourbillons de fumée.

– Tout est perdu, mon pauvre Tartaglia, m'écriai-je. Les carabiniers ont trouvé l'entrée de cette fameuse cuisine: ils y sont installés, ils s'y réchauffent et y ont établi leur cantine.

– Non, non, mossiou. Voyez! ils sont aussi étonnés que nous! Ils regardent et s'interrogent; ils cherchent de tous côtés, ils croient que nous avons mis le feu au château. Le feu à quoi, dans ces caves, je vous le demande? Qu'ils sont sots! Mais les voilà aussi en peine que nous, je vous jure, et même davantage, car ils n'osent pas rester sur la terrasse.

En effet, une panique s'était emparée de nos gardes, et leurs officiers avaient beaucoup de peine à les calmer.

– Au fait! dis-je à Tartaglia absorbé, la chose est assez importante!

Comment l'expliques-tu?

– Je ne l'explique pas, mossiou! dit-il en faisant le signe de la croix. On me l'avait toujours dit, que le diable revenait ici, et que l'on y voyait le feu des cuisines briller comme du temps où les papes y donnaient des festins de Lucullus! Mais je ne le croyais pas, je ne l'aurais jamais cru, et je vous avoue qu'à cette heure je me repens de mes fautes et recommande mon âme à Dieu!

XXXV

Mondragone, le…

Je continue à ne pas dater avant d'avoir écrit la série d'aventures que j'ai à vous apprendre, et que je vous raconte quand et comme je peux.

Je continue pourtant aussi à suivre une division par chapitres, qui me sert à régulariser les moments que je vous consacre. Vous savez que je suis un homme d'ordre, et cela me revient en dépit de la vie agitée que je mène.

Je vous ai laissé faisant peut-être vos commentaires sur cette fumée fantastique qui s'échappait des longs tuyaux du terrazzone.

Je ne cherchais pas à expliquer ce que je voyais, mais je ne partageais pas la consternation de Tartaglia. Bien au contraire, je ne sais quel espoir vague m'était suggéré par cette circonstance inexplicable. Je partis même d'un éclat de rire, en entendant mon Scapin mêler aux patenôtres qu'il débitait pour recommander à Dieu sa pauvre âme pécheresse; l'observation suivante:

– Mon Dieu, comme ça sent la graisse fondue!

Puis il reprit du même ton dolent, moitié dévot, moitié ironique:

– Ayez pitié de moi, Seigneur! Douze cierges à mon saint patron si vous me sauvez de cette diablerie et de cette damnée odeur de cuisine qui me réjouit malgré moi; car, depuis deux jours je n'ai pas mangé ma faim, et, en ce moment, je serais capable d'avaler le diable en personne!

– Mais c'est que tu as raison, m'écriai-je frappé de la justesse de sa remarque: ça sent la cuisine!

– Et la bonne cuisine, je vous jure, mossiou! Ça nous arrive ici à bout portant. Ils ne sentent pas ça en bas, les carabiniers! Je parie qu'ils s'imaginent sentir la poudre! Ils croient que nous avons miné la terrasse et que nous allons les faire sauter.

– Crois-tu? Eh bien, la première chose dont il faut nous occuper, c'est de voir si nous ne pourrions pas profiter de cette panique pour nous évader. Voyons! regarde bien, toi qui as des yeux de lynx, s'ils sont assez loin pour nous permettre de descendre par la corde.

– Non, mossiou; ils sont là, à droite et à gauche, sur les allées qui aboutissent au terrazzone, et ils nous verraient comme je vous vois, par ce beau clair de lune.

– Eh bien, ils tireront sur nous, mais ils nous manqueront; la terrasse est si grande!

– Beaucoup trop grande dans tous les sens pour que je sois tenté de la traverser sous leur feu! D'ailleurs, que ferons-nous quand nous aurons atteint la balustrade? Encore la corde à noeuds pour descendre dans les lauriers? Et le temps de l'attacher?.. et les balustres qui ne tiennent à rien! Et puis croyez-vous que l'allée de cyprès ne soit pas gardée?

– Il est bien question d'allée! Une fois au bas de l'esplanade, nous avons, pour fuir et nous cacher, plus d'une lieue carrée de jardins et de parcs remplis de massifs d'arbres, de ruines et de fourrés!

– Ah! mon Dieu, mossiou, voilà que ça sent le poisson! Oui! je vous jure que ces clarinettes de la Befana nous envoient une délicieuse odeur de poisson frais!

– C'est vrai! mais que nous importent les mystères de cette cuisine de sorciers? Il s'agit de fuir.

– Il est trop tard, mossiou! voilà les carabiniers qui reviennent et la fumée qui se dissipe. Allons! monseigneur Lucifer est servi, et nous sommes toujours prisonniers.

Nous observâmes quelques instants nos gardiens. Nous vîmes les officiers arpenter bravement le terrazzone et s'efforcer d'y ramener leurs hommes; puis capituler avec l'idée que cet espace nu serait tout aussi bien gardé par des sentinelles posées à chaque extrémité.

– Ces gens ont peur, dis-je à Tartaglia; le moindre bruit un peu ressemblant à une explosion souterraine, que nous viendrions à bout de produire dans les salles basses du château, les mettrait en fuite, car il est certain qu'ils rêvent mine, écroulement.

– Moi, je rêve quelque chose de plus raisonnable, mossiou, reprit Tartaglia sortant de sa méditation. Écoutez-moi, et si je suis fou, ne me croyez jamais!

– Voyons ton idée!

– Nous ne sommes pas seuls cachés ici: en doutez-vous maintenant?

– Pas plus que toi… Alors?

– Alors, mossiou, les gens qui font si belle cuisine sous le terrazzone, sans s'inquiéter de montrer leur fumée, et sans remords de nous envoyer cruellement la bonne odeur de leur ripaille…

– Tais-toi, écoute! lui dis-je en l'interrompant. A présent crois-tu que j'aie rêvé le son d'un piano?

– Oui, mossiou, je l'entends! Je ne suis pas sourd! bon piano! belle musique! Tiens! c'est l'air de la Norma! Ah! si j'avais ma harpe, je vous ferais entendre un joli duo, mossiou.

Nous restâmes quelques instants silencieux, écoutant le piano fantastique, qui n'était ni aussi bon ni aussi bien joué que le prétendait Tartaglia, mais qui, malgré nos anxiétés, nous donnait des idées de gaieté folle, comme on en a dans les rêves, au milieu des plus désagréables situations.

Nous ne fûmes pas moins étonnés de voir que les carabiniers restaient parfaitement indifférents à cette nouvelle bizarrerie. Il était évident qu'ils ne l'entendaient pas, et que, comme des cornets acoustiques, les colonnes creuses du terrazzone nous apportaient ces sons mystérieux, aussitôt perdus dans les régions supérieures de l'air, et insaisissables pour nos gardiens, placés à une centaine de pieds plus bas que nous.

– Donc, reprit Tartaglia, ils demeurent là-dessous, les autres! ils y ont de bons appartements, ils y font bonne chère, et belle musique au dessert! Et ils ne se doutent pas qu'ils ont des carabiniers sur la tête!

– Cela, nous n'en savons rien; mais nous savons que, tout à l'heure, les carabiniers ne se doutaient pas qu'ils eussent des prisonniers sous les pieds.

– C'est vrai, puisqu'ils ont eu une si belle peur de cette fumée! Or, comme je vous le disais, mossiou, nous avons là des camarades d'infortune; mais par où sont-ils entrés?

– Par une issue extérieure qui existe, et que les carabiniers ne connaissent pas.

– Ni la police non plus, je vous en réponds!

– Ni Daniella, ni Olivia non plus, car elles m'en eussent fait part.

– Et elles ne savent pas non plus qu'il y a ici d'autres réfugiés que nous, car elles nous en eussent avertis!

– Eh bien!

– Eh bien… mais, s'il y avait une sortie à ce château du diable, par-dessous le contre-fort de la grande terrasse… ces prisonniers seraient partis ou en train de partir. Ils songeraient à filer, et non à manger en étudiant la Norma de Bellini.

– C'est ce que je me dis, et je vois leur captivité dans ces caves bien plus effrayante que la nôtre.

– Ah! voilà ce qui m'intrigue, reprit Tartaglia en secouant la tête; vous avez entendu ouvrir et fermer des portes. Il y a une communication, entre eux et nous, plus facile que votre diable de galerie qui nous ensevelira si nous continuons à la fouiller. Nous avons mal cherché, mossiou?

– Il faut chercher encore!

– C'est ce que j'allais dire.

– Prenons toujours le pic et la pioche, et allume la lanterne.

– Mais dînez d'abord, mossiou, que diable!

– Non, nous dînerons après! Il faut suivre l'inspiration quand on la tient. Je ne sais pas pourquoi je suis persuadé que nous allons réussir, maintenant que nous avons la certitude de la présence des autres, comme tu dis.

– Laissez-moi prendre beaucoup d'allumettes, mossiou. Tant que je vois clair, je suis assez brave.

– Passons par mon atelier, j'ai là tout ce qu'il faut.

Je pris la clef de l'ancienne chapelle papale, que je me permets d'appeler, sans façon, mon atelier, et nous y fîmes nos préparatifs. En voyant, sur le chevalet, mon étude presque finie, dont, par parenthèse, je ne suis pas trop mécontent, l'idée me vint que quelque accident nouveau pourrait bien m'empêcher de l'achever, ainsi que l'album sur lequel je vous écris mes aventures. Un instant d'attachement puéril pour ces deux objets qui m'ont aidé à savourer mes joies, et à me distraire de mes peines, s'empara de moi, et je grimpai à une échelle, au moyen de laquelle je peux atteindre un creux de la muraille formant une sorte de cachette que j'ai découverte par hasard, ces jours-ci. J'y déposai ma petite toile et mon manuscrit. Je me disais qu'en cas de départ forcé je les y retrouverais peut-être un jour.

– Que faites-vous là, mossiou? me dit Tartaglia inquiet; avez-vous quelque pressentiment? Vous me rendez triste, moi qui avais bonne idée de notre expédition de ce soir!

J'étais encore sur l'échelle, mais je ne songeais ni à descendre ni à lui répondre. Nous nous regardâmes tous deux avec la même expression de doute et de surprise: il nous semblait qu'on venait de frapper légèrement à la porte du fond de la chapelle.

Tartaglia, sans dire un mot, ôta ses souliers et alla coller son oreille à cette porte. On y frappa discrètement une seconde fois.

Je lui fis signe d'ouvrir. La curiosité l'emportait en moi sur la méfiance. Il subissait l'impulsion contraire, car il me fit signe, avec énergie, de garder le silence, et, regardant à ses pieds, il ramassa une lettre qu'on venait de passer sous la porte.

Je m'emparai de cette missive et la décachetai avec empressement. Elle contenait ce qui suit, en français:

«Le prince de Mondragone vous prie de lui faire l'honneur de dîner et de passer la soirée chez lui. On fera de la musique».

Il y avait sur l'adresse: «A monsieur Jean Valreg, peintre, en son atelier de Mondragone». Le papier rose, satiné et parfumé, état découpé, enguirlandé et orné, au coin, d'un écusson armorial doré et enluminé.

J'examinais avec stupéfaction cet étrange billet, pendant que Tartaglia se tenait les côtes pour s'empêcher de rire tout haut, tant il trouvait la chose plaisante et l'idée du dîner agréable; mais quand je voulus aller ouvrir au porteur de cette courtoise invitation, Tartaglia, revenant à ses craintes, se mit en travers.

– Non, non! disait-il tout bas, c'est peut-être un piège; n'y allez pas, mossiou. C'est comme le souper du Commandeur!

On frappait pour la troisième fois: c'était demander la réponse. Je repoussai Tartaglia en lui reprochant tout haut sa méfiance, et j'ouvris à un groom très-bien mis et d'une figure intelligente, dont les habits élégants étaient seulement un peu poudreux et rayés ça et là de toiles d'araignées, ornement indispensable de quiconque se promène dans les salles de notre manoir.

– Qu'est-ce que le prince de Mondragone? lui demandai-je sans préambule, en regardant derrière lui pour me convaincre qu'il était seul.

– C'est mon maître, répondit l'enfant en italien sans hésiter, et en retenant une intention gaie ou moqueuse, sons l'air respectueux d'un valet bien stylé.

– Belle réponse! s'écria Tartaglia. Cela ne nous apprend rien! Moi qui connais la noblesse d'Italie, je vous jure, mossiou, que je n'ai jamais entendu parler d'un prince de Mondragone!

– Monsieur veut-il faire réponse au prince? reprit le groom sans se déconcerter.

Je crus devoir montrer le même sang-froid et prendre cette fantasmagorie comme une chose toute naturelle.

– Dites à votre maître que j'irais bien volontiers si j'avais un habit; mais…

– Oh! ça ne fait rien, monsieur! Il n'y a que des hommes. D'ailleurs, on sait bien que vous êtes en voyage.

– Il appelle ça être en voyage! dit Tartaglia d'un ton piteux; mais suis-je invité aussi, moi? car du diable si je reste seul!..

– Moi, je vous invite, répondit le groom; il y a repas et soirée aussi à l'office.

– Mais… reprit Tartaglia singeant ma réponse, c'est que je ne suis pas en livrée!

– Ça ne fait rien, vous êtes aussi en voyage!

– Oui, oui, en voyage! Je ne m'en souvenais plus!

– Et à quelle heure cette soirée? demandai-je.

– Tout de suite, monsieur; on n'attend plus que vous.

– Ah! on m'attendait? Fort bien! Et où demeure le prince, s'il vous plaît?

– Sous le terrazzone, monsieur.

– Je le sais bien; mais par où y va-t-on d'ici?

– Si vous voulez bien me suivre… dit l'enfant en ramassant une petite lanterne sourde qu'il avait déposée au seuil de la chapelle.

– Ah! mossiou! s'écria Tartaglia, à qui la gaieté était revenue, si au moins j'avais eu le temps de brosser votre paletot et de donner un coup de fer à vos cheveux! Mais qui pouvait s'attendre à cela?

Nous suivîmes le groom, qui nous conduisit droit au Pianto, descendit le petit escalier, pénétra dans une des caves que j'avais explorées, traversa des tas de décombres, en nous éclairant avec courtoisie et nous avertissant à chaque obstacle qu'il semblait parfaitement connaître. Enfin, il se glissa dans un couloir étroit, et s'arrêta devant une petite niche creusée dans le mur, où je m'étais arrêté dans mes recherches des jours précédents. Alors, il posa le doigt sur je ne sais quelle tête de clou qui mit en mouvement une clochette, et se plaça debout dans la niche, ôta poliment son chapeau en nous disant: «Excusez-moi si je passe le premier pour vous annoncer,» tourna lentement sur lui-même et disparut.

C'était un tour comme ceux qui servent, dans les couvents cloîtrés, à faire entrer des paquets, et qui ont dû quelquefois servir à favoriser des communications clandestines sans violer la lettre des règlements. Celui-ci est en bois massif, mais couvert d'un débris de peinture qui me l'avait fait confondre avec la vieille fresque qui l'encadre. Au bruit sourd qu'il rendit en tournant sur son pivot de fer, je reconnus celui qui m'avait inquiété. Il obéit à une impulsion donnée par derrière, où des verrous massifs le tiennent assujetti et fermé comme une porte véritable.

Cette machine, ingénieuse parce qu'elle est des plus simples, est à peu près impossible à découvrir. Quand elle eût escamoté le groom en nous présentant sa face convexe, elle se retourna pour nous ramener sa face concave, où je me plaçai, pour me trouver tout à coup vis-à-vis d'un homme en veste et tablier blancs, qui me salua en me baisant la main, et s'empressa de tourner le demi-cylindre, où Tartaglia parut à son tour en battant des mains et faisant des cris d'admiration. Il était dans la fameuse cuisine gigantesque de Mondragone, dans la cuisine de ses rêves, dans la Befana.

Je vais vous décrire ce local peut-être unique au monde, surtout dans les circonstances où il se présentait à mes regards, et vous le dépeindre comme si, du premier coup d'oeil, j'avais pu me rendre compte des détails que j'eus le loisir d'examiner peu à peu.

C'est une salle voûtée divisée en trois compartiments, par deux rangées de piliers massifs quadrangulaires. Cela ressemble à une église souterraine, et c'est aussi grand. Un des côtés, que l'on pourrait appeler des nefs, a fléchi, mais paraît assez solidement étayé: c'est celui qui avoisine le Pianto et probablement l'écroulement de la galerie que j'ai découverte avec Tartaglia, car l'eau que nous avions rencontrée pénètre dans cette nef et y forme un beau réservoir au ras du pavé. Cette eau courante le traverse, bouillonne parmi les fragments de ruine, et s'enfuit dans un enfoncement sombre avec un bruit mystérieux.

C'est dans l'autre nef latérale que fonctionnaient, en ce moment, deux des quatres cheminées monumentales dont nous avions vu la fumée passer sur la petite terrasse du casino. Les réjouissantes odeurs dont Tartaglia s'était délecté se trouvaient justifiées par des préparatifs assez confortables. Outre le marmiton qui venait de m'accueillir, un grand cuisinier à barbe noire, majestueux comme le roi des enfers en personne, s'agitait lentement autour des fourneaux, et surveillait une douzaine de casseroles de très-bonne mine.

Aucune espèce de porte, aucune croisée apparente ne trahit l'existence de cet immense local, suffisamment chauffé et aéré par les vastes cheminées. Toutes les anciennes issues sont murées par des massifs d'une épaisseur égale à la profondeur de leurs embrasures; seulement, au centre de la grande nef du milieu, un large escalier descend à un péristyle terminé par une arcade à cintre rampant. Ce péristyle était jonché de paille, et quatre bons chevaux y étaient attachés comme dans une écurie.

Mais le détail le plus curieux de cette résidence, c'était le bout de cette nef du milieu, réservé pour le principal habitant et arrangé ainsi qu'il suit:

Dans une demi-rotonde un peu plus élevée sur le sol que le reste de l'édifice, une grande vasque de marbre, correspondant probablement à la fontaine extérieure située au bas des contreforts de la terrasse, faisait danser irrégulièrement un petit jet d'eau, tout récemment remis en exercice au moyen d'une tige de roseau. Une vingtaine de pots à fleurs entouraient cette fontaine. C'étaient des fleurs de serre froide assez communes, et quelques petits orangers, objets de luxe bourgeois, ici tout comme à Paris; mais le maigre parfum de ces plantes était neutralisé par ceux du poisson cuit au vin et de la graisse fondue qui avaient chatouillé l'odorat de Tartaglia si agréablement, et qui remplissaient énergiquement l'atmosphère où nous nous trouvions introduits.

Du reste, la demi-rotonde où l'on était en train de servir le repas offrait un aspect de confortable ingénieusement conquis sur la tristesse et le délabrement de l'édifice. Les froides parois étaient tendues de vieilles tapisseries, jusqu'à la hauteur d'une dizaine de pieds. Le pavé était recouvert de nattes, et, sous la table, de peaux de chèvres à long poils. Un grand sofa, dont la vétusté était cachée par plusieurs manteaux étalés dessus, ainsi que quatre fauteuils sur lesquels on avait jeté des napperons blancs en guise de housses; un pianino assez laid, placé sur une estrade de planches brutes, pour le préserver de l'humidité; un vaste brasero allumé qui cuisait le pauvre instrument d'un côté, tandis qu'il se morfondait de l'autre au voisinage de la fontaine, circonstances qui m'expliquèrent bien pourquoi il m'avait paru si faux; un magnifique bureau Pompadour, dont la marqueterie de bois de rose était à moitié tombée et dont les cuivres étaient verdis par l'oxyde; une toilette de nécessaire de voyage très-élégante, étalée sur une table recouverte d'un grand cache-nez de cachemire, en guise de tapis; un lit de fer, orné d'une courte-pointe d'indienne à fleurs, et entouré d'un vieux paravent; une guitare qui n'avait plus que trois cordes, la table, dressée au milieu de l'hémicycle et toute servie en vieille faïence ébréchée et dépareillée, mais dont quelques pièces étaient fort précieuses quand même; enfin, un amorino en marbre blanc, placé dans un petit myrte en caisse, taillé en berceau, objet de goût qui avait la prétention d'être un surtout: tels étaient l'ameublement et la décoration de cet appartement complet, improvisé dans un compartiment de l'unique salle.

Le reste était à la fois la cuisine, le lavoir, l'écurie et le dortoir des valets, dont les lits composés chacun d'une planche, d'une botte de paille et d'un manteau, étaient très-proprement disposés sur les bases colossales des piliers.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
350 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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