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Читать книгу: «La Daniella, Vol. II», страница 20

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LVI

Nous retrouvâmes Brumières, non plus dans la niche, mais dans le Pianto, où Orlando, voyant l'heure du mariage écoulée, l'avait conduit et laissé à lui-même. Le pauvre garçon nous fit beaucoup de peine. Il s'était défendu avec tant de rage, qu'il était courbaturé à ne pouvoir bouger sans de vives douleurs. De plus, le chagrin, la honte et le colère lui avaient donné la fièvre. Orlando, en le délivrant de l'humiliation de la niche, lui avait tout appris. Il était comme hébété de désespoir et d'étonnement.

Nous le conduisîmes chez nous, où nous lui fîmes un lit et de la tisane. Il dormit quelques heures et se sentit mieux; mais il ne voulut pas laisser mettre le fauteuil où nous le fîmes asseoir, sur la terrasse du casino. Il semblait qu'il ne voulût pas voir le jour. Il disait, moitié pleurant, moitié riant, que les nuages et les oiseaux se moqueraient de lui. Il traduisait la plaintive chanson des grandes girouettes en un rire satanique.

Quand il vit qu'il n'y avait aucune ironie dans l'intérêt que nous lui exprimions, il se rasséréna un peu, et nous nous convainquîmes bientôt que son dépit et sa contrariété passeraient aussi vite que son amour était venu. Il n'avait jamais aimé Medora avec le coeur. Il manquait une belle affaire et il la manquait ridiculement il n'avait guère d'autre souci.

Malgré cette mauvaise situation, il se montra homme d'esprit, et par conséquent équitable.

– Elle m'a joué, dit-il; elle a ri cruellement de ma mésaventure, cela devait être. Elle avait barre sur moi à cause de cette sotte liaison avec la Vincenza. Avec un peu de raison et de justice, elle aurait pu se dire que je n'aimais qu'elle, et que, si j'avais subi la fermière jusqu'au dernier moment, c'était bien faute de savoir comment me débarrasser d'elle sans esclandre. Mais une femme orgueilleuse comme Medora ne peut pardonner ce qui semble un outrage à sa beauté et à sa puissance. C'était la seconde fois qu'elle se trouvait en rivalité avec une de ces femmes qu'elle considère comme appartenant à une race inférieure à la sienne. Elle ne pouvait avaler cela. J'ai payé pour deux! Quant au prince, il a fait ce que j'eusse fait sans scrupule à sa place, et je pense vous avoir prouvé hier que, si je ne lui cherche pas querelle, ce n'est pas par poltronnerie. Il me semble qu'une provocation ferait croire à Medora que je suis inconsolable. Or, il n'en est point ainsi. Ma colère se passe, et ma consolation se trouvera.

Le personnage à qui Brumières rendit encore plus de justice fut Felipone. Il nous raconta avec émotion, et avec plus de couleur que je n'en puis mettre dans ce récit, ce qui s'était passé entre lui et le fermier.

» – Cet Italien ventru est un homme, nous dit-il, un homme de rare énergie que j'aurais bien voulu étrangler, cette nuit, à cause de sa force physique, mais dont, malgré tout, j'étais obligé d'admirer la force morale. Je ne sais pas si c'est lui qui a eu l'idée de m'attirer dans ce piége, mais j'y ai donné complètement. C'est la Vincenza, perfide ou résignée, qui est venue me dire, à Piccolomini, que Medora me demandait. Celle-ci était montée dans sa chambre à huit heures, après avoir reçu et agréé mon bijou étrusque au jardin. Moi, j'avais couru si vite sur les chemins à pic de Tusculum, que je n'en pouvais plus. Devant me lever avant le jour, je m'étais jeté sur mon lit. N'importe, je me relève, je m'habille, je crois que Medora m'attend au jardin ou dans le casino de Baronius, où nous avions coutume de babiller souvent jusque minuit. Je retrouve la Vincenza dans l'escalier.

» – C'est chez mon mari qu'on vous attend, me dit-elle.

»Je soupire d'avance, et me voilà courant de plus belle. Arrivé à la ferme, je commence à me dire que Felipone veut, en effet, se débarrasser de moi. Mais le jockey de Medora vient à moi et me dit que sa maîtresse est dans la chambre basse, celle qui communique avec le souterrain. Je sentais de plus en plus le piége; mais que faire? Si Medora était là, en effet, pouvais-je reculer? À peine entré dans cette maudite chambre, où je ne voyais pas la moindre lumière, je me sens pris dans une couverture qui m'enveloppe la tête, et j'ai beau crier et jurer, on m'importe dans le souterrain comme on ferait d'un petit enfant. Arrivé dans la fameuse cuisine, je suis lié et bâillonné par plusieurs personnages dont l'un m'est inconnu. Felipone était l'autre. Cette fois il y avait de la lumière.

»Je pensais qu'on allait m'égorger; aussi, je me défendais en désespéré, et j'essayais de hurler comme un diable. Une demi-heure de résistance enragée ne m'a servi de rien, sinon, qu'à me laisser brisé et épuisé. Eh bien, pendant tout ce temps, Felipone était admirable de sang-froid, je devrais dire héroïque; il me terrassait encore plus par là que par la force de ses muscles. Au milieu de mon exaspération, j'entendais les courtes phrases qu'il me jetait de temps en temps:

» – Signore, vous êtes imprudent de vous tant défendre… Vous me teniez sans pitié… J'ai juré de ne pas vous faire de mal… jugez si j'ai de la peine à tenir parole. Ne m'injuriez pas, ne me faites pas perdre patience. Il m'en faut beaucoup!»

Et, de temps en temps, il s'adressait à son acolyte:

« – Tu vois, Orlando, si je le blesse et si je le serre trop fort. A moins de l'embrasser et de lui dire que je l'aime, que puis-je faire de mieux?

»Quand ils m'eurent attaché comme une momie et porte dans la niche, au moyen d'une double échelle, Felipone resta au moins cinq minutes à me regarder attentivement. L'autre était descendu.

» – Vous voilà bien couché, signore mio, me dit-il; vous pouvez faire un somme et oublier ceux à qui vous avez ôté le sommeil pour toujours. On m'a dit que vous aimeriez mieux être mort que vexé comme vous voilà, pendant que votre maîtresse s'en va se marier avec un autre, et rit de vous savoir où vous êtes. Voilà pourquoi je ne vous ai pas enlevé un cheveu. Pourtant, je vous le dis, il faudra vous en aller; je ne réponds de moi que jusqu'à demain.

»Et, en me parlant ainsi, il souriait toujours; mais je commençais à trouver son hilarité pétrifiée plus effrayante que celle des diables du Jugement dernier de Michel-Ange.»

– Vous voyez, dit Daniella à Brumières, il faut vous en aller! vous n'êtes pas hors de péril.

– Certes, je le sais bien! et dès que je pourrai mettre un pied devant l'autre, je quitterai ce maudit pays sans vouloir y rencontrer une figure humaine.

La Mariuccia vint nous voir dans la soirée. Brumières voulut être présent au récit qu'elle nous fit de la réconciliation de Medora avec sa tante, et pria notre petite tante, à nous, de ne pas lui épargner un détail des railleries dont il avait dû être l'objet. Mais on n'avait rien su à Piccolomini de sa triste aventure. On pensait seulement qu'il avait été congédié la veille et qu'il était parti dans la nuit. On s'en réjouissait. La Medora avait fait très-bien les choses. Elle était entrée chez sa tante au moment du déjeuner; elle s'était mise à genoux pour demander pardon de toutes ses révoltes. Lady Harriet lui avait fait un bon sermon sur sa manière de vivre, sur ses courses, le soir et le matin, à des heures indues, et, sur son intimité inconvenante avec M. Brumières. En ce moment, le prince, qui se faisait petit et gentil derrière la porte, s'était jeté aussi aux pieds de milady, en se déclarant l'heureux époux; et l'on avait déjeuné ensemble de bonne amitié.

Le lendemain matin, le prince vint à Mondragone de très-bonne heure, et voulut voir Brumières.

– Monsieur, lui dit-il, je vous ai fort contrarié et suis prêt à vous en rendre raison; mais, avant tout, je veux vous tirer d'un danger que mon intendant Benvenuto m'a fait connaître, et qui s'aggrave d'un instant à l'autre. Je ne quitte ce pays-ci qu'après-demain. Je vous prie donc d'accepter ma voiture et l'escorte d'Orlando et de Benvenuto, aujourd'hui même, jusqu'à Rome. De là, vous gagnerez Civita-Vecchia avec le même Orlando, qui m'y attendra pour l'embarquement. Vous pourrez, vous, vous embarquer dès demain. Nous nous reverrons ensuite où, quand et comme vous voudrez.

Brumières refusa; mais l'entrevue se termina par une poignée de main.

Une heure après, lord B*** vint, avec sa voiture, chercher Brumières pour le conduire jusqu'au bateau à vapeur. Felipone n'avait pas reparu depuis que nous l'avions rencontré à Rocca-di-Papa. Benvenuto, qui se démenait et s'ingéniait pour ne pas laisser ensanglanter le prologue de ses belles destinées, pensait que le fermier guettait sa proie, et il avait averti lord B*** de sauver au moins la vie au pauvre amoureux éconduit.

Brumières nous quitta en nous donnant de sincères témoignages d'affection et de gratitude, en nous priant de donner de sa part à la Vincenza le bijou étrusque que Medora venait de lui renvoyer.

– Voulez-vous donc faire tuer la Vincenza par son mari? lui dit Daniella. Gardez ce présent pour la première duchesse à qui vous ferez la cour.

Brumières pâlit à l'idée de la situation terrible où il laissait la Vincenza, et sourit à celle d'une plus brillante conquête. Nous vîmes bien que ses déceptions ne l'avaient pas guéri de la manie des grandes aventures.

Le prince et la princesse partirent pour Gênes le jour où expirait la permission de séjour du prince dans les États romains. Nous ne revîmes pas Medora. Le prince vint nous faire ses adieux, ses protestations d'amitié et ses offres dans le cas où je voudrais aller décorer son palais.

Benvenuto ne voulut accepter de moi aucune espèce de récompense pour les services qu'il m'avait rendus.

– Je suis plus riche que vous, maintenant, me dit-il, et si jamais vous êtes dans la gêne, souvenez-vous de l'ami Tartaglia, qui sera heureux de vous obliger.

Lady Harriet, se sentant tout à fait remise, congédia la Vincenza le jour même. Celle-ci vint nous trouver pour savoir si nous avions des nouvelles de son mari.

– Quoi! lui dit ma femme indignée, tu nous demandes cela avec cette tranquillité?

– Je sais, répondit l'effrontée petite créature, que M. Brumières est en sûreté et que Felipone ne fera pas de malheur.

– Lequel des deux vous intéresse? lui demandais-je.

– Eh! mon pauvre mari, puisque l'autre me trompait.

– Et tu ne crains rien pour toi-même? dit Daniella.

– Que veux-tu que je craigne? J'ai aidé Felipone à se venger en faisant manquer le mariage.

– Et tu es sûre de le gouverner encore?

– Chi lo sa! répondit-elle; mais je suis sûre qu'il ne me fera point de mal.

– Et tu ne crains pas qu'il ne s'en fasse à lui-même?

– Qu'il ne se tue? Oh! si tous les maris trompés se punissaient comme cela de leur confiance, nous serions toutes veuves!

Il n'y avait pas à la chapitrer. C'est une nature insouciante et audacieuse.

– Va, au moins, soigner les neveux de ton mari, lui dit Daniella. Si je ne m'étais occupée d'eux depuis quelques jours, je crois qu'ils auraient fait maigre chère.

– Bah! tu t'intéresses à ces petits singes? Moi, ils m'ennuient et me dégoûtent!

– Alors je les plains, si ton mari ne revient pas. Pour qu'il oublie ainsi ces pauvres créatures, il faut qu'il soit bien loin ou bien tourmenté.

Daniella parlait encore lorsque Felipone entra dans le Pianto où nous étions en ce moment. Sa femme alla à lui pour l'embrasser. Il la baisa sur les deux joues avec la même aisance que si rien ne se fut passé, et la pria doucement d'aller mettre un peu d'ordre à la maison.

– Passe devant, lui dit-il, et enlève les matelas et les couvertures restés dans la befana. Je vais t'aider.

Elle descendit l'escalier du Pianto en chantonnant, et en nous jetant, à la dérobée, un regard de triomphe moqueur qui semblait dire: «Vous voyez ce pauvre homme!»

– Mes enfants, nous dit le fermier en nous serrant les mains, priez pour moi, vous qui croyez… Je suis un homme bien à plaindre.

Sa bouche ne cessa pas de sourire en proférant ce premier et dernier aveu de son désespoir.

– C'en est fait de la Vincenza! me dit Daniella.

– Suivons-le!

– A quoi bon? Aujourd'hui ou demain, elle est condamnée!

– Peut-être que non! Le premier moment est le plus à craindre.

Je m'élançai sur les pas du fermier: mais il avait pris si rapidement l'avance, que je trouvai la porte tournante déjà fermée et verrouillée en dedans. Je frappai en vain, on n'ouvrit pas. Cette porte massive a au moins six pouces d'épaisseur, et ne laisse point passer le bruit qui se fait dans la befana, masquée qu'elle est, de ce côté-là, par un second mur en briques et une autre porte bien jointe.

Je collai en vain mon oreille contre la fente imperceptible que le tour laissait entre le bois et l'encadrement de pierre. Plus de cinq minutes se passèrent sans que j'entendisse d'autre bruit que celui des pas de ma femme, qui venait me rejoindre Puis il nous sembla que quelqu'un se jetait dans l'intervalle des deux portes en murmurant des paroles confuses; et aussitôt nous distinguâmes la voix claire du fermier qui disait: Basta! (c'est assez). La seconde porte, en se refermant, nous sembla couvrir, de son bruit sourd, un cri étouffé, et tout rentra dans le silence.

– Ces agitations te font mal, dis-je à Daniella, qui tremblait et ne pouvait plus se soutenir. Je ne veux plus te voir suivre ce cauchemar. La vie de ton enfant est plus précieuse que celle de Vincenza. Va-t'en, et prends patience, si tu m'aimes. Je te jure que je vais faire tout ce qui sera humainement possible pour empêcher Felipone…

– Il n'est plus temps, va! me dit Daniella. Je ferai ce que tu veux.

Tâche de savoir ce que va devenir mon pauvre parrain.

Elle quitta ce lieu sinistre, et je sortis de Mondragone pour courir à la ferme, sans espoir de pénétrer par là dans le chemin souterrain (Felipone avait dû prendre ses précautions), et sans beaucoup de chance d'arriver à temps, quand même le passage serait libre. Le tour qu'il faut faire pour retourner à la porte des cours et redescendre la longueur du château en dehors, avant d'entrer sous les cyprès prend déjà au moins dix minutes; il en faut au moins autant pour descendre l'allée en courant, et je n'osais guère courir, dans la crainte d'être observé et d'attirer l'attention sur l'événement que je voulais conjurer.

Depuis quelque temps et surtout depuis le jour où Felipone avait disparu, la ferme était à l'abandon. Les deux domestiques: étaient aux champs; les enfants jouaient dans la petite cour. Je demandai à Gianino si son oncle était revenu. Il secoua la tête négativement, et je vis passer sur sa figure jaune et camuse une expression de tristesse et d'inquiétude que l'insouciance de son âge n'emporta qu'avec effort. J'essayai, à tout hasard, d'entrer dans la salle basse: elle était solidement fermée, comme de coutume.

J'attendis une heure. J'allai, comme en me promenant, à la prairie où est la petite chapelle qui donne issue au souterrain dans la campagne. Elle était également fermée d'un énorme; cadenas. Je retournai à Mondragone et redescendis aux caves de la porte tournante: rien que ténèbres et silence. J'allai consulter Daniella, qui priait devant la madone du portique.

– Que faut-il faire? lui dis-je.

– Rien, s'il a fait ce qu'il voulait; nous devons paraître ne rien savoir. En le cherchant et en le demandant, nous l'envoyons à l'échafaud. Laissons passer encore une heure, et j'irai porter à manger à ces pauvres orphelins. Felipone les a oubliés lui si bon pour eux. Quand j'ai vu le commencement de cet abandon, je me suis dit: «C'est bien mauvais signe!» La journée s'écoula sans rien changer à nos angoisses. Vers le soir, Daniella me proposa d'aller voir Onofrio.

– Si mon parrain ne s'est pas tué avec sa femme, il est là. Onofrio était son meilleur ami.

La pénétration de Daniella n'était pas en défaut. Sur les ruines du cirque de Tusculum, nous trouvâmes Felipone assis auprès du berger. Les moutons broutaient, autour d'eux, l'herbe fine de l'amphithéâtre. Le soleil se couchait; une douce brisa effleurait, sans les agiter, les cheveux rudes et frisés du fermier.

– Voilà une belle soirée, nous dit-il en venant à notre rencontre; on est bien ici, et vous avez raison d'y venir voir coucher le soleil.

– C'est, dit Onofrio avec son calme habituel, un des plus beaux endroits de la Campagne de Rome, et, dans les plus mauvaises journées de l'hiver, on n'y sent point de froid. C'est là que je viens me chauffer au mois de janvier. Ça ne fait de mal à personne, n'est-ce pas? La bon Dieu ne trouve pas que ça use son soleil quand les pauvres gens, à qui l'on dispute un fagot dans ce monde, vont lui demander un peu de son grand feu.

Nous interrogions avec anxiété la figure de ces deux hommes; il n'y avait chez eux aucun effort visible pour s'entretenir avec nous de la pluie et du beau temps. Ils semblaient continuer une conversation paisible et rêveuse.

– C'est une pauvre vie que la vie de berger, dit Felipone; et pourtant moi qui, étant garçon, courais un peu les filles et le cabaret dans la ville, j'ai quelquefois désiré d'être seul et dévot comme ce chrétien-là. Si j'avais cru en Dieu, je n'aurais pas fait les choses à demi: je me serais fait moine ou berger. Plutôt berger, car le moine s'abrutit à recommencer tous les jours la même promenade et à marmotter d'heure en heure les mêmes prières, tandis que le berger va où il veut et dit à Dieu ce qu'il a envie de lui dire.

– Le berger a ses jours de peine et de plaisir, reprit le sentencieux Onofrio. Dans ce temps-ci il n'est pas à plaindre, et le pays où me voilà fixé depuis dix ans est des meilleurs. Mais dans ma jeunesse, j'ai eu de bien mauvaises saisons à passer, dans des endroits où je ne voyais jamais personne, et où la fièvre me tenait éveillé toute la nuit. Allez! la nuit est bien longue quand on n'a, pour se désennuyer, que le bruit du tonnerre et les grands éclairs qui vous font voir la plaine toute bleue. On dit son chapelet en comptant les gouttes de pluie qui tombent sur le toit de paille. Si on ne croyait à rien. Felipone, on deviendrait aussi bête que les brebis que l'on garde.

– Je n'ai jamais dit que je ne croyais à rien, répondit le fermier; je crois à la folie des hommes et à la malice des femmes.

En parlant ainsi, il fit un mouvement de la tête en arrière pour rire de son gros rire frais et sonore. Daniella me serra le bras pour me faire remarquer, entre son menton, et sa cravate, des traces d'ongles toutes récentes: la Vincenza s'était défendue.

– Où est ta femme? lui dit-elle quand le berger se leva pour rassembler son troupeau.

– Ma femme? dit-il d'un air étonné. Elle est à la maison je pense.

Cela fut dit si naturellement, que j'en fus complètement dupe. Nous revînmes ensemble jusqu'à la ferme. Gianino, en apercevant son oncle, se mit à courir et se jeta à son cou. Cet enfant, laid et disgracieux, mais intelligent et sensible, se pendait à lui et l'étranglait de caresses.

– Pauvre petit, dit le fermier en l'asseyant sur son épaule, il s'ennuyait sans moi.

– Est-ce que tu vas encore t'en aller? dit l'enfant.

– Non, mon Gianinuccio; à présent, je vas rester à la maison: je suis las de me promener.

– Et ma tante? est-ce qu'elle ne va pas rentrer aussi

– Elle n'est donc pas revenue, ta tante?

– Cela t'étonne? dit Daniella à son parrain en le regardant fixement.

– Non, répondit le fermier impassible, en posant l'enfant par terre, elle aura suivi son dernier amant.

… juin C'est la seule explication que, depuis quinze jours, nous ayons obtenue de Felipone. Nous avons reçu des nouvelles de Brumières. Il est à Florence. Il nous dit qu'il se porte bien, et nous demande, en post-scriptum, si le fermier n'a pas trop battu sa petite femme.

LVII

… juin, Mondragone.

Mais ne pensez pas que, depuis ces quinze jours, nous nous soyons tenus tranquilles, renonçant à retrouver la victime de cette terrible vengeance conjugale.

Dans la nuit qui suivit l'événement, Daniella, ne pouvant dormir et en proie à un état fébrile qui m'inquiétait, me dit tout à coup:

– Lève-toi, ami! Il faut pénétrer dans cette befana maudite. Qui sait s'il a eu le courage de tuer sa femme? Elle n'est peut-être en punition que pour un temps…

– Je n'espère plus rien; mais, pour te calmer, me voilà prêt à essayer l'impossible. Que crois-tu que je doive faire? Lorsque j'ai cherché, avec Benvenuto, le chemin de cette befana, j'en ai approché beaucoup, puisque le docteur m'a dit avoir entendu notre travail et en avoir été inquiet.

– Ce travail était dangereux, je ne veux pas que tu le reprennes; mais, moi, je crois, je dis qu'il y a une autre entrée à la befana que celle que nous connaissons, une entrée que Felipone a découverte depuis le temps que le prince et le docteur y étaient, et dont il se réserve le secret pour lui seul.

– Qui te donne cette pensée-là?

– Une espèce de vision que je viens d'avoir. Oh! ne me regarde pas d'un air inquiet, ne me crois pas en délire. Je dis une vision, ce n'est pas autre chose qu'un souvenir; mais un souvenir qui s'était effacé tout à fait et qui vient de me revenir, comme j'étais là, moitié pensant, moitié rêvant. Écoute! Le jour où Felipone nous donna l'idée de nous marier en dépit du curé, je l'avais rencontré dans la partie tout abandonnée du parc qui est entre l'allée des cyprès et le mur de clôture. Il creusait une espèce de fossé, et, comme ce n'est pas là son ouvrage, je m'en étonnai. Il ne me donna pas une bonne raison; mais je n'y fis que peu d'attention, et tant de choses intéressantes m'ont occupée ce jour-là et le lendemain, que je n'ai pas gardé souvenir d'une chose si indifférente. Voilà qu'elle me revient et c'est peut-être Dieu qui veut que je m'en souvienne. Allons-y.

– Reste tranquille, j'irai seul. Dis-moi où cela est

– Non, tu ne trouverais pas. Prends tous tes outils; je porterai la lanterne sourde.

Nous nous glissâmes parmi les lauriers et les oliviers jusqu'aux fourrés épais que Daniella n'avait jamais explorés attentivement, mais où, avec un instinct remarquable, elle retrouva l'emplacement où elle avait vu fouiller. Au lien d'un fossé il y avait une butte de terre qui ne paraissait pas de fraîche date. Un épais tapis de mousse témoignait, au contraire, d'un long abandon.

Daniella, qui tenait la lanterne, se baissa et toucha cette croûte de mousse qui se détacha et vint presque tout entière à la main. Elle avait été placée là, elle n'y avait pas poussé; et elle était si verte et si fraîche, qu'elle n'y avait été placée que peu d'heures auparavant.

A la suite de ces observations je n'hésitai pas à me servir de la pioche et de la bêche. La terre, légère et toute fraîchement remuée, fut écartée en moins de dix minutes. Je trouvai quelques dalles disposées en forme de double escalier formant le toit d'une ouverture carrée à fleur de terre.

Je me penchai sur le bord de cette ouverture, et je sentis le vide.

J'eus encore recours aux papiers enflammés jetés dans ce vide, et je vis l'intérieur d'un vaste puits qui s'évasait dans le fond. C'était une glacière. Je pus fixer la corde à noeuds dont je m'étais muni, à la base d'un petit arbre qui masquait en partie l'ouverture. Daniella m'éclaira en faisant lentement descendre la lanterne au moyen d'une ficelle. Nous n'avions plus d'hésitation, plus de doutes; cet atterrissement artificiel nous mettait trop sûrement sur la voie.

Je n'eus à descendre que la hauteur d'environ trois mètres. Avant le fond de la glacière je trouvai un passage très-bas et très-étroit où je pensai que le gros Felipone ne passait pas sans peine; et, après un court trajet, je me trouvai dans la grande galerie qui conduit à la befana. Je revins sur mes pas pour calmer les inquiétudes de ma femme et lui dire de venir me rejoindre par le Pianto. J'avais toute espérance de sortir par le tour, après avoir constaté le fait mystérieux, horrible probablement, que nous poursuivions.

Je pénétrai sans obstacle dans_ la befana_. La faible clarté de ma bougie ne me permettait pas d'en voir l'ensemble, et, après l'avoir explorée dans tous les sens, je commençai à croire que nous avions rêvé une catastrophe. J'allai ouvrir à Daniella, qui arriva bientôt derrière la porte tournante, et que j'étais pressé de tranquilliser.

– Il n'y a rien, il n'y a personne, lui dis-je. S'il eût renfermé là sa victime il aurait cadenassé cette porte, par où elle pouvait sortir.

– Mais s'il l'a tuée! As-tu cherché partout! Tiens, voilà une chose nouvelle ici. La grande cheminée qui donne près du casino est murée.

– Cela n'a-t-il pas été fait pour nous empêcher d'entendre les cris de Brumières lorsqu'on l'a tenu ici toute une nuit?

– Il nous a dit qu'on l'avait bâillonné. On n'aurait pas pris cette peine-là si la cheminée eût été murée.

Je crevai, à coups de pioche, la cloison de briques qui fermait l'orifice de la cheminée, et je vis qu'on avait entassé du foin derrière cette maçonnerie encore fraîche. Felipone avait donc pris ses précautions d'avance pour que l'on n'entendit pas, du casino, les cris de la victime.

– Puisqu'il a eu tant de préméditation, dis-je à ma femme, il n'y a pas d'espoir à conserver. S'il l'a tuée, il a eu le sang-froid de l'enterrer quelque part, soit ici, soit ailleurs, dans les souterrains, peut-être dans la glacière par où je suis descendu, et dont il a eu le soin de masquer l'entrée.

Nous examinâmes toutes choses. Le lit où Tartaglia avait couché une nuit, avant celle où il avait arrangé, à la ferme, le mariage du prince, était encore dans le fond de l'hémicycle avec les matelas et les couvertures. Nous nous rappelions que le fermier avait attiré sa femme dans la befana en lui donnant pour prétexte qu'il fallait remporter cette garniture de lit, et le lit n'était pas dégarni. Les échelles qui avaient servi à porter Brumières dans la niche et à l'en faire descendre étaient encore là. J'y montai, je ne retrouvai dans la niche qu'un bouton de manchette, que je reconnus appartenir à Brumières. Il n'y avait aucune trace d'une lutte quelconque.

– N'importe, dit Daniella, j'ai rêvé que je devais venir ici, et je n'en sortirai pas sans une certitude.

Et, toute pâle et frémissante, elle cria par trois fois, de sa vois pleine et accentuée, dans le sourd et morne édifice le nom de Vincenza.

Au troisième appel, un léger frémissement se fit entendre, et nous nous élançâmes vers les décombres d'où le son était parti.

Nous trouvâmes, dans le fond de la partie écroulée, la malheureuse femme assise et idiote. Ses vêtements déchirés, ses cheveux épars collés à son front par le sang coagulé sur son visage, la rendaient méconnaissable et si effrayante, que Daniella, superstitieuse, recula en disant:

– C'est la véritable befana!

La victime était hors d'état de nous répondre. Elle essaya de se lever et retomba. Je l'emportai dans le casino, où nos soins lui rendirent la raison, mais non la force. Elle avait perdu tant de sang, qu'elle était épuisée. Elle avait reçu à la tête un seul coup d'un assommoir quelconque. Elle n'avait rien vu. Elle avait une large blessure près de la tempe, mais elle ne la sentait pas, et demandait seulement si elle avait quelque chose au visage. Elle parut soulagée dès qu'elle sut qu'elle n'était pas défigurée.

Le sang était arrêté; les os du crâne ne me parurent point lésés, il était évident que Felipone avait voulu tuer, qu'il croyait avoir tué, mais que sa main avait manqué de force et qu'il n'avait pas eu le courage de porter un second coup. Cet homme si adroit et si fort n'avait pas pu tuer la femme qu'il aimait. La Vincenza se rappelait avoir lutté, avant d'être emmenée jusqu'au réservoir, où elle pensait qu'il avait voulu la noyer. Puis elle était tombée sous un choc violent et n'avait eu conscience de rien, jusqu'au moment où elle nous avait entendus parler, Daniella et moi, dans la befana. Elle n'avait pas reconnu nos voix; elle ne se rendait encore compte de rien en ce moment-là. Mais, en s'entendant appeler par son nom, et par une voix qui, disait elle, en lui avait pas fait peur, elle était venue à bout, par un effort machinal, de nous répondre.

Elle pensait avoir été poussée dans le réservoir après le coup qui lui avait ôté la connaissance, et elle ne se trompait probablement pas, car ses vêtements fripés paraissaient avoir été mouillés jusqu'à la ceinture. Mais elle avait dû revenir à elle, étant seule, et se traîner jusqu'à la place où nous l'avions retrouvée. Ç'avait été un effort tout instinctif, sa mémoire ne pouvait ressaisir ce fait.

Elle ne put même nous donner ces vagues détails qu'après quelques heures de repos. Daniella eut beaucoup de peine à la réchauffer, et passa le reste de la nuit à la soigner. J'avais de mon mieux pansé et fermé la blessure avec le collodion et la toile adhésive qu'à mon départ du presbytère l'abbé Valreg, grand remègeur en sa paroisse, avait fourrés dans ma malle, en cas d'accident. Je lui ai vu faire tant de pansements charitables, où je l'aidais naturellement, que je n'y suis pas trop maladroit.

Grâce à un tempérament peu irritable et à un sang très-pur, la malade n'eut pas la réaction nerveuse que je redoutais, et, au bout de deux jours, la cicatrice était fermée dans les meilleures conditions possibles. Il nous fallut agir avec beaucoup de mystère: d'une part, pour ne pas exposer Felipone à des poursuites; de l'autre, pour ne pas exposer sa femme à une nouvelle vengeance.

J'avais, dès la nuit même de cette recouvrance inespérée, fait disparaître les traces de mon entrée dans la glacière, après être remonté par là, afin de laisser le tour fermé en dedans. Je pouvais présumer que Felipone n'aurait jamais la force de retourner dans la befana, mais s'assurerait des issues, pour que personne ne pût constater son crime. Je ne me trompais pas: il travaillait à murer et à condamner pour jamais l'entrée du souterrain dans sa cave. Je le sus par Gianino, qui l'entendait maçonner et porter des pierres durant la nuit; et, malgré ses précautions, je le vis, en outre, sortir un matin des massifs de la glacière. J'allai voir furtivement ce qu'il avait fait. Je trouvai la butte exhaussée et complètement plantée d'arbres. Une autre fois, je vis Onofrio, sans chiens et sans troupeau, auprès de la chapelle de Santa-Galla. Là aussi, probablement, on avait muré le passage.

Il nous tarde beaucoup, comme vous pouvez croire, de voir la Vincenza sur pied et de la faire évader. Nous sommes dans des appréhensions continuelles que son mari ne la découvre dans une des chambres de notre casino. Il est venu nous voir une seule fois depuis qu'elle y est, et s'est assis sur la marche de cette chambre qui donne sur la petite terrasse, vis-à-vis de notre appartement. Appuyé sur les balustres, je fumais en feignant de ne pas l'observer, car j'arrive forcément à être aussi dissimulé qu'un Italien de sa trempe. Il était affaissé et comme abruti dans son déchirant sourire. Peut-être que si j'eusse osé lui dire: «Elle vit, elle là tout près de toi!» Je lui eusse rendu à lui-même la vie et le repos. Mais Daniella m'a appris, par la justesse de sa divination, à ne pas me fier aux apparences. Peut-être l'expression de désespoir et de remords que je croyais lire sur la figure de ce malheureux n'était-elle que la satisfaction morne et sombre d'une vengeance assouvie.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
350 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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