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Читать книгу: «La Daniella, Vol. II», страница 14

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XLVIII

Mondragone, 15 mai.

Tout ce que je viens de vous exposer, je l'exprimai franchement à Medora, au courant de la conversation, et ma conclusion fut que je ne pouvais pas plus croire à son amitié qu'elle ne devait désirer la mienne. Je ne voyais pas que l'aventure de Tivoli m'eût créé d'autre devoir envers elle que celui d'une discrétion dont tout homme d'honneur est capable sans grand effort, et l'espèce de reconnaissance qu'elle prétendait m'imposer pour un baiser et quelques folles paroles ne me chargeait ni la conscience ni le coeur. Ma vanité pouvait seule lui en tenir un compte sérieux, et j'étais décidé à terrasser ce mauvais petit démon sot, plein d'équivoques et de subterfuges. Quand à la reconnaissance que ma délicatesse lui inspirait, je l'en tenais quitte et la priais de ne plus m'en parler; car, en y revenant sans cesse, elle me ferait croire qu'elle doutait de sa durée.

Étonnée, fâchée et comme brisée des vains efforts qu'elle venait de faire pour trouver le défaut de la cuirasse, elle restait pensive et muette. Lord B*** vint me dire que la malade était assez calme et que la potion avait agi.

– En ce cas, dit Medora en se levant, vous pouvez peut-être vous passer de la Daniella pendant quelques minutes; je voudrais lui parler.

Daniella vint au bout d'un instant. Sa figure était naïvement radieuse. Je vis bien qu'elle avait profité du moment de répit que lui donnait le mieux de la malade pour écouter ce que je disais à Medora. Celle-ci le devina en jetant un regard d'inquiétude sur la fenêtre entr'ouverte. Du perron de la maison, ou du casino de Baronius, Daniella, sortant par le fond de la chambre de lady Harriet, avait pu tout entendre.

– Vous avez l'air triomphant! lui dit Medora en frémissant de colère ou de crainte.

– Parce que madame va mieux, répondit Daniella avec une douceur à laquelle je ne m'attendais pas.

– Voulez-vous me suivre dans ma chambre? reprit Medora agitée. Il faut absolument que je vous parle.

Je remontrai que, d'un moment à l'autre, on pouvait rappeler Daniella pour la malade, et je passai dans la salle à manger, où Brumières venait d'entrer. Je l'emmenai fumer un cigare au jardin, et j'entendis que l'on fermait la fenêtre du salon.

Brumières n'a aucun doute sur la loyauté de Medora à son égard. Il ne me demanda pas compte de l'entretien que j'avais eu avec elle, et je le vis plein d'espoir et de joie.

– Savez-vous, me dit-il, que mes affaires marchent bien? Dieu conserve la bonne lady Harriet! Mais, si sa volonté est de la rappeler à lui, Medora, n'ayant plus de parente chez qui elle puisse vivre (elle a usé toutes les autres), va certainement se décider au mariage. Elle y était décidée récemment, puisqu'elle choisissait le vieux prince. Cette folie s'est dissipée à temps, et, puisque la foule des soupirants se réduit à moi seul pour le quart d'heure; puisque le destin me jette là auprès d'elle, dans cette étape de Frascati, entre le dégoût de son dernier caprice et la mort de son dernier chaperon, j'ai des chances que je ne retrouverai jamais. C'est donc à moi d'en profiter. Mais que fait-elle avec votre Daniella?

– Je pourrais m'inspirer de l'air du pays pour vous répondre: Chi lo sà! Mais, quand on n'est pas Italien, on se donne toujours la peine de supposer quelque chose, et je m'imagine qu'elle se réconcilie avec la personne injustement maltraitée par elle.

– Oui, ça doit-être, car elle est bonne, n'est-ce pas? C'est une noble créature; violente, mais généreuse, folle à ses heures, et comme ivre de fantaisies d'artistes dans ses résolutions excentriques, mais d'une raison et d'une logique admirables quand elle fait appel à sa propre intelligence. C'est une femme supérieure qui s'ennuie, voilà tout. L'amour en fera une créature adorable, vous verrez!

Brumières s'attribuait si naïvement ce prochain miracle, qu'il n'eût pas été possible de le dissuader. A quoi bon, d'ailleurs? L'amour-propre exubérant est une si vive jouissance par elle-même, que les déceptions peuvent bien venir à la suite des rêves. Les compensations anticipées sont aussi réelles que celles qui arrivent après un désastre. Je n'avais rien de mieux à faire que d'admirer cette faculté d'illusion, tout en philosophant intérieurement sur la situation de cette famille: d'un côté, lord B*** au seuil d'un immense et incurable désespoir; de l'autre, Medora faisant des projets; et, à côté d'elle, Brumières disant: «Dieu conserve lady Harriet, mais sa mort me serait bien utile pour le quart d'heure!»

Quand je pus rejoindre Daniella et lui demander compte de son entrevue avec Medora, je la trouvai rêveuse et réservée dans ses réponses.

– Mon Dieu! lui dis-je, tu parais attristée! T'a-t-elle dit quelque chose qui puisse te faire encore douter de moi?

– Non certes, bien au contraire! elle a été très-franche, très-bonne, très-grande. Elle m'a avoué, non pas qu'elle t'a aimé, mais que, par un dépit d'enfant, un orgueil de jolie femme, elle avait voulu te plaire. Elle déclare qu'elle a échoué et qu'elle en est contente; qu'elle se condamne et se moque d'elle-même pour ce mauvais sentiment qui l'a fait m'offenser et me chasser d'auprès d'elle. Elle me redemande mon amitié et veut que je lui promette la tienne. Voilà ce qu'elle dit, ce qu'elle a l'air de penser. Je lui ai tout pardonné, et nous nous sommes embrassées, moi de bon coeur, elle… de bonne foi, je pense!

Daniella ne put m'en dire davantage; on l'appela auprès de lady Harriet. La soirée s'écoula dans des alternatives d'espoir et d'inquiétude. A minuit, la fièvre tomba; l'accès avait été beaucoup moins grave que les précédents. Le médecin, espérant que milady était sauvée, alla se coucher. Lord B*** voulut envoyer reposer Daniella, qui aima mieux rester sur un fauteuil auprès de la malade. Medora prit le thé avec Brumières et se retira dans son appartement. Je demeurai au salon avec lord B***, qui, de quart d'heure en quart d'heure, allait, sur la pointe du pied, écouter la respiration de sa femme.

-Vous devez me trouver ridicule, dit-il dans un de ces intervalles de causerie avec moi. Vous me mettez au nombre de ces époux inconséquents qui se plaignent pendant vingt ans de leur femme, et qui ne trouvent jamais moyen de vivre avec elle, si ce n'est au moment de la quitter pour toujours. Je m'étonne moi-même de ce que j'éprouve, car il y a eu des heures… des heures où j'avais bu, des heures honteuses dans mon souvenir, où je disais, à moitié sérieusement: La mort rendra la liberté à l'un de nous! Mais, en voyant arriver cette mort qui la prenait de préférence à moi, elle jeune, et belle encore, tandis que je me sens vieux et l'âme usée, j'ai été saisi d'effroi et de remords. C'est elle qui a droit à la vie après la triste existence qu'elle a eue avec moi, et j'ai trouvé le destin si injuste dans son choix, que je devenais fataliste. J'avais l'idée de me tuer pour le désarmer!

Je le laissai s'épancher, et j'attendis qu'il eût exhalé toute l'amertume habituellement refoulée en lui-même, pour le raisonner avec affection et le réhabiliter à ses propres yeux sans accuser sa femme.

Il n'y a pas, dans notre action morale, de fatalité que nous ne puissions combattre et vaincre presque radicalement; voilà ma croyance, et je la lui exposais avec sincérité. J'ajoutais que, dans les faits collectifs que l'on appelle lois de la société, il y avait des souffrances inévitables, fatales en apparence, sur le compte desquelles nous pouvions mettre souvent nos douleurs personnelles et les torts de ceux qui nous entourent; mais que toute la force, toute la sagesse de l'individu devaient être employées à combattre ces mauvais résultats, autour comme au dedans de nous. Les moyens me paraissaient, non pas faciles, mais simples et nettement tracés. Les vieilles vertus de la religion éternelle sont restées vraies, malgré différentes erreurs d'application, et nul sophisme, nulle corruption sociale, nul mensonge de l'égoïsme n'empêcheront le bien d'être, par lui-même, en dépit de tous les maux extérieurs, une joie souveraine, une notion délicieuse, une clarté sublime. Quand notre conscience est en paix, notre coeur vivant, et notre pensée saine, nous devons nous estimer aussi heureux qu'il est donné à l'homme de l'être. Demander plus, c'est vouloir follement renverser des lois divines qui devaient être puisqu'elles sont, et que nos plaintes ne changeront pas.

-Je suis tout à fait d'accord avec vous, me dit lord B***; et c'est parce que mon esprit ne s'est pas attaché à cette notion saine dont vous parlez, que mon coeur s'est aigri et que ma conscience s'est troublée. J'ai été coupable envers les autres en le devenant envers moi-même. J'ai manqué de volonté pour me faire apprécier, et j'ai cherché quelquefois, dans l'ivresse, des étourdissements qui m'ont fait descendre dans l'inertie, au lieu de me faire remonter dans l'espérance. J'ai manqué de foi, je le reconnais bien, et, si la femme qui m'aimait m'a pris en dégoût et en pitié, c'est ma faute bien plus que la sienne.

-Tenez, dit-il encore, après que nous eûmes longtemps causé sans que la malade se réveillât, si le ciel me la rend, il me semble que je deviendrai digne, rétrospectivement, de l'amour qu'elle a eu pour moi. A nos âges, l'amour serait un sentiment ridicule s'il ne changeait pas de nature. Mais cette amitié qui lui survit, et à laquelle, s'il vous en souvient, je portais un toast mélancolique au pied du temple de la sibylle, c'est un pis-aller meilleur que l'amour même, plus rare et plus précieux mille fois. Voilà ce que j'aurais voulu et ce que je n'ai pas su inspirer à ma femme.

Puis, comme je lui disais qu'il fallait espérer la guérison d'Harriet et armer son coeur et sa raison pour cette belle conquête de l'amitié sainte, non pas veuve, mais fille de l'amour, il se jeta dans mes bras et versa des larmes qui détendirent si peu sa physionomie sans mobilité, qu'elles semblaient couler comme un ruisseau sur une face de pierre.

– Vous me faites du bien plus que vous ne pensez! me dit-il de cette voix morte et sans inflexion qui contraste avec ses paroles; toutes les formules d'encouragement et de consolation sont des lieux communs, et je ne sais pas si les vôtres ont plus de sens que celles des autres. Il est possible que non; il ne me semble pas que vous me disiez des choses nouvelles pour moi, des choses que je ne me sois pas dites à moi-même; mais je sens que vous me les dites avec une grande conviction et qu'il y a dans votre coeur un vrai désir de me persuader. Vous avez donc, malgré votre jeunesse et votre inexpérience, un ascendant particulier sur moi. Si j'en cherche la cause, je la trouve dans la sincérité particulière de votre nature, dans l'accord réel que je remarque entre votre conduite et vos idées. Pourtant, si vous voulez que je l'avoue, je n'avais pas compris d'abord votre amour pour Daniella. Je pensais que c'était une volupté, et que cela prenait trop d'empire sur vous, trop de place dans votre vie. À présent, je vois que c'est une passion envisagée et acceptée par vous autant que subie, et je vous trouve dans le vrai; je suis certain que vous ne serez jamais malheureux parce que vous ne serez jamais injuste ni faible.

Pourtant, écoutez-moi. Je vous dois une révélation qui peut avoir son importance. Il n'eût tenu, il ne tiendrait peut-être encore qu'à vous d'épouser la nièce de ma femme. Medora vous a aimé, et je crois qu'elle vous aime encore, autant qu'elle peut aimer. Dans tous les cas, après les deux mariages de caprice ou de dépit qu'elle vient d'arranger et de rompre en si peu de jours, je vois que son esprit détraqué ne demande qu'à subir une influence nouvelle, et que M. Brumières pourrait, tout comme un autre, profiter de la circonstance. Songez-y, tâtez-vous bien; voyez si une grande fortune serait pour vous un élément de force et de bonheur. Ni ma femme ni moi ne pouvons nous opposer à n'importe quel mariage résolu par cette personne fantasque. Pour avoir essayé de la détourner de ce prince usé et malade (un excellent homme, d'ailleurs), nous l'avons malheureusement poussée à l'inconcevable divertissement de se faire enlever par lui. Je crois, Dieu me damne, que c'est uniquement le danger d'être tuée en s'associant à sa fuite qui a réveillé son cerveau blasé, avide d'émotions inutiles. Elle vous a revu au moment de s'embarquer, nous a-t-elle dit, et j'ai cru deviner que vous étiez la cause involontaire de son revirement. Peut-être que vous lui faites un nouveau tort de cette trahison subite envers le prince: moi aussi, je pense que, le vin étant tiré, il fallait le boire; mais, quelle que soit votre opinion sur sa conduite, je vous dois un éclaircissement sur votre situation. En votre faveur, lady B*** abjurera tous ses préjugés; elle vous l'a dit et cela est certain. Donc, vous pouvez obtenir la main de sa nièce sans lui déplaire, non plus qu'à moi, qui n'ai aucune espèce de préjugé sur la différence des conditions sociales et qui vous trouve, tel que vous êtes au moral, infiniment au-dessus de miss Medora.

Vous pensez bien que je n'hésitai pas à déclarer à lord B*** que j'avais une seule, mais invincible raison, pour ne pas vouloir plaire à sa nièce.

– Et cette raison, lui dis-je, c'est que je ne l'aime pas.

– C'est une raison, dit-il, et je ne vous prêcherai pas, comme autrefois, la raison contraire. J'ai passé vingt ans à maudire les mariages d'inclination, et, à présent, je vois que l'amour dans le mariage est l'idéal de la vie humaine. Quand on le manque ou quand on le laisse envoler après l'avoir saisi, c'est qu'on ne méritait pas de le conserver.

Le médecin se releva à cinq heures du matin et jugea la malade hors de danger quant à cette fièvre ataxique, dont le dernier accès venait d'être paralysé par ses soins. Seulement il lui trouva la respiration progressivement embarrassée. Dans la journée, une pleurésie se déclara. C'était une maladie nouvelle qui devait suivre son cours, et qu'il promit de venir observer et soigner tous les jours durant quelques heures. Un autre médecin, dirigé par ses conseils, vint s'installer à Piccolomini pour suivre et combattre, heure par heure, les symptômes du mal. Toute une pharmacie de prévision fut envoyée de Rome le jour même.

Nous pûmes tous prendre un peu de repos, même lord B***, qui avait passé déjà plusieurs nuits, et qui se jeta sur un lit dans la chambre de sa femme. Medora monta à cheval avec Brumières.

Deux jours après, tout symptôme alarmant avait disparu devant l'habile et prévoyante médication du docteur Mayer. Lord B*** me rendit ma liberté, et lady Harriet remercia très-affectueusement Daniella, en la priant de venir la voir souvent. La Vincenza, présentée par Brumières, avait fait agréer ses soins en remplacement provisoire de l'Anglaise Fanny, qui avait déplu et qui passa le temps à prendre du thé, au grand scandale et au grand mépris de la Mariuccia.

Nous retournâmes à Mondragone en faisant des projets et en nous consultant sur l'installation que nous étions désormais libres de rêver. La pensée de quitter nos ruines, où nous avions maintenant toute facilité de faire un établissement assez confortable dans le casino, nous serrait le coeur à l'un et à l'autre. Nous nous arrêtâmes à la villa Taverna pour demander à Olivia si elle avait le droit de nous louer le casino pour quelques semaines. Elle a ce droit ou elle le prend. Les conditions de la location furent minimes. Daniella envoya aussitôt Felipone avec une charrette pour chercher son petit mobilier à Frascati, où elle ne voulait plus se montrer avant notre mariage. Par suite de la même résolution, elle fit un arrangement avec le fermier pour que celui-ci lui apportât de la ville le pain et les modestes provisions de chaque jour, en même temps que celles de sa famille.

En somme, cette résidence, dont le choix paraît étrange au premier abord, est le seul endroit complètement favorable à notre situation. Elle nous met à distance de tout commérage importun, et nous assure la fuite par le passage resté ignoré, si nos affaires avec l'inquisition n'arrivent pas au résultat favorable sur lequel compte l'excellent lord B***.

Dans l'état des choses, il se fait fort de me faire délivrer mes passeports, si je préfère ne pas attendre ce résultat. Mais je n'ai nullement envie de quitter Frascati maintenant. D'abord, je ferais perdre à lord B*** le cautionnement dont il a la délicatesse de ne pas vouloir que je m'occupe. Ensuite, je ne dois ni ne veux songer à le laisser dans l'inquiétude et le chagrin. Enfin, j'ai ici des affections, une sorte de famille, un soleil splendide, des travaux en train, des sites qui m'appartiennent déjà et qui me charment, d'autres que je n'ai fait qu'effleurer et dont il me tarde de prendre possession; et, plus que tout cela, des aitres témoins de mon bonheur et dont je sens que je ne sortirai pas sans un vif regret.

Ce vieux mot d'aitres, qui vient d'atrium, mais qui n'a plus un sens aussi intime et aussi patriarcal que dans l'antiquité, représente pour moi tout un état de choses important dans ma vie de campement. Je peux dire que je connais les aitres de tous ces beaux jardins qui m'entourent, et ceux de Tusculum et ceux de la gorge del buco, et que cette belle nature, où j'étais un passant et un étranger dans les premiers jours, m'appartient et me possède à présent. Elle m'a ouvert ses sanctuaires et révélé ses grâces secrètes. Il y a, entre elle et moi, un lien qui ne sera jamais détruit. Où que je sois, mon souvenir m'y transportera, et les grandes allées comme les petits sentiers, les croupes adoucies comme les roches ardues, les yeuses colossales comme les petites étoiles bleues des buissons, tout cela est à moi pour toujours.

Donc, nous revoici installés dans notre forteresse, et je peux jeter du chocolat par la terrasse du casino aux neveux de Felipone, quand ils viennent jouer sur la terrasse aux girouettes. Il ne sera plus jamais question de manger la chèvre. Nous ne dormons plus sur la paille. Daniella ne tremble plus aux bruits du dehors, et je travaille avec l'espoir d'achever mon tableau sans crainte de le voir troué par les baïonnettes. Le piano loué par le prince achève son mois de location dans ma chambre, et Daniella s'est imaginé d'apprendre la musique. A présent, je suis bien content de la savoir pour la lui enseigner. Elle a une facilité et une mémoire étonnantes, et je m'aperçois que, pour avoir beaucoup entendu chanter, bien et mal, quand j'étais violon à l'orchestre du théâtre ***, je peux être un professeur passable. Sa voix est encore plus belle et plus étendue que je ne croyais, et l'instinct rythmique et mélodique est extraordinairement développé chez elle. Il me semble que je n'ai à lui enseigner que la raison des choses qu'elle sait faire, et que, dans un an, elle pourrait être une aussi grande cantatrice que qui que ce soit.

Elle est, du reste, très-possédée de cette idée qui lui est venue tout à coup, en découvrant que j'étais musicien.

– Quand tu m'as dit que j'avais une voix si belle, j'ai eu du chagrin en songeant que je ne savais rien, et que je n'aurais jamais le temps et le moyen d'apprendre. Qu'est-ce que c'est que mon état de stiratrice? Il y a de quoi manger du pain, et rien de plus. Il a un talent, lui, et il me donnera mes aises; mais je rougirai de ne pouvoir lui donner les siennes et d'être une charge pour lui. Voilà ce que je me disais, et à présent j'ai repris confiance en moi-même. Je ne serai plus une ouvrière, une femme de chambre pour ceux qui me verront arriver avec toi dans ton pays. Je serai une artiste, ta pareille, ton égale, et tu n'auras jamais à rougir de m'avoir aimée.

Quand elle parle ainsi, sa figure prend une expression si sérieuse et son oeil noir se fixe et se dilate avec une volonté si prononcée, que je ne peux pas douter de l'avenir qu'elle rêve. Et pourtant il me semble que j'aimerais mieux pouvoir en douter un peu. Je vais vous expliquer cela.

XLIX

15 mai. – Mondragone.

Hier, Brumières est venu nous rendre visite pendant qu'elle étudiait. De loin, il avait entendu cette voix merveilleuse, et il ne pouvait croire que ce fût celle de la Daniella. Quand il en fut convaincu, et qu'elle lui eut chanté une très-belle vocalise que j'ai trouvé à la villa Taverna dans les feuilleta déchirés d'un vieux solfège, et que je crois être de Hasse, il fit deux fois le tour de la chapelle qui me sert d'atelier, en donnant des marques d'une vive préoccupation. Puis il revint vers moi et me dit:

– Mais elle n'a aucune notion de musique, n'est-ce pas? Elle a appris cela comme un perroquet; elle ne le lit pas, vous le lui avez seriné?

Je me mis à rire.

– Et pourquoi riez-vous, voyons?

– Parce que vous faites des questions d'enfant. Il lui a fallu deux jours pour comprendre ce que c'est que de la musique écrite. Dans quinze jours, elle lira à livre ouvert dans n'importe quelle partition. Dans un mois, avec l'intelligence et la volonté dont elle est douée, elle sera capable de faire sa partie raisonnée dans un ensemble. Mais cet A B C de la pratique, dont vous faites une si grosse affaire, ne lui servirait absolument à rien, si elle n'était pas douée comme elle l'est. Il y a des artistes qui ont étudié dix ans et qui ne se doutent pas de ce qu'elle sait, sans qu'elle-même s'en doute.

– C'est vrai, cela! reprit-il naïvement, et le diable m'emporte si elle ne chante pas mieux que la*** et la***!

– Voilà que vous passez d'un excès à l'autre. Elle ne sait pas le métier, et, en toutes choses, le métier est à l'art ce que le corps est à l'esprit. Elle doit apprendre à ménager ses moyens, afin de les trouver toujours à son service, même quand l'inspiration, qui est une chose fugitive, lui fera défaut. Et puis, cette distinction naturelle, cette élévation instinctive, ont besoin d'un criterium du plus au moins en elle-même; et c'est par le savoir, qui est la lumière du sentiment, qu'elle l'acquerra.

– Oui! le pourquoi et le comment! Mais croyez-vous qu'elle conserve cette fraîcheur de timbre, cette naïveté d'accent?

– Je l'espère, car je ne veux pas qu'elle ait d'autres professeurs que moi, et je m'imagine savoir comment il faut développer une individualité comme la sienne.

– Ah ça! vous êtes donc un grand musicien, vous aussi?

– Non certes. Je sais ce que c'est que la musique, voilà tout.

– Et vous l'aimez passionnément?

– Depuis huit jours, oui!

– Et votre femme sera une grande cantatrice

– Oui! lui cria Daniella moitié riant, moitié impatientée de ses questions, dont elle ne voyait pas venir le but.

Je le pressentais, et je voulus en détourner l'aveu.

– Voyons, dis-je à Daniella, veux-tu lui chanter un air du pays? Cela, c'est toi seule, toi tout entière, avec ce que la nature t'a donné, avec le caractère et l'accent que personne ne pourrait t'enseigner et que personne ne pourrait, en ce sens, réaliser mieux que toi. Te rappelles-tu ce que tu chantais un soir à la villa Taverna?

– Oui, oui, s'écria-t-elle. Oh! cela me fera plaisir de me rechanter cela!

Elle dit un ou deux couplets; mais, mécontente d'elle-même et trouvant qu'elle manquait de feu et d'entrain, elle prit le tamburello, et, comme si elle se fût remontée à l'énergique appel de ce grelot sauvage, elle chanta avec plus de nerf. Cependant elle secouait la tête d'un air de dépit.

– Qu'a-t-elle donc? dit Brumières. Il me semble qu'elle va mettre le feu au château!

– Non; non, je ne suis ni en voix ni en âme, s'écria-t-elle. Ces choses-là ne se chantent pas, elles se dansent!

Et, s'élançant au milieu de la chapelle, en sautant par-dessus les planches et les copeaux qui en encombrent encore une partie, elle se mit à danser, à chanter et à tambouriner en même temps, avec cette sorte de fureur sacrée qui m'avait fait déjà frissonner d'amour et de jalousie.

J'espérais que ce transport ne se communiquerait pas à Brumières; et d'ailleurs, je craignais d'être égoïste en m'opposant au besoin que cette fille de l'air éprouvait d'essayer un instant ses ailes. Mais Brumières est impressionnable autant qu'expansif. Il se mit à crier d'admiration et à divaguer dans son enthousiasme d'artiste, de manière à me contrarier beaucoup. J'arrachai le tambourin des mains de Daniella, et l'emportant presque elle-même dans mes bras, je la poussai au piano en la grondant malgré moi.

– Mais pourquoi l'empêchez-vous d'être si belle? disait Brumières. Vous êtes un brutal, un pédant! Laissez-la donc se révéler! Encore, encore!

Je donnai pour prétexte à mon dépit que ce chant mêlé de danse pouvait casser la voix.

– Crois-tu cela? me dit Daniella, qui, sans être essoufflée, s'était assise, accoudée sur le piano d'un air tout à coup grave et rêveur.

– Non! lui répondis-je tout bas; mais je te l'ai dit, tu ne danseras jamais que pour moi, si tu m'aimes.

– Eh bien, mon cher, s'écria Brumières, comme s'il eût deviné mes paroles, vous auriez tort de vouloir faire mystère de telles aptitudes! Voyez-vous, la signora Daniella a cent mille livres de rente dans le gosier, dans les pieds, dans le coeur, dans les yeux, dans la tête. Ah! vous n'êtes pas maladroit, vous, d'avoir deviné et saisi au vol la sylphide déguisée en villageoise! Quelle grâce, quelle verve, que d'enivrements réunis dans un seul être! C'est trop, c'est trop! Et avant un an, voilà un prodige qui effacera tous les prodiges de nos théâtres. La musique et la danse, au même degré de puissance…

Daniella l'interrompit brusquement. Elle voyait que ces éloges à bout portant me donnaient sur les nerfs, et elle tenait à me montrer qu'elle n'en était pas enivrée.

– Vous vous moquez de moi, lui dit-elle, et c'est ma faute. La paysanne a trop reparu. Il faudra qu'elle s'efface, car je veux être ce qu'il voudra que je sois. En attendant, je vas vous montrer que je suis encore une bonne ménagère en vous servant du café de ma façon.

Elle sortit et ne revint pas, délicatesse de coeur dont je lui sus un gré infini. Sans s'apercevoir de mon émotion, Brumières continua à s'extasier sur les séductions de ma femme et à me dire, sans trop gazer, que j'avais tiré à la loterie de l'amour un meilleur numéro que le sien. Il m'avait pris pour un braque, pour un philosophe, c'est-à-dire pour un crétin ou un fou; mais il voyait bien que j'avais de meilleurs yeux que lui et qu'en retournant du fumier j'avais trouvé un diamant; tandis que lui, en retournant des perles fines, il n'avait ramassé qu'un hanneton.

Je saisis l'occasion de le faire taire sur le compte de Daniella en le faisant parler de Medora, et, quoique peu curieux d'entendre un nouveau chapitre de ce roman qui ne m'intéresse pas énormément, je feignis d'y prendre beaucoup de part.

– Eh bien, mon cher, répondit-il, je voudrais bien que nous fussions dans une planète où il serait possible et convenable de dire à un ami: «Changeons, prenez mon rêve et donnez-moi le vôtre.» Vrai! je vous envie cette adorable et magnifique Romaine qui, en attendant la gloire et la fortune, vous donne à la fois l'ivresse et la sécurité de l'amour. Oh! je vois bien maintenant quel bonheur est le vôtre! Moi, sachez que j'ai de cette Anglaise aussi éventée que glacée, cent pieds par-dessus la tête, et qu'il me prend envie, cent fois par jour, non pas de l'enlever, mais de m'enlever moi-même d'auprès d'elle. Ah! si j'avais seulement un petit ballon, comme je m'en servirais, dès ce soir!

– Voyons, qu'y a-t-il donc de nouveau, et comment depuis huit jours, la scène a-t-elle changé de face à ce point-là?

– Mon cher, vous êtes trop inexpérimenté pour savoir ce que c'est qu'une coquette. C'est un miroir à prendre les alouettes. Ça brille, et tout à coup ça ne brille plus, car ça ne luit qu'à la condition de tourner toujours.

– Qui vous force au métier d'alouette?

– Eh! eh! l'ambition! Je ne fais pas la bégueule avec vous, moi, je dis la chose telle qu'elle est; j'aimerais à avoir huit cent mille livres de rente: vrai, ça me ferait plaisir! Je ne suis pas un Arabe du désert comme vous; je suis né satrape. Il n'y a pas de mal à ça quand on est bien décidé à ne jamais faire ni vilenie ni bassesse pour réaliser sa fantaisie. Vous me connaissez assez, j'espère, pour être bien certain que je ne voudrais ni d'une bossue, ni d'une vieille, ni d'une laide, ni d'une femme de mauvaise vie, eût-elle la fortune des Rothschild à m'offrir; mais Medora est belle, et, malgré le soin tout particulier qu'elle prend de se compromettre et de faire jaser, elle est pure. De plus, elle est adorable d'esprit et de caractère quand elle veut. Enfin, j'en suis fou!..

– Et vous n'avez pas de ballon pour vous soustraire à la fascination? Allez donc votre train et suivez l'étoile qui vous luit. Pourquoi la blâmer et la maudire pour un jour de caprice? Si elle était parfaite, seriez-vous parfait vous-même pour la mériter?

– Ma foi, pourquoi pas? répondit-il en riant; je ne vois pas ce qui me manque pour être un garçon accompli. D'ailleurs, la question n'est pas de savoir si je dois continuer à la poursuivre; c'est de savoir si je ne perds pas mon temps et si je n'use pas mes dernières bottes fines pour n'aboutir qu'au titre flatteur de cher ami. Tenez! vous aviez plus de chances que moi pour réussir auprès d'elle; pourquoi diable n'avez-vous pas pris ma place et moi la vôtre? Daniella est plus belle, quand elle chante et danse, que n'importe qui. Et même quand elle rêve… elle a des yeux, des narines… je ne l'avais jamais regardée comme aujourd'hui. Elle est pauvre et méconnue; mais il ne tient qu'à elle d'être riche et célèbre, et, comme vous avez le mérite de l'avoir découverte, elle vous sera peut-être fidèle.

– Ce peut-être est de trop, mon cher ami; et, si vous voulez me faire plaisir, vous me laisserez apprécier tout seul les mérites de ma femme.

– Allons! vous voilà jaloux?

– Et pourquoi pas, je vous prie?

– C'est juste. Mais que diable faites-vous-là! dit-il en me voyant retourner mon tableau sur le chevalet et reprendre ma palette.

– Ça veut être de la peinture, répondis-je.

– Eh! eh! s'écria-t-il en regardant avec une attention de plus en plus marquée: c'est de la peinture, en effet! Diable! mais savez-vous que c'est bien ça? Je ne vous croyais pas fort!

– Vous aviez raison: je ne suis pas fort.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
350 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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