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V

BIOGRAPHIE

Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, né à Paris le 20 avril 1808, est fils d'Hortense de Beauharnais, mariée par l'empereur à Louis-Napoléon, roi de Hollande. En 1831, mêlé aux insurrections d'Italie, où son frère aîné fut tué, Louis Bonaparte essaya de renverser la papauté. Le 30 octobre 1835 il tenta de renverser Louis-Philippe. Il avorta à Strasbourg, et, gracié par le roi, s'embarqua pour l'Amérique, laissant juger ses complices derrière lui. Le 11 novembre il écrivait: «Le roi, dans sa clémence, a ordonné que je fusse conduit en Amérique»; il se déclarait «vivement touché de la générosité du roi», ajoutant: «Certes nous sommes tous coupables envers le gouvernement d'avoir pris les armes contre lui, mais le plus coupable, c'est moi», et terminait ainsi: «J'étais coupable envers le gouvernement; or le gouvernement a été généreux envers moi4.» Il revint d'Amérique en Suisse, se fit nommer capitaine d'artillerie à Berne et bourgeois de Salenstein en Turgovie, évitant également, au milieu des complications diplomatiques causées par sa présence, de se déclarer français et de s'avouer suisse, et se bornant, pour rassurer le gouvernement français, à affirmer, par une lettre du 20 août 1838, qu'il vit «presque seul» dans la maison «où sa mère est morte», et que sa ferme volonté «est de rester tranquille». Le 6 août 1840, il débarqua à Boulogne, parodiant le débarquement à Cannes, coiffé du petit chapeau5, apportant un aigle doré au bout d'un drapeau et un aigle vivant dans une cage, force proclamations, et soixante valets, cuisiniers et palefreniers, déguisés en soldats français avec des uniformes achetés au Temple et des boutons du 42e de ligne fabriqués à Londres. Il jette de l'argent aux passants dans les rues de Boulogne, met son chapeau à la pointe de son épée, et crie lui-même: vive l'empereur; tire à un officier6 un coup de pistolet qui casse trois dents à un soldat, et s'enfuit. Il est pris, on trouve sur lui cinq cent mille francs en or et en bank-notes7; le procureur général Franck-Carré lui dit en pleine cour des pairs: «Vous avez fait pratiquer l'embauchage et distribuer l'argent pour acheter la trahison.» Les pairs le condamnent à la prison perpétuelle. On l'enferme à Ham. Là son esprit parut se replier et mûrir; il écrivit et publia des livres empreints, malgré une certaine ignorance de la France et du siècle, de démocratie et de progrès: l'Extinction du paupérisme, l'Analyse de la question des sucres, les Idées napoléoniennes, où il fit l'empereur «humanitaire». Dans un livre intitulé Fragments historiques, il écrivit: «Je suis citoyen avant d'être Bonaparte.» Déjà en 1832, dans son livre des Rêveries politiques, il s'était déclaré «républicain». Après six ans de captivité, il s'échappa de la prison de Ham, déguisé en maçon, et se réfugia en Angleterre. Février arriva, il acclama la république, vint siéger comme représentant du peuple à l'assemblée constituante, monta à la tribune le 21 septembre 1848, et dit: «Toute ma vie sera consacrée à l'affermissement de la république», publia un manifeste qui peut se résumer en deux lignes: liberté, progrès, démocratie, amnistie, abolition des décrets de proscription et de bannissement; fut élu président par cinq millions cinq cent mille voix, jura solennellement la constitution le 20 décembre 1848, et, le 2 décembre 1851, la brisa. Dans l'intervalle il avait détruit la république romaine et restauré en 1849 cette papauté qu'il voulait jeter bas en 1831. Il avait en outre pris on ne sait quelle part à l'obscure affaire dite Loterie des lingots d'or; dans les semaines qui ont précédé le coup d'état, ce sac était devenu transparent et l'on y avait aperçu une main qui ressemblait à la sienne. Le 2 décembre et les jours suivants, il a, lui pouvoir exécutif, attenté au pouvoir législatif, arrêté les représentants, chassé l'assemblée, dissous le conseil d'état, expulsé la haute cour de justice, supprimé les lois, pris vingt-cinq millions à la Banque, gorgé l'armée d'or, mitraillé Paris, terrorisé la France; depuis il a proscrit quatrevingt-quatre représentants du peuple, volé aux princes d'Orléans les biens de Louis-Philippe leur père, auquel il devait la vie, décrété le despotisme en cinquante-huit articles sous le titre de constitution, garrotté la république, fait de l'épée de la France un bâillon dans la bouche de la liberté, brocanté les chemins de fer, fouillé les poches du peuple, réglé le budget par ukase, déporté en Afrique et à Cayenne dix mille démocrates, exilé en Belgique, en Espagne, en Piémont, en Suisse et en Angleterre quarante mille républicains, mis dans toutes les âmes le deuil et sur tous les fronts la rougeur.

Louis Bonaparte croit monter au trône, il ne s'aperçoit pas qu'il monte au poteau.

VI

PORTRAIT

Louis Bonaparte est un homme de moyenne taille, froid, pâle, lent, qui a l'air de n'être pas tout à fait réveillé. Il a publié, nous l'avons rappelé déjà, un traité assez estimé sur l'artillerie, et connaît à fond la manoeuvre du canon. Il monte bien à cheval. Sa parole traîne avec un léger accent allemand. Ce qu'il y a d'histrion en lui a paru au tournoi d'Eglington. Il a la moustache épaisse et couvrant le sourire comme le duc d'Albe, et l'oeil éteint comme Charles IX.

Si on le juge en dehors de ce qu'il appelle «ses actes nécessaires» ou «ses grands actes», c'est un personnage vulgaire, puéril, théâtral et vain. Les personnes invitées chez lui, l'été, à Saint-Cloud, reçoivent, en même temps que l'invitation, l'ordre d'apporter une toilette du matin et une toilette du soir. Il aime la gloriole, le pompon, l'aigrette, la broderie, les paillettes et les passe quilles, les grands mots, les grands titres, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir. En sa qualité de parent de la bataille d'Austerlitz, il s'habille en général.

Peu lui importe d'être méprisé, il se contente de la figure du respect.

Cet homme ternirait le second plan de l'histoire, il souille le premier. L'Europe riait de l'autre continent en regardant Haïti quand elle a vu apparaître ce Soulouque blanc. Il y a maintenant en Europe, au fond de toutes les intelligences, même à l'étranger, une stupeur profonde, et comme le sentiment d'un affront personnel; car le continent européen, qu'il le veuille ou non, est solidaire de la France, et ce qui abaisse la France humilie l'Europe.

Avant le 2 décembre, les chefs de la droite disaient volontiers de Louis Bonaparte: C'est un idiot. Ils se trompaient. Certes ce cerveau est trouble, ce cerveau a des lacunes, mais on peut y déchiffrer par endroits plusieurs pensées de suite et suffisamment enchaînées. C'est un livre où il y a des pages arrachées. Louis Bonaparte a une idée fixe, mais une idée fixe n'est pas l'idiotisme. Il sait ce qu'il veut, et il y va. À travers la justice, à travers la loi, à travers la raison, à travers l'honnêteté, à travers l'humanité, soit, mais il y va.

Ce n'est pas un idiot. C'est un homme d'un autre temps que le nôtre. Il semble absurde et fou parce qu'il est dépareillé. Transportez-le au seizième siècle en Espagne, et Philippe II le reconnaîtra; en Angleterre, et Henri VIII lui sourira; en Italie, et César Borgia lui sautera au cou. Ou même bornez-vous à le placer hors de la civilisation européenne, mettez-le, en 1817, à Janina, Ali Tepeleni lui tendra la main.

Il y a en lui du moyen âge et du bas-empire. Ce qu'il fait eût semblé tout simple à Michel Ducas, à Romain Diogène, à Nicéphore Botoniate, à l'eunuque Narsès, au vandale Stilicon, à Mahomet II, à Alexandre VI, à Ezzelin de Padoue, et lui semble tout simple à lui. Seulement il oublie ou il ignore qu'au temps où nous sommes ses actions auront à traverser ces grands effluves de moralité humaine dégagées par nos trois siècles lettrés et par la révolution française, et que, dans ce milieu, ses actions prendront leur vraie figure et apparaîtront ce qu'elles sont, hideuses.

Ses partisans – il en a – le mettent volontiers en parallèle avec son oncle, le premier Bonaparte. Ils disent: «L'un a fait le 18 brumaire, l'autre a fait le 2 décembre; ce sont deux ambitieux.» Le premier Bonaparte voulait réédifier l'empire d'occident, faire l'Europe vassale, dominer le continent de sa puissance et l'éblouir de sa grandeur, prendre un fauteuil et donner aux rois des tabourets, faire dire à l'histoire: Nemrod, Cyrus, Alexandre, Annibal, César, Charlemagne, Napoléon, être un maître du monde. Il l'a été. C'est pour cela qu'il a fait le 18 brumaire. Celui-ci veut avoir des chevaux et des filles, être appelé monseigneur, et bien vivre. C'est pour cela qu'il a fait le 2 décembre. Ce sont deux ambitieux; la comparaison est juste.

Ajoutons que, comme le premier, celui-ci veut aussi être empereur. Mais ce qui calme un peu les comparaisons, c'est qu'il y a peut-être quelque différence entre conquérir l'empire et le filouter.

Quoi qu'il en soit, ce qui est certain, et ce que rien ne peut voiler, pas même cet éblouissant rideau de gloire et de malheur sur lequel on lit: Arcole, Lodi, les Pyramides, Eylau, Friedland, Sainte-Hélène, ce qui est certain, disons-nous, c'est que le 18 brumaire est un crime dont le 2 décembre a élargi la tache sur la mémoire de Napoléon.

M. Louis Bonaparte se laisse volontiers entrevoir socialiste. Il sent qu'il y a là pour lui une sorte de champ vague, exploitable à l'ambition. Nous l'avons dit, il a passé son temps dans sa prison à se faire une quasi-réputation de démocrate. Un fait le peint. Quand il publia, étant à Ham, son livre sur l'Extinction du paupérisme, livre en apparence ayant pour but unique et exclusif de sonder la plaie des misères du peuple et d'indiquer les moyens de la guérir, il envoya l'ouvrage à un de ses amis avec ce billet, qui a passé sous nos yeux: «Lisez ce travail sur le paupérisme, et dites-moi si vous pensez qu'il soit de nature à me faire du bien

Le grand talent de M. Louis Bonaparte, c'est le silence.

Avant le 2 décembre, il avait un conseil des ministres qui s'imaginait être quelque chose, étant responsable. Le président présidait. Jamais, ou presque jamais, il ne prenait part aux discussions. Pendant que MM. Odilon Barrot, Passy, Tocqueville, Dufaure ou Faucher parlaient, il construisait avec une attention profonde, nous disait un de ses ministres, des cocottes en papier, ou dessinait des bonshommes sur les dossiers.

Faire le mort, c'est là son art. Il reste muet et immobile, en regardant d'un autre côté que son dessein, jusqu'à l'heure venue. Alors il tourne la tête et fond sur sa proie. Sa politique vous apparaît brusquement à un tournant inattendu, le pistolet au poing, ut fur. Jusque-là, le moins de mouvement possible. Un moment, dans les trois années qui viennent de s'écouler, on le vit de front avec Changarnier, qui, lui aussi, méditait de son côté une entreprise. Ibant obscuri, comme dit Virgile. La France considérait avec une certaine anxiété ces deux hommes. Qu'y a-t-il entre eux? L'un ne rêve-t-il pas Cromwell? l'autre ne rêve-t-il pas Monk? On s'interrogeait et on les regardait. Chez l'un et chez l'autre même attitude de mystère, même tactique d'immobilité. Bonaparte ne disait pas un mot, Changarnier ne faisait pas un geste; l'un ne bougeait point, l'autre ne soufflait pas; tous deux semblaient jouer à qui serait le plus statue.

Ce silence, cependant, Louis Bonaparte le rompt quelquefois. Alors il ne parle pas, il ment. Cet homme ment comme les autres hommes respirent. Il annonce une intention honnête, prenez garde; il affirme, méfiez-vous; il fait un serment, tremblez.

Machiavel a fait des petits. Louis Bonaparte en est un.

Annoncer une énormité dont le monde se récrie, la désavouer avec indignation, jurer ses grands dieux, se déclarer honnête homme, puis, au moment où l'on se rassure et où l'on rit de l'énormité en question, l'exécuter. Ainsi il a fait pour le coup d'état, ainsi pour les décrets de proscription, ainsi pour la spoliation des princes d'Orléans; ainsi il fera pour l'invasion de la Belgique et de la Suisse, et pour le reste. C'est là son procédé; pensez-en ce que vous voudrez; il s'en sert, il le trouve bon, cela le regarde. Il aura à démêler la chose avec l'histoire.

On est de son cercle intime; il laisse entrevoir un projet qui semble, non immoral, on n'y regarde pas de si près, mais insensé et dangereux, et dangereux pour lui-même; on élève des objections; il écoute, ne répond pas, cède quelquefois pour deux ou trois jours, puis reprend son dessein, et fait sa volonté.

Il y a à sa table, dans son cabinet de l'Élysée, un tiroir souvent entr'ouvert. Il tire de là un papier, le lit à un ministre, c'est un décret. Le ministre adhère ou résiste. S'il résiste, Louis Bonaparte rejette le papier dans le tiroir où il y a beaucoup d'autres paperasses, rêves d'homme tout-puissant, ferme ce tiroir, en prend la clef, et s'en va sans dire un mot. Le ministre salue et se retire charmé de la déférence. Le lendemain matin, le décret est au Moniteur.

Quelquefois avec la signature du ministre.

Grâce à cette façon de faire, il a toujours à son service l'inattendu, grande force; et, ne rencontrant en lui-même aucun obstacle intérieur dans ce que les autres hommes appellent conscience, il pousse son dessein, n'importe à travers quoi, nous l'avons dit, n'importe sur quoi, et touche son but.

Il recule quelquefois, non devant l'effet moral de ses actes, mais devant l'effet matériel. Les décrets d'expulsion de quatrevingt-quatre représentants, publiés le 6 janvier par le Moniteur, révoltèrent le sentiment public. Si bien liée que fût la France, on sentit le tressaillement. On était encore très près du 2 décembre; toute émotion pouvait avoir son danger. Louis Bonaparte le comprit. Le lendemain 10, un second décret d'expulsion devait paraître, contenant huit cents noms. Louis Bonaparte se fit apporter l'épreuve du Moniteur, la liste remplissait quatorze colonnes du journal officiel. Il froissa l'épreuve, la jeta au feu, et le décret ne parut pas. Les proscriptions continuèrent, sans décret.

Dans ses entreprises il a besoin d'aides et de collaborateurs; il lui faut ce qu'il appelle lui-même «des hommes». Diogène les cherchait tenant une lanterne, lui il les cherche un billet de banque à la main. Il les trouve. De certains côtés de la nature humaine produisent toute une espèce de personnages dont il est le centre naturel et qui se groupent nécessairement autour de lui selon cette mystérieuse loi de gravitation qui ne régit pas moins l'être moral que l'atome cosmique. Pour entreprendre «l'acte du 2 décembre», pour l'exécuter et pour le compléter, il lui fallait de ces hommes; il en eut. Aujourd'hui il en est environné; ces hommes lui font cour et cortège; ils mêlent leur rayonnement au sien. À de certaines époques de l'histoire, il y a des pléiades de grands hommes; à d'autres époques, il y a des pléiades de chenapans.

Pourtant, ne pas confondre l'époque, la minute de Louis Bonaparte, avec le dix-neuvième siècle; le champignon vénéneux pousse au pied du chêne, mais n'est pas le chêne.

M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l'argent, l'agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d'un bord à l'autre quand il n'y a à enjamber que de la honte. Il a fait de M. Changarnier une dupe, de M. Thiers une bouchée, de M. de Montalembert un complice, du pouvoir une caverne, du budget sa métairie. On grave à la Monnaie une médaille, dite médaille du 2 décembre, en l'honneur de la manière dont il tient ses serments. La frégate la Constitution a été débaptisée, et s'appelle la frégate l'Élysée. Il peut, quand il voudra, se faire sacrer par M. Sibour et échanger la couchette de l'Élysée contre le lit des Tuileries. En attendant, depuis sept mois, il s'étale; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue; il s'est épanoui dans sa laideur à une loge d'Opéra, il s'est fait appeler prince-président, il a distribué des drapeaux à l'armée et des croix d'honneur aux commissaires de police. Quand il s'est agi de se choisir un symbole, il s'est effacé et a pris l'aigle; modestie d'épervier.

VII

POUR FAIRE SUITE AUX PANÉGYRIQUES

Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c'est que dans toutes les qualités qu'on lui reconnaît depuis le 2 décembre, dans tous les éloges qu'on lui adresse, il n'y a pas un mot qui sorte de ceci: habileté, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clefs bien faites. Tout est là. Quand ces choses sont dites, tout est dit, à part quelques phrases sur la «clémence»; et encore est-ce qu'on n'a pas loué la magnanimité de Mandrin qui, quelquefois, ne prenait pas tout l'argent, et de Jean l'Écorcheur qui, quelquefois, ne tuait pas tous les voyageurs!

En dotant M. Bonaparte de douze millions, plus quatre millions pour l'entretien des châteaux, le sénat, doté par M. Bonaparte d'un million, félicite M. Bonaparte d'avoir «sauvé la société», à peu près comme un personnage de comédie en félicite un autre d'avoir «sauvé la caisse».

Quant à moi, j'en suis encore à chercher, dans les glorifications que font de M. Bonaparte ses plus ardents apologistes, une louange qui ne conviendrait pas à Cartouche et à Poulailler après un bon coup; et je rougis quelquefois, pour la langue française et pour le nom de Napoléon, des termes vraiment un peu crus et trop peu gazés et trop appropriés aux faits, dans lesquels la magistrature et le clergé félicitent cet homme pour avoir volé le pouvoir avec effraction de la constitution et s'être nuitamment évadé de son serment.

Après que toutes les effractions et tous les vols dont se compose le succès de sa politique ont été accomplis, il a repris son vrai nom; chacun alors a reconnu que cet homme était un monseigneur. C'est M. Fortoul8, disons-le en son honneur, qui s'en est aperçu le premier.

Quand on mesure l'homme et qu'on le trouve si petit, et qu'ensuite on mesure le succès et qu'on le trouve si énorme, il est impossible que l'esprit n'éprouve pas quelque surprise. On se demande: comment a-t-il fait? On décompose l'aventure et l'aventurier, et, en laissant à part le parti qu'il tire de son nom et certains faits extérieurs dont il s'est aidé dans son escalade, on ne trouve au fond de l'homme et de son procédé que deux choses, la ruse et l'argent.

La ruse; nous avons caractérisé déjà ce grand côté de Louis Bonaparte, mais il est utile d'y insister.

Le 27 novembre 1848, il disait à ses concitoyens dans son manifeste:

«Je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes. Il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque entre vous et moi. Je ne suis pas un ambitieux… Élevé dans les pays libres, à l'école du malheur, je resterai toujours fidèle aux devoirs que m'imposeront vos suffrages et les volontés de l'assemblée.

«Je mettrai mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli.»

Le 31 décembre 1849, dans son premier message à l'assemblée, il écrivait: «Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée.» Le 12 novembre 1850, dans son second message annuel à l'assemblée, il disait: «Si la constitution renferme des vices et des dangers, vous êtes libres de les faire ressortir aux yeux du pays; moi seul, lié par mon serment, je me renferme dans les strictes limites qu'elle a tracées.» Le 4 septembre de la même année, à Caen, il disait: «Lorsque partout la prospérité semble renaître, il serait bien coupable, celui qui tenterait d'en arrêter l'essor par le changement de ce qui existe aujourd'hui.» Quelque temps auparavant, le 22 juillet 1849, lors de l'inauguration du chemin de fer de Saint-Quentin, il était allé à Ham, il s'était frappé la poitrine devant les souvenirs de Boulogne, et il avait prononcé ces paroles solennelles:

«Aujourd'hui qu'élu par la France entière je suis devenu le chef légitime de cette grande nation, je ne saurais me glorifier d'une captivité qui avait pour cause l'attaque contre un gouvernement régulier.

«Quand on a vu combien les révolutions les plus justes entraînent de maux après elles, on comprend à peine l'audace d'avoir voulu assumer sur soi la terrible responsabilité d'un changement; je ne me plains donc pas d'avoir expié ici, par un emprisonnement de six années, ma témérité contre les lois de ma patrie, et c'est avec bonheur que, dans ces lieux mêmes où j'ai souffert, je vous propose un toast en l'honneur des hommes qui sont déterminés, malgré leurs convictions, à respecter les institutions de leur pays.9»

Tout en disant cela, il conservait au fond de son coeur, et il l'a prouvé depuis à sa façon, cette pensée écrite par lui dans cette même prison de Ham: «Rarement les grandes entreprises réussissent du premier coup.»

Vers la mi-novembre 1851, le représentant F… élyséen, dînait chez M.

Bonaparte:

– Que dit-on dans Paris et à l'assemblée? demanda le président au représentant.

– Hé, prince!

– Eh bien?

– On parle toujours…

– De quoi?

– Du coup d'état.

– Et l'assemblée, y croit-elle?

– Un peu, prince.

– Et vous?

– Moi, pas du tout.

Louis Bonaparte prit vivement les deux mains de M. F… et lui dit avec attendrissement:

– Je vous remercie, monsieur F…; vous, du moins vous ne me croyez pas un coquin!

Ceci se passait quinze jours avant le 2 décembre.

À cette époque, et dans ce moment-là même, de l'aveu du complice Maupas, on préparait Mazas.

L'argent; c'est là l'autre force de M. Bonaparte.

Parlons des faits prouvés juridiquement par les procès de Strasbourg et de Boulogne.

À Strasbourg, le 30 octobre 1836, le colonel Vaudrey, complice de M. Bonaparte, charge les maréchaux des logis du 4e régiment d'artillerie de «partager entre les canonniers de chaque batterie deux pièces d'or».

Le 5 août 1840, dans le paquebot, nolisé par lui, la Ville d'Edimbourg, en mer, M. Bonaparte appelle autour de lui les soixante pauvres diables, ses domestiques, qu'il avait trompés en leur faisant accroire qu'il allait à Hambourg en excursion de plaisir; il les harangue du haut d'une de ses voitures accrochées sur le pont, leur déclare son projet, leur jette leurs déguisements de soldats, et leur donne à chacun cent francs par tête; puis il les fait boire. Un peu de crapule ne gâte pas les grandes entreprises. – «J'ai vu, a dit devant la cour des pairs le témoin Hobbs10, garçon de barre, j'ai vu dans la chambre beaucoup d'argent. Les passagers me paraissaient lire des imprimés… Les passagers ont passé toute la nuit à boire et à manger. Je ne faisais rien autre chose que de déboucher des bouteilles et servir à manger.» Après le garçon de barre, voici le capitaine. Le juge d'instruction demande au capitaine Crow: – «Avez-vous vu les passagers boire?» – Crow: «Avec excès; je n'ai jamais vu semblable chose11.» On débarque, on rencontre le poste de douaniers de Wimereux. M. Louis Bonaparte débute par offrir au lieutenant de douaniers une pension de douze cents francs. Le juge d'instruction: – «N'avez-vous pas offert au commandant du poste une somme d'argent s'il voulait marcher avec vous? – Le prince: «Je la lui ai fait offrir, mais il l'a refusée12

On arrive à Boulogne. Ses aides de camp – il en avait dès lors – portaient suspendus à leur cou des rouleaux de fer-blanc pleins de pièces d'or. D'autres suivaient avec des sacs de monnaie à la main13. On jette de l'argent aux pêcheurs et aux paysans en les invitant à crier: vive l'empereur! «Il suffit de trois cents gueulards», avait dit un des conjurés14.

Louis Bonaparte aborde le 42e, caserné à Boulogne. Il dit au voltigeur Georges Koehly: Je suis Napoléon; vous aurez des grades et des décorations. Il dit au voltigeur Antoine Gendre: Je suis le fils de Napoléon; nous allons à l'hôtel du Nord commander un dîner pour moi et pour vous. Il dit au voltigeur Jean Meyer: Vous serez bien payés; il dit au voltigeur Joseph Mény: Vous viendrez à Paris, vous serez bien payé15.

Un officier à côté de lui tenait à la main son chapeau plein de pièces de cinq francs qu'il distribuait aux curieux, en disant: Criez: vive l'empereur!16

Le grenadier Geoffroy, dans sa déposition, caractérise en ces termes la tentative faite sur sa chambrée par un officier et par un sergent, du complot: «Le sergent portait une bouteille, et l'officier avait le sabre à la main.» Ces deux lignes, c'est tout le 2 décembre.

Poursuivons.

«Le lendemain, 17 juin, le commandant Mésonan, que je croyais parti, entre dans mon cabinet, annoncé toujours par mon aide de camp. Je lui dis: Commandant, je vous croyais parti. – Non, mon général, je ne suis pas parti. J'ai une lettre à vous remettre. – Une lettre! et de qui? – Lisez, mon général.

«Je le fais asseoir; je prends la lettre; mais, au moment de l'ouvrir, je m'aperçus que la suscription portait: À M. le commandant Mésonan. Je lui dis:

«Mais, mon cher commandant, c'est pour vous, ce n'est pas pour moi. – Lisez, mon général! – J'ouvre la lettre et je lis:

« – Mon cher commandant, il est de la plus grande nécessité que vous voyiez de suite le général en question; vous savez que c'est un homme d'exécution et sur qui on peut compter. Vous savez aussi que c'est un homme que j'ai noté pour être un jour maréchal de France. Vous lui offrirez 100,000 francs de ma part, et vous lui demanderez chez quel banquier ou chez quel notaire il veut que je lui fasse compter 300,000 francs, dans le cas où il perdrait son commandement.»

«Je m'arrêtai, l'indignation me gagnant; je tournai le feuillet, et je vis que la lettre était signée: Louis-Napoléon…

…«Je remis cette lettre au commandant, en lui disant que c'était un parti ridicule et perdu.»

Qui parle ainsi? le général Magnan. Où? en pleine cour des pairs. Devant qui? Quel est l'homme assis sur la sellette, l'homme que Magnan couvre de «ridicule», l'homme vers lequel Magnan tourne sa face «indignée»? Louis Bonaparte.

L'argent, et avec l'argent l'orgie, ce fut là son moyen d'action dans ses trois entreprises, à Strasbourg, à Boulogne, à Paris. Deux avortements, un succès. Magnan, qui se refusa à Boulogne, se vendit à Paris. Si Louis Bonaparte avait été vaincu le 2 décembre, de même qu'on a trouvé sur lui, à Boulogne, les cinq cent mille francs de Londres, on aurait trouvé à l'Élysée les vingt-cinq millions de la Banque.

Il y a donc eu en France, il faut en venir à parler froidement de ces choses, en France, dans ce pays de l'épée, dans ce pays des chevaliers, dans ce pays de Hoche, de Drouot et de Bayard, il y a eu un jour où un homme, entouré de cinq ou six grecs politiques, experts en guet-apens et maquignons de coups d'état, accoudé dans un cabinet doré, les pieds sur les chenets, le cigare à la bouche, a tarifé l'honneur militaire, l'a pesé dans un trébuchet comme denrée, comme chose vendable et achetable, a estimé le général un million et le soldat un louis, et a dit de la conscience de l'armée française: cela vaut tant.

Et cet homme est le neveu de l'empereur.

Du reste, ce neveu n'est pas superbe; il sait s'accommoder aux nécessités de ses aventures, et il prend facilement et sans révolte le pli quelconque de la destinée. Mettez-le à Londres, et, qu'il ait intérêt à complaire au gouvernement anglais, il n'hésitera point, et, de cette même main qui veut saisir le sceptre de Charlemagne, il empoignera le bâton du policeman. Si je n'étais Napoléon, je voudrais être Vidocq.

Et maintenant la pensée s'arrête.

Et voilà par quel homme la France est gouvernée! Que dis-je, gouvernée? possédée souverainement!

Et chaque jour, et tous les matins, par ses décrets, par ses messages, par ses harangues, par toutes les fatuités inouïes qu'il étale dans le Moniteur, cet émigré, qui ne connaît pas la France, fait la leçon à la France! et ce faquin dit à la France qu'il l'a sauvée! Et de qui? d'elle-même! Avant lui la providence ne faisait que des sottises; le bon Dieu l'a attendu pour tout remettre en ordre; enfin il est venu! Depuis trente-six ans il y avait en France toutes sortes de choses pernicieuses: cette «sonorité», la tribune; ce vacarme, la presse; cette insolence, la pensée; cet abus criant, la liberté; il est venu, lui, et à la place de la tribune il a mis le sénat; à la place de la presse, la censure; à la place de la pensée, l'ineptie; à la place de la liberté, le sabre; et de par le sabre, la censure, l'ineptie et le sénat, la France est sauvée! Sauvée, bravo! et de qui, je le répète? d'elle-même; car, qu'était-ce que la France, s'il vous plaît? c'était une peuplade de pillards, de voleurs, de Jacques, d'assassins et de démagogues. Il a fallu la lier, cette forcenée, cette France, et c'est M. Bonaparte Louis qui lui a mis les poucettes. Maintenant elle est au cachot, à la diète, au pain et à l'eau, punie, humiliée, garrottée, sous bonne garde; soyez tranquilles, le sieur Bonaparte, gendarme à la résidence de l'Élysée, en répond à l'Europe; il en fait son affaire; cette misérable France a la camisole de force, et si elle bouge!.. – Ah! qu'est-ce que c'est que ce spectacle-là? qu'est-ce que c'est que ce rêve-là? qu'est-ce que c'est que ce cauchemar-là? d'un côté une nation, la première des nations, et de l'autre un homme, le dernier des hommes, et voilà ce que cet homme fait à cette nation! Quoi! il la foule aux pieds, il lui rit au nez, il la raille, il la brave, il la nie, il l'insulte, il la bafoue! Quoi! il dit: il n'y a que moi! Quoi! dans ce pays de France où l'on ne pourrait pas souffleter un homme, on peut souffleter le peuple! Ah! quelle abominable honte! chaque fois que M. Bonaparte crache, il faut que tous les visages s'essuient! Et cela pourrait durer! et vous me dites que cela durera! non! non! par tout le sang que nous avons tous dans les veines, non! cela ne durera pas! Ah! si cela durait, c'est qu'en effet il n'y aurait pas de Dieu dans le ciel, ou qu'il n'y aurait plus de France sur la terre!

4.Lettre lue à la cour d'assises par l'avocat Parquin qui, après l'avoir lue, s'écria: «Parmi les nombreux défauts de Louis-Napoléon, il ne faut pas du moins compter l'ingratitude.»
5.Cour des pairs. Attentat du 6 août 1840, page 140; témoin, Geoffroy, grenadier.
6.Le capitaine Col-Puygellier, qui lui avait dit: Vous êtes un conspirateur et un traître.
7.Cour des pairs. Témoin Adam, maire de Boulogne.
8.Le premier rapport adressé à M. Bonaparte, et où M. Bonaparte est qualifié Monseigneur, est signé FORTOUL.
9.Fragments historiques.
10.Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 94.
11.Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 75; voir aussi 81, 88 à 94.
12.Cour des pairs. Interrogatoire des inculpés, p. 13.
13.Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 103, 185.
14.«Le président:
  – Prévenu Querelles, ces enfants qui criaient ne sont-ils pas ces trois cents gueulards que vous demandiez dans une lettre?»
  (Procès de Strasbourg.)
15.Cour des pairs. Dépositions des témoins, p. 143, 155,156 et 158.
16.Cour des pairs. Dépositions des témoins, témoin Febvre, voltigeur, p. 142.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 ноября 2017
Объем:
270 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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