Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Ivanhoe. 2. Le retour du croisé», страница 9

Шрифт:

«Ne t'y fies pas, Isaac, lui répondit Front-de-Boeuf, cette erreur te serait fatale. Penses-tu que moi, qui ai vu le sac d'une ville, où des milliers de chrétiens périrent par le glaive, l'onde et la flamme, je renoncerai à mon dessein, quand tu feras ouïr tes cris et tes gémissemens? ou bien crois-tu que ces esclaves basanés, qui n'ont ni pays, ni lois, ni conscience, que la seule volonté de leur maître, qui, à son moindre signe, emploient indifféremment le poison ou le poteau, le poignard ou la corde, crois-tu qu'ils puissent avoir de la compassion, eux qui n'entendent pas la langue dans laquelle tu l'invoquerais? Sois sage, vieillard! débarrasse-toi d'une partie de tes richesses superflues, verse dans les mains d'un chrétien une portion de ce que tu as acquis par l'usure. Ta bourse pourra bientôt s'enfler de nouveau; mais si tu te laisses une fois étendre sur ces barres, aucun remède ne ressuscitera ta peau brûlée et son cuir lacéré. Paie ta rançon, te dis-je, et, réjouis-toi de sortir à ce prix d'un cachot dont bien peu de gens ont pu redire les secrets. Je ne te dirai plus rien; choisis entre ton vil pécule et ta chienne de peau.» – «Qu'Abraham et tous les saints patriarches de ma nation me soient en aide! s'écria le juif: le choix m'est impossible; car je n'ai pas de quoi satisfaire à une demande aussi exorbitante.» – «Esclaves, saisissez-le, et mettez-le nu comme la main, dit Front-de-Boeuf; qu'alors ses patriarches viennent le secourir s'ils le peuvent.»

Les deux esclaves, prenant leur direction beaucoup plus d'après le geste et le regard du baron que d'après ses paroles, se jetèrent sur le juif, le saisirent, le renversèrent par terre, le reprirent de nouveau, le relevèrent ensuite, et, le tenant debout entre eux, n'attendaient plus que le dernier signal de l'impitoyable baron pour commencer le supplice. L'Israélite infortuné suivait des yeux avec inquiétude à la fois leur contenance et celle de Front-de-Boeuf, dans l'espoir de découvrir sur eux quelques symptômes de compassion; mais le baron avait toujours le regard sombre et farouche, et sur les lèvres un sourire sardonique, comme prélude de sa cruauté, pendant que les yeux sauvages des Sarrasins, roulant sous leurs épais sourcils avec une expression de plus en plus sinistre, annonçaient la féroce impatience de rôtir la victime. Celle-ci, à l'aspect de la fournaise ardente sur laquelle on allait l'étendre, perdant tout espoir de fléchir le tyran, sentit ses forces l'abandonner.

«Je paierai, dit-il, les dix mille livres d'argent; c'est-à-dire, ajouta-t-il après une légère pause, je les paierai avec l'aide de mes frères; car il faudra que je mendie à la porte de notre synagogue avant que de pouvoir me procurer une somme aussi effrayante. Quand et où me faudra-t-il la verser?» – «Ici même, répondit Front-de-Boeuf; c'est dans ce cachot même qu'elle doit être comptée et pesée. Penses-tu que je te rendrai ta liberté avant que d'avoir reçu ta rançon?»

«Et quelle doit-être ma sûreté, dit le juif après que j'aurai payé ma rançon?» – «La parole d'un noble normand, misérable usurier, répondit Front-de-Boeuf; elle est mille fois plus pure que l'or de ta tribu.» – «Je vous demande pardon, noble milord, dit le juif du ton le plus humble; mais pourquoi me fierais-je entièrement à la foi d'un homme qui ne veut point de la mienne?» – «Parce que tu ne peux faire autrement, exécrable vermisseau, dit le chevalier d'une voix de tonnerre. Si tu étais maintenant auprès de ton coffre-fort, dans ta maison d'York, et que je vinsse te conjurer de me prêter quelques uns de tes shekels, ce serait ton tour alors de me dicter des conditions, de me prescrire le terme du paiement et les sécurités qu'il te plairait d'exiger de moi. Je suis ici maintenant comme sur mon coffre-fort; j'ai l'avantage sur toi, et je ne daignerai pas même te répéter mes conditions.»

Le juif, poussant un profond soupir: «Accordez-moi au moins, avec ma liberté, celle de mes compagnons de voyage. Ils me méprisaient comme juif, cependant ils ont eu pitié de moi, et c'est parce qu'ils m'ont aidé dans la route qu'une partie de ma disgrâce est retombée sur eux; d'ailleurs, ils pourront contribuer de quelque chose au paiement de ma rançon.»

«S'il est question dans ta demande de ces rustauds de Saxons, leur rançon dépendra d'autres conditions que des tiennes. Mêle-toi seulement de tes affaires, misérable, et non de celles des autres.» – «Je ne serai donc élargi qu'avec le jeune homme blessé que j'ai recueilli.» – «Je le répète, vil usurier, dit Front-de-Boeuf, ne songe qu'à tes affaires. Puisque tu as choisi, il ne te reste plus qu'à payer ta rançon, et dans le plus court délai.»

«Écoutez-moi pourtant, dit le juif, au nom de l'or que vous voulez obtenir aux dépens de…» Ici, le juif s'arrêta court, dans la crainte d'irriter le sauvage Normand; mais Front-de-Boeuf ne fit qu'en rire, et achevant la phrase interrompue: «Aux dépens de ma conscience, veux-tu dire, misérable créature; explique-toi librement: je te répète que je suis raisonnable. Je puis supporter les reproches du perdant, fût-il même un juif. Tu ne fus pas aussi patient, lorsque tu attaquas en justice Jacques Fitz-Dotterel pour t'avoir appelé une sangsue, un usurier abominable, après que tes nombreuses exactions eurent dévoré son patrimoine.» – «Je jure par le Talmud, répondit le juif, que votre valeur a été mal informée sur ce sujet. Fitz-Dotterel tira son poignard contre moi dans ma propre maison, parce que je réclamais de lui ce qu'il me devait légitimement; le terme du paiement était fixé à Pâques.»

«Mais je m'inquiète fort peu de cela, dit Front-de-Boeuf, il s'agit de savoir quand j'aurai mon argent; dis-moi, Isaac, quand me donneras-tu les shekels?» – «Il n'y a qu'à envoyer ma fille à York, avec votre sauf-conduit, noble chevalier, répondit le juif, et aussi vite qu'un cheval et qu'un homme peuvent aller et venir, l'argent…» Il s'interrompit pour laisser échapper un profond soupir, «L'argent vous sera versé ici même.» – «Ta fille! s'écria Front-de-Boeuf d'un air de surprise, par le ciel, Isaac, je regrette de ne l'avoir pas su plus tôt. Je croyais que cette fille aux yeux noirs avait été ta concubine, et je l'ai donnée pour femme de chambre au templier Brian de Bois-Guilbert, suivant l'usage des patriarches et des héros de l'âge d'or, qui sur ce point nous donnent un excellent exemple.»

Le cri d'horreur qu'Isaac poussa en apprenant cette nouvelle fut si violent, que les voûtes du caveau en tremblèrent, et les Sarrasins en furent tellement surpris, qu'ils laissèrent un moment le juif en liberté; il en profita pour se jeter aux pieds de Front-de-Boeuf, et embrasser ses genoux.

«Prenez tout ce que vous m'avez demandé, noble chevalier; exigez dix fois davantage, réduisez-moi à la mendicité, percez-moi de votre lance, grillez-moi sur la braise, mais épargnez ma fille et sauvez son honneur; si vous êtes né d'une femme, sauvez une vierge sans défense; elle est l'image de ma défunte Rachel, le dernier des six gages que j'ai reçus de son amour. Voulez-vous priver un vieillard de la seule consolation qui lui reste? Voulez-vous réduire un père à désirer que son seul enfant rejoigne sa mère dans le tombeau de ses ancêtres?»

«Je voudrais avoir su cela plus tôt, dit le Normand; je croyais que votre race n'aimait que son argent.» – «Ne pensez pas si mal de nous, dit Isaac, jaloux de saisir le moment d'une apparente sympathie; le renard que l'on chasse, le chat sauvage que l'on torture, aiment leurs petits, et la race méprisée et persécutée du grand Abraham aime ses enfans.» – «Soit, dit Front-de-Boeuf, je le croirai à l'avenir, à cause de toi, Isaac; mais cela ne nous sert à rien présentement. Ce qui est fait est fait; je ne puis pas éviter que ce qui est arrivé n'ait pas eu lieu. J'ai donné ma parole à mon compagnon d'armes, et je ne la violerai pas pour dix juifs et dix juives par dessus le marché. D'ailleurs, quel grand mal pour ta fille de devenir la proie de Bois-Guilbert?» – «Quel mal! s'écria le juif en se tordant les mains; depuis quand les templiers ont-ils respiré autre chose que cruautés envers les hommes et déshonneur envers les femmes!»

«Chien d'infidèle, dit Front-de-Boeuf avec des yeux étincelans de colère, et intérieurement bien aise de saisir un prétexte pour s'abandonner lui-même à cette passion, «ne blasphème pas le saint ordre du temple de Sion; songe plutôt à me payer la rançon que tu as promise, ou gare ta gorge de juif.»

«Voleur! scélérat! s'écria le juif à Front-de-Boeuf, en rétorquant ses injures, dans une indignation qu'il lui devenait impossible de réprimer, je ne te paierai rien, pas même une obole46, à moins que ma fille ne me soit rendue.» – «As-tu perdu le sens, misérable juif, dit le Normand courroucé, ta chair et ton sang ont-ils un talisman contre le fer rouge et l'huile bouillante?» – «Peu m'importe, dit Isaac poussé au désespoir et blessé au dernier point dans ses affections paternelles; fais tout ce que tu voudras, ma fille est ma chair et mon sang; elle m'est plus précieuse mille fois que les membres sur lesquels ta rage veut s'exercer: je ne te donnerai aucun argent, à moins que je ne le fonde dans ton avare gosier; je ne te donnerai pas un denier, fut-ce même pour te sauver de l'éternelle damnation, que toute ta vie a méritée. Arrache-moi l'âme, si tu veux, Nazaréen; fais inventer de nouvelles tortures pour un juif, et va dire aux chrétiens que j'ai su les braver.»

«Nous allons voir cela, dit Front-de-Boeuf; car, par le saint sacrement47, qui est en abomination dans ta tribu maudite, tu éprouveras les dernières douleurs de la flamme et du fer; qu'on le saisisse, dit-il aux esclaves, qu'on le dépouille et qu'on l'enchaîne sur ces barreaux.»

En dépit des faibles efforts du juif, les Sarrasins l'avaient déjà dépouillé de son manteau, et ils allaient lui ôter ses derniers vêtemens, lorsque le son d'un cor de chasse se fit entendre deux fois hors du château, et pénétra jusqu'au fond du caveau, et immédiatement après des voix appelèrent Front-de-Boeuf. Celui-ci ne voulant pas être surpris dans cet acte infernal, fit signe aux esclaves de le suivre, après avoir rendu son manteau à Isaac; et, quittant le cachot avec ses esclaves, il laissa le juif remercier Dieu du répit qu'il lui donnait, ou se plaindre de la captivité et de l'avanie de sa fille, suivant que ses affections pouvaient le dominer.

CHAPITRE XXIII

«Eh bien! si la douceur de mes paroles ne peut vous émouvoir et vous engager à être plus tendre à mon égard, je vous ferai la cour en soldat, qui use de toute la vigueur de son bras; et sans les charmes de l'amour je vous aimerai malgré vous.»

SHAKSPEARE. Les deux Gentilshommes de Vérone.

L'appartement dans lequel lady Rowena avait été introduite, faisait voir dans son arrangement des essais grossiers de décorations et de magnificence, et on aurait pu penser qu'en lui destinant cette partie du château, on avait voulu lui donner une preuve de respect que l'on ne témoignait point aux autres prisonniers. Mais l'épouse de Front-de-Boeuf, pour qui cet appartement avait été disposé dans le principe, était morte depuis plusieurs années, en sorte que le temps et le défaut de soin avaient contribué à dégrader le peu d'ornemens dont le goût de l'époque essaya de l'embellir. La tapisserie pendait en lambeaux à divers endroits de la muraille, tandis qu'ailleurs elle était ternie et décolorée par les rayons du soleil, ou bien déchirée et détériorée par le temps. Tout ravagé qu'il était, cet appartement avait été regardé comme celui de tous ceux du château qui fût le plus propre à recevoir l'héritière saxonne; et ce fut là qu'on la laissa méditer sur son sort, jusqu'à ce que les acteurs de ce drame épouvantable se fussent distribué les divers rôles qu'ils devaient jouer. Tout cela avait été décidé en conseil tenu entre Front-de-Boeuf, de Bracy et le templier, et où, à la suite d'une vive et longue discussion sur les divers avantages que chacun prétendait retirer de la part qu'il prenait dans cette entreprise audacieuse, ils avaient enfin prononcé sur le sort de leurs malheureux prisonniers.

Il était près de midi lorsque de Bracy, au profit de qui l'expédition avait d'abord été concertée, se présenta pour donner suite à ses projets sur la main et les terres de lady Rowena.

L'intervalle n'avait pas été entièrement consacré à tenir conseil avec ses confédérés, car de Bracy avait trouvé le temps de parer sa personne avec toute la fatuité de l'époque. Il avait quitté son pourpoint vert et son masque. Sa longue et abondante chevelure avait été divisée en tresses fantastiques, lesquelles flottaient le long de son manteau garni de riches fourrures. Sa barbe était complétement rasée; son nouveau pourpoint descendait jusqu'au milieu de sa jambe, et la ceinture qui l'entourait, et qui en même temps soutenait sa pesante épée, était enrichie de diverses broderies et ornemens relevés en bosse. Nous avons déjà parlé de la mode bizarre qui régnait alors pour les souliers façonnés en pointe; les pointes de ceux de de Bracy auraient pu rivaliser pour l'extravagance avec toutes celles que l'on pouvait voir aux pieds des petits-maîtres les plus achevés, étant allongées et contournées comme les cornes d'un bélier. Tel était à cette époque le costume d'un homme à bonnes fortunes, et dans de Bracy, l'effet que produisait cet ajustement était rehaussé par un extérieur agréable et par des manières qui annonçaient également la grâce du courtisan et la franchise du guerrier.

Il salua lady Rowena en ôtant sa toque de velours garni d'une broderie en or, représentant l'archange Michel foulant à ses pieds le génie du mal. Il fit un geste pour inviter la dame à prendre un siége, et voyant qu'elle continuait à rester debout, il ôta son gant et lui offrit la main pour l'y conduire. Mais faisant un geste expressif de refus: «Sire chevalier, dit-elle, si je suis en présence de mon geôlier, et ce qui se passe autour de moi ne me permet pas de penser autrement, il est plus convenable que sa prisonnière se tienne debout devant lui, jusqu'à ce qu'elle soit instruite de son sort.»

«Hélas! belle Rowena, répondit de Bracy, vous êtes devant votre captif, non devant votre geôlier, et c'est de vos beaux yeux que de Bracy doit recevoir l'arrêt que vous attendez inutilement de lui.»

«Je ne vous connais point, sire chevalier, dit lady Rowena avec ce sentiment d'indignation qu'inspirait un outrage fait au rang et à la beauté, je ne vous connais point; j'ignore qui vous êtes, et l'insolente familiarité avec laquelle vous m'adressez le jargon d'un troubadour ne saurait servir d'excuse à la violence d'un brigand.» – «C'est à toi, charmante fille, répondit de Bracy, continuant sur le même ton, c'est à toi et à tes charmes qu'il faut attribuer tout ce que j'ai fait de contraire au respect dû à celle que j'ai choisie pour la souveraine de mon coeur, et à l'étoile directrice de mes yeux.»

«Je vous répète, sire chevalier, dit lady Rowena, que je ne vous connais point, et que pas un homme portant chaîne et éperon ne doit se présenter ainsi devant une dame sans protection.»

«Que vous ne me connaissiez point, dit de Bracy, c'est assurément un malheur pour moi; cependant permettez-moi de me flatter que le nom de de Bracy n'a pas toujours été ignoré, puisque des ménestrels et des hérauts ont proclamé ses hauts faits de chevalerie, dans les tournois comme sur les champs de bataille.» – «Laisse donc, dit lady Rowena, aux ménestrels et aux hérauts le soin de célébrer tes louanges; elles seront mieux placées dans leur bouche que dans la tienne. Mais, dis-moi, quel est celui d'entre eux qui consignera dans ses chants, ou dans les archives des tournois, la victoire mémorable de cette nuit, victoire remportée sur un vieillard, suivi de quelques serfs timides, et qui vous a donné pour butin une fille infortunée, transportée contre son gré dans le château d'un brigand?»

«Vous êtes injuste, dit de Bracy en se mordant les lèvres d'un air de confusion et en prenant un ton qui lui était plus naturel que celui d'une galanterie affectée qu'il avait adopté, c'est parce que vous êtes exempte de passions que vous ne voulez admettre aucune excuse pour la violence d'un autre amour, bien qu'il ait été causé par vos charmes.»

«Je vous prie, sire chevalier, dit lady Rowena, de discontinuer un langage si commun dans la bouche des ménestrels vagabonds qu'il est devenu tout-à-fait inconvenant dans celle d'un noble chevalier. Certes, vous me contraignez à m'asseoir, puisque vous faites usage de ces lieux communs dont chaque misérable chanteur de ballades a un recueil capable de durer d'ici à Noël.» – «Ton orgueil, dit de Bracy piqué de voir que son style galant ne lui valait que du mépris, ton orgueil aura à lutter contre un orgueil qui n'est pas moins grand que le tien. Sache donc que j'ai soutenu mes prétentions à ta main de la manière qui convenait le mieux à mon caractère; il paraît, d'après le tien, qu'il faut t'adorer l'arc sur l'épaule et la lance au poing, plutôt qu'avec des phrases mesurées et un langage de cour.»

«La courtoisie du langage, dit lady Rowena, lorsqu'elle ne sert qu'à voiler la bassesse des actions, est comme la ceinture d'un chevalier autour du corps d'un vil paysan. Je ne suis pas surprise que cette contrainte paraisse te piquer; il aurait été plus honorable pour toi d'avoir conservé le costume et le langage d'un proscrit, que de dévoiler les actions d'un fugitif sous l'affectation de manières polies et d'un langage courtois.»

«C'est un excellent conseil que tu me donnes, lady, répliqua de Bracy, et avec une hardiesse de discours qui suit ordinairement la hardiesse des actions, je te dis que tu ne sortiras jamais de ce château qu'en qualité d'épouse de Maurice de Bracy. Je ne suis pas accoutumé à échouer dans mes entreprises, et un noble normand n'a pas besoin de justifier scrupuleusement sa conduite envers une fille saxonne, qu'il honore par l'offre de sa main. Tu es fière, Rowena, et tu n'en es que plus digne d'être ma femme. Par quel autre moyen pourrais-tu être élevée à un rang distingué et aux honneurs qui y sont attachés, que par mon alliance? Par quel autre moyen pourrais-tu sortir de l'enceinte d'une vile grange de campagne, dans laquelle les Saxons habitent avec les pourceaux, qui forment toute leur richesse, pour prendre place, honorée, comme tu le serais, parmi tout ce que l'Angleterre a de plus distingué par la beauté et de respectable par la puissance?» – «Sire chevalier, répliqua Rowena, la grange que vous méprisez a été ma demeure depuis mon enfance, et soyez bien sûr que lorsque je la quitterai, si jamais je la quitte, ce sera avec quelqu'un qui ne méprisera pas l'habitation et les moeurs dans lesquelles j'ai été élevée.»

«Je vous entends, lady, dit de Bracy, quoique vous pensiez peut-être que vos expressions sont trop obscures pour mon intelligence. Mais ne vous flattez pas de l'espoir que Richard Coeur-de-Lion remonte jamais sur son trône, et encore moins que Wilfrid d'Ivanhoe, son favori, vous conduise jamais à ses pieds, pour être accueillie comme l'épouse de son intime. Tout autre prétendant pourrait éprouver de la jalousie en touchant cette corde; ma ferme résolution ne saurait être changée par une passion sans espoir, et qui n'est qu'un enfantillage. Sachez, lady, que ce rival est en mon pouvoir, et qu'il ne tient qu'à moi de découvrir le secret de sa présence dans le château de Front-de-Boeuf, dont la jalousie serait plus funeste que la mienne.» – «Wilfrid ici? dit Rowena avec dédain; cela est aussi vrai qu'il l'est que Front-de-Boeuf est son rival.»

De Bracy fixa un instant ses regards sur elle. «Ignoriez-vous réellement cela? dit-il. Ne saviez-vous pas qu'il voyageait dans la litière du juif? voiture très convenable en vérité pour un croisé dont le bras vaillant devait reconquérir le saint Sépulcre!» et il se mit à rire d'un air de mépris.

«Et s'il est ici, dit Rowena s'efforçant de prendre un ton d'indifférence, sans toutefois pouvoir s'empêcher de trembler de frayeur, en quoi est-il le rival de Front-de-Boeuf? ou qu'a-t-il à craindre, si ce n'est un emprisonnement de peu de durée et le paiement d'une rançon honorable, suivant les formes de la chevalerie?»

«Es-tu donc, Rowena, dit de Bracy, es-tu donc aussi abusée par l'erreur commune à tout ton sexe, qui pense qu'il ne peut exister d'autre rivalité que celle qui a ses charmes pour objet? Ne sais-tu donc pas qu'il y a une jalousie d'ambition et de richesse aussi bien que d'amour? Notre hôte, Front-de-Boeuf, poussera hors de son chemin celui qui met obstacle à ses prétentions, à la superbe baronnie d'Ivanhoe, avec autant d'empressement et d'ardeur, et avec aussi peu de scrupule que s'il était son rival préféré auprès de la plus belle lady, aux yeux bleus. Mais daigne sourire à mon amour, lady Rowena; et le champion blessé n'aura rien à craindre de Front-de-Boeuf; sans quoi, tu peux le pleurer dès à présent, comme étant entre les mains d'un homme qui n'a jamais éprouvé le moindre sentiment de compassion.» – «Sauvez-le, pour l'amour du ciel!» s'écria Rowena, dont la fermeté céda aux terreurs qu'elle ressentait pour le danger de son amant.

«Je le puis; je le veux; c'est mon intention, dit de Bracy; car lorsque lady Rowena consentira à être l'épouse de de Bracy, qui osera porter la main sur son parent, sur le fils de son tuteur, sur le compagnon de sa jeunesse? Mais c'est son amour qui doit acheter ma protection. Je ne suis pas assez fou ni assez romanesque pour contribuer au bonheur, ou empêcher le malheur de l'homme le plus propre à devenir un puissant obstacle à l'accomplissement de mes désirs. Emploie à son égard l'influence que tu as sur moi, et il n'a rien à craindre. Refuse de faire usage de ce moyen, et Ivanhoe périt sans que tu sois plus près d'obtenir ta liberté.» – «Il y a dans ton langage, répondit Rowena, un mélange de dureté et d'indifférence qui ne s'accorde pas avec les horreurs qu'il semble exprimer. Je ne crois pas que ton dessein soit si méchant, ou que ton pouvoir soit aussi grand.»

«Ne te flatte pas de cette idée, répliqua de Bracy, jusqu'à ce que le temps fasse voir si elle est fondée ou non. Ton amant blessé est dans ce château; ton amant préféré. C'est un obstacle entre Front-de-Boeuf et ce que Front-de-Boeuf aime plus que l'ambition ou la beauté. Que lui en coûtera-t-il de plus qu'un coup de poignard ou de javeline pour se débarrasser à jamais de cet obstacle? Que dis-je! En supposant que Front-de-Boeuf craignît d'être obligé de justifier cet acte de violence, le médecin n'a qu'à lui donner une potion qu'il dira n'être pas celle qui lui était destinée, ou bien celui ou celle qui veille près de lui n'a qu'à retirer l'oreiller48 de dessous sa tête, et voilà Wilfrid, dans la position où il se trouve en ce moment, expédié pour l'autre monde, sans qu'il y ait une goutte de sang répandue. Cedric lui-même…» – «Cedric lui-même! répéta lady Rowena; mon noble, mon généreux tuteur! Ah! je mérite les maux qui me sont arrivés, pour avoir négligé de m'occuper de son sort, même en m'occupant de celui de son fils!» – «Le sort de Cedric dépend aussi de ta détermination, dit de Bracy, et je te laisse le soin d'en prendre une.»

Rowena, jusqu'ici avait soutenu cette lutte vive et prolongée avec un courage admirable; mais c'était parce qu'elle n'avait pas regardé le danger comme sérieux; son caractère était naturellement ce que les physionomistes attribuent aux teints blonds, c'est-à-dire doux, timide et sensible; mais l'éducation et les circonstances lui avaient pour ainsi dire donné une trempe plus forte. Accoutumée à voir céder à ses désirs la volonté de tous, même de Cedric, quoique assez impérieux avec les autres, elle avait acquis cette sorte de courage et de confiance en elle-même qui naît de la déférence habituelle et constante de ceux qui composent le cercle dans lequel nous vivons. Elle concevait à peine la possibilité d'une opposition à sa volonté, et bien moins encore celle de se voir traitée sans les moindres égards.

Sa hauteur, son air de domination, n'étaient qu'un caractère fictif, ajouté à celui qui lui était naturel, et qui l'abandonna dès que ses yeux furent ouverts sur son propre danger et sur celui de son amant et de son tuteur, et lorsqu'elle vit sa volonté, dont la plus légère expression commandait auparavant le respect, maintenant en opposition avec celle d'un homme fort, altier et résolu, qui avait l'avantage sur elle et qui était déterminé à s'en prévaloir.

Après avoir jeté les yeux autour d'elle, comme pour chercher des secours qu'elle ne pouvait trouver nulle part, et après quelques exclamations entrecoupées, elle leva les mains au ciel, fondit en larmes et se livra au plus violent désespoir. Il était impossible de voir une si belle personne réduite à une pareille extrémité sans s'intéresser en sa faveur, quoique néanmoins de Bracy fût plus embarrassé que touché. Dans le fait, il était trop avancé pour reculer, et néanmoins, dans l'état où il voyait lady Rowena, ni les raisonnemens, ni les menaces ne pouvaient faire impression sur elle. Il se promenait en long et en large dans l'appartement, tantôt engageant lady Rowena à se cacher, tantôt embarrassé sur la conduite qu'il devait suivre à son égard.

«Si je me laisse attendrir, disait-il en lui-même, par les larmes et la douleur de cette belle inconsolable, quel fruit recueillerai-je, si ce n'est la perte des brillantes espérances pour lesquelles j'ai couru tant de risques et essuyé tant de ridicules de la part du prince Jean et de mes camarades? Et cependant, se disait-il, je ne me sens nullement fait pour le rôle que je joue. Je ne puis voir de sang-froid ce beau visage défiguré par la douleur, ni ces beaux yeux inondés de larmes. Plût au ciel qu'elle eût conservé son caractère naturel de hauteur ou que j'eusse une plus grande portion de la triple dureté de coeur du chevalier Front-de-Boeuf.»

Agité par ces pensées, il ne put qu'engager l'infortunée Rowena à se calmer, et à l'assurer que, du moins pour le moment, elle n'avait pas de raison de se livrer à un aussi grand désespoir. Mais, au milieu des consolations qu'il lui donnait, il fut interrompu par le son rauque et perçant du cor de chasse qui avait en même temps alarmé les autres habitans du château, et arrêté l'exécution de leurs plans rapaces et cupides. De tous ces habitans, de Bracy fut peut-être celui qui regretta le moins cette interruption, car sa conférence avec lady Rowena était parvenue à un point où il trouvait aussi difficile de poursuivre son entreprise que d'y renoncer.

Ici nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'il est nécessaire que nous donnions au lecteur des preuves plus concluantes que les incidens d'un roman, de la vérité du tableau que nous venons de tracer. Il est pénible que ces vaillans barons, qui, par leur résistance aux prétentions de la couronne, assurèrent la liberté de l'Angleterre, aient été eux-mêmes des oppresseurs aussi terribles, et se soient rendus coupables d'excès aussi contraires non seulement aux lois de l'Angleterre, mais encore à celles de la nature et de l'humanité. Mais, hélas! nous n'avons qu'à extraire de l'ouvrage du laborieux Henry un des nombreux fragmens qu'il a recueillis dans les oeuvres des historiens de l'époque, dans l'objet de prouver que même la fiction présente à peine la triste réalité des horreurs de ces temps.

La description faite par l'auteur de la Chronique saxonne des cruautés exercées sous le règne du roi Étienne par les grands barons et les seigneurs de châteaux, qui étaient tous Normands, fournit une forte preuve des excès dont ils étaient capables lorsque leurs passions étaient enflammées. «Ils opprimaient horriblement le peuple, dit-il, en lui faisant construire des forteresses; et lorsqu'elles étaient construites ils les remplissaient d'hommes méchans qui s'emparaient des particuliers et des femmes de qui ils espéraient arracher une rançon, les jetaient dans des cachots, et leur infligeaient des tortures plus cruelles que jamais les martyrs n'en supportèrent. Ils étouffaient les uns dans la boue, ils suspendaient les autres par les pieds, ou par la tête, ou par les pouces, allumant du feu au dessous d'eux. À quelques uns ils serraient la tête avec des cordes pleines de noeuds, jusqu'à ce qu'elles pénétrassent dans la cervelle, tandis que d'autres étaient jetés dans des culs-de-basse-fosse remplis de serpens, de vipères et de crapauds.» Mais il y aurait trop de cruauté à vouloir forcer le lecteur à parcourir jusqu'à la fin une pareille description.

Comme une autre preuve, et peut-être la plus forte que nous puissions donner de ces fruits amers de la conquête, nous pouvons faire remarquer que l'impératrice Mathilde, quoique fille du roi d'Écosse, et ensuite reine d'Angleterre et impératrice d'Allemagne, fille, épouse et mère de monarques, fut obligée, pendant le séjour qu'elle fit dans sa jeunesse en Angleterre, pour son éducation, de prendre le voile, comme le seul moyen d'échapper aux poursuites licencieuses des nobles normands. Ce fut là le motif qu'elle allégua devant le grand conseil du clergé britannique, comme sa seule excuse d'avoir pris le voile. Le clergé assemblé reconnut la validité de ce moyen de défense, et la notoriété des circonstances sur lesquelles il était fondé; rendant ainsi un témoignage frappant et incontestable de l'existence de cette lubricité honteuse qui fit l'opprobre de ce siècle. Il était publiquement reconnu, disait-on, qu'après la conquête du roi Guillaume, les Normands venus à sa suite, fiers d'une si grande victoire, n'obéirent à d'autres lois qu'à celles de leurs passions effrénées; et non seulement dépouillèrent de leurs propriétés les Saxons qu'ils avaient conquis, mais encore attaquèrent l'honneur de leurs femmes et de leurs filles avec la plus brutale licence, et de là vient qu'il était très ordinaire de voir les veuves et les filles des familles nobles se réfugier dans des couvens, non par l'effet d'une vocation, mais uniquement pour mettre leur honneur à l'abri des attaques de libertins puissans.

46.Le texte dit: Not one silver penny, pas même un penny. Cette pièce d'argent la plus petite qui ait existé en Angleterre, équivalait à dix centimes de notre monnaie.A. M.
47.M. Defauconpret a traduit l'expression the holyrood, par celle de sainte croix; tandis que c'est la sainte hostie.A. M.
48.L'auteur fait ici allusion à une coutume d'alors: quand un malade était près d'expirer, on abrégeait sa dernière heure en retirant l'oreiller qui lui soutenait la tête.A. M.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
170 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают