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Читать книгу: «Ivanhoe. 2. Le retour du croisé», страница 4

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CHAPITRE XV

«Et cependant il croit, ah, ah! que je suis l'instrument et l'esclave de sa volonté. À merveille! qu'il en soit ainsi: à travers ce labyrinthe de trouble créé par ses complots et sa basse oppression, je me frayerai un chemin à de plus grandes choses; et qui osera me donner tort?»

JOANA BAILLIE Basile, tragédie.

Jamais araignée ne se donna plus de peine pour réparer les fils endommagés de sa toile, que n'en prit Waldemar-Fitzurse pour réunir et concilier les membres dispersés de la faction de Jean. Bien peu d'entre eux lui étaient attachés par inclination, aucun ne l'était par estime personnelle. Il devenait donc nécessaire que Fitzurse leur fît connaître les nombreux avantages qu'ils pouvaient espérer, et leur rappelât ceux dont ils avaient joui jusqu'à présent. Aux jeunes nobles indisciplinés il présentait la perspective d'une licence effrénée et d'une débauche sans contrôle; il séduisait les ambitieux par l'espoir du commandement, et les âmes intéressées en leur faisant entrevoir un accroissement de richesses et des domaines plus étendus. Les chefs des bandes mercenaires reçurent des gratifications en argent, moyen le plus puissant pour captiver leur esprit, sans lequel tous les autres eussent été infructueux. Ce personnage habile distribuait encore plus de promesses que d'argent, et il n'oubliait rien pour entraîner les indécis et ranimer tous ceux qui paraissaient découragés. Il parlait du retour du roi Richard comme d'un événement tout-à-fait improbable; néanmoins, lorsqu'il s'apercevait aux regards douteux et aux réponses ambiguës de ceux à qui il s'adressait, que c'était précisément cette crainte qui les obsédait il traitait hardiment cette question en soutenant que le retour de Richard, dût-il avoir lieu, ne devait pas changer leurs calculs politiques.

«Si Richard revient, disait-il, ce sera pour enrichir ses croisés appauvris et malheureux, aux dépens de ceux qui ne l'ont pas suivi en Palestine; ce sera pour exiger un compte rigoureux et terrible de tous ceux qui durant son absence ont fait tout ce que l'on peut appeler offense ou infraction aux lois du pays ou aux priviléges de la couronne; ce sera pour se venger, sur les templiers et les hospitaliers, de la préférence qu'ils ont montrée envers Philippe-de-France pendant les guerres de la Terre-Sainte; enfin ce sera pour châtier comme rebelles tous adhérens à son frère le prince Jean. Redoutez-vous sa puissance? ajouta le confident artificieux du prince: nous le reconnaissons comme un robuste et vaillant chevalier; mais nous ne sommes plus aux temps du roi Arthur, où un seul champion pouvait braver toute une armée. Si Richard revient, il doit être seul, sans suite et sans amis: les os de ses vaillans soldats ont blanchi les sables de la Palestine. Le peu de ses guerriers qui sont revenus ont été dispersés, et, comme Wilfrid Ivanhoe, en vrais mendians et en hommes sans ressources. Et que parlez-vous du droit de naissance de Richard?» continua-t-il en répondant à ceux qui avaient des scrupules à cet égard. «Ce droit de primogéniture est-il décidément plus certain que celui du duc Robert de Normandie, fils aîné du conquérant? Guillaume-le-Roux et Henri, ses frères cadets, lui furent successivement préférés par la voix de la nation. Robert avait tous les mérites que l'on peut faire valoir en faveur de Richard: il était chevalier courageux, bon chef, généreux envers ses amis et envers l'église; enfin c'était un croisé et un des conquérans du saint Sépulcre: cependant il mourut aveugle et infortuné dans le château de Cardiffe, parce qu'il s'opposa aux volontés du peuple, qui refusait de le reconnaître pour maître. Nous avons droit, dit-il encore, de choisir dans la famille royale le prince le plus capable de garder le pouvoir suprême, c'est-à-dire, ajouta-t-il en se rectifiant, celui dont l'élection garantira le mieux les intérêts de la noblesse. Pour ce qui est des qualités personnelles, il est possible que le prince soit inférieur à son frère Richard; mais si l'on considère que le dernier revient portant à la main le glaive de la vengeance, tandis que le premier nous offre récompenses, immunités, priviléges, richesses et honneurs, il n'y a plus de doute sur le choix du souverain qui doit appeler l'attention de la noblesse.»

Ces argumens et beaucoup d'autres, dont quelques uns s'appliquaient aux positions particulières de ceux à qui lui-même s'adressait, produisirent leur effet sur les barons du parti du prince Jean. La plupart consentirent de se rendre à l'assemblée qu'on proposait d'avoir à York, dans le dessein de prendre des arrangemens définitifs pour placer la couronne sur la tête de ce prince, au détriment de Richard, roi légitime encore vivant.

La nuit était déjà très avancée, lorsque, épuisé de fatigue par des efforts que le résultat justifiait, Waldemar Fitzurse, en rentrant au château d'Ashby, rencontra de Bracy, qui avait quitté ses vêtemens somptueux du banquet, pour une casaque de drap vert avec un haut-de-chausses de même couleur, un couvre-chef de cuir, une courte épée ou un couteau de chasse, un cor suspendu à son épaule, un arc en main et un paquet de flèches attaché à sa ceinture. Si Waldemar eût rencontré ce personnage hors du château, il eut passé près de lui sans y faire attention, et l'aurait pris pour un des yeomen de garde; mais le trouvant dans le vestibule, il le considéra de plus près, et reconnut le chevalier normand sous l'accoutrement d'un archer anglais.

«Que signifie cette mascarade? s'écria Fitzurse avec un peu d'humeur; est-ce le temps des gambades et des farces de Noël17 quand le sort du prince Jean, notre maître, est à la veille de se décider? Pourquoi n'es-tu pas venu comme moi au milieu de ces poltrons, que le seul nom du roi Richard fait trembler de peur, comme on dit qu'il effraie les enfans Sarrasins?» – «J'ai songé à mes affaires, Fitzurse, répondit avec calme Bracy, comme vous avez pensé aux vôtres.» – «Comme j'ai pensé aux miennes! reprit tel qu'un écho le rusé Waldemar; je ne me suis occupé que de celles du prince Jean, notre commun patron.» – «À merveille, mon cher, dit Bracy; mais quel est ton motif pour agir ainsi? je gage que c'est plutôt ton intérêt personnel. Allons, Fitzurse, nous nous connaissons tous deux; l'ambition t'aiguillonne; pour moi, c'est le plaisir: nous différons dans nos goûts, parce que nous ne sommes pas du même âge. Tu as sur le prince Jean la même opinion que moi: nous savons tous deux qu'il est trop faible pour être un monarque résolu, trop despote pour être un bon roi, trop insolent et trop présomptueux pour être un souverain populaire, trop léger et trop timide pour conserver long-temps le diadème. Mais c'est le prince avec lequel Fitzurse et de Bracy ont espéré s'élever et prospérer; voilà pourquoi nous l'aidons, toi de ta politique et moi des lances de mes francs compagnons.»

«Voilà un auxiliaire bien gros d'espérance! dit Fitzurse impatienté; un homme occupé de folies, dans le moment le plus critique! Mais quel est donc ton dessein, sous un tel déguisement, dans une nécessité aussi pressante?» – «De prendre une femme, répond froidement Bracy, à la manière de la tribu de Benjamin.» – «De la tribu de Benjamin! Je ne te comprends pas.» – «N'étais-tu pas présent hier soir, reprend Bracy, lorsque le prieur Aymer nous récita un conte en réponse à une romance qui fut chantée par le ménestrel? Il raconta comment, jadis en Palestine, une affreuse querelle s'éleva entre le clan de Benjamin et le reste de la nation israélite; comment celle-ci tailla en pièces toute la chevalerie de cette nation, et jura par la sainte Vierge de ne permettre à aucun de ceux qui avaient échappé au carnage, de prendre une épouse de leur lignage; comment enfin la même nation, ayant regret de son voeu, envoya consulter le pape sur le moyen d'absoudre les femmes qui le transgresseraient; et comment, d'après l'avis du saint père, les jeunes chevaliers de Benjamin donnèrent un superbe tournoi, où ils enlevèrent toutes les femmes qui s'y trouvaient, et les obtinrent de la sorte pour épouses, sans avoir besoin du consentement ni d'elles ni de leurs familles.»

«J'ai déjà entendu cette histoire, dit Fitzurse, quoique le prieur ou toi vous ayez fait de singulières altérations dans la date et dans les détails.» – «Je te dis, répliqua de Bracy, que je veux me pourvoir d'une femme à la manière de la tribu de Benjamin; c'est-à-dire que sous un pareil accoutrement je tomberai cette nuit même sur ce troupeau de lourds Saxons qui viennent de quitter le château, et leur enlèverai la belle Rowena.» – «Es-tu fou, Bracy, dit Fitzurse. Songe donc que, bien que ce soient des Saxons, ils sont riches, puissans, et d'autant plus respectés par leurs concitoyens, que la richesse et la puissance ne sont maintenant le partage que d'un petit nombre d'individus de cette nation.» – «Et ce ne devrait être celui d'aucun d'eux, dit Bracy, pour que l'oeuvre de la conquête fût réellement consommé.» – «Ce n'est pas du moins le temps d'y songer, reprit Fitzurse; la crise qui s'approche impose à Jean la nécessité de captiver la faveur populaire, et il ne pourrait refuser de punir quiconque outragerait un homme cher à la multitude.» – «Qu'il l'accorde s'il l'ose, dit Bracy, et il verra bien vite la différence qui existe entre une bonne et vigoureuse masse de lances comme la mienne, et un misérable amas de Saxons, sans coeur ni sans aucune discipline. Au reste, vous ignorez mon plan: ne semblé-je pas un chasseur aussi hardi que quiconque sonna jamais du cor? Le blâme de la violence retombera sur les outlaws des forêts du comté d'Yorck. J'ai mis de fidèles espions aux trousses de ces Saxons revêches: ils couchent cette nuit au couvent de saint Wittol ou Withold, ou je ne sais comment ils appellent ce rustre de saint saxon, près de Burton-sur-Trent18. La marche du lendemain les met en notre pouvoir, et nous fondons sur eux comme des faucons sur leur proie. Alors je paraîtrai sous ma forme naturelle, je ferai le chevalier courtois, je délivrerai la belle infortunée des mains de ses grossiers ravisseurs, je la conduirai au château de Front-de-Boeuf ou en Normandie, s'il est nécessaire, et je ne la ramènerai à sa famille que comme épouse et dame de Maurice de Bracy.»

«C'est un plan merveilleux, dit Fitzurse, et qui n'est pas, je le crois, entièrement de ton invention. Sois franc, Bracy: qui t'a aidé à le concevoir? et qui doit t'aider à l'exécuter? car, je pense que ta propre compagnie est bien en ce moment à York.» – «S'il faut absolument que tu le saches, dit Bracy, c'est le templier qui a fait le plan du projet que l'aventure des Benjamites m'a suggéré. Il doit me seconder dans cette attaque plaisante; lui et ses gens joueront le rôle des outlaws, des mains de qui mon bras vigoureux arrachera la belle Saxonne, après que j'aurai changé de vêtement.»

«Par Notre-Dame, dit Fitzurse, le plan est digne de votre sagesse réunie; et ta prudence, de Bracy, se manifeste d'une manière encore plus spéciale dans ton projet de laisser la jeune personne entre les mains de ton digne et valeureux confédéré. Tu réussiras, je le présume, à l'enlever à ses amis saxons, mais la retirer ensuite des griffes de Bois-Guilbert me semble une chose beaucoup plus difficile; c'est un faucon bien accoutumé à saisir une perdrix, comme à ne plus lâcher sa proie.» – «Il est templier, reprit de Bracy, par conséquent ne saurait être mon rival dans mon projet d'épouser cette riche héritière saxonne19; et, pour tenter quelque chose de déshonorant contre l'épouse que se destine Bracy, par le ciel! fût-il à lui seul tout un chapitre de son ordre, il n'oserait pas me faire un tel outrage.»

«Puisque rien de ce que je dis ne peut, mon cher Bracy, t'ôter de l'esprit cette folie, car je connais ton caractère opiniâtre, emploie le moins de temps possible, et qu'elle ne soit pas aussi longue qu'elle est importune.» – «Je t'assure, Fitzurse, que c'est l'affaire de quelques heures, et je serai à York, à la tête de mes intrépides compagnons d'armes, prêt à exécuter tout plan audacieux que ta politique aura imaginé. Mais j'entends mes camarades réunis, et les coursiers trépigner et hennir dans la cour extérieure. Adieu. Je vais en vrai chevalier conquérir le sourire d'une belle.»

«En vrai chevalier,» répéta Fitzurse, le regardant partir; «comme un vrai fou, dirais-je, ou un enfant qui néglige les affaires les plus sérieuses et les plus urgentes, pour chasser le duvet de chardon qui s'en va de son épaule. Et c'est avec de tels instrumens que je dois travailler! Et au profit de qui? d'un prince aussi imprudent que dissolu, qui sera vraisemblablement aussi ingrat qu'il s'est montré fils rebelle et frère dénaturé. Mais lui-même n'est aussi qu'un des instrumens avec lesquels je m'exerce; et, orgueilleux comme il est, s'il s'avisait jamais de séparer ses intérêts des miens, c'est un secret que je lui apprendrais bientôt.»

Les réflexions de l'homme d'état furent ici interrompues par la voix du prince, qui, d'un appartement voisin, cria: «Waldemar! noble Fitzurse!» et, ôtant son bonnet, le futur chancelier, titre auquel aspirait le rusé Normand, se hâta d'aller recevoir les ordres de son futur souverain.

CHAPITRE XVI

«Dans un lointain désert, à la foule inconnu, un vénérable ermite vécut depuis sa première jeunesse jusqu'à l'âge mûr. La mousse était son lit, une grotte sa cellule, sa nourriture des fruits, sa boisson de l'eau de source; éloigné des hommes, il passait ses jours avec Dieu; la prière était sa seule occupation, la louange son unique plaisir.»

PARNELL.

Le lecteur ne peut avoir oublié que la victoire, dans la seconde journée du tournoi, fut décidée par le secours du chevalier inconnu, dont la conduite passive et indifférente durant la première partie de l'assaut, l'avait fait surnommer le Noir-Fainéant. Le chevalier avait quitté l'arène immédiatement après le triomphe assuré; et lorsqu'il fut appelé pour recevoir le prix de sa valeur, on ne le trouva point. Pendant que les hérauts d'armes le réclamaient à haute voix et au son des trompettes, il dirigeait sa course vers le nord, évitant les sentiers frayés et prenant le chemin le plus court à travers les bois. Il passa la nuit dans une petite hôtellerie isolée, où cependant un ménestrel errant lui donna des nouvelles du résultat de la seconde journée du tournoi.

Le lendemain il partit de bonne heure, dans le dessein de voyager plus long-temps; son cheval, qu'il avait eu soin de ménager la veille, lui permettant de faire un bon trajet sans avoir besoin de beaucoup de repos. Toutefois il fut trompé dans son espoir, car les sentiers qu'il avait suivis étaient si tortueux que lorsque la nuit vint le surprendre, il se trouvait seulement sur la lisière du West-Riding, dans le comté d'York. Le cheval et le cavalier avaient besoin de nourriture, et il devenait indispensable de chercher quelque lieu pour y demeurer jusqu'au jour. L'endroit où le voyageur se trouvait ne semblait propre à lui fournir ni abri, ni souper, et il était sur le point de se voir réduit à l'expédient habituel aux chevaliers errans, qui, en pareille occasion, abandonnaient leur monture au pâturage, et se couchaient sur la dure au pied d'un chêne, en songeant tout à leur aise à la dame de leurs pensées. Mais soit que le chevalier noir n'eût pas de maîtresse, soit qu'il fût en amour aussi indifférent qu'il avait paru l'être au tournoi, il n'était point assez occupé de réflexions passionnées sur une belle et sur ses rigueurs, pour oublier la fatigue et la faim, et pour que les doux rêves de la galanterie lui tinssent lieu de lit et de souper. Il fut donc très peu satisfait, lorsque promenant ses regards autour de lui, il se trouva environné de bois, à travers lesquels s'offraient, il est vrai, plusieurs clairières et des sentiers, mais qui semblaient avoir été tracés par des troupeaux qui étaient venus paître dans la forêt, ou par les bêtes fauves et les chasseurs qui les poursuivent.

Le soleil aux rayons duquel le chevalier avait jusqu'alors dirigé sa course, venait de disparaître sur sa gauche derrière les montagnes du comté de Derby, et tout effort qu'il eût tenté pour aller plus loin aurait pu l'écarter de sa route et reculer le terme de son voyage. Après avoir inutilement essayé de choisir le sentier le plus battu dans l'espoir qu'il le conduirait à la chaumière de quelque garde-forestier ou de quelque berger, convaincu à la fin qu'il ne pouvait fixer son choix, il résolut de se confier au seul instinct de son cheval, instinct qu'il avait eu plus d'une fois l'occasion de mettre à l'essai, et qui lui avait prouvé que ces animaux sont souvent des guides plus sûrs que leurs cavaliers.

Cet intelligent quadrupède, tout fatigué qu'il était d'une si longue journée sous le poids d'un maître vêtu de sa lourde armure, ne sentit pas plutôt les rênes flotter à l'abandon sur son cou, que, se voyant l'arbitre de sa direction, il sembla prendre de nouvelles forces, et ce coursier, qui naguère eût à peine obéi à l'éperon autrement que par un soupir ou gémissement, tout fier actuellement de la confiance que l'on avait en lui, dressa les oreilles, releva la tête, et prit de lui-même un trot plus vif. Le sentier qu'il adopta n'était pas dans la même direction que celle que le chevalier avait suivie durant le jour; mais comme le cheval semblait content de son choix, le cavalier s'abandonna totalement à sa discrétion. L'événement prouva qu'il avait eu raison, car le sentier parut bientôt un peu plus large et plus battu, et le son d'une petite cloche avertit le chevalier qu'il se trouvait à peu de distance de quelque chapelle ou ermitage.

Il atteignit une pelouse ouverte, de l'autre côté de laquelle un roc s'élevant d'une manière abrupte sur une plaine légèrement inclinée, offrait au voyageur un front gris et dentelé. Le lierre en plusieurs lieux couvrait ses flancs, et en quelques autres on voyait s'élever le chêne et le houx, dont les racines trouvaient leur nourriture dans les fentes et crevasses du rocher, tandis que les rameaux de ces arbres se balançaient sur le précipice, comme le panache d'un guerrier sur son casque luisant d'acier, donnant ainsi de la grace à un objet dont l'effet principal devait être l'effroi. Au bas de ce rocher et s'appuyant contre lui, était une hutte grossière formée de troncs d'arbres coupés dans la forêt voisine et joints ensemble de manière à braver l'intempérie des saisons, au moyen de ce que leurs interstices étaient bouchés par un ciment d'argile et de mousse. La tige d'un jeune sapin dépouillé de ses branches, avec un morceau de bois lié transversalement vers le haut, était plantée près de la porte, comme un rustique emblème de la sainte Croix. À une faible distance à droite, une source d'eau limpide jaillissait du rocher et tombait dans le creux d'une pierre dont le travail des ans avait fait un bassin naturel. S'échappant ensuite, elle devenait un ruisseau qui, avec un léger murmure, coulait dans un lit qu'elle s'était lentement formé, et s'avançait en serpentant à travers une plaine étroite pour aller se perdre dans un bocage voisin.

Auprès de cette fontaine apparaissaient les ruines d'une petite chapelle, dont le toit en partie n'existait plus. Cet humble bâtiment, lorsqu'il était entier, n'avait eu jamais plus de seize pieds de longueur sur douze de largeur; et le toit, bas en proportion, reposait sur quatre voûtes ou arcades en saillie aux quatre angles du bâtiment et supportées chacune par un pilier massif. Les bords de deux de ces arches étaient encore debout, bien que le toit qui avait existé entr'elles fût écroulé; les deux autres étaient parfaitement conservées. L'entrée de ce vieil édifice religieux se trouvait sous une arche arrondie et très basse, décorée d'ornemens en zigzag semblables à des dents de requin, comme on en voit encore aux anciennes églises saxonnes. Sur le porche s'élevait un beffroi soutenu par quatre piliers, entre lesquels pendait la cloche verdâtre et calcinée dont le faible tintement avait été entendu quelques instans auparavant par le chevalier noir.

Ce tableau simple et pittoresque brillait des reflets du crépuscule aux yeux du voyageur, en lui donnant l'assurance consolante de pouvoir y passer la nuit, car il était du devoir des ermites qui habitaient ces forets d'exercer l'hospitalité envers les voyageurs égarés ou surpris par l'obscurité. Le chevalier ne prit donc pas le temps d'examiner en détail les particularités que nous venons de rapporter; mais, remerciant saint Julien, patron des voyageurs, qui lui avait procuré un bon gîte, il descendit de cheval, et frappa du bout de sa lance à la porte de l'ermitage, afin d'appeler l'attention et dans l'espoir d'en obtenir l'entrée.

Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'on lui eût fait aucune réponse; et quand il en reçut une, elle ne fut pas en termes rassurans. «Passe ton chemin, qui que tu sois!» lui cria une voix rauque et forte à travers une fente de la porte, «et ne trouble pas le serviteur de Dieu et de saint Dunstan dans ses prières du soir.» – «Révérend père, dit le chevalier, c'est un pauvre pèlerin égaré dans ces bois qui t'offre l'occasion d'exercer envers lui la charité et l'hospitalité.» – «Mon frère, reprit le saint homme, il a plu à la vierge Marie et à saint Dunstan que je fusse destiné à recevoir l'une et l'autre, au lieu de les exercer. Je n'ai ici aucune provision qu'un chien voulût même partager avec moi, et un cheval un peu délicat ne voudrait point de ma couche pour litière. Passe donc ton chemin, et que Dieu lui-même t'assiste!» – «Mais comment, reprit le chevalier, me serait-il possible de trouver mon chemin à travers le bois au milieu d'aussi épaisses ténèbres? Je vous supplie, révérend père, puisque vous êtes chrétien, d'ouvrir votre porte et de m'indiquer au moins ma route.»

«Je vous supplie, mon frère en Dieu, reprit à son tour l'anachorète, de ne pas me troubler plus long-temps. Vous avez déjà interrompu un Pater, deux Ave et un Credo que mon voeu de misérable pécheur m'oblige de réciter avant le lever de la lune.» – «La route! la route! vociféra le chevalier, si je ne dois pas espérer davantage de toi.» – «La route, lui répondit l'ermite, est aisée à suivre. Le sentier depuis ma cellule conduit à un marais, et de ce marais à un gué, lequel, attendu que les pluies ne l'ont pas encore enflé, n'est point difficile à franchir. Au delà de ce gué tu auras soin d'éviter la rive gauche, qui offre des précipices20 et le sentier qui longe le torrent a dernièrement, comme je l'ai appris, car je quitte rarement les devoirs de ma retraite, été rompu en différens endroits: alors tu marcheras en ligne droite.»

«Un sentier rompu! un précipice! un gué! et un marais!» dit le chevalier en l'interrompant; «mais, sire ermite, fussiez-vous le plus saint de tous ceux qui jamais portèrent une barbe ou déroulèrent les grains de leurs chapelets21 il ne serait pas en votre pouvoir de me jeter cette nuit dans un danger pareil. Je te répète que toi, qui vis de la charité d'autrui, si peu méritée, comme je le vois, tu n'as pas le droit de refuser un abri au voyageur dans sa détresse. Ouvre-moi vite ta porte, ou, par la sainte hostie, je l'enfonce de ma lance et me fraie un passage.» – «Ami voyageur, répliqua l'ermite, ne sois pas importun; si tu m'obliges à faire usage d'armes charnelles pour ma défense, il t'adviendra malheur.»

Dans ce moment un bruit confus d'aboiemens et de grognemens, arrivé d'une certaine distance aux oreilles du chevalier, en devenant de plus en plus éclatans et furieux, lui fit croire que l'ermite, alarmé de la menace, et s'imaginant qu'on forcerait sa porte, avait appelé à son secours les chiens qui faisaient ce tapage. Irrité de ces préparatifs de l'ermite pour accorder l'hospitalité au chevalier, celui-ci frappa du pied la porte avec une telle violence, que les piliers et tenons en furent tout ébranlés. L'anachorète n'ayant aucune envie d'exposer sa porte à un nouveau choc: «Patience! patience! bon voyageur, s'écria-t-il, ménage tes forces et je vais à l'instant t'ouvrir mon ermitage, quoique, peut-être, tu ne doives pas avoir à t'en féliciter.»

La porte s'entr'ouvre en effet, et l'ermite, homme grand et fortement constitué, couvert de son froc et de son capuchon, avec une corde de jonc pour ceinture, paraît devant le chevalier. Il tenait d'une main une torche allumée, et de l'autre un bâton de pommier sauvage si gros et si pesant, qu'il pouvait bien passer pour une massue. Deux chiens énormes à longs poils, moitié lévriers, moitié mâtins22, trépignaient à ses côtés et semblaient prêts à fondre sur le voyageur, aussitôt que leur maître les aurait lâchés. Mais quand la torche eut réfléchi sa lumière sur la luisante armure de l'étranger, qui se tenait en dehors, l'ermite, changeant probablement ses premières intentions, réprima la fureur de ses auxiliaires, et prenant un ton de courtoisie brusquée, il invita le chevalier à entrer dans son gîte, et s'excusa sur l'hésitation qu'il avait mise à le recevoir, s'étant fait, disait-il, une règle de ne jamais ouvrir sa porte après le soleil couché, à cause des bandes de voleurs et d'outlaws qui infestaient les environs, et qui ne respectaient ni la sainte Vierge, ni saint Dunstan, ni ceux qui se dévouaient à leur culte.

«La pauvreté de votre cellule, bon père,» dit le chevalier, en regardant autour de lui et en ne voyant qu'un lit de feuillage, un crucifix en chêne grossièrement taillé, un missel, une table à peine ébauchée, faite de planches brutes et sciées grossièrement23; deux escabelles et un ou deux méchans articles de ménage; «la pauvreté de votre cellule me semble un moyen de défense suffisant contre l'apparition des voleurs, sans parler du secours de deux chiens assez forts, je pense, pour déchirer un cerf, et conséquemment pour combattre avec avantage plusieurs hommes réunis.» – «Le bon gardien de la forêt, dit l'ermite, m'a permis l'usage de ces animaux pour protéger ma solitude jusqu'à des temps meilleurs.» Ayant ainsi parlé, il mit sa torche sur une barre de fer qui servait de candélabre, et plaçant un fagot de bois sec sur un feu presque éteint, il avança près de la table une escabelle où il s'assit, en faisant signe au chevalier de l'imiter avec l'autre.

Assis tous deux, ils se regardèrent quelques instans avec un grand sérieux, chacun pensant en soi-même qu'il avait rarement vu un homme plus vigoureux et plus déterminé que celui qui lui était opposé. «Vénérable ermite, dit le chevalier après avoir long-temps considéré son hôte, si je ne craignais pas de troubler vos pieuses méditations, je vous prierais de me dire: premièrement où je puis mettre mon cheval; ensuite, ce que vous pouvez me donner pour souper; enfin où je trouverai une couche, afin de prendre un peu de repos cette nuit?» – «Je vous répondrai, dit l'ermite, avec un signe du doigt, vu qu'il serait contre ma règle de prononcer des paroles, toutes les fois que le geste y peut suppléer.» Disant ces mots, il indiqua successivement deux coins de sa cellule. «Voilà l'écurie, dit-il, et voilà votre lit24.» Cherchant ensuite sur une planche voisine, un plat contenant deux poignées de pois secs et le mettant sur la table, il ajouta: «Voici votre souper.»

Le chevalier haussa les épaules, et sortant de la hutte, il amena son cheval, qu'il avait attaché par la bride à un arbre; il le dessella, le pansa avec soin, et lui étendit sur le dos son propre manteau. L'ermite fut vraisemblablement touché des soins que le chevalier prenait de sa monture, car, ayant l'air de se rappeler quelques restes de fourrage laissés par le garde forestier, à sa dernière visite, il tira d'un coin de l'écurie une botte de foin qu'il plaça sous la bouche du coursier, et immédiatement après, il étendit une brassée de fougère sèche à l'endroit qu'il avait montré comme réservé au lit du cavalier. Celui-ci le remercia de sa courtoisie, et, ce devoir rempli, tous deux revinrent s'asseoir à la table, où se trouvait toujours entre eux l'assiette de pois secs. Après un long benedicite, qui avait été autrefois en latin, mais qui n'en conservait que des fragmens tronqués, à l'exception, çà et là, d'une longue et roulante finale de quelques mots ou phrases, l'ermite donna l'exemple à son hôte, en mettant modestement dans une grande bouche, garnie de deux rangées d'excellentes dents, aussi blanches et aussi aiguës que celles d'un sanglier, trois ou quatre pois secs; triste mouture, sans doute, pour un moulin si large et si puissant25!

Afin de suivre un si louable exemple, le chevalier ôta son casque, son corselet et la plus grande partie de son armure, et fit voir à l'ermite une tête couverte de cheveux blonds, épais et bouclés, des traits prononcés, des yeux bleus singulièrement vifs et pénétrans, une belle bouche, avec la lèvre supérieure chargée de deux moustaches plus foncées que les cheveux; enfin un homme hardi, entreprenant, qualités analogues à sa haute et vigoureuse stature.

L'ermite, comme si l'envie lui avait pris de répondre à la confiance de son hôte, rejeta son capuchon en arrière, et montra à son tour une tête ronde comme une boule, et qui décelait un homme encore dans le printemps de la virilité. Sa large tonsure, environnée d'un cercle de cheveux noirs et crépus, rappelait l'image d'un enclos communal entouré d'une haie d'aubépine26. Ses traits n'exprimaient rien d'une austérité monastique, ni le jeûne et les macérations d'une vie ascétique; au contraire il avait une contenance orgueilleuse et décidée, les yeux surmontés de larges sourcils noirs, le front largement dessiné, les joues rondes et vermeilles comme celles d'un trompette, avec un menton qui balançait une barbe longue, noire et touffue. Une telle figure entée sur le corps charnu de l'homme sacré, rappelait bien plus énergiquement pour subsistance habituelle l'emploi de gros reins de boeuf et de bonnes hanches de mouton, qu'une chétive nourriture de pois secs ou de légumes27. Cette disconvenance n'échappa point à la sagacité du chevalier, qui, après avoir broyé avec difficulté une bouchée de pois secs, trouva qu'il devenait indispensable de demander à l'ermite quelque boisson pour l'aider à les avaler: celui-ci répondit à sa requête en plaçant devant lui une grande cruche d'eau la plus pure de la fontaine.

17.Les fêtes de Noël ou Christmas sont en Angleterre ce qu'est en France le nouvel an; on se visite, on se fait des présens, les domestiques reçoivent des étrennes, et on se donne des repas où le beafsteak ou boeuf, le plum-pouding ou assemblage de farine, de graisse et de raisins cuits, le turkey ou dindon, et les minced-pies ou petits gâteaux jouent un grand rôle.A. M.
18.Ville de 4,000 âmes, sur la rive septentrionale du Trent, à 44 lieues N.N.O. de Londres; elle est fameuse par ses brasseries.A. M.
19.Les anciens templiers faisaient voeu de célibat; les templiers modernes peuvent se marier.A. M.
20.Le précédent traducteur a passé ces détails et beaucoup d'autres non moins saillans et qu'il serait fastidieux de rappeler.A. M.
21.Le précédent traducteur a passé ces détails et beaucoup d'autres non moins saillans et qu'il serait fastidieux de rappeler.A. M.
22.Détails supprimés dans la précédente traduction, ainsi que le bâton of crabtree.A. M.
23.A rough-hewn table, une table ébauchée, ou de planches brutes mal jointes, expression que le précédent traducteur a rendue par une «table de pierre brute.» Il est beaucoup plus présumable que cette table était de bois grossièrement travaillé. De semblables détails et une foule d'autres, en apparence insignifians, ne sauraient être négligés, si l'on veut essayer de reproduire le talent descriptif de l'auteur, entièrement puisé dans la nature.A. M.
24.Your bed there, dit le texte, dont la précédente traduction fait une «chambre à coucher.» Une chambre à coucher dans un oratoire! autant vaudrait dire un salon.A. M.
25.A miserable grist as it seemed for so large and able a mill: rien de cela ne se retrouve dans le travail de mon prédécesseur.A. M.
26.His close-shaven crown, surrounded by a circle of stiff-curled black hair, had something the appearance of a parish pinfold begirt by its high hedge. Ce trait vivant et qui décèle si bien la touche éminemment pittoresque du romancier calédonien, a échappé, par mégarde, sans doute, à la plume de son premier interprète.A. M.
27.On chercherait vainement cette énergique image dans la version de mon prédécesseur.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
170 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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