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Читать книгу: «Troïlus et Cressida», страница 4

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ULYSSE, à Agamemnon. – Seigneur, vous vous tourmentez trop longtemps de ce désagrément.

NESTOR. – Notre illustre général, ne songez plus à cela.

DIOMÈDE. – Il faut vous préparer à combattre sans Achille.

ULYSSE. – Et c'est de l'entendre nommer qui lui fait du mal. Voici un vrai héros. – Mais ce serait le louer en face: je me tais.

NESTOR. – Et pourquoi cela? Il n'est pas jaloux comme Achille.

ULYSSE. – Le monde entier sait qu'il est aussi vaillant que lui.

AJAX. – Un infâme chien se jouer de nous! Oh! que je voudrais qu'il fût Troyen!

NESTOR. – Maintenant quel vice serait-ce dans Ajax…

ULYSSE. – S'il était orgueilleux.

DIOMÈDE. – Ou avide de louanges.

ULYSSE. – Oui, ou d'une humeur colère?

DIOMÈDE. – Ou bizarre et plein de lui-même.

ULYSSE. – Rends-en grâce au ciel, Ajax, ton caractère est formé: loue celui qui t'a engendré, celle qui t'a allaité: gloire à ton précepteur; et que les dons que tu as reçus de la nature soient renommés au delà, bien au delà de la science. Mais celui qui a instruit tes bras aux combats… que Mars partage l'éternité en deux, et lui en donne la moitié! et quant à ta force, Milon, porte-taureau32, le cède au nerveux Ajax. Je ne vanterai point ta sagesse, qui, comme une borne, un poteau, un rivage, limite et termine l'étendue de tes grandes facultés. Voici Nestor. – Instruit par le temps écoulé, il doit être, il est en effet, et il est impossible qu'il ne soit pas sage. – Mais pardonnez, mon père Nestor, si vos années étaient aussi jeunes que celles d'Ajax, et votre cerveau de la même trempe que le sien, vous n'auriez pas la prééminence sur lui, mais vous seriez ce qu'est Ajax.

AJAX. – Vous appellerai-je mon père33?

NESTOR. – Oui, mon cher fils.

DIOMÈDE. – Laissez-vous guider par lui, seigneur Ajax.

ULYSSE. – Il est inutile de rester ici plus longtemps; le cerf Achille reste dans les taillis. Qu'il plaise à notre illustre général de convoquer son conseil de guerre. De nouveaux rois sont entrés dans Troie. Demain, nous devons faire face avec nos principales forces; et voici un guerrier! – Qu'il vienne des chevaliers de l'Orient et de l'Occident, et qu'ils choisissent entre eux la fleur de leur héros, Ajax fera raison au meilleur.

AGAMEMNON. – Allons au conseil. – Laissons dormir Achille, les barques légères volent sur l'onde, tandis que les gros vaisseaux s'engravent.

(Ils sortent.)
FIN DU DEUXIÈME ACTE

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

Troie. – Appartement du palais de Priam
PANDARE, UN VALET

PANDARE. – Ami! je vous prie, un mot, n'êtes-vous pas de la suite du jeune seigneur Pâris?

LE VALET. – Oui, monsieur, quand il marche devant moi.

PANDARE. – Vous dépendez de lui, veux-je dire?

LE VALET. – Monsieur, je dépends de mon seigneur.

PANDARE. – Vous dépendez d'un noble seigneur, il faut que je fasse son éloge.

LE VALET. – Le seigneur soit loué!

PANDARE. – Vous me connaissez: n'est-ce pas?

LE VALET. – Ma foi, monsieur, très-superficiellement.

PANDARE. – Ami, connaissez-moi mieux, je suis le seigneur Pandare.

LE VALET. – J'espère que je connaîtrai mieux votre honneur.

PANDARE. – C'est ce que je désire.

LE VALET. – Êtes-vous en état de grâce?

PANDARE. —Grâce34? Non, mon ami, honneur, seigneurie, voilà mes titres. – Quelle est cette musique?

(On entend une musique dans l'intérieur.)

LE VALET. – Je ne la connais qu'en partie, seigneur, c'est une musique en parties.

PANDARE. – Connaissez-vous les musiciens?

LE VALET. – En entier, monsieur.

PANDARE. – Pour qui jouent-ils?

LE VALET. – Pour ceux qui les écoutent, monsieur.

PANDARE. – Pour le plaisir de qui, ami?

LE VALET. – Pour le mien, monsieur, et celui des amateurs de musique.

PANDARE. – Par les ordres de qui, veux-je dire, ami?

LE VALET. – A qui donnerais-je des ordres, seigneur35?

PANDARE. – Ami, nous ne nous entendons pas l'un l'autre; je suis trop poli, et toi trop malin; à la requête de qui les musiciens jouent-ils?

LE VALET. – Voilà une question qui va droit au but, celle-là; ma foi, monsieur, à la requête de Pâris mon maître, qui est là en personne; et avec lui, la Vénus mortelle, le coeur de la beauté, l'âme invisible de l'amour.

PANDARE. – Qui, ma nièce Cressida?

LE VALET. – Non, monsieur: – Hélène, n'avez-vous donc pu la reconnaître à ses attributs?

PANDARE. – Il me paraît, l'ami, que tu n'as pas vu la belle Cressida. – Je viens pour parler à Pâris de la part du prince Troïlus; je lui ferai un assaut de politesses et de compliments; car mon affaire bout.

LE VALET. – Une affaire bouillie! C'est une phrase à l'étuvée, ma foi!

(Entrent Pâris et Hélène. Suite.)

PANDARE. – Bel avenir à vous, seigneur et à toute cette belle compagnie! Que de beaux désirs, dans une belle mesure, les accompagnent tous! et surtout vous, belle reine! Que de beaux songes soient le doux oreiller de votre sommeil!

HÉLÈNE. – Cher seigneur, vous êtes plein de belles paroles.

PANDARE. – C'est votre beau plaisir de le dire, aimable princesse. – Beau prince, voilà de la bonne musique interrompue.

PARIS. – C'est vous qui l'avez interrompue, cousin, et sur ma vie, vous en renouerez le fil de nouveau; vous la raccommoderez avec une pièce de votre invention. – Hélène, il a une voix pleine d'harmonie.

PANDARE. – Non, madame, en vérité.

HÉLÈNE. – Oh! seigneur…

PANDARE. – Rauque, en vérité; rauque, vraiment.

PARIS. – Bien dit, seigneur. – Oui, je sais que c'est là votre excuse de temps en temps.

PANDARE. – Chère princesse, j'aurais affaire au seigneur Pâris. – (A Pâris.) Seigneur, voulez-vous m'accorder la faveur de vous dire un mot?

HÉLÈNE. – Non; cette défaite ne nous éconduira pas: nous vous entendrons chanter, certainement.

PANDARE. – Allons, belle princesse, vous me raillez. – (A Pâris.) Mais vraiment, comme je vous le dis, seigneur, – mon cher seigneur, mon estimable ami, votre frère Troïlus…

HÉLÈNE. – Seigneur Pandare, mon doux seigneur…

PANDARE. – Allons, poursuivez, charmante princesse, poursuivez. – (A Pâris)…se recommande à vous dans les termes les plus affectueux.

HÉLÈNE. – Vous ne nous priverez pas de notre mélodie. – Si vous le faites, que notre mélancolie retombe sur votre tête.

PANDARE. – Douce princesse, chère princesse; oh! c'est une charmante princesse, en vérité!

HÉLÈNE. – …Et rendre triste une douce princesse, c'est une grande insulte. Non, vous aurez beau faire, cela est inutile; vous n'y gagnerez rien, en vérité; oh! je ne m'embarrasse pas de ces propos. Non, non.

PANDARE, à Pâris. – …Et, seigneur, il vous prie, si le roi l'invite au souper, de vous charger de l'excuser.

HÉLÈNE. – Seigneur Pandare…

PANDARE. – Que dit mon aimable reine, ma très-aimable reine?

PARIS. – Quel projet a-t-il en tête? Où soupe-t-il ce soir?

HÉLÈNE. – Non; mais, seigneur…

PANDARE. – Que dit ma belle reine? Mon cousin se brouillera avec vous; il ne faut pas que vous sachiez où il soupe.

HÉLÈNE. – Je gagerais ma vie que c'est avec Cressida l'usurpatrice.

PANDARE. – Oh! non, non, vous n'y êtes pas; vous en êtes bien loin; allez, l'usurpatrice est malade36.

PARIS. – Eh bien! je ferai ses excuses au roi.

PANDARE. – Oui, mon noble seigneur. – (A Hélène.) Pourquoi disiez-vous Cressida? Oh! non, la pauvre usurpatrice est malade.

PARIS. – Ah! je devine.

PANDARE. – Vous devinez? eh! que devinez-vous? Donnez-moi un instrument. – Allons, voyons, belle princesse.

HÉLÈNE. – Oh! cela est bien bon de votre part.

PANDARE. – Ma nièce est horriblement amoureuse d'une chose que vous possédez, belle reine.

HÉLÈNE. – Elle est à elle, seigneur, pourvu que ce ne soit pas mon seigneur Pâris.

PANDARE. – Lui? non, elle ne veut pas de lui. Elle et lui font deux37.

HÉLÈNE. – Une réconciliation, après une brouillerie, pourrait des deux en faire trois.

PANDARE. – Allons, allons, je ne veux pas en entendre davantage là-dessus; je vais vous chanter une chanson.

HÉLÈNE. – Oui, oui, je vous en prie; sur mon honneur, mon digne seigneur, vous préludez bien.

PANDARE. – Oui, oui, vous pouvez, vous pouvez…

HÉLÈNE. – Que l'amour soit le sujet de votre chanson. Ah! l'amour nous perdra tous. O Cupidon! Cupidon! Cupidon!

PANDARE. – L'amour! oui, ce sera lui, d'honneur.

PARIS. – Oh! oui, bon; l'amour, l'amour, rien que l'amour.

PANDARE. – En vérité, cela commence ainsi…

 
L'amour, l'amour, rien que l'amour, toujours l'amour,
Car, oh! l'arc de l'amour
Perce chevreuils et chevrettes;
Le trait tue
Lorsqu'il blesse;
Mais il chatouille toujours la blessure.
 
 
Ces amants s'écrient: Oh! oh! Ils meurent;
Mais ce qui semble blesser à mort
Se change en oh! oh! en ah! ah! eh!
De sorte que l'amour mourant vit toujours,
Oh! oh! un moment; mais ah! ah! ah!
Oh! oh! on gémit en disant: Ah! ah! ah!
Eh! oh!
 

HÉLÈNE. – De l'amour, vraiment jusqu'au bout du nez.

PARIS. – Il ne se nourrit que de colombes, l'Amour; et cela échauffe le sang, et le sang chaud engendre de brûlants désirs, et les brûlants désirs produisent de brûlants effets, et ces brûlants effets sont l'amour.

PANDARE. – Est-ce là la génération de l'Amour? Un sang chaud, de chauds désirs, de chauds effets; comment donc? ce sont des vipères; l'amour est-il une génération de vipères? – Mon cher seigneur, qui est-ce qui est en campagne aujourd'hui?

PARIS. – Hector, Déiphobe, Hélénus, Anténor, et tous les braves de Troie. J'aurais bien désiré m'armer aussi aujourd'hui; mais mon Hélène ne l'a pas voulu. – Comment se fait-il que mon frère Troïlus n'y ait pas été?

HÉLÈNE. – Il y a quelque chose qui lui fait faire la moue. – Vous savez tout, seigneur Pandare.

PANDARE. – Non, ma tendre et douce reine. – Je brûle de savoir quel succès ils ont eu aujourd'hui. —(A Pâris.) Vous vous rappellerez les excuses de votre frère.

PARIS. – Ponctuellement.

PANDARE. – Adieu, belle princesse.

(Il sort.)
(On sonne la retraite.)

HÉLÈNE. – Ne m'oubliez pas auprès de votre nièce.

PANDARE. – Je m'en souviendrai, belle princesse.

PARIS. – Ils sont revenus du champ de bataille: allons au palais de Priam complimenter les guerriers. Chère Hélène, il faut que je vous prie d'aider à désarmer notre Hector; les boucles rebelles de son armure, une fois touchées de cette charmante main blanche, obéiront plus vite qu'au tranchant de l'acier, ou à la force des muscles grecs. Vous serez plus puissante que tous ces rois insulaires pour désarmer le grand Hector.

HÉLÈNE. – Je serai fière, Pâris, de le servir: oui, ce qu'il recevra de moi en hommages me donnera plus de droits au prix de la beauté que ce que j'en possède, et même m'embellira encore.

PARIS. – O ma chère, je t'aime au delà de toute idée.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Troie. – Les jardins de Pandare
PANDARE, UN VALET DE TROÏLUS

PANDARE. – Eh bien, où est ton maître? est-il chez ma nièce Cressida?

LE VALET. – Non seigneur, il vous attend pour l'y conduire.

(Entre Troïlus.)

PANDARE. – Ah! le voilà qui vient. – Eh bien? eh bien?

TROÏLUS, au valet. – Drôle, éloigne-toi.

(Le valet sort.)

PANDARE. – Avez-vous vu ma nièce?

TROÏLUS. – Non, Pandare, je me promène auprès de sa porte, comme une ombre étrangère sur les bords du Styx en attendant la barque. O vous, soyez mon Caron, et transportez-moi rapidement à ces champs fortunés, où je pourrai me reposer mollement sur ces couches de lis destinées à celui qui en est digne. O cher Pandare, arrachez à l'amour ses ailes peintes, et volez avec moi vers Cressida.

PANDARE. – Promenez-vous dans ce verger. Je vais l'amener ici à l'instant.

(Pandare sort.)

TROÏLUS, seul. – Je suis tout étourdi; l'attente me donne des vertiges. Le plaisir que je goûte déjà en imagination est si doux qu'il enchante tous mes sens. Qu'arrivera-t-il donc lorsque je m'abreuverai à longs traits du céleste nectar de l'amour? La mort, je le crains; une mort d'évanouissement, une volupté trop exquise, trop pénétrante, trop exaltée dans sa douceur pour la capacité de mes facultés grossières. Je le crains beaucoup; je crains aussi de perdre le sentiment net de ma joie, comme dans une bataille où l'on charge pêle-mêle l'ennemi en déroute.

(Pandare rentre.)

PANDARE. – Elle s'apprête, elle va être ici tout à l'heure. C'est à présent qu'il faut vous aider de tout votre esprit: elle rougit aussi fort, sa respiration est aussi courte que si elle était épouvantée par un esprit. Je vais l'aller chercher. Oh! c'est la plus jolie friponne. – Elle ne respire pas plus qu'un moineau qu'on vient de saisir.

(Pandare sort.)

TROÏLUS. – Le même trouble s'empare de mon sein: mon pouls bat plus vite que le pouls de la fièvre; et toutes mes facultés perdent leur usage, comme un vassal en rencontrant à l'improviste les yeux du monarque.

(Pandare vient avec Cressida.)

PANDARE, à sa nièce. – Allons, venez. Pourquoi rougissez-vous? La pudeur est un enfant. – La voilà; répétez-lui maintenant tous les serments que vous m'avez faits à moi. – Quoi, vous voilà déjà repartie? Il faudra donc vous priver de sommeil, pour vous apprivoiser38? dites, le faudra-t-il? Allons, venez, avancez; ou si vous reculez, nous vous placerons entre les brancards. – Pourquoi ne lui adressez-vous pas la parole? Allons, levez ce voile, et laissez voir votre portrait. Allons donc! quelle répugnance vous avez à offenser la lumière du jour! S'il était nuit, je crois que vous vous rapprocheriez plutôt. – Allons, allons, éveillez-vous et embrassez la demoiselle. Comment, comment? c'est un baiser infini comme un fief perpétuel: bâtis ici, charpentier, l'air y est doux. Oh! vous vous direz tout ce que vous avez sur le coeur avant que je vous sépare. Oh! le faucon vaut le tiercelet39, je gagerais tous les canards de la rivière: allez, allez.

TROÏLUS. – Vous m'avez ôté l'usage de la parole, madame.

PANDARE. – Les paroles ne payent aucune dette: donnez-lui des effets. Mais elle vous en ôterait aussi les facultés, si elle mettait leur activité à l'épreuve. Quoi! on se becquète encore? Nous y voilà. —En témoignage de quoi, les deux parties mutuellement… Entrez, entrez: je vais faire faire du feu.

(Pandare sort.)

CRESSIDA. – Voulez-vous vous promener, seigneur?

TROÏLUS. – O Cressida! oh! combien de fois je me suis souhaité où je suis!

CRESSIDA. – Souhaité, seigneur? Les dieux le veuillent! ô seigneur!

TROÏLUS. – Qu'ils veuillent quoi? Où tend cette jolie apostrophe? quel limon ma douce dame aperçoit-elle dans la source de notre amour?

CRESSIDA. – Plus de limon que d'eau pure, si ma crainte a des yeux.

TROÏLUS. – La crainte fait un démon d'un chérubin; jamais la crainte ne voit la vérité.

CRESSIDA. – L'aveugle crainte, quand la raison clairvoyante la guide, marche d'un pas plus sûr que l'aveugle raison, qui, sans crainte, trébuche. En craignant le dernier des malheurs, on s'en préserve souvent.

TROÏLUS. – Ah! que ma belle Cressida ne conçoive aucune alarme! Dans toutes les scènes de l'amour on ne représente point de monstre40.

CRESSIDA. – Non? ni rien de monstrueux?

TROÏLUS. – Rien, si ce n'est nos projets. Lorsque nous faisons voeu de verser des torrents de larmes, de vivre au milieu des flammes, de dévorer les rochers, d'apprivoiser les tigres, croyant qu'il est plus difficile à notre amante d'imaginer des épreuves assez fortes, qu'à nous de triompher des travaux qu'elle nous impose; voilà, madame, ce qu'il y a de monstrueux dans l'amour: c'est que la volonté est infinie, et que le pouvoir est borné; le désir est immense, et l'exécution esclave des limites.

CRESSIDA. – On dit que les amants jurent d'exécuter plus de choses qu'ils ne peuvent en accomplir, et cependant qu'ils tiennent en réserve un pouvoir qu'ils n'emploient jamais, jurant de faire dix fois plus qu'un homme et n'accomplissant pas la dixième partie de ce que fait un homme. Ceux qui ont la voix des lions et la lâcheté des lièvres ne sont-ils pas des monstres?

TROÏLUS. – Y a-t-il des gens pareils? Nous n'en sommes pas. Mesurez vos louanges sur l'épreuve que vous faites de nous, accordez-nous le degré de mérite que nous témoignons; notre tête restera nue jusqu'à ce que le mérite la couronne; nulle perfection à venir ne recueillera d'éloges anticipés; ne nommons point le mérite avant sa naissance; et lorsqu'il sera né, ses titres seront modestes; peu de paroles et beaucoup de foi. Voilà ce que Troïlus sera pour Cressida, tout ce que l'envie pourra inventer de plus noir sera de ridiculiser ma constance, et tout ce que la vérité pourra dire de plus vrai ne sera pas plus sincère que Troïlus.

CRESSIDA. – Voulez-vous entrer, seigneur?

(Pandare revient.)

PANDARE. – Quoi, vous rougissez encore? N'avez-vous donc pas fini de jaser ensemble?

CRESSIDA. – Eh bien! toutes les folies que je fais, je vous les consacre.

PANDARE. – Je vous en rends grâces: oui, si le seigneur Troïlus a un fils de vous, vous me le donnerez: soyez-lui fidèle; et s'il vous délaisse, c'est moi que vous gronderez.

TROÏLUS. – Vous connaissez à présent nos otages; la parole de votre oncle et ma foi constante.

PANDARE. – Oh! j'engagerai sans crainte ma parole pour elle aussi: les filles de notre famille sont longtemps à se laisser faire l'amour; mais une fois gagnées, elles sont constantes; ce sont de vrais glouterons, je puis vous l'assurer; elles s'attachent là où on les jette.

CRESSIDA. – La hardiesse commence à me venir, et me rend le courage, prince Troïlus; je vous ai aimé nuit et jour depuis de bien longs mois.

TROÏLUS. – Pourquoi donc ma Cressida a-t-elle tardé si longtemps à se laisser vaincre?

CRESSIDA. – Dites à paraître vaincue; mais j'étais vaincue, seigneur, depuis le premier coup d'oeil que je… Pardonnez-moi… Si j'en avoue trop, vous deviendrez tyran. Je vous aime à présent; mais jusqu'à présent, pas au point de n'être pas maîtresse de mon amour. – Ah! d'honneur, je ne dis pas vrai; mes pensées étaient comme des enfants sans lisière, devenus trop mutins pour obéir à leur mère. – Voyez comme nous sommes folles! Pourquoi ai-je bavardé? Qui sera discret pour nous, lorsque nous ne pouvons pas nous garder le secret à nous-mêmes? Mais, quoique je vous aimasse bien, je ne vous recherchais pas, et cependant, je le jure, je souhaitais alors être un homme, ou bien que les femmes eussent le privilége qu'ont les hommes de parler les premiers. Mon ami, dites-moi de me taire, car dans l'enchantement où je suis, je dirai vivement des choses dont je me repentirai après. Voyez, voyez: votre silence, adroit dans sa discrétion, surprend à ma faiblesse le secret le plus profond de mon âme. – Fermez-moi la bouche.

TROÏLUS. – Je le veux bien (il l'embrasse), quoiqu'il en sorte une douce musique.

PANDARE. – C'est fort joli, en vérité.

CRESSIDA. – Seigneur, je vous en conjure, pardonnez-moi. Je n'avais pas l'intention de demander un baiser. Je suis honteuse. – O ciel! qu'ai-je fait? – Pour cette fois, je veux prendre congé de vous, seigneur.

TROÏLUS. – Congé, chère Cressida?

PANDARE. – Congé! Oh! si vous prenez congé avant demain matin…

CRESSIDA. – Je vous en prie, permettez-moi…

TROÏLUS. – Qui est-ce qui vous importune, madame?

CRESSIDA. – Seigneur, ma propre compagnie.

TROÏLUS. – Vous ne pouvez pas vous fuir vous-même.

CRESSIDA. – Laissez-moi m'en aller et essayer: j'ai une partie fâcheuse, qui s'abandonne elle-même pour être la dupe d'un autre. – Je voudrais m'en aller! Où est donc ma raison? Je ne sais ce que je dis.

TROÏLUS. – On sait bien ce qu'on dit quand on parle avec tant de sagesse.

CRESSIDA. – Peut-être, seigneur, que j'ai montré plus de finesse que d'amour: et que je vous ai fait sans détour de si grands aveux pour amorcer vos désirs. – Mais vous n'êtes pas sage, ou vous n'aimez pas. Unir la sagesse et l'amour surpasse le pouvoir de l'homme41: ce prodige est réservé aux dieux.

TROÏLUS. – Ah! que je voudrais pouvoir penser qu'il est au pouvoir d'une femme (et si cela est possible, je le crois de vous) d'entretenir toujours son flambeau et les feux de l'amour; de conserver sa constance pleine de vigueur et de jeunesse, afin qu'elle survive à sa beauté extérieure par une âme qui se renouvelle plus promptement que le sang ne s'appauvrit! ou si je pouvais être convaincu que mon dévouement et ma fidélité pour vous peuvent rencontrer leur égale dans une tendresse pure sans alliage; oh! que je serais alors élevé au-dessus de moi-même! Mais, hélas! je suis aussi vrai que la simplicité de la vérité, et plus simple que la vérité dans son enfance.

CRESSIDA. – Je lutterai de constance avec vous.

TROÏLUS. – O combat vertueux, lorsque la vertu lutte avec la vertu, à qui vaudra le mieux! Les vrais amants, dans les siècles futurs, attesteront leur foi par le nom de Troïlus. Lorsque dans leurs vers, remplis de protestations, de serments et de grandes comparaisons, ils auront épuisé toutes les figures, qu'ils les auront usées à force de les répéter; après qu'ils auront juré que leur coeur est aussi fidèle que l'acier, aussi constant que les plantes le sont à la lune, que le soleil l'est au jour, la tourterelle à sa compagne, le fer à l'aimant, la terre à son centre; après toutes ces comparaisons, je serai cité comme le modèle le plus célèbre de fidélité: Fidèle comme Troïlus, telle sera la conclusion de leurs vers pour les rendre sacrés.

CRESSIDA. – Puissiez-vous être prophète! Si je suis perfide, ou que je m'écarte de la fidélité de l'épaisseur d'un cheveu, quand le temps vieilli se sera oublié lui-même, quand les gouttes de pluie auront usé les murs de Troie, que l'aveugle oubli aura englouti les cités, et que des États puissants seront effacés de la terre et réduits à la poussière du néant, qu'alors la mémoire, remontant au milieu des filles infidèles, d'infidélité en infidélité, me reproche ma perfidie. Lorsqu'on aura dit: Aussi perfide que le renard l'est à l'agneau, le loup au veau de la génisse; le léopard au chevreuil, ou la marâtre à son fils, qu'alors on ajoute, pour toucher au coeur même de la perfidie: Aussi perfide que Cressida!

PANDARE. – Allons, voilà un marché fait: scellez-le, scellez-le; je servirai de témoin. Je tiens ici votre main, et voici celle de ma nièce: si jamais vous devenez infidèles l'un à l'autre, après toutes les peines que j'ai prises pour vous rapprocher, que tous les malheureux entremetteurs soient jusqu'à la fin du monde appelés de mon nom; qu'on les appelle tous des Pandares, que tous les hommes inconstants soient appelés des Troïlus, toutes les femmes perfides des Cressida, et tous les intrigants d'amour des Pandare! dites tous deux: Amen!

TROÏLUS. —Amen!

CRESSIDA. —Amen!

PANDARE. —Amen! – Et là-dessus, je vais vous montrer une chambre à coucher: et comme le lit ne parlera jamais de vos tendres combats, pressez-le à mort: allons, venez; et que Cupidon veuille procurer à toutes les filles qui sont ici bouche close, un lit, une chambre, et un Pandare pour tout préparer!

(Ils sortent.)
32.Milon peut bien être cité ici après Aristote.
33.Shakspeare suit ici la coutume de son temps, Ben Johnson avait plusieurs amis qui s'appelaient ses fils.
34.Jeu de mots sur grâce, titre que prennent les ducs en Angleterre.
35.Équivoque sur le verbe command, commander et commandement, si command est substantif.
36.Hélène appelle Cressida l'usurpatrice, parce que sa beauté lui fait tort.
37.C'est-à-dire ils sont brouillés.
38.Voyez l'Art du Fauconnier.
39.Le tiercelet est le mâle du faucon; du moins, en Angleterre, on entend toujours par faucon la femelle du tiercelet.
40.Allusion aux théâtres d'alors.
41.Amare et sapere vix à Deo conceditur. (Publius Syrus.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
130 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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