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Читать книгу: «Roméo et Juliette», страница 6

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SCÈNE III

La cellule du frère Laurence.

Entrent FRÈRE LAURENCE et ROMÉO.

FRÈRE LAURENCE.—Roméo, sors de ta retraite: viens ici, homme craintif; l'affliction s'est éprise de tes mérites, et la calamité t'a épousé.

ROMÉO.—Mon père, quelles nouvelles? quel est l'arrêt du prince? quelle infortune encore inconnue demande à s'attacher à moi?

FRÈRE LAURENCE.—Mon cher fils n'est que trop accoutumé à cette cruelle société. Je t'apporte la nouvelle de l'arrêt du prince.

ROMÉO.—Eh bien! le jugement du prince est-il plus doux que le jour du jugement?

FRÈRE LAURENCE.—Un arrêt moins rigoureux s'est échappé de sa bouche: ce n'est pas la mort de ton corps, mais son bannissement.

ROMÉO.—Ah! le bannissement! aie pitié de moi; dis la mort. L'aspect de l'exil porte avec lui plus de terreur, beaucoup plus que la mort. Ah! ne me dis pas que c'est le bannissement.

FRÈRE LAURENCE.—Tu es banni de Vérone. Prends patience; le monde est grand et vaste.

ROMÉO.—Le monde n'existe pas hors des murs de Vérone; ce n'est plus qu'un purgatoire, une torture, un véritable enfer. Banni de ce lieu, je le suis du monde, c'est la mort. Oui, le bannissement, c'est la mort sous un faux nom; et ainsi, en nommant la mort un bannissement, tu me tranches la tête avec une hache d'or, et souris au coup qui m'assassine.

FRÈRE LAURENCE.—O mortel péché! ô farouche ingratitude! Pour ta faute, notre loi demandait la mort; mais le prince indulgent, prenant ta défense, a repoussé de côté la loi, et a changé ce mot funeste de mort en celui de bannissement: c'est une rare clémence, et tu ne veux pas la reconnaître.

ROMÉO.—C'est un supplice et non une grâce. Le ciel est ici, où vit Juliette: les chats, les chiens, la moindre petite souris, tout ce qu'il y a de plus misérable vivra ici dans le ciel, pourra la voir; et Roméo ne le peut plus! La mouche qui vit de charogne jouira d'une condition plus digne d'envie, plus honorable, plus relevée que Roméo; elle pourra s'ébattre sur les blanches merveilles de la chère main de Juliette, et dérober le bonheur des immortels sur ces lèvres où la pure et virginale modestie entretient une perpétuelle rougeur, comme si les baisers qu'elles se donnent étaient pour elles un péché; mais Roméo ne le peut pas, il est banni! Ce que l'insecte peut librement voler, il faut que je vole pour le fuir; il est libre et je suis banni57; et tu me diras encore que l'exil n'est pas la mort!… N'as-tu pas quelque poison tout préparé, quelque poignard affilé, quelque moyen de mort soudaine, fût-ce la plus ignoble? Mais banni! me tuer ainsi! banni! O moine, quand ce mot se prononce en enfer, les hurlements l'accompagnent.—Comment as-tu le coeur, toi un prêtre, un saint confesseur, toi qui absous les fautes, toi mon ami déclaré, de me mettre en pièces par ce mot bannissement?

FRÈRE LAURENCE.—Amant insensé, écoute seulement une parole.

ROMÉO.—Oh! tu vas me parler encore de bannissement.

FRÈRE LAURENCE.—Je veux te donner une arme pour te défendre de ce mot: c'est la philosophie, ce doux baume de l'adversité; elle te consolera, quoique tu sois exilé.

ROMÉO.—Encore l'exil! Que la philosophie aille se faire pendre: à moins que la philosophie n'ait le pouvoir de créer une Juliette, de déplacer une ville, ou de changer l'arrêt d'un prince, elle n'est bonne à rien, elle n'a nulle vertu; ne m'en parle plus.

FRÈRE LAURENCE.—Oh! je vois maintenant que les insensés n'ont point d'oreilles.

ROMÉO.—Comment en auraient-ils, lorsque les hommes sages n'ont pas d'yeux?

FRÈRE LAURENCE.—Laisse-moi discuter avec toi ta situation.

ROMÉO.—Tu ne peux parler de ce que tu ne sens pas. Si tu étais aussi jeune que moi, amant de Juliette, marié seulement depuis une heure, meurtrier de Tybalt, éperdu d'amour comme moi, et comme moi banni, alors tu pourrais parler; alors tu pourrais t'arracher les cheveux et te jeter sur la terre comme je fais, pour prendre la mesure d'un tombeau qui n'est pas encore ouvert.

FRÈRE LAURENCE.—Lève-toi, on frappe; bon Roméo, cache-toi.

(On frappe derrière le théâtre.)

ROMÉO.—Me cacher? Non, à moins que la vapeur des gémissements de mon coeur malade, m'enveloppant comme un brouillard, ne me dérobe aux yeux qui me cherchent. (On frappe.)

FRÈRE LAURENCE.—Écoute comme ils frappent.—Qui est là?—Roméo, lève-toi; tu seras pris.—Attendez un instant.—Lève-toi, fuis dans mon cabinet.—(On frappe.) Dans un moment.—Volonté de Dieu! quelle obstination est la tienne?—J'y vais, j'y vais.—(On frappe.) Qui frappe si fort? D'où venez-vous? que demandez-vous?

LA NOURRICE, en dehors.—Laissez-moi entrer, et vous apprendrez mon message. Je viens de la part de la signora Juliette.

FRÈRE LAURENCE.—En ce cas, soyez la bienvenue.

(Entre la nourrice.)

LA NOURRICE.—O saint frère, oh! dites-moi, saint frère, où est l'époux de ma maîtresse? où est Roméo?

FRÈRE LAURENCE.—Le voilà étendu sur la terre, ivre de ses propres larmes.

LA NOURRICE.—Oh! il est dans le même état que ma maîtresse, juste dans le même état.

FRÈRE LAURENCE.—O funeste sympathie, déplorable situation!

LA NOURRICE.—Voilà comme elle est étendue, pleurant et sanglotant, sanglotant et pleurant.—Levez-vous, levez-vous, levez-vous, si vous êtes un homme. Pour l'amour de Juliette, pour l'amour d'elle, levez-vous et soutenez-vous. Comment pouvez-vous être tombé si bas?

ROMÉO.—O nourrice!

LA NOURRICE.—Ah! seigneur, seigneur!—Eh bien! la mort est la fin de tous.

ROMÉO.—Parles-tu de Juliette? En quel état est-elle? Ne me regarde-t-elle pas comme un assassin de profession, depuis que j'ai souillé l'enfance de notre bonheur d'un sang qui tient de si près au sien? Où est-elle? comment est-elle? que dit ma secrète épouse du lien qui a scellé nos amours58?

LA NOURRICE.—Ah! elle ne dit rien, seigneur; mais elle pleure, et puis elle pleure: tantôt elle tombe sur son lit, tantôt elle se relève en sursaut et elle appelle Tybalt, et puis elle appelle en criant Roméo; et puis elle retombe.

ROMÉO.—Comme si ce nom, parti d'une arme meurtrière, la tuait, comme la main maudite de celui qui le porte a tué son parent.—Dis-moi, frère, dis-moi en quelle vile partie de mon corps habite ce nom; dis-le moi, pour que j'en ravage l'odieuse demeure.

(Il tire son épée.)

FRÈRE LAURENCE.—Arrête ta main désespérée. Es-tu un homme? Ta figure crie que tu en es un; mais tes pleurs sont d'une femme, et tes actions désordonnées indiquent la fureur d'une bête privée de raison. Femme dépourvue de grâces, homme seulement en apparence, n'es-tu donc sous la ressemblance de tous les deux qu'un animal difforme? Tu m'as confondu. Par mon saint ordre, j'avais cru ton âme mieux trempée. Après avoir tué Tybalt, veux-tu te tuer toi-même, et, par le coup d'une damnable haine contre toi-même, tuer aussi ton épouse qui ne vit qu'en toi? Pourquoi t'emporter ainsi contre ta naissance, le ciel et la terre? Ta naissance, le ciel et la terre se sont réunis pour avoir part à ton existence, et tu veux tout perdre à la fois! Fi donc! fi donc! tu déshonores ta personne, ton amour, ton intelligence; toi qui, riche de ces dons précieux, comme l'avare, n'en emploies aucun à son véritable usage, seul capable de donner du lustre à ta personne, à ton intelligence, à ton amour. Ta noble figure devient un simulacre de cire dépouillé de ce qui fait la valeur d'un homme: tes serments du plus tendre amour ne sont qu'un noir parjure, lorsque tu détruis cet amour que tu avais fait voeu de chérir: ton intelligence, cet ornement de ta personne et de ton amour, trompée elle-même dans la règle qu'elle doit leur prescrire à tous deux, de même que la poudre dans le carnier d'un soldat maladroit, prend feu par ton impéritie et te met en pièces par les moyens destinés à ta défense.—Allons, homme, relève-toi, ta Juliette est vivante, ta Juliette pour l'amour de qui tu étais mort, il n'y a qu'un moment. Tu es heureux par là, Tybalt voulait te tuer, et c'est toi qui as tué Tybalt; là encore tu es heureux. La loi, qui te menaçait de la mort, devenue ton amie, n'a prononcé que l'exil; en cela tu es heureux; un amas de bénédictions est descendu sur ta tête; le bonheur s'empresse autour de toi dans ses plus doux atours; et toi, comme une jeune fille obstinée et perverse, tu boudes avec humeur ta fortune et ton amour. Prends-y garde, prends-y garde; c'est ainsi qu'on meurt misérable. Allons, va rejoindre ton amante, comme il a été convenu; monte dans sa chambre; pars et va la consoler. Mais souviens-toi de la quitter avant que la garde soit placée; car alors tu ne pourrais plus arriver à Mantoue, où tu dois rester jusqu'à ce que nous puissions trouver l'occasion d'annoncer votre mariage, de réconcilier vos parents, d'obtenir ta grâce du prince, et de te rappeler, cinq cent mille fois plus transporté de bonheur que tu n'as répandu de lamentations en partant.—Va devant, nourrice; parle de moi à ta maîtresse; dis-lui de hâter dans toute la maison le moment de se mettre au lit: le chagrin dont ils sont accablés doit les y disposer. Roméo va venir.

LA NOURRICE.—O Seigneur mon Dieu, je resterais ici toute la nuit pour entendre ces bons avis. Oh! ce que c'est que la science!—Mon cher maître, je vais annoncer à ma maîtresse que vous allez venir.

ROMÉO.—Va, et dis à ma douce amie de se préparer à me gronder.

LA NOURRICE.—Voici, seigneur, un anneau qu'elle m'a chargé de vous donner. Hâtez-vous, ne perdez pas de temps, car il se fait déjà bien tard.

(Elle sort.)

ROMÉO.—Comme ce don a ranimé mon courage!

FRÈRE LAURENCE.—Partez, bonne nuit. Toute votre destinée dépend de ceci: ou sortez de la ville avant que la garde soit postée, ou au point du jour sortez déguisé. Restez à Mantoue; je trouverai votre domestique; de temps en temps, il vous instruira de tout ce qu'il arrivera de favorable pour vous ici. Donne-moi ta main; il est tard; adieu, bonne nuit.

ROMÉO.—Si je n'étais appelé par une joie au-dessus de toutes les joies, ce serait un chagrin de me séparer de toi si brusquement. Adieu!

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

La maison de Capulet.

CAPULET, LA SIGNORA CAPULET, PARIS.

CAPULET.—Il est arrivé, seigneur, des choses si malheureuses, que nous n'avons pas eu le temps de disposer notre fille. Voyez-vous, elle aimait chèrement son cousin Tybalt, et moi je l'aimais bien aussi. Enfin, nous sommes nés pour mourir.—Il est très-tard, elle ne descendra pas ce soir; et je vous réponds que, sans votre compagnie, il y a une heure que je serais au lit.

PARIS.—Ces moments amers ne sont pas des moments d'amour59.—Bonne nuit, madame; présentez mes hommages à votre fille.

LA SIGNORA CAPULET.—Je n'y manquerai pas, et demain, dès le matin, je saurai sa pensée: pour ce soir, son accablement l'a forcée à se retirer.

CAPULET.—Moi, Pâris, je veux témérairement vous répondre de l'amour de ma fille. Je pense bien qu'à tous égards elle se laissera gouverner par moi; je dis plus, je n'en doute pas.—Ma femme, allez la trouver avant de vous mettre au lit, instruisez-la de l'amour de mon fils Pâris, et donnez-lui ordre, faites-y bien attention, pour mercredi prochain. Mais doucement: quel jour est-ce aujourd'hui?

PARIS.—Lundi, seigneur.

CAPULET.—Lundi? Ah ah! mercredi est trop tôt: ce sera donc pour jeudi. Dites-lui que jeudi elle sera mariée à ce noble comte.—Serez-vous prêt? Cette précipitation est-elle de votre goût? Nous ne ferons pas grand embarras. Un ami ou deux; car, écoutez donc, le meurtre de Tybalt étant si récent, on pourrait trouver que pour un parent, nous en faisions bien peu de cas, si nous donnions de grands divertissements. Ainsi nous inviterons quelque demi-douzaine d'amis, et voilà tout.... Mais que dites-vous de jeudi?

PARIS.—Seigneur, je voudrais que jeudi vînt demain.

CAPULET.—Fort bien; allons, retirez-vous.—Ainsi, jeudi.—Vous, ma femme, voyez Juliette avant de vous mettre au lit; préparez-la au jour de ses noces.—Adieu, seigneur.... Holà! de la lumière dans ma chambre; marchez devant moi.... Il est si tard que bientôt l'on pourra dire qu'il est de bonne heure.—Bonne nuit.

(Ils sortent.)

SCÈNE V

La chambre de Juliette.

Entrent ROMÉO et JULIETTE.

JULIETTE.—Veux-tu donc déjà me quitter? le jour n'est pas encore prêt de paraître: c'est le rossignol, et non l'alouette, dont la voix a pénétré ton oreille inquiète; toute la nuit il chante là-bas sur ce grenadier. Crois-moi, cher amour, c'était le rossignol.

ROMÉO.—C'est l'alouette qui proclame le matin, et non pas le rossignol. Vois, ma bien-aimée, ces traits d'une lumière jalouse qui traversent les nuages entr'ouverts à l'orient: tous les flambeaux de la nuit sont consumés; et au sommet des montagnes couvertes de brouillards s'élève sur la pointe du pied le joyeux matin. Il me faut partir et vivre, ou rester et mourir.

JULIETTE.—Cette lumière n'est point la lumière du jour, je le sais bien, moi: c'est quelque météore qu'exhale le soleil pour te servir de flambeau cette nuit, et t'éclairer dans ta route vers Mantoue. Reste donc, il n'est pas encore nécessaire que tu t'en ailles.

ROMÉO.—Qu'on me surprenne ici, qu'on me mette à mort, je suis content si tu le veux ainsi. Je dirai que cette teinte grisâtre n'est pas l'oeil du matin, mais le pâle reflet du front de Cynthie, et que ce n'est pas l'alouette dont les accents vont frapper la voûte des cieux, si haut au-dessus de nos têtes. J'ai bien plus de penchant à rester que de volonté de partir.—Viens, Mort, et sois la bienvenue; Juliette le veut ainsi.—Que dis-tu, mon amour? causons, ce n'est pas le jour.

JULIETTE.—C'est le jour, c'est le jour: hâte-toi de partir, va-t'en. C'est l'alouette qui chante si faux, qui roule des sons si péniblement discordants, et d'une aigreur si désagréable. On prétend que l'alouette sait observer dans son chant de gracieuses séparations; cela n'est pas vrai, puisqu'elle nous sépare60. Quelques-uns disent que l'alouette a changé d'yeux avec le crapaud dégoûtant: oh! que je voudrais qu'ils eussent aussi changé de voix, puisque cette voix nous arrache des bras l'un de l'autre, et te chassent d'ici par ces sons qui appellent le jour. Oh! maintenant, va-t'en; le ciel s'éclaircit de plus en plus.

ROMÉO.—Le ciel s'éclaircit de plus en plus, et de plus en plus notre sort s'obscurcit.

(Entre la nourrice.)

LA NOURRICE.—Madame!

JULIETTE.—Qu'y a-t-il, nourrice?

LA NOURRICE.—Madame votre mère vient à votre chambre: le jour paraît; prenez garde; ayez l'oeil au guet.

(Elle sort.)

JULIETTE.—Eh bien! fenêtre, laisse entrer le jour et sortir ma vie.

ROMÉO.—Adieu, adieu! Un baiser, et je vais descendre.

(Roméo descend.)

JULIETTE.—Te voilà donc parti, mon amant, mon maître, mon ami! Il me faut de tes nouvelles à chaque jour de chacune de mes heures, car dans chaque minute il y aura pour moi plus d'un jour. Oh! qu'à ce compte je serai chargée d'années avant de revoir mon Roméo!

ROMÉO.—Adieu! je ne laisserai échapper aucune occasion de te faire passer, ô ma bien-aimée! l'expression de mes voeux.

JULIETTE.—Ah! crois-tu que nous nous revoyions jamais?

ROMÉO.—Je n'en doute point, et toutes tes peines serviront de sujet aux entretiens de nos jours à venir.

JULIETTE.—O Dieu! j'ai dans l'âme un funeste présage: il me semble que je te vois, maintenant que tu es descendu, comme un mort couché au fond d'un tombeau; ou ma vue se trouble, ou tu me parais pâle.

ROMÉO.—Je vous assure, mon cher amour, que vous paraissez de même à mes yeux.—Le chagrin dévorant dessèche notre sang. Adieu, adieu!

(Roméo sort.)

JULIETTE.—O Fortune, Fortune! les hommes te nomment inconstante. Si tu es inconstante, qu'as-tu à faire avec lui, qui est connu pour garder sa foi? Sois inconstante, ô Fortune! car alors j'espère que tu ne me le garderas pas longtemps, mais que tu le renverras bientôt.

LA SIGNORA CAPULET, derrière le théâtre.—Hé! ma fille! êtes-vous levée!

JULIETTE.—Qui m'appelle? Est-ce madame ma mère? Quoi! si tard n'est-elle pas couchée, ou bien est-elle levée si matin? Quelle cause extraordinaire l'amène ici?

LA SIGNORA CAPULET.—Eh bien! Juliette, comment cela va-t-il maintenant?

JULIETTE.—Madame, je ne suis pas bien.

LA SIGNORA CAPULET.—Toujours pleurant la mort de ton cousin? Eh quoi! tes larmes le laveront-elles de la poussière du tombeau? et quand tu y parviendrais, tu ne pourrais le faire revivre. Finis-en donc: une certaine douleur montre beaucoup d'affection; mais beaucoup de douleur montre toujours un défaut de jugement.

JULIETTE.—Laissez-moi pleurer encore une perte aussi sensible.

LA SIGNORA CAPULET.—De cette manière, vous sentirez la perte, mais ne jouirez pas de l'ami que vous pleurez.

JULIETTE.—Sentant aussi vivement sa perte, je ne puis m'empêcher de le pleurer toujours.

LA SIGNORA CAPULET.—Je le vois bien, mon enfant, ce qui te fait pleurer, ce n'est pas tant sa mort que de savoir vivant le misérable qui l'a tué.

JULIETTE.—Quel misérable, madame?

LA SIGNORA CAPULET.—Le misérable Roméo.

JULIETTE.—Un misérable et lui sont à bien des lieues de distance. Que Dieu lui pardonne; moi, je lui pardonne de tout mon coeur; et cependant nul homme n'afflige mon coeur comme lui.

LA SIGNORA CAPULET.—Oui, vous souffrez de voir que ce perfide meurtrier respire.

JULIETTE.—Oui, madame, de ce qu'il respire hors de la portée de mes mains. Je voudrais être seule chargée de venger la mort de mon cousin.

LA SIGNORA CAPULET.—Nous en aurons vengeance, sois tranquille: ne pleure donc plus. J'enverrai à Mantoue, où est maintenant cet apostat de banni: il y a là quelqu'un qui lui donnera un breuvage si efficace, qu'il ira bientôt tenir compagnie à Tybalt; et alors j'espère que tu seras satisfaite.

JULIETTE.—En vérité, je ne serai jamais satisfaite de Roméo, que je ne le voie..... mort.—Mon pauvre coeur est si cruellement affligé pour mon cousin!—Madame, si vous pouviez seulement trouver un homme pour porter le poison, je le préparerais, et de manière à ce que Roméo, après l'avoir reçu, dormît bientôt en paix.—Oh! comme mon coeur abhorre de l'entendre nommer..... et de ne pouvoir aller le joindre..... et venger l'amitié que je portais à mon cousin Tybalt sur la personne de celui qui l'a tué!

LA SIGNORA CAPULET.—Trouve les moyens, et moi je trouverai l'homme.—Mais je vais, mon enfant, t'apprendre de joyeuses nouvelles.

JULIETTE.—La joie vient à propos dans un temps où nous en avons si grand besoin. De grâce, madame, quelles sont ces nouvelles?

LA SIGNORA CAPULET.—Oui, oui, tu as un père soigneux, mon enfant, un père qui, pour te tirer de ton accablement, t'a préparé tout de suite un heureux jour auquel tu ne t'attends pas, et dont je n'avais pas eu la pensée.

JULIETTE.—Madame, à la bonne heure: quel est ce jour?

LA SIGNORA CAPULET.—Vraiment, ma fille, jeudi prochain, de bon matin, un brillant, jeune et noble cavalier, le comte Pâris, dans l'église de Saint-Pierre, aura le bonheur de faire de toi une joyeuse épouse.

JULIETTE.—Ma foi! par l'église de Saint-Pierre, et par saint Pierre lui-même, il ne fera point de moi une joyeuse épouse. Je suis étonnée de cette précipitation, et qu'il me faille épouser avant que l'homme qui doit être mon mari vienne me faire sa cour. Je vous prie, madame, dites à mon seigneur et père que je ne veux pas me marier encore, et que quand je me marierai, je jure que j'épouserai Roméo, que vous savez que je hais, plutôt que Pâris.—Ce sont là des nouvelles, en vérité!

LA SIGNORA CAPULET.—Voilà votre père qui vient: faites-lui cette réponse vous-même, et voyez comment il la recevra de votre part.

(Entrent Capulet et la nourrice.)

CAPULET.—Lorsque le soleil est couché, l'humidité de l'air se répand en gouttes de rosée; mais pour le couchant du fils de mon frère, il pleut tout à fait.—Comment, une gouttière, jeune fille! Quoi, toujours en larmes! toujours des torrents! Tu fais à la fois de ta petite personne une barque, une mer, un ouragan; car je vois dans tes yeux, que je peux appeler la mer, un flux et reflux perpétuel de larmes; ton corps est la barque qui flotte dans ces ondes salées; les vents sont tes soupirs, qui font avec tes larmes un mutuel assaut de violence; en sorte que, s'il ne survient un calme soudain, ils feront chavirer ton corps battu de la tempête.—Où en sommes-nous, ma femme? Lui avez-vous annoncé ma résolution?

LA SIGNORA CAPULET.—Oui, seigneur, mais elle ne veut pas; elle vous remercie. Je voudrais que l'insensée fût mariée à son tombeau.

CAPULET.—Attendez, ma femme, j'en suis, j'en suis. Comment, elle ne veut pas! Elle ne nous remercie pas, elle n'est pas fière, elle ne se trouve pas bien heureuse de ce que, tout indigne qu'elle est, nous lui avons ménagé pour époux un si digne gentilhomme!

JULIETTE.—Non, je n'en suis pas fière, mais j'en suis reconnaissante. Je ne peux jamais être fière de ce que je déteste; mais je puis être reconnaissante même de ce que je déteste, lorsque c'est l'affection qui l'a fait faire.

CAPULET.—Comment, raisonneuse, qu'est-ce que cela veut dire?—Fière,… et je vous remercie,… et je ne vous remercie pas,… et pourtant je ne suis pas fière—Eh bien! madame la mignonne, je ne me soucie point d'être remercié par vos remerciements, ni que vous me fassiez fièrement de la fierté: mais préparez vos petites jambes à aller jeudi prochain avec Pâris à l'église de Saint-Pierre; ou je t'y traînerai, moi, sur une claie. Va-t'en, charogne moisie; va-t'en, malheureuse, face de suif!

LA SIGNORA CAPULET.—Fi! fi! êtes-vous fou?

JULIETTE.—Mon bon père, je vous en conjure à genoux; écoutez-moi avec patience, seulement un mot.

CAPULET.—Va te faire pendre, petite drôlesse, désobéissante coquine. Je te le répète: ou rends-toi à l'église jeudi, ou ne me regarde jamais en face. Pas un mot, pas une réponse, pas une réplique. Les doigts me démangent....—Eh bien! ma femme, nous nous tenions à peine pour heureux parce que Dieu ne nous avait donné que cette unique enfant: maintenant je vois que c'est encore trop d'un, et que nous avons reçu en elle une malédiction.—Qu'elle s'en aille, la malheureuse!

LA NOURRICE.—Que le Dieu du ciel la bénisse! vous avez tort, seigneur, de la maltraiter ainsi.

CAPULET.—Et pourquoi, madame la Sagesse? Tenez votre langue, mère Prudence, allez bavarder avec vos commères.

LA NOURRICE.—Je ne fais pas un crime en parlant.

CAPULET.—Oh! que Dieu nous soit en aide!

LA NOURRICE.—Est-ce qu'on ne peut pas parler?

CAPULET.—Taisez-vous, sotte bougonneuse; allez débiter vos maximes sur la tasse de votre commère; nous n'en avons que faire ici.

LA SIGNORA CAPULET.—Vous êtes trop vif.

CAPULET.—Paix de Dieu! j'en deviendrai fou: le jour, la nuit, le matin, le soir, chez moi ou dehors, seul ou en compagnie, dormant ou veillant, j'ai toujours pensé à la marier! et aujourd'hui, après l'avoir pourvue d'un gentilhomme de famille princière, ayant de beaux domaines, qui est jeune, de belles manières, regorgeant, comme on dit, des qualités les plus avantageuses, fait en tout à plaisir, il faut qu'une malheureuse petite sotte de pleurnicheuse, une poupée gémissante, vienne, à cette bonne fortune qui lui arrive, vous répondre: Je ne ne veux pas me marier;… je ne peux aimer;… je suis trop jeune;… je suis trop jeune, pardonnez-moi....—Mais si vous ne voulez pas vous marier, je vous pardonnerai: allez paître où vous voudrez; vous n'habiterez toujours pas avec moi. Faites attention à ce que je vous dis; songez-y bien; je n'ai pas l'habitude de plaisanter; jeudi est près, mettez la main sur votre coeur; avisez-y. Si vous êtes ma fille, je vous donnerai à mon ami. Si tu ne l'es pas, va te faire pendre, mendier, périr de faim, mourir dans les rues; car, sur mon âme, jamais je ne te reconnaîtrai, jamais rien de ce qui m'appartient ne te fera du bien. Comptez là-dessus; faites vos réflexions, car je vous tiendrai parole.

(Il sort.)

JULIETTE.—N'y a-t-il donc plus pour moi un regard de pitié, qui, du haut des nuages, pénètre les profondeurs de mon chagrin? O ma tendre mère, ne me rejetez pas loin de vous; différez ce mariage d'un mois, d'une semaine; ou si vous ne le voulez pas, faites donc dresser mon lit nuptial dans le sombre monument où l'on a déposé Tybalt.

LA SIGNORA CAPULET.—Ne me parle pas, car je ne te répondrai pas un mot. Fais ce que tu voudras, je ne me mêle plus de ce qui te regarde.

(Elle sort.)

JULIETTE.—O Dieu!.... O ma nourrice, comment prévenir ceci? Mon époux est sur la terre, ma foi est dans le ciel; comment cette foi reviendra-t-elle sur la terre, à moins que mon époux ne quitte la terre et ne me la renvoie des cieux? Console-moi, conseille-moi.—Hélas! hélas! comment le ciel peut-il entourer d'embûches une créature aussi faible que moi!—Que dis-tu? N'as-tu pas un seul mot de joie, quelque consolation, nourrice?

LA NOURRICE.—Ma foi, je n'en connais qu'une: Roméo est banni, et je gagerais le monde contre rien qu'il n'osera jamais revenir vous réclamer; ou, s'il le fait, il faudra que ce soit en cachette. Alors, les choses étant comme elles sont, je pense que ce que vous avez de mieux à faire c'est d'épouser le comte. Oh! c'est un aimable cavalier! Roméo n'est qu'un torchon auprès de lui. Un aigle, ma dame, n'a pas un oeil aussi clair, aussi perçant, aussi beau que celui de Pâris. Que mal m'advienne si je ne pense pas que vous êtes heureuse de trouver ce second parti! car il est bien au-dessus du premier: et d'ailleurs, quand cela ne serait pas, votre premier mari est mort, ou il vaudrait autant qu'il le fût que de l'avoir vivant sans en profiter.

JULIETTE.—Parles-tu du fond du coeur?

LA NOURRICE.—Du fond de l'âme aussi, ou que je sois maudite dans tous les deux!

JULIETTE.—Amen.

LA NOURRICE.—Et à quoi?

JULIETTE.—Eh bien! tu m'as merveilleusement consolée. Rentre, et dis à ma mère qu'ayant fâché mon père, je suis allée à la cellule de frère Laurence m'en confesser et demander l'absolution.

LA NOURRICE.—Vraiment, je vais le lui aller dire, et vous prenez un parti très-sage.

(Elle sort.)

JULIETTE.—Vieille réprouvée! démon maudit! je ne sais quel est ton plus grand péché, ou de souhaiter que je me parjure ainsi, ou de déprécier mon époux avec cette même langue qui l'avait tant de milliers de fois exalté au-dessus de toute comparaison. Va, conseillère: mon coeur et toi sommes désormais séparés. Je vais trouver le frère, savoir quel expédient il aura à m'offrir; et si tout le reste me manque, moi, j'ai le pouvoir de mourir.

(Elle sort.)

FIN DU TROISIÈME ACTE
57.They may do this, when I am from this must flyThey are free men, but I am banished.  Le jeu de mots du premier de ces deux vers est entre fly (mouche) et fly (fuir); celui du second entre free-men (hommes libres) et freaming (bourdonnant), qui se prononcent à peu près de même, a été impossible à rendre.
58
What sayMy conceal'd lady to our cancell'd love?

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59.Those times of woe afford no time to woo.
60
Some say the lark makes sweet division,It is not so for she divideth us.

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30 марта 2019
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140 стр. 1 иллюстрация
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Правообладатель:
Public Domain

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