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Читать книгу: «Le roi Jean», страница 5

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(Ils sortent.)
SCÈNE III
La scène est toujours en Angleterre! – Devant le château
ARTHUR paraît sur le mur

ARTHUR. – Le mur est bien haut! et cependant je vais sauter en bas. O bonne terre, aie pitié de moi, et ne me fais pas mal. – Peu de gens ici me connaissent, ou plutôt personne; et quand on me connaîtrait, cet habit de mousse me déguise tout à fait. – J'ai peur; cependant je vais me risquer: si j'arrive en bas sans me briser les membres je trouverai mille moyens pour m'évader. Autant mourir en fuyant que rester ici pour mourir. (Il saute.) Hélas! le coeur de mon oncle est dans ces pierres. Ciel, reçois mon âme! et toi, Angleterre, conserve mon corps!

(Il meurt.)
(Entrent Pembroke, Salisbury, Bigot.)

SALISBURY. – Milords, je l'ai trouvé à Saint-Edmonsbury: c'est notre sûreté, et nous devons saisir l'heureuse occasion que nous présente ce moment dangereux.

PEMBROKE. – Qui vous a apporté cette lettre de la part du cardinal?

SALISBURY. – C'est le comte de Melun, un noble seigneur français, qui m'a donné en particulier, de l'affection que nous porte le dauphin, des témoignages bien plus étendus que n'en renferment ces lignes.

BIGOT. – Alors, partons demain matin pour l'aller trouver.

SALISBURY. – Partons plutôt à l'instant; car nous avons, milords, deux grandes journées de marche avant de le joindre.

(Entre le Bâtard.)

LE BATARD. – Heureux de vous rencontrer encore une fois aujourd'hui, milords les mécontents! le roi par ma bouche requiert à l'instant votre présence.

SALISBURY. – Le roi s'est lui-même privé de nous; nous ne voulons pas doubler de nos dignités sans tache son mince manteau tout souillé; nous ne suivrons point ses pas, qui laissent partout où il passe des empreintes sanglantes. Retourne le lui dire: nous savons tout.

LE BATARD. – Quelles que soient vos pensées, de bonnes paroles, il me semble, conviendraient mieux.

SALISBURY. – Ce sont nos griefs qui parlent en ce moment, et non pas nos égards.

LE BATARD. – Mais vous avez peu de raison d'avoir des griefs: la raison serait donc de montrer des égards.

PEMBROKE. – Monsieur, monsieur, l'impatience a ses priviléges.

LE BATARD. – Cela est vrai; celui de faire tort à son maître, à personne autre.

SALISBURY. – Voici la prison. (Voyant le corps d'Arthur.) Qui est là étendu par terre?

PEMBROKE. – O mort! que te voilà enorgueillie d'une pure et noble beauté! La terre n'a pas eu un trou pour cacher ce forfait!

SALISBURY. – Le meurtre, comme s'il abhorrait lui-même ce qu'il a fait, reste découvert à vos yeux pour vous exciter à la vengeance.

BIGOT. – Ou bien, après avoir dévoué au tombeau tant de beauté, il l'a trouvée d'un prix trop illustre pour le tombeau.

SALISBURY. – Sir Richard, que pensez-vous? Avez-vous jamais vu, avez-vous lu, pouviez-vous imaginer, imaginez-vous même à présent que vous le voyez, ce que vous voyez, et si vous n'aviez pas cet objet présent, la pensée pourrait-elle en concevoir un semblable? Oui, c'est le comble, la sommité, le cimier, ou plutôt c'est cimier sur cimier dans les armoiries du meurtre: oh! c'est la plus sanglante infamie, la barbarie la plus sauvage, le coup le plus lâche que jamais la colère à l'oeil de pierre, ou la rage à l'oeil fixe, ait offert aux larmes de la tendre pitié.

PEMBROKE. – Cet assassinat absout tous ceux qui ont jamais été commis; et ce forfait unique, incomparable, donnera à tous les crimes à naître une certaine pureté et une certaine sainteté. Après l'exemple de cet affreux spectacle, la mortelle effusion du sang ne peut plus être qu'un jeu.

LE BATARD. – C'est une action sanglante et damnable; c'est l'action réprouvée d'une main brutale, si cependant c'est l'ouvrage d'une main.

SALISBURY. – Si c'est l'ouvrage d'une main! Nous avons eu d'avance quelque ouverture de ce qui devait arriver: c'est l'ouvrage honteux de la main d'Hubert; le projet et le complot viennent du roi, auquel dès ce moment mon âme retire toute obéissance. A genoux devant cette ruine d'une belle vie, j'exhalerai pour encens, devant cette perfection privée de respiration, un voeu, le voeu sacré de ne goûter aucun des plaisirs du monde, de ne jamais me laisser séduire par les délices, de ne connaître ni l'aise ni le loisir, avant que j'aie illustré ce bras par le sacrifice de la vengeance.

PEMBROKE ET BIGOT. – Nos âmes s'unissent religieusement à ton serment.

(Entre Hubert.)

HUBERT. – Milords, je me suis mis en nage en courant pour vous retrouver. Arthur est vivant: le roi m'envoie vous chercher.

SALISBURY. – Vraiment, il est hardi! la vue de la mort ne le fait pas rougir. – Loin de nos yeux, détestable scélérat! va-t'en.

HUBERT. – Je ne suis point un scélérat.

SALISBURY, tirant son épée.-Faudra-t-il que je vole la loi?

LE BATARD. – Votre épée est brillante, monsieur; remettez-la à sa place.

SALISBURY. – Non pas jusqu'à ce que je lui aie fait un fourreau de la peau d'un assassin.

HUBERT. – Arrière, lord Salisbury, arrière, vous dis-je: par le ciel, je crois mon épée aussi bien affilée que la vôtre. Je ne voudrais pas, milord, que, vous oubliant ainsi, vous tentassiez le danger de m'obliger à une légitime défense, de peur qu'à la vue de votre colère je ne vinsse à oublier votre mérite, votre grandeur et votre noblesse.

BIGOT. – Hors d'ici, homme de boue. Oses-tu braver un noble?

HUBERT. – Non, pour ma vie; mais j'oserai défendre ma vie innocente contre un empereur.

SALISBURY. – Tu es un assassin.

HUBERT. – Ne me forcez pas à le devenir: jusqu'à cette heure je ne le suis point. Quiconque permet à sa langue de dire une fausseté ne dit pas la vérité; et quiconque ne dit pas la vérité ment.

PEMBROKE. – Hachez-le en pièces.

LE BATARD. – Gardez la paix, vous dis-je.

SALISBURY. – Ne vous en mêlez pas, Faulconbridge, ou je tombe sur vous.

LE BATARD. – Mieux vaudrait pour toi tomber sur le diable, Salisbury. Si tu t'avises seulement de me regarder de travers ou de faire un pas en avant, ou si tu permets à ton impudente colère de m'insulter, tu es mort. Remets ton épée sans délai, ou je vous hacherai de telle sorte, vous et votre fer à tartines, que vous croirez le diable sorti des enfers.

BIGOT. – Que prétends-tu, renommé Faulconbridge? Veux-tu être le champion d'un traître, d'un meurtrier?

HUBERT. – Milord, je ne suis ni l'un ni l'autre.

BIGOT. – Qui a tué ce prince?

HUBERT. – Il n'y a pas encore une heure que je l'ai laissé bien portant: je l'honorais, je l'aimais, et je passerai ma vie à pleurer la perte de sa douce vie.

SALISBURY. – Ne vous fiez point à ces larmes feintes qui coulent de ses yeux. Les pleurs ne manquent pas à la scélératesse; et lui, qui en a une longue habitude, leur donne l'apparence d'un fleuve de tendresse et d'innocence. Venez avec moi, vous tous dont l'âme abhorre l'odeur infecte d'un abattoir: cette vapeur de crime me suffoque.

BIGOT. – Allons vers Bury; allons y rejoindre le dauphin.

PEMBROKE. – Va dire au roi qu'il peut venir nous y chercher.

(Les lords sortent.)

LE BATARD. – L'honnête monde que le nôtre! (A Hubert.)-Avez-vous eu connaissance de ce beau chef-d'oeuvre? – Hubert, si c'est toi qui as commis cette oeuvre de mort, tu es damné sans que l'immensité infinie de la miséricorde du ciel puisse t'atteindre.

HUBERT. – Écoutez-moi seulement, monsieur.

LE BATARD. – Ah! je te dirai une chose, tu es damné aussi noir… Non, il n'y a rien de si noir que toi: tu es damné plus à fond que le prince Lucifer; il n'y a pas encore un diable d'enfer aussi hideux que tu le seras, si c'est toi qui as tué cet enfant.

HUBERT. – Sur mon âme…

LE BATARD. – Si tu as seulement consenti à cette cruelle action, tu n'as pas d'autre parti que le désespoir; et, à défaut de corde, le fil le plus mince qu'une araignée ait jamais tiré de ses entrailles suffira pour t'étrangler: un jonc sera une potence suffisante pour te pendre: ou si tu veux te noyer, mets un peu d'eau dans une cuiller; et pour étouffer un scélérat tel que toi, cela vaudra tout l'Océan. – Je te soupçonne violemment.

HUBERT. – Si par action, consentement, ou seulement par le péché de la pensée, je suis coupable d'avoir dérobé cet aimable souffle à la belle enveloppe d'argile où il était renfermé, que l'enfer n'ait pas assez de douleurs pour me torturer! – Je l'avais laissé bien portant.

LE BATARD. – Va, prends-le dans tes bras. Je suis troublé, il me semble, et je perds mon chemin à travers les épines et les dangers de ce monde. – Comme tu portes légèrement toute l'Angleterre! De cette portion défunte de royauté se sont envolés vers le ciel la vie, le droit, la justice de tout ce royaume, laissant l'Angleterre se débattre et lutter pour séparer à belles dents le droit sans maître de l'orgueilleux étalage du pouvoir; maintenant, pour arracher cet os décharné de la souveraineté, le dogue grondant de la guerre hérisse sa crinière irritée, et grogne au nez de la douce paix; maintenant se liguent ensemble les forces du dehors et les mécontentements du dedans; et l'immense confusion plane comme un corbeau sur un animal expirant, en attendant la chute imminente de la puissance arrachée de son trône. Heureux maintenant celui dont la ceinture et le manteau pourront résister à cette tempête! – Emporte cet enfant, et suis-moi en diligence. Je vais trouver le roi: nous avons en un instant mille affaires sur les bras, et le ciel même regarde cette terre d'un oeil de courroux.

(Ils sortent.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I
La scène est toujours en Angleterre. – Un appartement dans le palais
Entrent LE ROI JEAN, PANDOLPHE tenant la couronne; suite

LE ROI JEAN. – Ainsi j'ai remis dans vos mains la couronne de ma gloire.

PANDOLPHE, lui rendant la couronne.-Reprenez-la de ma main, comme tenant du pape votre grandeur et votre autorité souveraine.

LE ROI JEAN. – Maintenant accomplissez votre parole sacrée. Allez au camp des Français, et employez tout le pouvoir que vous tenez de Sa Sainteté pour arrêter leur marche avant que nous soyons en flammes. Notre noblesse mécontente se révolte, notre peuple se refuse à l'obéissance et jure amour et allégeance à un sang étranger, au roi d'un autre pays. Vous seul conservez le pouvoir de neutraliser cette inondation d'humeurs pernicieuses. Ne tardez donc pas: le moment présent est si malade, que si le remède n'est présentement administré, nous allons tomber dans un danger incurable.

PANDOLPHE. – Ce fut mon souffle qui excita cette tempête pour punir votre conduite obstinée envers le pape; mais puisque vous voilà soumis et converti, ma langue va calmer l'orage de guerre et ramener le beau temps dans votre croyance trouble. Souvenez-vous bien du serment d'obéissance qu'en ce jour de l'Ascension vous avez prêté au pape. Je vais trouver les Français pour leur faire poser les armes.

(Il sort.)

LE ROI JEAN. – Est-ce aujourd'hui le jour de l'Ascension? Le prophète n'avait-il pas prédit que le jour de l'Ascension, avant midi, je renoncerais à ma couronne? C'est en effet ce qui est arrivé; mais j'avais cru que ce ce serait par contrainte, et grâce au ciel, je l'ai cédée volontairement. 21

(Entre le Bâtard.)

LE BATARD. – Tout le Kent s'est rendu; il n'y a plus que le château de Douvres qui tienne encore. Londres vient de recevoir le dauphin et son armée comme des hôtes chéris. Vos nobles refusent de vous entendre et sont allés offrir leurs services à votre ennemi; et le trouble de la frayeur disperse çà et là le petit nombre de vos douteux amis.

LE ROI JEAN. – Mes nobles n'ont-ils donc pas voulu revenir à moi quand ils ont appris que le jeune Arthur était vivant?

LE BATARD. – Ils l'ont trouvé mort et jeté dans la rue; cassette vide d'où le joyau de la vie avait été dérobé et emporté par quelque damnable main.

LE ROI JEAN. – Ce traître d'Hubert m'avait dit qu'il était vivant.

LE BATARD. – Sur mon âme, il l'a dit parce qu'il le croyait. – Mais pourquoi vous laisser ainsi abattre? Pourquoi cet air triste? soyez grand en action comme vous l'avez été en pensée: que le monde ne voie pas la crainte et le découragement gouverner les regards d'un roi. Soyez prompt comme les événements; montrez-vous de feu avec le feu; menacez qui vous menace; faites tête aux terreurs qui veulent vous épouvanter. Ainsi les inférieurs, qui, l'oeil sur les grands, les prennent pour modèles de leur conduite, deviendront grands à votre exemple et revêtiront l'esprit intrépide du courage. Allons, brillez comme le dieu de la guerre quand il se prépare à tenir la plaine. Montrez-vous plein d'audace et d'une ambitieuse confiance. Quoi! faudra-t-il qu'ils viennent chercher le lion dans son antre, qu'ils viennent l'y effrayer, l'y faire trembler? Oh! qu'on ne dise pas cela! Parcourez le pays, courez chercher le mécontentement hors de vos portes, et luttez avec lui avant de le laisser arriver si près.

LE ROI JEAN. – Le légat du pape vient de me quitter: je me suis heureusement réconcilié avec lui, et il m'a promis de congédier l'armée que commande le dauphin.

LE BATARD. – Oh! traité honteux! Quoi! lorsqu'une armée envahissante aborde dans notre pays, nous enverrons des paroles pacifiques, nous aurons recours aux compromis, aux insinuations, aux pourparlers, à de honteuses trêves? Un enfant sans barbe, un étourdi élevé dans la soie, viendra braver nos champs de bataille, et témoigner son courage sur ce sol belliqueux, insultant les airs de ses enseignes vainement déployées, et il ne trouvera aucune résistance? Non: courons aux armes, mon prince. Peut-être que le cardinal ne pourra vous obtenir la paix; mais s'il l'obtient, qu'on puisse dire au moins qu'ils ont vu que nous avions l'intention de nous défendre.

LE ROI JEAN. – Eh bien! prenez la conduite de nos affaires actuelles.

LE BATARD. – Allons donc et courage. Je suis bien sûr que nous sommes encore en état de faire face à des ennemis plus terribles.

(Ils sortent.)
SCÈNE II
Une plaine près de Saint-Edmonsbury 22
Entrent en armes LOUIS, SALISBURY, MELUN,
PEMBROKE, BIGOT, soldats

LOUIS, à Melun.-Sire de Melun, faites faire une copie de ceci, gardez-la soigneusement pour nous en conserver la mémoire; remettez l'original à ces seigneurs, afin que lorsque nous y aurons apposé nos noms, eux et nous, nous puissions, en lisant cet écrit, savoir à quoi nous nous sommes engagés par serment, et que nous gardions notre foi ferme et inviolable.

SALISBURY. – Elle ne sera jamais violée de notre côté; mais, noble dauphin, bien que nous jurions de servir vos desseins avec un zèle libre et une fidélité volontaire, cependant croyez-moi, prince, je ne puis me réjouir de voir que les plaies de l'État demandent pour appareil une révolte déshonorante, et que, pour guérir l'ulcère invétéré d'une seule blessure, il en faille ouvrir plusieurs. Oh! cela désole mon âme de prendre ce fer à mon côté pour faire des veuves, et dans ce pays, ô ciel! qui répète le nom de Salisbury pour lui demander du secours et une honorable délivrance! Mais la maladie de notre temps est telle que, pour rendre à nos droits la vigueur et la santé, nous n'avons d'autre instrument que la main de la dure injustice et du coupable désordre. – Et n'est-ce pas une pitié, ô mes tristes amis, que nous les fils, les enfants de cette île, soyons nés pour voir une heure aussi triste, pour fouler son sein chéri à la suite d'une armée étrangère et remplir les rangs de ses ennemis? – Oh! j'ai besoin de me retirer à l'écart, et de pleurer sur la honte d'une pareille nécessité. – Nous servons de cortége à la noblesse d'un pays éloigné, et nous suivons des couleurs inconnues dans ces lieux. Quoi! dans ces lieux? O ma nation! si tu pouvais t'éloigner? Si les bras de Neptune qui t'enserrent pouvaient t'emporter loin de la connaissance de toi-même, pour t'enraciner sur des rivages infidèles? Alors ces deux armées chrétiennes pourraient unir dans une veine d'alliance ce sang qu'anime la colère, et ne le répandraient pas d'une manière si contraire au bon voisinage.

LOUIS. – Tu montres en ceci un noble caractère, et les grandes affections qui luttent dans ton sein font un tremblement de terre de générosité. Oh! quel noble combat tu as livré entre la nécessité et un loyal respect! Laisse-moi essuyer cette honorable rosée qui trace sur tes joues son cours argenté. Mon coeur s'est attendri aux larmes d'une femme; c'est une inondation ordinaire, mais l'effusion de ces pleurs mâles, cette pluie que chasse de son souffle la tempête de l'âme, étonnent mes yeux et me frappent de plus de stupeur que si je voyais sur la voûte élevée des cieux se dessiner de toutes parts de brûlants météores. Lève ton front, illustre Salisbury, et chasse avec un grand coeur cette tempête: renvoie ces pleurs aux yeux d'enfants qui n'ont jamais vu le géant du monde dans ses fureurs, qui n'ont jamais rencontré d'autres aventures que les fêtes animées de l'ardeur de la jeunesse, de la joie et du bavardage. Viens, viens, car tu enfonceras ta main dans la bourse de l'opulente prospérité, aussi avant que Louis lui-même. – Et vous aussi, nobles qui unissez à mes forces le nerf des vôtres. (Entre Pandolphe avec sa suite.) – Et tenez, il me semble qu'un ange a parlé, voyez le saint légat s'avancer vers nous à grands pas; pour nous donner une garantie de la part du ciel et pour attacher à nos actions, par sa voix sacrée, le nom de justice.

PANDOLPHE. – Salut, noble prince de France. Voici ce que j'ai à vous dire: Le roi Jean s'est réconcilié avec Rome; son âme est rentrée sous le pouvoir de la sainte Église, de la grande métropole, du siége de Rome, contre lesquels il était si fort révolté. Ainsi, repliez vos étendards menaçants, et adoucissez l'esprit sauvage de la guerre furieuse; que, comme un lion nourri à la main, elle repose tranquillement aux pieds de la paix, et n'ait plus rien d'effrayant que l'apparence.

LOUIS. – Il faut que Votre Grandeur me le pardonne, mais je ne retournerai point en arrière. Je suis de trop bon lieu pour appartenir à personne, pour être aux ordres comme agent secondaire, comme serviteur utile, comme instrument, de quelque puissance souveraine qui soit au monde: c'est vous qui le premier avez, entre ce royaume châtié et moi rallumé de votre souffle les charbons éteints de la guerre; c'est vous qui avez apporté le bois pour nourrir ce feu: il est beaucoup trop grand maintenant pour que le faible vent qui l'a allumé puisse l'éteindre. Vous m'avez enseigné à voir la justice sous sa véritable face; vous m'avez instruit de mes droits sur ce royaume. Quoi! vous seul avez fait entrer dans mon coeur cette entreprise, et vous venez me dire aujourd'hui: «Jean a fait sa paix avec Rome!» Et que me fait cette paix à moi? Moi, par les droits de mon lit nuptial, le jeune Arthur mort, je réclame ce pays comme m'appartenant; et maintenant qu'il est à moitié conquis, il faudra que je recule parce que Jean a fait sa paix avec Rome! Suis-je l'esclave de Rome? De quel argent Rome a-t-elle contribué? quels soldats m'a-t-elle fournis? quelles munitions m'a-t-elle envoyées pour aider à cette entreprise? N'est-ce pas moi qui en porte le fardeau? Quels autres que moi et ceux qui obéissent à mon appel donnent leurs sueurs à cette cause et soutiennent cette guerre? N'ai-je pas entendu ces insulaires crier vive le roi! au moment où je côtoyais leurs villes? n'ai-je pas les plus belles cartes dans le jeu pour gagner cette facile partie où se joue une couronne? Et il faudra que j'abandonne la mise que j'ai déjà gagnée! Non, non, sur mon âme, c'est ce qu'on ne dira jamais.

PANDOLPHE. – Vous ne considérez que les dehors de cette affaire.

LOUIS. – Dehors ou dedans, je ne m'en retournerai point que mon entreprise ne soit couronnée de toute la gloire qui a été promise à mes vastes espérances avant que j'eusse rassemblé cette brillante élite de la guerre, que j'eusse choisi dans le monde entier ces ardents courages, pour marcher le front haut à la conquête, et conquérir le renom jusque dans la gueule du péril et de la mort. (Une trompette sonne.) – De quoi vient nous sommer cette vigoureuse trompette?

(Entre le Bâtard avec une suite.)

LE BATARD. – En vertu du droit des gens, je dois avoir audience; je suis envoyé pour vous parler. – Monseigneur de Milan, je viens de la part du roi apprendre comment vous avez traité pour lui; et, selon ce que vous me répondrez, je saurai dans quelle étendue et dans quelles limites je dois renfermer mes paroles.

PANDOLPHE. – Le dauphin est trop obstiné dans ses refus, et ne veut accorder aucune trêve à mes instances. Il répond nettement qu'il ne quittera point les armes.

LE BATARD. – Par tout le sang qu'a jamais pu respirer la fureur, le jeune homme a bien répondu. Maintenant écoutez notre roi d'Angleterre, car c'est ainsi que Sa Majesté parle par ma bouche: il est tout prêt, et c'est bien raison qu'il le soit; il se rit de cette singerie d'attaque sans aucune espèce d'étiquette, de cette mascarade militaire, de cette imprudente orgie, de cette audace imberbe et de ces bataillons d'enfants; et il est bien préparé à chasser, le fouet à la main, de l'enceinte de ses domaines, cette guerre de nains, ces pygmées en armes. Cette main qui a eu la force de vous fustiger à votre porte même et de vous faire sauter sur les toits, qui vous a obligés de plonger comme des seaux dans vos puits les plus cachés, de vous tapir sous la litière du plancher de vos écuries, de demeurer enfermés comme des pions dans des coffres et des caisses, de vous tenir serrés contre les pourceaux, et de chercher la douce sûreté dans les tombeaux et les prisons, frissonnant et tremblant au seul cri des corbeaux de votre pays dont vous preniez la voix pour celle d'un Anglais armé; cette main victorieuse qui vous a châtiés dans vos maisons sera-t-elle ici plus faible? Non; sachez que notre vaillant monarque a pris les armes, et que, comme l'aigle, il plane au-dessus de son aire pour fondre sur l'importun qui approche de son nid. – Et vous, hommes dégénérés, rebelles ingrats; vous, Nérons sanguinaires, qui déchirez le sein de l'Angleterre, votre bonne mère, rougissez de honte: vos femmes, vos filles au pâle visage, semblables à des amazones, s'avancent d'un pas léger à la suite des tambours; elles ont changé leurs dés en gantelets de fer, leurs aiguilles en lances, et à la douceur de leur coeur ont succédé des inclinations martiales et sanguinaires.

LOUIS. – Finis là tes bravades, et tourne le dos en paix. Nous convenons que tu peux l'emporter sur nous en injures. Bonsoir; nous tenons notre temps pour trop précieux pour le perdre avec un pareil braillard.

PANDOLPHE. – Permettez-moi de parler.

LE BATARD. – Non, c'est moi qui vais parler.

LOUIS. – Nous n'écouterons ni l'un ni l'autre. – Battez le tambour, et que la voix de la guerre établisse la légitimité de nos droits et de notre présence.

LE BATARD. – Oui, sans doute, vos tambours vont crier quand vous les battrez, et vous en ferez autant quand vous serez battus. Que le bruit d'un de tes tambours réveille seulement un écho, et dans le même instant un autre tambour déjà suspendu te renverra un son tout aussi bruyant que le tien. Fais-en retentir un autre, et un second ira aussi bruyant que le tien ébranler l'oreille du firmament, et insulter le tonnerre à la bouche sonore. Ne se fiant pas à ce légat qui boite des deux côtés et dont il s'est servi par jeu plutôt que par nécessité, le belliqueux Jean est là tout près: sur son front siège la mort aux côtes décharnées, dont l'occupation sera aujourd'hui de se régaler de milliers de Français.

LOUIS. – Battez, tambours, que nous allions chercher ce danger.

LE BATARD. – Et tu le trouveras, dauphin, n'en doute pas.

(Ils sortent.)
SCÈNE III
La scène est toujours en Angleterre. – Un champ de bataille
Alarmes. – Entrent LE ROI JEAN ET HUBERT

LE ROI JEAN. – Comment la journée tourne-t-elle pour nous? Oh! dis-le-moi, Hubert.

HUBERT. – Mal, j'en ai peur. Comment se trouve Votre Majesté?

LE ROI JEAN. – Cette fièvre, qui me tourmente depuis si longtemps, m'accable tout à fait. Oh! mon coeur est malade.

(Entre un messager.)

LE MESSAGER. – Seigneur, votre brave cousin, Faulconbridge, prie Votre Majesté de quitter le champ de bataille, et de lui faire savoir par moi la route que vous prendrez.

LE ROI JEAN. – Dis-lui du côté de Swinstead, à l'abbaye de ce lieu.

LE MESSAGER. – Ayez bon courage: le puissant secours que le dauphin attendait ici a fait naufrage, il y a trois nuits, sur les sables de Godwin. Cette nouvelle vient à l'instant même d'être apportée à Richard. Les Français combattent mollement, et commencent à se retirer.

LE ROI JEAN. – Hélas! cette cruelle fièvre me consume et ne me laisse pas la force de jouir de cette heureuse nouvelle. Marchons vers Swinstead; qu'on me mette à l'instant dans ma litière: la faiblesse s'est emparée de moi, et je me sens défaillir.

(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Un autre endroit sur le champ de bataille
SALISBURY, PEMBROKE, BIGOT

SALISBURY. – Je ne croyais pas que le roi conservât autant d'amis.

PEMBROKE. – Retournons encore à la charge; ranimons l'ardeur des Français: s'ils échouent, nous échouons aussi.

SALISBURY. – Ce diable de bâtard, ce Faulconbridge, en dépit de tout, maintient à lui seul le combat.

PEMBROKE. – On dit que le roi Jean, dangereusement malade, a quitté le champ de bataille.

(Entre Melun blessé et conduit par des soldats.)

MELUN. – Conduisez-moi vers les rebelles d'Angleterre que j'aperçois ici.

SALISBURY. – Tant que nous fûmes heureux on nous donna d'autres noms.

PEMBROKE. – C'est le comte de Melun!

SALISBURY. – Blessé à mort.

MELUN. – Fuyez, nobles Anglais. Vous êtes vendus et achetés: retirez-vous des cruels engagements où vous vous êtes enfilés 23; accueillez de nouveau la fidélité bannie. Cherchez le roi Jean et tombez à ses pieds; car si le Français a l'avantage dans cette tumultueuse journée, il se propose de récompenser les peines que vous vous donnez en vous faisant trancher la tête. Il en a fait le serment, et je l'ai juré avec lui, et d'autres encore l'ont juré avec moi sur l'autel de Saint-Edmonsbury, sur le même autel où nous vous jurâmes une tendre amitié et un attachement éternel 24.

SALISBURY. – Est-il possible? serait-il vrai?

MELUN. – N'ai-je pas devant les yeux la hideuse mort, ne retenant plus qu'un reste de vie qui s'échappe avec mon sang, comme se dissout près du feu la forme d'une figure de cire? Qu'y a-t-il au monde qui pût maintenant me porter à tromper, puisque je vais perdre les avantages de toute imposture? Comment voudrais-je dire ce qui est faux, puisqu'il est vrai que je dois mourir ici, et que je ne puis vivre ailleurs que par la vérité? Je vous le répète, si Louis remporte la victoire, il se parjurera si jamais vos yeux revoient naître à l'orient une nouvelle aurore. Dans cette nuit même, dont le souffle noir et contagieux fume déjà autour de la chevelure brûlante d'un vieux et faible soleil fatigué du jour; dans cette nuit fatale, vous rendrez le dernier soupir, et l'on vous fera traîtreusement payer par la perte de votre vie à tous 25 l'amende à laquelle a été taxée votre trahison, dans le cas où, par votre secours, Louis aurait l'avantage de la journée. Parlez de moi à un nommé Hubert qui accompagne votre roi: mon affection pour lui, et cet autre motif que mon grand-père était Anglais, ont éveillé ma conscience et m'ont déterminé à vous confesser tout ceci. Pour récompense, je vous prie de m'emporter d'ici, loin du tumulte et du bruit du champ de bataille, dans quelque lieu où je puisse penser en paix le reste de mes pensées, et où mon âme et le corps puissent se séparer dans la contemplation et les désirs pieux.

SALISBURY. – Nous te croyons… Et périsse mon âme si je ne chéris l'aspect et les attraits de cette belle occasion par qui nous allons retourner sur nos pas dans le chemin d'une damnable désertion! Et comme le flot qui s'avance et se retire, abandonnant nos irrégularités et notre cours déréglé, nous redescendrons dans ces limites que nous avions dédaignées, et coulerons paisiblement dans les bornes de l'obéissance jusqu'à notre océan, notre auguste roi Jean. – Mon bras va aider à t'emporter de ce lieu, car je vois déjà dans tes yeux les cruelles angoisses de la mort. – Allons, mes amis, désertons de nouveau: heureux changement, qui ramène l'ancien droit!

(Ils sortent et emmènent Melun.)
SCÈNE V
La scène est toujours en Angleterre. – Le camp français
Entre LOUIS avec sa suite

LOUIS. – Il semblait que dans le ciel le soleil se couchait à regret, et qu'il s'arrêtait et couvrait à l'occident le firmament de rougeur, tandis que les Anglais se retiraient faiblement, mesurant à reculons la terre de leur propre pays. Oh! nous avons brillamment fini, lorsqu'après ce sanglant et laborieux combat nous leur avons dit bonsoir, par une décharge de notre inutile artillerie; et que nous avons glorieusement relevé nos enseignes déchirées, restant les derniers sur le champ de bataille, et presque maîtres du terrain.

(Un messager entre.)

LE MESSAGER. – Où est mon prince, le dauphin?

LOUIS. – Le voici. – Quelles nouvelles?

LE MESSAGER. – Le comte de Melun est tué. Les seigneurs anglais, d'après ses conseils, ont de nouveau changé de parti; et vos renforts, que vous désiriez depuis si longtemps, se sont perdus et abîmés dans les sables de Godwin.

LOUIS. – Oh! les affreuses et détestables nouvelles! Que ton coeur soit maudit! Je ne m'attendais pas à éprouver ce soir la tristesse qu'elles me donnent. Qui est-ce qui a dit que le roi Jean avait fui une heure ou deux avant que la nuit tombante vînt séparer nos armées fatiguées?

LE MESSAGER. – Qui que ce soit qui l'ait dit, il a dit la vérité, seigneur.

LOUIS. – C'est bon. – A nos postes, et faisons bonne garde cette nuit. Le jour ne sera pas levé aussitôt que moi pour tenter les bonnes chances de demain.

(Ils sortent.)
SCÈNE VI
Un endroit découvert dans le voisinage de l'abbaye de Swinstead
Il est nuit.-LE BATARD ET HUBERT entrent pardifférents côtés

HUBERT. – Qui va là? Parle. Holà! parle vite, ou je tire.

21.Dans l'acte où Jean reconnaît son royaume vassal et tributaire du saint-siége, il déclare n'avoir pas été contraint par la crainte, mais avoir agi par sa libre volonté. On ne sait si c'est une malice ou une ingénuité du poëte d'avoir conservé ces paroles.
22.Shakspeare n'a point ici déterminé le lieu de la scène; mais d'après l'intention annoncée des lords de rejoindre Louis à Saint-Edmonsbury, et ce que dit ensuite Melun des serments prononcés en ce lieu, les derniers éditeurs ont cru pouvoir y placer cette scène.
23.Unthread the rude eye of rebellion: Désenfilez le cruel trou d'aiguille de la rébellion.
24.On répandit en effet que le vicomte de Melun, tombé malade à Londres, sentant les approches de la mort, et pressé par sa conscience, avait fait avertir les Anglais, qui avaient embrassé le parti de Louis, que le projet de ce prince était de les exterminer eux et leur famille, pour distribuer leurs propriétés à ses courtisans. Ce conte, absurde, trop appuyé par l'imprudente préférence que Louis montrait en toute occasion pour les Français, fut très-accrédité, et contribua singulièrement à la défection des Anglais.
25.Paying the fine of rated treacheryEven with a treacherous fine of all your lives.  Fine (amende), et fine (fin), jeu de mots impossible à rendre exactement.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
110 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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