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Читать книгу: «Comme il vous plaira», страница 6

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SCÈNE II

Une autre partie de la forêt
JACQUES, LES SEIGNEURS en habits de gardes-chasse

JACQUES. – Quel est celui qui a tué le daim?

PREMIER SEIGNEUR. – Monsieur, c'est moi.

JACQUES. – Présentons-le au duc comme un conquérant romain; et il serait bon de placer sur sa tête les cornes du daim, pour laurier de sa victoire. Gardes-chasse, n'auriez-vous pas quelque chanson qui rendît cette idée?

SECOND SEIGNEUR. – Oui, monsieur.

JACQUES. – Chantez-la: n'importe sur quel air, pourvu qu'elle fasse du bruit.

CHANSON.

PREMIER SEIGNEUR.

 
Que donnerons-nous à celui qui a tué le daim?
 

SECOND SEIGNEUR.

 
Nous lui ferons porter sa peau et son bois!
 

PREMIER SEIGNEUR.

 
Ensuite conduisons-le chez lui en chantant.
Ne dédaignez point de porter la corne;
Elle servit de cimier, avant que vous fussiez né.
 

SECOND SEIGNEUR.

 
Le père de ton père la porta,
Et ton propre père l'a portée aussi.
La corne, la corne, la noble corne,
N'est pas une chose à dédaigner.
 
(Ils sortent.)

SCÈNE III

La forêt
ROSALINDE et CÉLIE

ROSALINDE. – Qu'en pensez-vous maintenant? N'est-il pas deux heures passées? et voyez comme Orlando se trouve ici?

CÉLIE. – Je vous assure qu'avec un amour pur et une cervelle troublée, il a pris son arc et ses flèches, et qu'il est allé tout d'abord… dormir. Mais qui vient ici?

(Entre Sylvius.)

SYLVIUS, à Rosalinde. – Mon message est pour vous, beau jeune homme. Ma charmante Phébé m'a chargé de vous remettre cette lettre (lui remettant la lettre); je n'en sais pas le contenu; mais, à en juger par son air chagrin et les gestes de mauvaise humeur qu'elle faisait en l'écrivant, ce qu'elle contient exprime la colère. Pardonnez-moi, je vous prie, je ne suis qu'un innocent messager.

ROSALINDE. – La patience elle-même tressaillerait à cette lecture, et ferait la fanfaronne; si on souffre cela, il faudra tout souffrir. Elle dit que je ne suis pas beau, que je manque d'usage, que je suis fier, et qu'elle ne pourrait m'aimer, les hommes fussent-ils aussi rares que le phénix. Oh! ma foi, son amour n'est pas le lièvre que je cours. Pourquoi m'écrit-elle sur ce ton-là? Allons, berger, allons, cette lettre est de votre invention.

SYLVIUS. – Non; je vous proteste que je n'en sais pas le contenu; c'est Phébé qui l'a écrite.

ROSALINDE. – Allons, allons, vous êtes un sot à qui un excès d'amour fait perdre la tête. J'ai vu sa main; elle a une main de cuir, une main couleur de pierre de taille; j'ai vraiment cru qu'elle avait de vieux gants, mais c'étaient ses mains: elle a la main d'une ménagère; mais cela n'y fait rien, je dis qu'elle n'inventa jamais cette lettre; cette lettre est de l'invention et de l'écriture d'un homme.

SYLVIUS. – Elle est certainement d'elle.

ROSALINDE. – Quoi! c'est un style emporté et sanglant, un style de cartel. Quoi! elle me défie comme un Turc défierait un chrétien? Le doux esprit d'une femme n'a jamais pu produire de pareilles inventions dignes d'un géant, de ces expressions éthiopiennes plus noires d'effet que de visage. Voulez-vous que je vous lise cette lettre?

SYLVIUS. – Oui, s'il vous plaît; car je ne l'ai pas encore entendu lire; mais je n'en sais que trop sur la cruauté de Phébé.

ROSALINDE. – Elle me phébéise. Remarquez comment écrit ce tyran.

(Elle lit.)
 
Serais-tu un dieu changé en berger,
Toi qui as brûlé le coeur d'une jeune fille?
 

Une femme dirait-elle de pareilles injures?

SYLVIUS. – Appelez-vous cela des injures?

ROSALINDE.

(Elle continue de lire.)
 
Pourquoi, te dépouillant de ta divinité,
Fais-tu la guerre au coeur d'une femme?
 

Avez-vous jamais entendu pareilles invectives?

(Elle lit encore.)
 
Jusqu'ici les yeux qui m'ont parlé d'amour,
N'ont jamais pu me faire aucun mal.
 

Elle veut dire que je suis une bête fauve.

(Elle continue de lire.)
 
Si les dédains de tes yeux brillants
Ont le pouvoir d'allumer tant d'amour dans mon sein,
Hélas! quel serait donc leur étrange effet sur moi,
S'ils me regardaient avec douceur?
Lors même que tu me grondais, je t'aimais:
A quel point serais-je donc émue de tes prières?
Celui qui te porte cet aveu de mon amour,
Ne sait pas l'amour que je sens pour toi.
Sers-toi de lui pour m'ouvrir ton âme,
Si ta jeunesse et ta nature veulent accepter de moi l'offre d'un coeur fidèle,
Et tout ce que je puis avoir;
Ou bien refuse par lui mon amour,
Et alors je chercherai à mourir.
 

SYLVIUS. – Appelez-vous cela des duretés?

CÉLIE. – Hélas! pauvre berger!

ROSALINDE. – Le plaignez-vous? Non; il ne mérite aucune pitié. (A Sylvius.) Veux-tu donc aimer une pareille femme? Quoi! se servir de toi comme d'un instrument pour jouer des accords faux? Cela n'est pas tolérable. Eh bien! va donc la trouver; car je vois que l'amour a fait de toi un serpent apprivoisé, et dis-lui de ma part, que si elle m'aime, je lui ordonne de t'aimer; que si elle ne veut pas t'aimer, je ne veux point d'elle, à moins que tu ne me supplies pour elle. Si tu es un véritable amant, va-t'en, et ne réplique pas un mot; car voici de la compagnie qui vient.

(Sylvius sort.)
(Entre Olivier, frère aîné d'Orlando.)

OLIVIER. – Bonjour, belle jeunesse; sauriez-vous, je vous prie, dans quel endroit de cette forêt est située une bergerie entourée d'oliviers?

CÉLIE. – Au couchant du lieu où nous sommes, au fond de la vallée que vous voyez; laissez à droite cette rangée de saules qui est auprès de ce ruisseau qui murmure, et vous arriverez droit à la cabane. Mais en ce moment la maison se garde elle-même; vous n'y trouverez personne.

OLIVIER. – Si les yeux peuvent s'aider de la langue, je devrais vous reconnaître sur la description que l'on m'a faite: «Mêmes habillements et même âge. Le jeune homme est blond; il a les traits d'une femme, et il se donne pour une soeur d'un âge mûr: mais la femme est petite et plus brune que son frère.» N'êtes-vous point le propriétaire de la maison que je demandais?

CÉLIE. – Puisque vous nous le demandez, il n'y a pas de vanterie à dire qu'elle nous appartient.

OLIVIER. – Orlando m'a chargé de vous saluer tous deux de sa part, et il envoie ce mouchoir ensanglanté à ce jeune homme qu'il appelle sa Rosalinde: est-ce vous?

ROSALINDE. – Oui, c'est moi; que devons-nous conjecturer de ceci?

OLIVIER. – Quelque chose à ma honte, si vous voulez que je vous dise qui je suis, et comment, et pourquoi, et où ce mouchoir a été ensanglanté.

ROSALINDE. – Dites-nous tout cela, je vous prie.

OLIVIER. – Quand le jeune Orlando vous a quitté dernièrement, il vous a promis de vous rejoindre dans une heure. Comme il allait à travers la forêt, se nourrissant de pensées tantôt douces, tantôt amères, qu'arrive-t-il tout à coup? Il jette ses regards de côté, et voyez ce qui se présenta à sa vue! Sous un chêne, dont l'âge avait couvert les rameaux de mousse et dont la tête élevée était chauve de vieillesse, un malheureux en guenilles, les cheveux longs et en désordre, dormait couché sur le dos; un serpent vert et doré s'était entortillé autour de son cou, et avançant sa tête souple et menaçante, il s'approchait de la bouche ouverte du misérable, quand tout à coup, apercevant Orlando, il se déroule et se glisse en replis tortueux sous un buisson, à l'ombre duquel une lionne, les mamelles desséchées, était couchée, la tête sur la terre, épiant comme un chat le moment où l'homme endormi ferait un mouvement; car tel est le généreux naturel de cet animal, qu'il dédaigne toute proie qui semble morte. A cette vue, Orlando s'est approché de l'homme et il a reconnu son frère, son frère aîné!

CÉLIE. – Oh! je lui ai entendu parler quelquefois de ce frère; et il le peignait comme le frère le plus dénaturé, qui jamais ait vécu parmi les hommes.

OLIVIER. – Et il avait bien raison; car je sais, moi, combien il était dénaturé.

ROSALINDE. – Mais, revenons à Orlando. – L'a-t-il laissé dans ce péril, pour servir de nourriture à la lionne pressée par la faim et le besoin de ses petits?

OLIVIER. – Deux fois il a tourné le dos pour se retirer: mais la générosité plus noble que la vengeance, la nature plus forte que son juste ressentiment, lui ont fait livrer combat à la lionne, qui bientôt est tombée devant lui; et c'est au bruit de cette lutte terrible que je me suis réveillé de mon dangereux sommeil.

CÉLIE. – Êtes-vous son frère?

ROSALINDE. – Est-ce vous qu'il a sauvé?

CÉLIE. – Est-ce bien vous qui aviez tant de fois comploté de le faire périr?

OLIVIER. – C'était moi; mais ce n'est plus moi. Je ne rougis point de vous avouer ce que je fus, depuis qu'il me fait trouver tant de douceur à être ce que je suis à présent.

ROSALINDE. – Mais… et le mouchoir sanglant?

OLIVIER. – Tout à l'heure. Après que nos larmes de tendresse eurent coulé sur nos récits mutuels depuis la première jusqu'à la dernière aventure, et que j'eus dit comment j'étais venu dans ce lieu désert… Pour abréger, il me conduisit au noble duc, qui me donna des habits et des rafraîchissements, et me confia à la tendresse de mon frère qui me mena aussitôt dans sa grotte: et là, s'étant déshabillé, nous vîmes qu'ici, sur le bras, la lionne lui avait enlevé un lambeau de chair, dont la plaie avait saigné tout le temps. Aussitôt il se trouva mal, et demanda, en s'évanouissant, Rosalinde. Je vins à bout de le ranimer. Je bandai sa blessure; et, au bout d'un moment, son coeur s'étant remis, il m'a envoyé ici, tout étranger que je suis, pour vous raconter cette histoire, afin que vous puissiez l'excuser d'avoir manqué à sa promesse, me chargeant de donner ce mouchoir, teint de son sang, au jeune berger qu'il appelle en plaisantant sa Rosalinde.

CÉLIE, a Rosalinde, qui pâlit et s'évanouit. – Quoi, quoi, Ganymède! mon cher Ganymède!

OLIVIER. – Bien des personnes s'évanouissent à la vue du sang.

CÉLIE. – Il y a plus que cela ici. – Chère cousine! – Ganymède!

OLIVIER. – Voyez; il revient à lui.

ROSALINDE, rouvrant les yeux. – Je voudrais bien être chez nous.

CÉLIE. – Nous allons vous y mener. (A Olivier.) Voudriez-vous, je vous prie, lui prendre le bras?

OLIVIER. – Rassurez-vous, jeune homme. – Mais êtes-vous bien un homme? Vous n'en avez pas le courage.

ROSALINDE. – Non, je ne l'ai pas; je l'avoue. – Ah! monsieur, on pourrait croire que cet évanouissement était une feinte bien jouée: je vous en prie, dites à votre frère comme j'ai bien joué l'évanouissement.

OLIVIER. – Il n'y avait là nulle feinte: votre teint témoigne trop que c'était une émotion sérieuse.

ROSALINDE. – Une pure feinte, je vous assure.

OLIVIER. – Eh bien donc! prenez bon courage et feignez d'être un homme.

ROSALINDE. – C'est ce que je fais: mais, en vérité, j'aurais dû naître femme.

CÉLIE. – Allons, vous pâlissez de plus en plus: je vous en prie, avançons du côté de la maison. Mon bon monsieur, venez avec nous.

OLIVIER. – Très-volontiers; car il faut, Rosalinde, que je rapporte à mon frère l'assurance que vous l'excusez.

ROSALINDE. – Je songerai à quelque chose… Mais, je vous prie, ne manquez pas de lui dire comme j'ai bien joué mon rôle. – Voulez-vous venir?

(Tous sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

Toujours la forêt
TOUCHSTONE, AUDREY

TOUCHSTONE. – Nous trouverons le moment, Audrey. Patience, chère Audrey.

AUDREY. – Ma foi, ce prêtre était tout ce qu'il fallait, quoiqu'en ait pu dire le vieux monsieur.

TOUCHSTONE. – Un bien méchant sir Olivier, Audrey, un misérable Mar-Text! Mais, Audrey, il y a ici dans la forêt un jeune homme qui a des prétentions sur vous.

AUDREY. – Oui, je sais qui c'est: il n'a aucun droit au monde sur moi: tenez, voilà l'homme dont vous parlez.

(Entre William.)

TOUCHSTONE. – C'est boire et manger pour moi, que de voir un paysan. Sur ma foi, nous, qui avons du bon sens, nous avons un grand compte à rendre. Nous allons rire et nous moquer de lui; nous ne pouvons nous retenir.

WILLIAM. – Bonsoir, Audrey.

AUDREY. – Dieu vous donne le bonsoir, William.

WILLIAM. – Et bonsoir à vous aussi, monsieur.

TOUCHSTONE. – Bonsoir, mon cher ami. Couvre ta tête, couvre ta tête: allons, je t'en prie, couvre-toi. Quel âge avez-vous, mon ami?

WILLIAM. – Vingt-cinq ans, monsieur.

TOUCHSTONE. – C'est un âge mûr. William est-il ton nom?

WILLIAM. – Oui, monsieur, William.

TOUCHSTONE. – C'est un beau nom! Es-tu né dans cette forêt?

WILLIAM. – Oui, monsieur, et j'en remercie Dieu.

TOUCHSTONE. —Tu en remercies Dieu? Voilà une belle réponse. – Es-tu riche?

WILLIAM. – Ma foi, monsieur, comme ça.

TOUCHSTONE. —Comme ça: cela est bon, très-bon, excellent. – Et pourtant non; ce n'est que comme ça, comme ça. Es-tu sage?

WILLIAM. – Oui, monsieur; j'ai assez d'esprit.

TOUCHSTONE. – Tu réponds à merveille. Je me souviens, en ce moment, d'un proverbe: Le fou se croit sage; mais le sage sait qu'il n'est qu'un fou. – Le philosophe païen, lorsqu'il avait envie de manger un grain de raisin, ouvrait les lèvres quand il le mettait dans sa bouche, voulant nous faire entendre par là que le raisin était fait pour être mangé, et les lèvres pour s'ouvrir. – Vous aimez cette jeune fille?

WILLIAM. – Je l'aime, monsieur.

TOUCHSTONE. – Donnez-moi votre main. Etes-vous savant?

WILLIAM. – Non, monsieur.

TOUCHSTONE. – Eh bien! apprenez de moi ceci: avoir, c'est avoir. Car c'est une figure de rhétorique, que la boisson, étant versée d'une coupe dans un verre, en remplissant l'un vide l'autre. Tous vos écrivains sont d'accord que ipse c'est lui: ainsi vous n'êtes pas ipse; car c'est moi qui suis lui.

WILLIAM. —Quel lui, monsieur?

TOUCHSTONE. – Le lui, monsieur, qui doit épouser cette fille: ainsi, vous, paysan, abandonnez; c'est-à-dire, en langue vulgaire, laissez… la société, – qui, en style campagnard, est la compagnie… de cet être du sexe féminin, – qui, en langage commun, est une femme: ce qui fait tout ensemble: Renonce à la société de cette femme; ou, paysan, tu péris; ou, pour te faire mieux comprendre, tu meurs; ou, si tu l'aimes mieux, je te tue, je te congédie de ce monde, je change ta vie en mort, ta liberté en esclavage, et je t'expédierai par le poison, ou la bastonnade, ou le fer; je deviendrai ton adversaire et je fondrai sur toi avec politique; je te tuerai de cent cinquante manières: ainsi, tremble et déloge.

AUDREY. – Va-t'en, bon William.

WILLIAM. – Dieu vous tienne en joie, monsieur!

(Il sort.)
(Entre Corin.)

CORIN. – Notre maître et notre maîtresse vous cherchent: allons, partez, partez.

TOUCHSTONE. – Trotte, Audrey, trotte, Audrey. Je te suis, je te suis.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Entrent ORLANDO et OLIVIER

ORLANDO. – Est-il possible que, la connaissant si peu, vous ayez sitôt pris du goût pour elle? qu'en ne faisant que la voir, vous en soyez devenu amoureux, que l'aimant vous lui ayez fait votre déclaration; et que, sur cette déclaration, elle ait consenti? Et vous persistez à vouloir la posséder?

OLIVIER. – Ne discutez point mon étourderie, l'indigence de ma maîtresse, le peu de temps qu'a duré la connaissance; ma déclaration précipitée, ni son rapide consentement; mais dites avec moi que j'aime Aliéna: dites avec elle qu'elle m'aime: donnez-nous à tous deux votre consentement à notre possession mutuelle: ce sera pour votre bien; car la maison de mon père et tous les revenus qu'a laissés le vieux chevalier Rowland, vous seront assurés, et moi, je veux vivre et mourir ici berger.

(Entre Rosalinde.)

ORLANDO. – Vous avez mon consentement: que vos noces se fassent demain. J'y inviterai le duc et toute sa joyeuse cour: allez et disposez Aliéna; car voici ma Rosalinde.

ROSALINDE. – Dieu vous garde, mon digne frère!

OLIVIER. – Et vous aussi, aimable soeur.

ROSALINDE. – O mon cher Orlando, combien je souffre de vous voir ainsi votre coeur en écharpe!

ORLANDO. – Ce n'est que mon bras.

ROSALINDE. – J'avais cru votre coeur blessé par les griffes de la lionne.

ORLANDO. – Il est blessé, mais c'est par les yeux d'une dame.

ROSALINDE. – Votre frère vous a-t-il dit comme j'ai fait semblant de m'évanouir lorsqu'il m'a montré votre mouchoir?

ORLANDO. – Oui; et des choses plus étonnantes que cela.

ROSALINDE. – Oh! je vois où vous en voulez venir… En effet, cela est très-vrai. Il n'y a jamais rien eu de si soudain, si ce n'est le combat de deux béliers qui se rencontrent, et la fanfaronnade de César: Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. Car votre frère et ma soeur ne se sont pas plus tôt rencontrés qu'ils se sont envisagés; pas plus tôt envisagés, qu'ils se sont aimés; pas plus tôt aimés, qu'ils ont soupiré; pas plus tôt soupiré, qu'ils s'en sont demandé l'un à l'autre la cause; ils n'ont pas plus tôt su la cause, qu'ils ont cherché le remède: et, par degrés, ils ont fait un escalier de mariage qu'il leur faudra monter incontinent, ou être incontinents avant le mariage: ils sont vraiment dans la rage d'amour, et il faut qu'ils s'unissent. Des massues ne les sépareraient pas.

ORLANDO. – Ils seront mariés demain, et je veux inviter le duc à la noce. Mais hélas! qu'il est amer de ne voir le bonheur que par les yeux d'autrui! Demain, plus je croirai mon frère heureux de posséder l'objet de ses désirs, plus la tristesse de mon coeur sera profonde.

ROSALINDE. – Quoi donc! ne puis-je demain faire pour vous le rôle de Rosalinde?

ORLANDO. – Non, je ne puis plus vivre de pensées.

ROSALINDE. – Eh bien, je ne veux plus vous fatiguer de vains discours. Apprenez donc (et maintenant je parle un peu sérieusement) que je sais que vous êtes un cavalier du plus grand mérite. – Je ne dis pas cela pour vous donner bonne opinion de ma science… parce que je dis que je sais ce que vous êtes. – Et je ne cherche point à usurper plus d'estime qu'il n'en faut pour vous inspirer quelque peu de confiance en moi pour vous faire du bien, et non pour me vanter moi-même. Croyez donc, si vous voulez, que je peux opérer d'étranges choses: depuis l'âge de trois ans, j'ai eu des liaisons avec un magicien très-profond dans son art, mais non pas jusqu'à être damné. Si votre amour pour Rosalinde tient d'aussi près à votre coeur que l'annoncent vos démonstrations, vous l'épouserez au moment même où votre frère épousera Aliéna. Je sais à quelles extrémités la fortune l'a réduite; il ne m'est pas impossible, si cela pourtant peut vous convenir, de la placer demain devant vos yeux, en personne, et cela sans danger.

ORLANDO. – Parlez-vous ici sérieusement?

ROSALINDE. – Oui, je le proteste sur ma vie, à laquelle je tiens fort, quoique je me dise magicien: ainsi, revêtez-vous de vos plus beaux habits, invitez vos amis; car si vous voulez décidément être marié demain, vous le serez, et à Rosalinde, si vous le voulez. (Entrent Sylvius et Phébé.) Voyez: voici une amante à moi, et un amant à elle.

PHÉBÉ. – Jeune homme, vous en avez bien mal agi avec moi, en montrant la lettre que je vous avais écrite.

ROSALINDE. – Je ne m'en embarrasse guère. C'est mon but de me montrer dédaigneux et sans égard pour vous. Vous avez là à votre suite un berger fidèle: tournez vos regards vers lui; aimez-le: il vous adore.

PHÉBÉ. – Bon berger, dis à ce jeune homme ce que c'est que l'amour.

SYLVIUS. – Aimer, c'est être fait de larmes et de soupirs; et voilà comme je suis pour Phébé.

PHÉBÉ. – Et moi pour Ganymède.

ORLANDO. – Et moi pour Rosalinde.

ROSALINDE. – Et moi pour aucune femme.

SYLVIUS. – C'est être tout fidélité et dévouement. Et voilà ce que je suis pour Phébé.

PHÉBÉ. – Et moi pour Ganymède.

ORLANDO. – Et moi pour Rosalinde.

ROSALINDE. – Et moi pour aucune femme.

SYLVIUS. – C'est être tout rempli de caprices, de passions, de désirs: c'est être tout adoration, respect et obéissance, tout humilité, patience et impatience: c'est être plein de pureté, résigné à toute épreuve, à tous les sacrifices: et je suis tout cela pour Phébé.

PHÉBÉ. – Et moi pour Ganymède.

ORLANDO. – Et moi pour Rosalinde.

ROSALINDE. – Et moi pour aucune femme.

PHÉBÉ, à Rosalinde. – Si cela est, pourquoi me blâmez-vous de vous aimer?

SYLVIUS, à Phébé. – Si cela est, pourquoi me blâmez-vous de vous aimer?

ORLANDO. – Si cela est, pourquoi me blâmez-vous de vous aimer?

ROSALINDE. – A qui adressez-vous ces mots: Pourquoi me blâmez-vous de vous aimer?

ORLANDO. – A celle qui n'est point ici, et qui ne m'entend pas.

ROSALINDE. – De grâce, ne parlez plus de cela: cela ressemble aux hurlements des loups d'Irlande après la lune. (A Sylvius.) Je vous secourrai si je puis. (A Phébé.) Je vous aimerais si je le pouvais. – Demain, venez me trouver tous ensemble. (A Phébé.) Je vous épouserai, si jamais j'épouse une femme, et je veux être marié demain. (A Orlando.) Je vous satisferai, si jamais j'ai satisfait un homme, et vous serez marié demain. (A Sylvius.) Je vous rendrai content, si l'objet qui vous plaît peut vous rendre content, et vous serez marié demain. (A Orlando.) Si vous aimez Rosalinde, venez me trouver. (A Sylvius.) Si vous aimez Phébé, venez me trouver. – Et, comme il est vrai que je n'aime aucune femme, je m'y trouverai. Adieu, portez-vous bien: je vous ai laissé à tous mes ordres.

SYLVIUS. – Je n'y manquerai pas, si je vis.

PHÉBÉ. – Ni moi.

ORLANDO. – Ni moi.

(Ils sortent.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
110 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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