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Читать книгу: «Comme il vous plaira», страница 2

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ORLANDO. – Je vous suis très-redevable: portez-vous bien. (Le Beau sort.) Il faut donc que je tombe de la fumée dans le feu11. Je quitte un duc tyran pour rentrer sous un frère tyran: mais, ô divine Rosalinde!..

(Il sort.)

SCÈNE III

Appartement du palais
Entrent CÉLIE et ROSALINDE

CÉLIE. – Quoi, cousine! quoi, Rosalinde! – Amour, un peu de pitié! Quoi, pas un mot!

ROSALINDE. – Pas un mot à jeter à un chien12.

CÉLIE. – Non; tes paroles sont trop précieuses pour être jetées aux roquets, mais jettes-en ici quelques-unes; allons, estropie-moi avec de bonnes raisons.

ROSALINDE. – Alors il y aurait deux cousines d'enfermées, l'une serait estropiée par des raisons13, et l'autre folle sans aucune raison.

CÉLIE. – Mais tout ceci regarde-t-il votre père?

ROSALINDE. – Non; il y en a une partie pour le père de mon enfant14. – Oh! que le monde de tous les jours est rempli de ronces!

CÉLIE. – Ce ne sont que des chardons, cousine, jetés sur toi par jeu dans la folie d'un jour de fête: mais si nous ne marchons pas dans les sentiers battus, ils s'attacheront à nos jupons.

ROSALINDE. – Je les secouais bien de ma robe; mais ces chardons sont dans mon coeur.

CÉLIE. – Chasse-les en faisant: hem! hem!

ROSALINDE. – J'essayerais, s'il ne fallait que dire hem et l'obtenir.

CÉLIE. – Allons, allons, il faut lutter contre tes affections.

ROSALINDE. – Oh! elles prennent le parti d'un meilleur lutteur que moi!

CÉLIE. – Que le ciel te protége! Tu essayeras, avec le temps, en dépit d'une chute. – Mais laissons là toutes ces plaisanteries, et parlons sérieusement: est-il possible que tu tombes aussi subitement et aussi éperdument amoureuse du plus jeune des fils du vieux chevalier Rowland?

ROSALINDE. – Le duc mon père aimait tendrement son père.

CÉLIE. – S'ensuit-il de là que tu doives aimer tendrement son fils? D'après cette logique, je devrais le haïr; car mon père haïssait son père: cependant je ne hais point Orlando.

ROSALINDE. – Non, je t'en prie, pour l'amour de moi, ne le hais pas.

CÉLIE. – Pourquoi le haïrai-je? N'est-il pas rempli de mérite?

ROSALINDE. – Permets donc que je l'aime pour cette raison; et toi, aime-le parce que je l'aime. – Mais regarde, voilà le duc qui vient.

CÉLIE. – Avec des yeux pleins de courroux.

(Frédéric entre avec des seigneurs de la cour.)

FRÉDÉRIC – Hâtez-vous, madame, de partir et de vous retirer de notre cour.

ROSALINDE. – Moi, mon oncle?

FRÉDÉRIC. – Vous, ma nièce; et si dans dix jours vous vous trouvez à vingt milles de notre cour, vous mourrez.

ROSALINDE. – Je supplie Votre Altesse de permettre que j'emporte avec moi la connaissance de ma faute. Si je me comprends moi-même, si mes propres désirs me sont connus, si je ne rêve pas ou si je ne suis pas folle, comme je ne crois pas l'être, alors, cher oncle, je vous proteste que jamais je n'offensai Votre Altesse, pas même par une pensée à demi conçue.

FRÉDÉRIC – Tel est le langage de tous les traîtres; si leur justification dépendait de leurs paroles, ils seraient aussi innocents que la grâce même: qu'il vous suffise de savoir que je me méfie de vous.

ROSALINDE. – Votre méfiance ne suffit pas pour faire de moi une perfide. Dites-moi quels sont les indices de ma trahison?

FRÉDÉRIC. – Tu es fille de ton père, et c'est assez.

ROSALINDE. – Je l'étais aussi lorsque Votre Altesse s'est emparée de son duché; je l'étais, lorsque Votre Altesse l'a banni. La trahison ne se transmet pas comme un héritage, monseigneur; ou si elle passait de nos parents à nous, qu'en résulterait-il encore contre moi? Mon père ne fut jamais un traître: ainsi, mon bon seigneur, ne me faites pas l'injustice de croire que ma pauvreté soit de la perfidie.

CÉLIE. – Cher souverain, daignez m'entendre.

FRÉDÉRIC. – Oui, Célie, c'est pour l'amour de vous que nous l'avons retenue ici; autrement, elle aurait été rôder avec son père.

CÉLIE. – Je ne vous priai pas alors de la retenir ici; vous suivîtes votre bon plaisir et votre propre pitié: j'étais trop jeune dans ce temps-là pour apprécier tout ce qu'elle valait; mais maintenant je la connais; si elle est une traîtresse, j'en suis donc une aussi, nous avons toujours dormi dans le même lit, nous nous sommes levées au même instant, nous avons étudié, joué, mangé ensemble, et partout où nous sommes allées, nous marchions toujours comme les cygnes de Junon, formant un couple inséparable.

FRÉDÉRIC. – Elle est trop rusée pour toi; sa douceur, son silence même, et sa patience, parlent au peuple qui la plaint. Tu es une folle, elle te vole ton nom; tu auras plus d'éclat, et tes vertus brilleront davantage lorsqu'elle sera partie; n'ouvre plus la bouche; l'arrêt que j'ai prononcé contre elle est ferme et irrévocable; elle est bannie.

CÉLIE. – Prononcez donc aussi, monseigneur, la même sentence contre moi; car je ne saurais vivre séparée d'elle.

FRÉDÉRIC. – Vous êtes une folle. – Vous, ma nièce, faites vos préparatifs; si vous passez le temps fixé, je vous jure, sur mon honneur et sur ma parole solennelle, que vous mourrez.

(Frédéric sort avec sa suite.)

CÉLIE. – O ma pauvre Rosalinde, où iras-tu? Veux-tu que nous changions de pères? Je te donnerai le mien. Je t'en conjure, ne sois pas plus affligée que je ne le suis.

ROSALINDE. – J'ai bien plus sujet de l'être.

CÉLIE. – Tu n'en as pas davantage, cousine; console-toi, je t'en prie: ne sais-tu pas que le duc m'a bannie, moi, sa fille?

ROSALINDE. – C'est ce qu'il n'a point fait.

CÉLIE. – Non, dis-tu? Rosalinde n'éprouve donc pas cet amour qui me dit que toi et moi sommes une? Quoi! on nous séparera? Quoi! nous nous quitterions, douce amie? non, que mon père cherche une autre héritière. Allons, concertons ensemble le moyen de nous enfuir; voyons où nous irons et ce que nous emporterons avec nous; ne prétends pas te charger seule du fardeau, ni supporter seule tes chagrins, et me laisser à l'écart: car, tu peux dire tout ce que tu voudras, mais je te jure, par ce ciel qui paraît triste de notre douleur, que j'irai partout avec toi.

ROSALINDE. – Mais où irons-nous?

CÉLIE. – Chercher mon oncle.

ROSALINDE. – Hélas! de jeunes filles comme nous! quel danger ne courrons-nous pas en voyageant si loin? La beauté tente les voleurs, encore plus que l'or.

CÉLIE. – Je m'habillerai avec des vêtements pauvres et grossiers et je me teindrai le visage avec une espèce de terre d'ombre; fais-en autant, nous passerons sans être remarquées, et sans exciter personne à nous attaquer.

ROSALINDE. – Ne vaudrait-il pas mieux, étant d'une taille plus qu'ordinaire, que je m'habillasse tout à fait en homme? Avec une belle et large épée à mon côté, et un épieu à la main (qu'il reste cachée dans mon coeur toute la peur de femme qui voudra!) j'aurai un extérieur fanfaron et martial, aussi bien que tant de lâches qui cachent leur poltronnerie sous les apparences de la bravoure.

CÉLIE. – Comment t'appellerai-je, lorsque tu seras un homme?

ROSALINDE. – Je ne veux pas porter un nom moindre que celui du page de Jupiter, ainsi, songe bien à m'appeler Ganymède, et toi, quel nom veux-tu avoir?

CÉLIE. – Un nom qui ait quelque rapport avec ma situation: plus de Célie; je suis Aliéna15.

ROSALINDE. – Mais, cousine, si nous essayions de voler le fou de la cour de ton père, ne servirait-il pas à nous distraire dans le voyage?

CÉLIE. – Il me suivra, j'en réponds, au bout du monde. Laisse-moi le soin de le gagner: allons ramasser nos bijoux et nos richesses; concertons le moment le plus propice, et les moyens les plus sûrs pour nous soustraire aux poursuites que l'on ne manquera pas de faire après mon évasion: allons, marchons avec joie… vers la liberté, et non vers le bannissement!

(Elles sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

La forêt des Ardennes
LE VIEUX DUC, AMIENS et deux ou trois SEIGNEURS vêtus en habits de gardes-chasse

LE VIEUX DUC. – Eh bien! mes compagnons, mes frères d'exil, l'habitude n'a-t-elle pas rendu cette vie plus douce pour nous que celle que l'on passe dans la pompe des grandeurs? Ces bois ne sont-ils pas plus exempts de dangers qu'une cour envieuse? Ici, nous ne souffrons que la peine imposée à Adam, les différences des saisons, la dent glacée et les brutales insultes du vent d'hiver, et quand il me pince et souffle sur mon corps, jusqu'à ce que je sois tout transi de froid, je souris et je dis: «Ce n'est pas ici un flatteur: ce sont là des conseillers qui me convainquent de ce que je suis en me le faisant sentir.» On peut retirer de doux fruits de l'adversité; telle que le crapaud horrible et venimeux, elle porte cependant dans sa tête un précieux joyau16. Notre vie actuelle, séparée de tout commerce avec le monde, trouve des voix dans les arbres, des livres dans les ruisseaux qui coulent, des sermons dans les pierres, et du bien en toute chose.

AMIENS. – Je ne voudrais pas changer cette vie: Votre Grâce est heureuse de pouvoir échanger les rigueurs opiniâtres de la fortune en une existence aussi tranquille et aussi douce.

LE VIEUX DUC. – Allons, irons-nous tuer quelque venaison? Cependant cela me fait de la peine que ces pauvres créatures tachetées, bourgeoises par naissance de cette cité déserte, voient leurs flancs arrondis percés de ces pointes fourchues dans leurs propres domaines.

PREMIER SEIGNEUR. – Aussi, monseigneur, cela chagrine beaucoup le mélancolique Jacques; il jure que vous êtes en cela un plus grand usurpateur que votre frère ne l'a été en vous bannissant. Aujourd'hui, le seigneur Amiens et moi, nous nous sommes glissés derrière lui, au moment où il était couché sous un chêne, dont l'antique racine perce les bords du ruisseau qui murmure le long de ce bois; au même endroit est venu languir un pauvre cerf éperdu que le trait d'un chasseur avait blessé; et vraiment, monseigneur, le malheureux animal poussait de si profonds gémissements, que dans ses efforts la peau de ses côtés a failli crever; ensuite de grosses larmes17 ont roulé piteusement l'une après l'autre sur son nez innocent; et dans cette attitude, la pauvre bête fauve, que le mélancolique Jacques observait avec attention, restait immobile sur le bord du rapide ruisseau, qu'elle grossissait de ses pleurs.

LE VIEUX DUC. – Mais qu'a dit Jacques? N'a-t-il point moralisé sur ce spectacle?

PREMIER SEIGNEUR. – Oh! oui, monseigneur, il a fait cent comparaisons différentes; d'abord, sur les pleurs de l'animal qui tombaient dans le ruisseau, qui n'avait pas besoin de ce superflu. «Pauvre cerf, disait-il, tu fais ton testament comme les gens du monde; tu donnes à qui avait déjà trop.» Ensuite, sur ce qu'il était là seul, isolé, abandonné de ses compagnons veloutés: «Voilà qui est bien, dit-il, le malheur sépare de nous la foule de nos compagnons.» Dans le moment, un troupeau sans souci et qui s'était rassasié dans la prairie, bondit autour de l'infortuné et ne s'arrête point pour le saluer: «Oui, disait Jacques, poursuivez, gras et riches citoyens; c'est la mode: pourquoi vos regards s'arrêteraient-ils sur ce pauvre malheureux, qui est ruiné et perdu sans ressource?» C'est ainsi que Jacques, par les plus violentes invectives, attaquait la campagne, la ville, la cour, et même la vie que nous menons ici, jurant que nous étions de vrais usurpateurs, des tyrans et pis encore, d'effrayer les animaux et de les tuer dans le lieu même que la nature leur avait assigné pour patrie et pour demeure.

LE VIEUX DUC. – Et l'avez-vous laissé dans cette méditation?

SECOND SEIGNEUR. – Oui, monseigneur, nous l'avons laissé pleurant et faisant des dissertations sur le cerf qui sanglotait.

LE VIEUX DUC. – Montrez-moi l'endroit; j'aime à être aux prises avec lui, lorsqu'il est dans ces accès d'humeur; car alors il est plein d'idées.

SECOND SEIGNEUR. – Je vais, monseigneur, vous conduire droit à lui.

SCÈNE II

Appartement du palais du duc usurpateur
FRÉDÉRIC entre avec des SEIGNEURS de sa suite

FRÉDÉRIC. – Est-il possible que personne ne les ait vues? Cela ne peut pas être: quelques traîtres de ma cour sont d'intelligence avec elles.

PREMIER SEIGNEUR. – Je ne puis découvrir personne qui l'ait aperçue. Les dames, chargées de sa chambre, l'ont vue le soir au lit, et le lendemain, de grand matin, elles ont trouvé le lit vide du trésor qu'il renfermait, leur maîtresse.

SECOND SEIGNEUR. – Monseigneur, on ne trouve pas non plus le paysan peu gracieux18 dont Votre Altesse avait coutume de s'amuser si souvent. Hespérie, la fille d'honneur de la princesse, avoue qu'elle a entendu secrètement votre fille et sa cousine vantant beaucoup les bonnes qualités et les grâces du lutteur qui a vaincu dernièrement le robuste Charles, et elle croit qu'en quelque endroit que ces dames soient allées, ce jeune homme est sûrement avec elles.

FRÉDÉRIC. – Envoyez chez son frère; ramenez ici ce galant; s'il n'y est pas, amenez-moi son frère, je le lui ferai bien trouver; allez-y sur-le-champ, et ne vous lassez point de continuer les démarches et les perquisitions, jusqu'à ce que vous m'ayez ramené ces folles échappées.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Devant la maison d'Olivier
Entrent ORLANDO et ADAM, qui se rencontrent

ORLANDO. – Qui est là?

ADAM. – Quoi! c'est vous, mon jeune maître? O mon cher maître! ô mon doux maître! ô vous, image vivante du vieux chevalier Rowland! Quoi! que faites-vous ici? Ah! pourquoi êtes-vous vertueux? pourquoi les gens vous aiment-ils? pourquoi êtes-vous bon, fort et vaillant? pourquoi avez-vous été assez imprudent pour vouloir vaincre le nerveux lutteur du capricieux duc? Votre gloire vous a trop tôt devancé dans cette maison. Ne savez-vous pas, mon maître, qu'il est des hommes pour qui toutes leurs qualités deviennent autant d'ennemis? Voilà tout le fruit que vous retirez des vôtres; vos vertus, mon cher maître, sont pour vous autant de traîtres, sous une forme sainte et céleste. Oh! quel monde est celui-ci, où ce qui est louable empoisonne celui qui le possède!

ORLANDO. – Quoi donc? de quoi s'agit-il?

ADAM. – O malheureux jeune homme, ne franchissez pas ce seuil; l'ennemi de tout votre mérite habite sous ce toit: votre frère… non, il n'est pas votre frère, mais… le fils… non… pas le fils… je ne veux pas l'appeler fils… de celui que j'allais appeler son père, a appris votre gloire, et cette nuit même il se propose de brûler le logement où vous avez coutume de coucher, et vous dedans. S'il ne réussit pas dans ce projet, il trouvera d'autres moyens de vous faire périr; je l'ai entendu, par hasard, méditant son projet: ce n'est pas ici un lieu pour vous; cette maison n'est qu'une boucherie; abhorrez-la, redoutez-la, n'y entrez pas.

ORLANDO. – Mais, Adam, où veux-tu que j'aille?

ADAM. – N'importe où, pourvu que vous ne veniez pas ici.

ORLANDO. – Quoi! voudrais-tu que j'allasse mendier mon pain; ou qu'armé d'une épée lâche et meurtrière je gagnasse ma vie comme un brigand en volant sur les grands chemins? Voilà ce qu'il faut que je fasse, ou je ne sais que faire; et c'est ce que je ne ferai pas, quoique je puisse faire. J'aime mieux me livrer à la haine d'un sang dégénéré, d'un frère sanguinaire.

ADAM. – Non, ne le faites pas: j'ai cinq cents écus qui sont les pauvres gages que j'ai épargnés sous votre père; je les ai amassés pour me servir de nourrice lorsque mes membres vieillis et perclus me refuseraient le service, et que ma vieillesse méprisée serait jetée dans un coin; prenez cela; et que celui qui nourrit les corbeaux, et dont la Providence fournit à la subsistance du passereau, soit le soutien de ma vieillesse! Voilà cet or; je vous le donne tout; prenez-moi pour votre domestique: quoique je paraisse vieux, je suis encore nerveux et robuste; car, dans ma jeunesse, je n'ai jamais fait usage de ces liqueurs brûlantes qui portent le trouble dans le sang, et jamais je n'ai cherché, avec un front sans pudeur, les moyens de ruiner et d'affaiblir ma constitution; aussi ma vieillesse est comme un hiver vigoureux, froid, mais serein: laissez-moi vous suivre; je vous rendrai les services d'un homme plus jeune, dans toutes vos affaires et dans tous vos besoins.

ORLANDO. – O bon vieillard! que tu es une image fidèle de ces serviteurs constants de l'ancien temps, qui servaient par amour de leur devoir, et non pour le salaire! Tu n'es pas à la mode de ce temps-ci où personne ne travaille que pour son avancement, et où l'acquisition de ce qu'on désire fait cesser le service: tu n'en agis pas ainsi. – Mais, pauvre vieillard, tu veux tailler un arbre pourri qui ne saurait même produire une seule fleur, pour te payer de tes peines et de ta culture; mais fais ce que tu voudras; nous irons ensemble; et avant que nous ayons dépensé les gages de ta jeunesse, nous trouverons quelque modeste situation où nous vivrons contents.

ADAM. – Allez, mon maître, allez, je vous suivrai jusqu'au dernier soupir avec fidélité et loyauté. J'ai vécu ici depuis l'âge de dix-sept ans jusqu'à près de quatre-vingts; mais de ce moment, je n'y reste plus. Bien des gens cherchent fortune à dix-sept ans, mais à quatre-vingts il est trop tard. La fortune ne saurait cependant me mieux récompenser, qu'en me faisant bien mourir sans rester débiteur de mon maître.

SCÈNE IV

La forêt des Ardennes
ROSALINDE en habit de jeune garçon, CÉLIE habillée en bergère et le paysan TOUCHSTONE

ROSALINDE. – O dieux! que mon coeur est las!

TOUCHSTONE. – Je m'embarrasserais fort peu de mon coeur, si mes jambes n'étaient pas lasses.

ROSALINDE. – J'aurais bonne envie de déshonorer l'habit d'homme que je porte, et de pleurer comme une femme; mais il faut que je soutienne le vaisseau le plus faible; c'est au pourpoint et au haut-de-chausses à montrer l'exemple du courage à la jupe; ainsi courage donc, chère Aliéna.

CÉLIE. – Je t'en prie, supporte-moi; je ne saurais aller plus loin.

TOUCHSTONE. – Pour moi j'aimerais mieux vous supporter que de vous porter; je ne porterais cependant pas de croix19 en vous portant; car je ne crois pas que vous ayez d'argent dans votre bourse.

ROSALINDE. – Enfin, voilà donc la forêt des Ardennes.

TOUCHSTONE. – Oui, me voilà dans l'Ardenne, je n'en suis que plus sot; quand j'étais chez moi, j'étais bien mieux; mais il faut que les voyageurs soient contents de tout.

ROSALINDE. – Oui, sois content, cher Touchstone; mais qui vient ici? Un jeune homme et un vieillard en conversation sérieuse!

(Entrent Corin et Sylvius de l'autre côté du théâtre.)

CORIN. – C'est précisément là le moyen de vous faire toujours mépriser d'elle.

SYLVIUS. – O Corin! si tu savais combien je l'aime!

CORIN. – Je le devine en partie; car j'ai aimé jadis.

SYLVIUS. – Non, Corin, vieux comme tu l'es, tu ne saurais le deviner, quand même dans ta jeunesse tu aurais été le plus fidèle amant qui ait soupiré pendant la nuit sur son oreiller. Mais si jamais ton amour fut égal au mien (et je suis sûr qu'aucun homme n'aima jamais comme moi), à combien d'actions ridicules ta passion t'a-t-elle entraîné?

CORIN. – A plus de mille, que j'ai oubliées.

SYLVIUS. – Oh! tu n'as donc jamais aimé aussi tendrement que moi: si tu ne te rappelles pas jusqu'à la plus petite folie que l'amour t'a fait faire, tu n'as pas aimé: si tu ne t'es pas assis comme je le suis, fatigant celui qui t'écoutait des louanges de ta maîtresse, tu n'as pas aimé: si tu n'as pas quitté brusquement la compagnie, comme ma passion me fait quitter la tienne en ce moment, tu n'as pas aimé. O Phébé! Phébé! Phébé!

(Sylvius sort.)

ROSALINDE. – Hélas! pauvre berger! en te voyant sonder ta blessure, un sort cruel m'a fait sentir la mienne.

TOUCHSTONE. – Et moi la mienne: je me souviens que lorsque j'étais amoureux, je brisai mon épée contre une pierre en lui disant: «Voilà pour t'apprendre à rendre des visites nocturnes à Jeanne Smile;» et je me rappelle que je baisais son battoir et les mamelles des vaches que ses jolies mains gercées venaient de traire; et je me souviens encore qu'au lieu d'elle, je courtisais une tige de pois, auquel je pris deux cosses pour les lui rendre en lui disant, en pleurant des larmes20: «Portez ceci pour l'amour de moi.» Nous autres vrais amants, nous sommes sujets à d'étranges caprices; mais comme tout, dans la nature, est mortel, toute nature est mortellement folle en amour21.

ROSALINDE. – Tu parles plus sagement que tu ne t'en doutes.

TOUCHSTONE. – Vraiment, jamais je ne me douterai de mon esprit que lorsque je me le serai cassé contre les os des jambes.

ROSALINDE. – O Jupiter! Jupiter! la passion de ce berger ressemble bien à la mienne.

TOUCHSTONE. – Et à la mienne aussi: mais cela devient un peu ancien pour moi.

CÉLIE. – Je vous en prie, que l'un de vous demande à cet homme-là s'il voudrait nous donner quelque nourriture pour de l'or. Je suis d'une faiblesse à mourir.

TOUCHSTONE. – Holà, vous, paysan!

ROSALINDE. – Tais-toi, sot; il n'est pas ton parent.

CORIN. – Qui appelle?

TOUCHSTONE. – Des personnes qui valent mieux que vous, l'ami.

CORIN. – Si elles ne valaient pas mieux que moi, elles seraient bien misérables.

ROSALINDE. – Paix! te dis-je; – bonsoir, l'ami!

CORIN. – Bonsoir, mon joli cavalier, ainsi qu'à vous tous.

ROSALINDE. – Je t'en prie, berger, si, par amitié ou pour de l'or, l'on peut obtenir quelques aliments dans ce désert, conduis-nous dans un endroit où nous puissions nous reposer et manger; voilà une jeune fille que le voyage a accablée de fatigue; elle est prête à défaillir de besoin.

CORIN. – Mon beau monsieur, je la plains de tout mon coeur, et je souhaiterais, bien plus pour elle que pour moi, que la fortune m'eût mis plus en état de la soulager; mais je ne suis qu'un berger, aux gages d'un autre homme, et je ne tonds pas pour moi les moutons que je fais paître: mon maître est d'un naturel avare, et s'embarrasse fort peu de s'ouvrir le chemin du ciel par des actes d'hospitalité. D'ailleurs, sa cabane, ses troupeaux et ses pâturages sont en vente, et son absence fait qu'il n'y a maintenant, dans notre bergerie, rien que vous puissiez manger: mais venez voir ce qu'il y a; et si ma voix y peut quelque chose, vous serez certainement bien reçus.

ROSALINDE. – Quel est celui qui doit acheter son troupeau et ses pâturages?

CORIN. – Ce jeune homme que vous avez vu ici il n'y a qu'un moment, et qui se soucie peu d'acheter quoi que ce soit.

ROSALINDE. – Si cela pouvait se faire sans blesser l'honnêteté, je te prierais d'acheter la cabane, les pâturages et le troupeau, et nous te donnerions de quoi payer le tout pour nous.

CÉLIE. – Et nous augmenterions tes gages. J'aime ces lieux, et j'y passerais volontiers ma vie.

CORIN. – Le tout est certainement à vendre: venez avec moi: si, sur ce qu'on vous en dira, le terrain, le revenu et ce genre de vie vous plaisent, j'achèterai aussitôt le tout avec votre or, et je serai votre fidèle berger.

(Ils sortent.)
11.From the smoke into the smother, de la fumée dans l'étouffoir.
12.Expression proverbiale.
13.Lame me with reasons, rends-moi boiteuse par de bonnes raisons.
  On a dernièrement voulu prouver par ces mots que Shakspeare était boiteux en traduisant: Prouvez-moi que je suis boiteux. On a compté combien de fois le mot lame était dans ses oeuvres; et chaque fois a été une preuve.
14.Mon futur époux.
15.Aliéna, mot latin; étrangère bannie.
16.C'était une opinion reçue, du temps de Shakspeare, que la tête d'un vieux crapaud contenait une pierre précieuse, ou une perle, à laquelle on attribuait de grandes vertus.
17.Dans l'ancienne matière médicale, les larmes du cerf mourant étaient réputées jouir d'une vertu miraculeuse.
18.Roynish du mot français rogneux.
19.Une espèce de monnaie marquée d'une croix; ce mot est pour Shakspeare une source de pointes.
20.«Trait contre une expression ridicule de la Rosalinde de Lodge.» (WARBURTON.)
21.Mortal est pris ici adverbialement pour excessivement.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
110 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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