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Читать книгу: «Antoine et Cléopâtre», страница 7

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SCÈNE XI

Alexandrie. – Appartement du palais
CLÉOPÂTRE, CHARMIANE, IRAS, MARDIAN

CLÉOPÂTRE. – Secourez-moi, mes femmes. Oh! il est plus furieux que ne le fut Télamon, frustré du bouclier d'Achille; et le sanglier de Thessalie ne se montra jamais plus menaçant.

CHARMIANE. – Venez au tombeau de Ptolémée. Enfermez-vous là, et envoyez lui annoncer que vous êtes morte. L'âme ne se sépare pas du corps avec plus de douleur que l'homme de sa grandeur.

CLÉOPÂTRE. – Allons au tombeau36… Mardian, va lui annoncer que je me suis tuée. Dis-lui que le dernier mot que j'ai prononcé était Antoine, et fais-lui, je t'en conjure, un récit attendrissant. Pars, Mardian, et reviens m'apprendre comment il prend ma mort… Au monument…

SCÈNE. XII

Alexandrie. – Un autre appartement du palais
ANTOINE, ÉROS

ANTOINE. – Éros, tu me vois encore!

ÉROS. – Oui, mon noble maître.

ANTOINE. – Tu as vu quelquefois un nuage qui ressemble à un dragon, une vapeur qui nous représente un ours ou un lion, une citadelle avec des tours, un rocher pendant, un mont à double cime, ou un promontoire bleuâtre couronné de forêts qui se balancent sur nos têtes; tu as vu ces images qui sont les spectacles que nous offre le sombre crépuscule?

ÉROS. – Oui, seigneur.

ANTOINE. – Ce qui nous paraît un coursier est effacé en moins d'une pensée par la séparation des nuages, et se confond avec eux comme l'eau dans l'eau.

ÉROS. – Oui, seigneur.

ANTOINE. – Eh bien! bon serviteur, cher Éros, ton général n'est plus qu'une de ces formes imaginaires. Je suis encore Antoine, mais je ne puis plus garder ce corps visible, mon serviteur. – C'est pour l'Égypte que j'ai entrepris cette guerre, et la reine, dont je croyais posséder le coeur, car elle possédait le mien, mon coeur qui, pendant qu'il était à moi, s'était attaché un million de coeurs, perdus maintenant; elle, qui a arrangé les cartes avec César, et, par un jeu perfide, a livré ma gloire au triomphe de mon ennemi. – Non, ne pleure pas, cher Éros; pour finir mes destins, je me reste à moi-même. (Entre Mardian.) Oh! ta vile maîtresse! elle m'a volé mon épée!

MARDIAN. – Non, Antoine, ma maîtresse vous aimait, et elle a associé sans réserve sa fortune à la vôtre.

ANTOINE. – Loin de moi, eunuque insolent; tais-toi. Elle m'a trahi, il faut qu'elle meure.

MARDIAN. – La mort est une dette que chacun ne peut payer qu'une fois, et elle l'a déjà acquittée. Ce que vous vouliez faire est fait; elle a prévenu votre bras; et le dernier mot qu'elle a prononcé, c'est: Antoine, généreux Antoine! Elle a voulu encore prononcer votre nom, mais un dernier gémissement l'a laissé à moitié prononcé entre ses lèvres et son coeur; elle a expiré avec votre nom enseveli dans son sein.

ANTOINE. – Elle est morte?

MARDIAN. – Morte.

ANTOINE. – Éros, ôte-moi mon armure: la tâche de la longue journée est finie, et il est temps de dormir. Tiens-toi pour bien payé de ton message, puisque tu sors vivant de ces lieux. Va-t'en. (Mardian sort.) Ôte-moi cette armure, le septuple bouclier d'Ajax ne peut comprimer les battements de mon coeur. O mes flancs! brisez-vous; toi, mon coeur, sois une fois plus fort que la chair qui t'emprisonne. – Dépêche, Éros, dépêche. Je ne suis plus un guerrier. – Débris de mon armure, allez loin de moi, vous avez été portés avec honneur. – Laissez-moi seul un moment. – (Éros sort.) O Cléopâtre! je je vais te rejoindre, et implorer ton pardon par mes larmes. Allons, il faut finir, tout délai est un nouveau supplice. Puisque la torche est éteinte, couchons-nous et n'allons pas plus loin. Maintenant toute résistance serait inutile, et nuirait au lieu de servir. La force s'embarrasse de ses propres efforts; apposons notre sceau, et tout est fini. – Éros! – Je viens, ô ma reine! – Éros! – Attends-moi dans ces lieux, où les ombres reposent sur les fleurs. Là, les mains dans les mains, nous fixerons sur nous les regards des ombres attirées par l'héroïque majesté de nos mânes. Didon et son Énée verront leur cour déserte, et toute la foule nous suivra. – Éros! Viens donc!

(Éros paraît.)

ÉROS. – Que veut mon maître?

ANTOINE. – Depuis que Cléopâtre n'est plus, j'ai vécu avec tant de déshonneur que les dieux abhorrent ma bassesse. Moi, qui avec mon épée partageais l'univers, moi qui construisit sur le dos verdâtre de Neptune des cités avec mes vaisseaux, je m'accuse de manquer du courage d'une femme. Mon âme est moins noble que la sienne, elle qui par sa mort dit à notre César: Je n'ai d'autre vainqueur que moi-même. – Éros, tu m'as juré que, si jamais les circonstances l'exigeaient (et elles l'exigent bien maintenant), quand je me verrais poursuivi par une suite de malheurs et d'horreurs inévitables, alors, sur mon ordre, tu me donnerais la mort. Fais-le, le temps est venu. Ce n'est pas moi que tu frapperas; c'est César que tu vas priver du fruit de la victoire. Rappelle la couleur sur tes joues.

ÉROS. – Que les dieux m'en gardent! Ferais-je ce que n'ont pu faire tous les traits des Parthes ennemis, lancés vainement contre vous?

ANTOINE. – Cher Éros, voudrais-tu donc, des fenêtres de la vaste Rome, voir ton maître les bras croisés, courbant son front humilié et le visage dompté par une honte pénétrante, tandis que l'heureux César, marchant devant lui dans son char, raillerait la bassesse de celui qui le suit?

ÉROS. – Non, je ne voudrais pas le voir.

ANTOINE. – Approche donc: car il n'y a qu'une blessure qui puisse me guérir. Allons, tire ton épée fidèle, qui dans tes mains fut tant de fois utile à ta patrie.

ÉROS. – Ah! seigneur, pardonnez!

ANTOINE. – Quand je t'ai affranchi, ne juras-tu pas de faire ce que je te demande ici dès que je te l'ordonnerais? Obéis, ou je regarderai tous tes services passés comme des accidents involontaires; tire ton épée et approche.

ÉROS. – Détournez donc de moi ce noble visage, fait pour être adoré de l'univers entier.

ANTOINE, détournant son visage. – Allons.

ÉROS. – Mon épée est tirée.

ANTOINE. – Alors, fais tout de suite la chose pour laquelle tu l'as tirée.

ÉROS. – Mon cher maître, mon général, mon souverain, permettez qu'avant de frapper ce coup sanglant je vous dise adieu.

ANTOINE. – Tu l'as dit, ami. Adieu.

ÉROS. – Adieu, mon illustre chef. Frapperai-je?

ANTOINE. – A l'instant, Éros.

ÉROS. – Eh bien! ici alors… (Il se jette sur son épée.) C'est ainsi que j'échappe à la douleur d'immoler Antoine.

(Il expire.)

ANTOINE. – O toi! qui es trois fois plus noble que moi! brave Éros, tu m'apprends ce que je devrais et ce que tu n'as pu faire. Ma reine et le fidèle Éros ont, par leur courageux exemple, gagné sur moi de la gloire dans l'histoire. Mais je serai comme un nouvel époux pour la mort, et je vole dans ses bras comme au lit de mon amante. Allons, c'en est fait, Éros, ton maître meurt selon ton exemple. Voilà ce que tu m'as appris. (Il se précipite sur son épée.) Comment, pas mort encore? pas mort? Holà, gardes! Oh! achevez-moi!

(Entrent Dercétas et la garde)

PREMIER GARDE. – D'où viennent ces cris?

ANTOINE. – Amis, j'ai mal fait mon ouvrage… Oh! achevez ce que j'ai commencé.

SECOND GARDE. – L'astre est tombé.

PREMIER GARDE. – Sa période est achevée.

TOUS. – Hélas! ô malheur!

ANTOINE. – Que celui de vous qui m'aime achève ma mort.

PREMIER GARDE. – Pas moi.

SECOND GARDE. – Ni moi.

TROISIÈME GARDE. – Ni personne.

(Ils sortent.)

DERCÉTAS. – Ta fortune et ta mort font déserter tes amis. Que je montre seulement cette épée à César, et avec cette nouvelle je suis sûr d'être bien accueilli.

(Diomède entre.)

DIOMÈDE. – Où est Antoine?

DERCÉTAS. – Là, Diomède, là.

DIOMÈDE. – Est-il en vie? – Veux-tu répondre?

(Dercétas sort.)

ANTOINE. – Est-ce toi, Diomède? Tire ton épée et frappe; que j'achève de mourir.

DIOMÈDE. – Illustre souverain, ma maîtresse Cléopâtre m'envoie vers toi.

ANTOINE. – Quand t'a-t-elle envoyé?

DERCÉTAS. – Dans le moment, seigneur.

ANTOINE. – Où est-elle?

DIOMÈDE. – Elle est enfermée dans son monument: elle avait un pressentiment de ce qui est arrivé. Lorsqu'elle a vu que vous la soupçonniez, soupçon dont on ne trouvera jamais la preuve, de s'être arrangée avec César, et que rien ne pouvait apaiser vos fureurs, elle vous a fait annoncer qu'elle était morte; mais ensuite, craignant l'effet de cette nouvelle, elle m'envoie vous déclarer la vérité, et je viens, je le crains bien, trop tard.

ANTOINE. – Trop tard, bon Diomède. Appelle mes gardes, je te prie.

DIOMÈDE. – Holà! les gardes de l'empereur! Gardes, avancez, votre seigneur vous appelle.

(Les gardes entrent.)

ANTOINE. – Portez-moi, mes bons amis, aux lieux où est Cléopâtre; c'est le dernier service que je vous demanderai.

UN GARDE. – Nous sommes désolés, seigneur, que vous ne puissiez pas survivre au dernier de tous vos fidèles serviteurs.

TOUS. – O jour de calamité!

ANTOINE. – Allons, mes chers camarades, ne faites pas au sort barbare l'honneur de vos larmes; souhaitez la bienvenue aux coups qui viennent nous frapper. C'est se venger de lui que de les recevoir avec insouciance. Soulevez-moi; je vous ai conduit souvent: portez-moi à votre tour, mes bons amis, et recevez tous mes remerciements. (Ils sortent, emportant Antoine.)

SCÈNE XIII

Alexandrie. – Un mausolée
On voit sur une galerie CLÉOPÂTRE, CHARMIANE ET IRAS

CLÉOPÂTRE. – O Charmiane! c'en est fait, je ne sors plus d'ici!

CHARMIANE. – Consolez-vous, madame.

CLÉOPÂTRE. – Non, je ne le veux pas… Les événements les plus étranges et les plus terribles seront les bienvenus; mais je dédaigne les consolations. L'étendue de ma douleur doit égaler la grandeur de sa cause. (A Diomède, qui revient.) Comment? est-il mort?

DIOMÈDE. – Pas encore, madame, mais la mort est sur lui. Regardez de l'autre côté du monument, ses gardes l'ont apporté jusqu'ici.

(Antoine paraît, porté par ses gardes.)

CLÉOPÂTRE. – O soleil! consume la sphère où tu te meus, et qu'une nuit éternelle couvre le visage changeant du monde! – O Antoine! Antoine! Antoine! – Aide-moi, Charmiane; aide-moi, Iras. Mes amis, secondez-nous; élevons-le jusqu'à moi.

ANTOINE. – Calmez-vous; ce n'est pas sous la valeur de César qu'Antoine succombe, Antoine seul a triomphé de lui-même.

CLÉOPÂTRE. – Il en devait être ainsi: nul autre qu'Antoine ne devait triompher d'Antoine; mais malheur à moi qu'il en soit ainsi!

ANTOINE. – Je meurs, reine d'Égypte, je meurs; cependant j'implore de la mort un moment pour que je puisse déposer sur tes lèvres encore un pauvre baiser, le dernier de tant de baisers.

CLÉOPÂTRE. – Je n'ose, cher amant; cher Antoine, pardonne; mais je n'ose descendre, je crains d'être surprise… Jamais ce César, que la fortune accable de ses dons, ne verra son orgueilleux triomphe décoré de ma personne… Si les poignards ont une pointe, les poisons de la force, les serpents un dard, je suis en sûreté. Jamais ta sage Octavie, avec son regard modeste et sa froide résolution, ne jouira du triomphe de me contempler; mais viens, viens, cher Antoine. Aidez-moi, mes femmes; il faut que nous le montions ici; bons amis, secondez-moi37.

ANTOINE. – O hâtez-vous, ou je m'en vais!

CLÉOPÂTRE. – Ceci est un jeu, en vérité. Comme mon seigneur est lourd! La douleur a épuisé nos forces, et ajoute un nouveau poids à son corps. Ah! si j'avais la puissance de l'immortelle Junon, Mercure t'enlèverait sur ses robustes ailes, et te placerait à côté de Jupiter… Mais viens, viens. Ceux qui font des souhaits sont toujours fous. Oh! viens, viens, viens. (Ils enlèvent et montent Antoine.) Et sois le bienvenu, le bienvenu auprès de moi… Meurs là où tu as vécu; que mes baisers te raniment. Ah! si mes lèvres avaient ce pouvoir, je les userais à force de baisers.

TOUS. – O douloureux spectacle!

ANTOINE. – Je meurs, Égyptienne, je meurs… Donnez-moi un peu de vin pour que je puisse prononcer encore quelques paroles.

CLÉOPÂTRE. – Non, laisse-moi parler plutôt, laisse-moi accuser si hautement la fortune; que la fortune, perfide ouvrière, brise son rouet38 dans le dépit que lui causeront mes outrages.

AKTOINE. – Un mot, chère reine; assurez auprès de César votre honneur et votre sûreté… Ah!

CLÉOPÂTRE. – Ces deux choses ne vont pas ensemble.

ANTOINE. – Chère Cléopâtre, écoutez-moi: de tous ceux qui entourent César, ne vous fiez qu'à Proculéius.

CLÉOPÂTRE. – Je me fierai à ma résolution et à mes mains, et non à aucun des amis de César.

ANTOINE. – N'allez point gémir, ni vous lamenter sur le déplorable changement qui m'arrive au terme de ma carrière; charmez plutôt vos pensées par le souvenir de ma fortune passée, lorsque j'étais le plus noble, le plus grand prince de l'univers; je ne meurs pas aujourd'hui honteusement ni lâchement, je ne cède pas mon casque à mon compatriote; je suis un Romain vaincu avec honneur par un Romain. Ah! mon âme s'envole. Je n'en puis plus.

(Antoine expire.)

CLÉOPÂTRE. – O le plus généreux des mortels, veux-tu donc mourir? Tu n'as donc plus souci de moi?.. Resterai-je dans ce monde insipide, qui, sans toi, n'est plus qu'un bourbier fangeux. – O mes femmes, voyez! Le roi de la terre s'anéantit… Mon seigneur!.. Oui, le laurier de la guerre est flétri; la colonne des guerriers est renversée. Désormais les enfants et les filles timides marcheront de pair avec les hommes. Les prodiges sont finis, et après Antoine il ne reste plus rien de remarquable sous la clarté de la lune.

(Elle s'évanouit.)

CHARMIANE. – Ah! calmez-Vous, madame.

IRAS. – Elle est morte aussi, notre maîtresse.

CHARMIANE. – Reine…

IRAS. – Madame…

CHARMIANE. – O madame! madame! madame!

IRAS. – Reine d'Égypte! souveraine…

CHARMIANE. – Tais-toi, tais-toi, Iras…

CLÉOPÂTRE. – Non, je ne suis plus qu'une femme, et assujettie aux mêmes passions que la servante qui trait les vaches et exécute les plus obscurs travaux. Il m'appartiendrait de jeter mon sceptre aux dieux barbares, et de leur dire que cet univers fut égal à leur Olympe jusqu'au jour où ils m'ont enlevé mon trésor. – Tout n'est plus que néant. La patience est une sotte et l'impatience est devenue un chien enragé… Est-ce donc un crime de se précipiter dans la secrète demeure de la mort, avant que la mort ose venir à nous? Comment êtes-vous, mes femmes? Allons, allons, bon courage! Allons, voyons, Charmiane! Mes chères filles!.. Ah! femmes, femmes, voyez, notre flambeau est éteint. (Aux soldats d'Antoine.) – Bons amis, prenez courage, nous l'ensevelirons; ensuite, ce qui est brave, ce qui est noble, accomplissons-le en digne Romaine, et que la mort soit fière de nous prendre. Sortons: l'enveloppe qui renfermait cette grande âme est glacée. O mes femmes, mes femmes! suivez-moi, nous n'avons plus d'amis, que notre courage et la mort la plus courte.

(Elles sortent; on emporte le corps d'Antoine.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

Le théâtre représente le camp de César
CÉSAR, AGRIPPA, DOLABELLA, MÉCÈNE, GALLUS, suite

CÉSAR. – Va le trouver, Dolabella; dis-lui de se rendre, dis-lui que, dépouillé de tout comme il l'est, c'est se jouer de nous que de tant différer.

DOLABELLA. – J'y vais, César.

(Il sort.)
(Dercétas entre, tenant l'épée d'Antoine.)

CÉSAR. – Pourquoi cette épée, et qui es-tu pour oser paraître ainsi devant nous?

DERCÉTAS. – Je m'appelle Dercétas. Je servais Marc Antoine, le meilleur des maîtres, et qui méritait les meilleurs serviteurs. Je ne l'ai point quitté, tant qu'il a été debout et qu'il a parlé, et je ne supportais la vie que pour la dépenser contre ses ennemis. S'il te plaît de me prendre à ton service; ce que je fus pour Antoine, je le serai pour César. Si tu ne le veux pas, je t'abandonne ma vie.

CÉSAR. – Qu'est-ce que tu dis?

DERCÉTAS. – Je dis à César qu'Antoine est mort.

CÉSAR. – La chute d'un si grand homme aurait dû faire plus de bruit. La terre aurait dû lancer les lions dans les rues des cités, et les habitans des cités dans les antres des lions. – La mort d'Antoine n'est pas le trépas d'un seul. Il y avait dans son nom la moitié de l'univers.

DERCÉTAS. – Il est mort, César, non par la main d'un ministre public de la justice, non par un fer emprunté. Mais ce même bras qui inscrivait son honneur sur toutes ses actions a déchiré le coeur qui lui prêtait ce courage invincible. Voilà son épée, je l'ai dérobée à sa blessure; tu la vois teinte encore de son noble sang.

CÉSAR. – Vous avez l'air triste, mes amis. – Que les dieux me retirent leur faveur, si ces nouvelles ne sont pas faites pour mouiller les yeux des rois.

AGRIPPA. – Et il est étrange que la nature nous force à gémir sur les actions que nous avons poursuivies avec le plus d'acharnement.

MÉCÈNE. – Ses vices et ses vertus se balançaient également.

AGRIPPA. – Jamais âme plus rare n'a gouverné l'humanité. Mais vous, dieux, vous voulez nous laisser toujours quelques faiblesses pour faire de nous des hommes. César s'attendrit.

MÉCÈNE. – Quand un si grand miroir est offert à ses yeux, il faut bien qu'il se voie.

CÉSAR. – O Antoine, je t'ai poursuivi jusque-là! – Mais nous sommes nous-mêmes les auteurs de nos maux. Il fallait ou que je fusse offert moi-même à tes regards dans cet état d'abaissement, ou que je fusse spectateur du tien. Nous ne pouvions habiter ensemble dans l'univers. Mais laisse-moi pleurer avec des larmes de sang sur toi, mon frère, mon collègue dans toutes mes entreprises, mon associé à l'empire, mon ami et mon compagnon au premier rang des batailles; le bras de mon propre corps, le coeur où le mien allumait son courage… Que nos inconciliables étoiles aient ainsi divisé nos égales fortunes, pour en venir là! Écoutez-moi, mes dignes amis… Mais non, je vous dirai mes pensées dans un moment plus convenable.

(Entre un messager.)

CÉSAR. – Le message de cet homme se devine dans son air; nous entendrons ce qu'il dira. – D'où viens-tu?

LE MESSAGER. – Je ne suis encore qu'un pauvre Égyptien: la reine, ma maîtresse, confinée dans le seul asile qui lui reste, dans son tombeau, désire être instruite de vos intentions pour pouvoir se préparer au parti que la nécessité la forcera d'embrasser.

CÉSAR. – Dis-lui d'avoir bon courage; elle apprendra bientôt, par quelqu'un des nôtres, quel traitement honorable et doux nous lui réservons. César ne peut vivre que pour être généreux.

LE MESSAGER. – Que les dieux te gardent donc!

(Le messager sort.)

CÉSAR. – Approche, Proculéius; pars, et dis à la reine qu'elle ne craigne de nous aucune humiliation; donne-lui les consolations qu'exigera la nature de ses chagrins, de peur que dans le sentiment de sa grandeur elle ne déjoue nos intentions par quelque coup mortel. Cléopâtre, conduite vivante à Rome, éterniserait notre triomphe. – Va, et reviens en diligence m'apprendre ce qu'elle t'aura dit, et comment tu l'auras trouvée.

PROCULÉIUS. – J'obéis, César.

CÉSAR. – Gallus, accompagne-le. – Où est Dolabella, pour seconder Proculéius?

(Gallus sort.)

AGRIPPA et MÉCÈNE. – Dolabella!

CÉSAR. – Laissez-le; je me rappelle maintenant de quel emploi je l'ai chargé… Il sera prêt à temps. – Suivez-moi dans ma tente; vous allez voir avec quelle répugnance j'ai été engagé dans cette guerre, quelle douceur et quelle modération j'ai toujours mises dans mes lettres. Venez vous en convaincre par toutes les preuves que je puis vous montrer.

SCÈNE II

Alexandrie. – Intérieur du mausolée
Entrent CLÉOPÂTRE, CHARMIANE ET IRAS

CLÉOPÂTRE. – Mon désespoir commence à se calmer. C'est un pauvre honneur que d'être César; il n'est pas la fortune, mais seulement son esclave et un agent de ses volontés. Il est grand de faire ce qui met un terme à toutes les autres actions, ce qui enchaîne les accidents, emprisonne toutes les vicissitudes, ce qui endort et empêche désormais de sentir cette boue qui nourrit le mendiant et César.

(Proculéius, Gallus et des soldats viennent à la porte du mausolée.)

PROCULÉIUS. – César m'envoie saluer la reine d'Égypte, et vous demander de sa part quels désirs raisonnables vous voulez qu'il vous accorde.

CLÉOPÂTRE. – Quel est ton nom?

PROCULÉIUS. – Mon nom est Proculéius.

CLÉOPÂTRE, de l'intérieur du mausolée. – Antoine m'a parlé de toi, il m'a recommandé de te donner ma confiance; mais je ne m'embarrasse guère qu'on me trompe, je n'ai aucun usage à faire de la confiance. Si ton maître est jaloux de voir une reine à ses pieds, tu lui déclareras qu'une reine ne peut, sans avilir sa majesté, demander moins qu'un royaume. S'il lui plait de me donner, pour mon fils, l'Égypte conquise, il me rendra ce qui m'appartient, et je fléchirai le genou devant lui avec reconnaissance.

PROCULÉIUS. – Ayez bon courage; vous êtes tombée dans des mains royales; ne craignez rien. Livrez votre sort à mon maître avec une pleine confiance, il est une source de bienfaits, si abondante qu'elle se répand sur tous ceux qui en ont besoin. Laissez-moi lui annoncer votre douce soumission, et vous trouverez un conquérant dont la générosité plaidera pour vous quand il se verra implorer à genoux.

CLÉOPÂTRE. – Je te prie, dis-lui que je suis la vassale de sa fortune, et que je lui envoie le diadème qu'il a conquis. Je prends à toute heure des leçons d'obéissance, et j'aurai du plaisir à voir son visage.

PROCULÉIUS. – Je lui dirai ceci, noble reine. Prenez courage, car je sais que votre sort touche celui qui l'a causé.

GALLUS. – Vous voyez combien il est aisé de la surprendre (à Proculéius et aux soldats): gardez-la jusqu'à l'arrivée de César. (Gallus sort. – Ici Proculéius et deux gardes escaladent le monument par une échelle, entrent par une fenêtre et surprennent Cléopâtre; quelques-uns des gardes forcent les portes.)

IRAS. – O grande reine!

CHARMIANE. – O Cléopâtre! tu es prise, reine.

CLÉOPÂTRE. – Vite, vite, ô ma main!

(Elle tire un poignard.)

PROCULÉIUS. – Arrêtez, grande reine, arrêtez, n'exercez pas sur vous cette fureur; je ne veux que vous secourir, et non vous trahir.

CLÉOPÂTRE. – Quoi! on veut me priver même de la mort qui empêche les chiens de languir?

PROCULÉIUS. – Cléopâtre, ne trompez pas la générosité de mon maître, en vous détruisant vous-même; que l'univers voie éclater sa grandeur d'âme; votre mort l'empêcherait à jamais.

CLÉOPÂTRE. – O mort, où es-tu? Viens à moi, viens; oh! viens, et frappe une reine qui vaut bien des enfants et des mendiants.

PROCULÉIUS. – Calmez-vous, madame.

CLÉOPÂTRE. – Seigneur, je ne prendrai aucune nourriture, je ne boirai pas, seigneur; et s'il faut perdre ici le temps à déclarer mes résolutions, je ne dormirai pas non plus. César a beau faire, je saurai détruire cette prison mortelle. Sachez, seigneur, qu'on ne me verra jamais traînant des fers à la cour de votre maître, ni insultée par les calmes regards de la fade Octavie… Me paradera-t-on pour me donner en spectacle à la valetaille de Rome, et pour essuyer ses sarcasmes et ses anathèmes? Plutôt chercher un paisible tombeau dans quelque fossé de l'Égypte! plutôt mourir toute nue sur la fange du Nil! plutôt devenir la proie des insectes et un objet d'horreur! plutôt prendre pour gibet les hautes Pyramides de mon pays et m'y faire suspendre par des chaînes!

PROCULÉIUS. – Vous portez ces pensées d'horreur plus loin que César ne vous en donnera de raisons.

(Entre Dolabella.)

DOLABELLA. – Proculéius, César, ton maître, sait ce que tu as fait, et il t'envoie chercher. Je prends la reine sous ma garde.

PROCULÉIUS. – Volontiers, Dolabella, j'en suis bien aise, traitez-la avec douceur. – Madame, si vous daignez vous servir de moi, je dirai à César tout ce dont vous me chargerez.

CLÉOPÂTRE. – Dis que je veux mourir.

(Proculéius et les soldats sortent.)

DOLABELLA. – Illustre reine, vous avez entendu parler de moi.

CLÉOPÂTRE. – Je n'en sais rien…

DOLABELLA. – Sûrement, vous me connaissez.

CLÉOPÂTRE. – Peu importe, seigneur, ce que j'ai connu ou entendu. – Vous souriez quand un enfant ou une femme vous racontent leurs songes, n'est-ce pas votre habitude?

DOLABELLA. – Je ne vous comprends pas, madame.

CLÉOPÂTRE. – J'ai rêvé qu'il était un empereur nommé Antoine: Oh! que le ciel m'accorde encore un pareil sommeil, où je puisse revoir encore un pareil mortel!

DOLABELLA. – S'il vous plaisait…

CLÉOPÂTRE. – Son visage était comme les cieux; on y voyait un soleil et une lune, qui, dans leur cours, éclairaient le petit O qu'on appelle la terre.

DOLABELLA. – Parfaite créature…

CLÉOPÂTRE. – Ses jambes écartées touchaient les deux rives de l'océan; son bras étendu servait de cimier au monde. Sa voix, quand il parlait à ses amis, avait la sublime harmonie des sphères; mais quand il voulait menacer et ébranler le globe, elle ressemblait au roulement du tonnerre. Sa générosité ne connaissait point d'hiver; c'était un automne qui devenait plus riche à chaque récolte. Ses plaisirs étaient comme le dauphin, dont le dos se montre toujours au-dessus de l'élément dans lequel il vit. Les couronnes et les diadèmes portaient sa livrée; des royaumes et des îles tombaient de sa poche comme des pièces d'argent.

DOLABELLA. – Cléopâtre…

CLÉOPÂTRE. – Croyez-vous qu'il ait existé, ou qu'il puisse exister jamais, un homme comme celui que j'ai vu en songe?

DOLABELLA. – Non, aimable reine.

CLÉOPÂTRE. – Vous mentez, et les dieux vous entendent. Mais s'il existe, ou s'il a jamais existé, un homme semblable, c'est un prodige qui passe la puissance des songes. La nature manque ordinairement de pouvoir pour égaler les étranges créations de l'imagination; et cependant, lorsqu'elle forma un Antoine, la nature remporta le prix, et rejeta bien loin tous les fantômes.

DOLABELLA. – Écoutez-moi, madame, votre perte est, comme vous, inestimable, et vos regrets en égalent la grandeur. Puissé-je ne jamais atteindre au succès que je poursuis, si le contre-coup de votre douleur ne me fait pas éprouver un chagrin qui pénètre jusqu'au fond de mon coeur!

CLÉOPÂTRE. – Je vous remercie, seigneur… Savez-vous ce que César veut faire de moi?

DOLABELLA. – J'hésite à vous dire ce que je voudrais que vous sussiez.

CLÉOPÂTRE. – Parlez, seigneur, je vous prie.

DOLABELLA. – Quoique César soit généreux…

CLÉOPÂTRE. – Il veut me traîner en triomphe?

DOLABELLA. – Il le veut, madame, je le sais.

(On entend crier dans l'intérieur du théâtre.)

Faites place. – César!

(Entrent César, Gallus, Mécène, Proculéius, Séleucus et suite.)

CÉSAR. – Où est la reine d'Égypte?

DOLABELLA. – C'est l'empereur, madame.

(Cléopâtre se prosterne à genoux.)

CÉSAR. – Levez-vous, vous ne devez point fléchir les genoux; je vous en prie, levez-vous, reine d'Égypte.

CLÉOPÂTRE. – Seigneur, les dieux le veulent ainsi; il faut que j'obéisse à mon maître, à mon souverain.

CÉSAR. – N'ayez point de si sombres idées: le souvenir de tous les outrages que nous avons reçus de vous, quoique marqués de notre sang, est effacé, ou nous n'y voyons que des événements dont le hasard seul est coupable.

CLÉOPÂTRE. – Seul arbitre du monde, je ne puis défendre assez bien ma cause pour me justifier; mais j'avoue que j'ai été gouvernée par ces faiblesses qui ont souvent avant moi déshonoré mon sexe.

CÉSAR. – Sachez, Cléopâtre, que nous sommes plus disposés à les excuser qu'à les aggraver. Si vous répondez à nos vues, qui sont pour vous pleines de bonté, vous trouverez de l'avantage dans ce changement; mais si vous cherchez à imprimer sur mon nom le reproche de cruauté en suivant les traces d'Antoine, vous vous priverez de mes bienfaits, vous précipiterez vous-même vos enfants dans une ruine, dont je suis prêt à les sauver, si vous voulez vous reposer, sur moi. Je prends congé de vous.

CLÉOPÂTRE. – L'univers est ouvert devant vos pas: il est à vous; et nous, qui sommes vos écussons et vos trophées, nous serons attachés au lieu où il vous plaira… Seigneur, voici…

CÉSAR. – C'est de Cléopâtre même que je veux prendre conseil sur tout ce qui l'intéresse.

CLÉOPÂTRE. – Voilà l'état39 de mes richesses, de l'argenterie et des bijoux que je possède. Il est exact; et jusqu'aux moindres effets, rien n'y est omis. Où est Séleucus?

SÉLEUCUS. – Me voici, madame.

CLÉOPÂTRE. – Voilà mon trésorier, seigneur; qu'il dise, au péril de sa tête, si j'ai rien réservé pour moi; dis la vérité, Séleucus.

SÉLEUCUS. – Madame, j'aimerais mieux me coudre les lèvres que d'affirmer, au péril de ma tête, ce qui n'est pas.

CLÉOPÂTRE. – Qu'ai-je donc gardé?

SÉLEUCUS. – Assez pour racheter tout ce que vous déclarez.

CÉSAR. – Ne rougissez pas, Cléopâtre, j'approuve votre prudence.

CLÉOPÂTRE. – O vois, César, considère comme la fortune est suivie! Mes serviteurs vont devenir les tiens; et si nous changions de sort, les tiens deviendraient les miens. – L'ingratitude de Séleucus me rend furieuse. – O lâche esclave, plus perfide que l'amour mercenaire! – Quoi! tu t'en vas?.. Oh! tu t'en iras, je te le garantis! mais eusses-tu des ailes pour fuir ma vengeance, elle saura t'atteindre, vil esclave, scélérat sans âme, chien, ô le plus lâche des hommes!

CÉSAR. – Aimable reine, souffrez que je vous prie…

CLÉOPÂTRE. – O César, quel sanglant affront pour moi!.. Lorsque vous, dans l'éclat de votre grandeur, vous daignez honorer de votre visite une infortunée, mon propre serviteur viendra augmenter le poids de mes disgrâces par sa lâche perfidie! Eh quoi! généreux César, quand je me serais réservé quelques frivoles parures de femme, quelques bagatelles sans valeur, de ces légers cadeaux qu'on offre à ses amis intimes; et encore quand j'aurais mis à part quelque objet d'une plus grande valeur pour Livie, pour Octavie, afin d'obtenir leur intercession, devrais-je être dévoilée par un homme que j'ai nourri? O dieux, cette noirceur me précipite encore plus bas que l'abîme où j'étais tombée! (A Séleucus) De grâce, va-t'en, ou je ferai voir que ma vivacité passée vit encore sous les cendres de mon infortune. Si tu étais un homme tu aurais pitié de moi!

CÉSAR. – Ne réplique pas, Séleucus.

CLÉOPÂTRE. – Que l'on sache que nous autres, grands de la terre, sommes accusés des fautes des autres; et que, lorsque nous tombons, nous répondons des crimes d'autrui. Nous sommes bien à plaindre!

CÉSAR. – Cléopâtre, rien de ce que vous avez mis en réserve, ni de ce que vous avez déclaré, n'entrera dans le registre de mes conquêtes. Que tout cela reste à vous, disposez-en à votre gré, et croyez que César n'est point un marchand, pour débattre avec vous le prix d'objets vendus par des marchands. Ainsi rassurez-vous; cessez de vous voir captive de vos pensées. Non, chère reine, notre intention est de régler votre sort sur les avis que vous nous donnerez vous-même. Mangez et dormez, l'intérêt et la pitié que vous m'inspirez vous donnent un ami dans César; ainsi, adieu.

36.Mausolée près du temple d'Isis, que Cléopâtre avait fait bâtir pour sa sépulture, selon la coutume des rois d'Égypte.
37.«Toutefois Cléopâtre ne voulut pas ouvrir les portes; mais elle se vint mettre à des fenêtres hautes, et dévala en bas quelques chaînes et cordes, dedans lesquelles on empaqueta Antoine, et elle, avec deux de ses femmes, le tira amont. Ceux qui furent présents à ce spectacle, disent qu'il ne fut oncques chose si piteuse à voir.»
38.False housewife fortune break her wheel; wheel veut dire rouet aussi bien que roue, et le rapport qui existe entre housewife et wheel (rouet) nous a décidé à adopter ce sens en dépit de la mythologie. Peut-être Shakspeare a-t-il confondu la Fortune avec la Destinée, qui file la vie des hommes, quoique ce ne soit pas non plus avec un rouet qu'on représente les Parques.
39.«Elle lui tailla un bordereau des bagues et finances qu'elle pouvait avoir, mais il se trouva là d'adventure l'un de ses trésoriers nommé Séleucus, qui la vint devant César convaincre pour faire son bon valet, qu'elle n'y avait pas tout mis et qu'elle en recélait sciemment et retenait quelque chose; dont elle fut si fort pressée d'impatience et colère, qu'elle l'alla prendre aux cheveux et luy donna plusieurs coups de poing sur le visage. César s'en prit à rire, et la fist cesser: Hélas! dit-elle, adonc, César, n'est-ce pas une grande indignité, que tu ayes bien daigné prendre la peine de venir vers moi, et m'ayes fait l'honneur de parler avec moi chestive, réduite en si piteux et si misérable estat, et puis que mes serviteurs me viennent accuser, si j'ai peut-être mis à part et réservé quelques bagues et joyaux propres aux femmes, non point, hélas! pour moy malheureuse en parer, mais en intention d'en faire quelques petits présents à Octavia et à Livia, à cette fin, que par leur intercession et moyen tu me fusses plus doux et plus gracieux.»
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
01 ноября 2017
Объем:
132 стр. 4 иллюстрации
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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