Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «La vie de Rossini, tome II», страница 9

Шрифт:

CHAPITRE XL
DU STYLE DE ROSSINI

Avant de finir, il faudrait dire un mot des particularités du style de Rossini; c'est là une des nécessités de mon sujet. Parler peinture dans un livre et louer des tableaux est déjà d'une difficulté épouvantable; mais les tableaux laissent au moins des souvenirs distincts, même aux sots. Que sera-ce de parler musique! A quelles phrases singulières et ridicules ne sera-t-on pas conduit? – Le lecteur pense qu'il n'ira pas chercher les exemples bien loin.

La bonne musique n'est que notre émotion. Il semble que la musique nous fasse du plaisir en mettant notre imagination dans la nécessité de se nourrir momentanément d'illusions d'un certain genre. Ces illusions ne sont pas calmes et sublimes comme celles de la sculpture, ou tendres et rêveuses comme celles des tableaux du Corrège.

Le premier caractère de la musique de Rossini est une rapidité qui éloigne de l'âme toutes les émotions sombres si puissamment évoquées des profondeurs de notre âme par les notes lentes de Mozart. J'y vois ensuite une fraîcheur qui, à chaque mesure, fait sourire de plaisir. Aussi toutes les partitions semblent-elles lourdes et ennuyeuses auprès de celle de Rossini. Si Mozart débutait aujourd'hui, tel serait le jugement que nous porterions de sa musique. Pour qu'il pût nous plaire, il faudrait l'entendre quinze jours de suite; mais on le sifflerait dès le premier. Si Mozart résiste à Rossini, si nous le préférons souvent, c'est qu'il est fort de notre antique admiration et du souvenir des plaisirs qu'il nous a donnés.

Ce sont en général les caractères les plus insensibles à la crainte du ridicule qui préfèrent hautement Mozart. Les amateurs vulgaires en parlent comme les littérateurs vulgaires de Fénelon. Ils le louent, et seraient au désespoir d'écrire comme lui.

Si la musique de Rossini n'est jamais pesante, elle lasse bien vite. Les amateurs les plus distingués d'Italie qui l'entendent depuis douze ans, commencent depuis quelque temps à demander du nouveau. Que sera-ce dans vingt années d'ici, quand le Barbier de Séville sera aussi vieux que le Matrimonio segreto ou le Don Juan?

Rossini est rarement triste, et qu'est-ce que la musique sans une nuance de tristesse pensive?

I am never merry when I hear sweet music 113 (Merchant of Venice), a dit celui des poëtes modernes qui a le mieux connu le secret des passions humaines, l'auteur de Cymbeline et d'Othello.

Dans ce siècle expéditif, Rossini a un avantage; il se passe d'attention.

Dans un drame où la musique cherche à exprimer la nuance ou le degré de sentiment indiqué par les paroles, il faut prêter quelque attention pour être ému, c'est-à-dire pour avoir du plaisir. Il y a même quelque chose de plus rigoureux, il faut avoir de l'âme pour être ému. Dans une partition de Rossini, au contraire, où chaque air ou duetto n'est trop souvent qu'un brillant morceau de concert114, il ne faut que le plus léger degré d'attention possible pour avoir du plaisir; et, chose bien avantageuse, la plupart du temps il n'est pas nécessaire d'avoir ce que les gens romanesques appellent de l'âme.

Je sens bien que j'ai besoin de justifier une assertion aussi hardie. Voulez-vous ouvrir le piano et vous rappeler, dans le Matrimonio segreto115, Carolina se trouvant heureuse avec son amant à la première scène du premier acte? Elle fait une réflexion tendre sur le bonheur dont ils pourraient jouir:

Se amor si gode in pace.

Ces paroles si simples ont produit une des plus belles phrases musicales qui existent au monde. Rosine, dans le Barbier de Séville, trouve son amant fidèle après l'avoir cru, dans toute la force du terme, un monstre d'ingratitude comme de bassesse, un homme qui la vendait au comte Almaviva; Rosine, dans ce moment de bonheur, l'un des plus ravissants qu'il soit donné à l'âme humaine de connaître, l'ingrate Rosine ne trouve à nous chanter que des fioriture, apparemment celles que madame Giorgi, la première Rosine, exécutait avec grâce. Ces fioriture, dignes d'un joli concert, ne sont sublimes pour personne, mais Rossini a voulu les faire amusantes pour tout le monde, et il y a réussi. Il n'a pas d'excuse; le bonheur dont je parle est trop grand pour n'être que de la joie. Tel est le principal défaut de sa seconde manière; il compose ses partitions en écrivant les agréments que les chanteurs étaient dans l'habitude d'ajouter ad libitum aux chants des autres maîtres. Ce qui n'était qu'un accessoire plus ou moins agréable, il en fait souvent le principal. Voyez les battements si fréquents dans les rôles de Galli (Italiana in Algeri, Sigillara, Turco in Italia, Gazza ladra, Maometto, etc.). Il faut convenir que ces agréments ont une rare élégance, beaucoup de rapidité, souvent une fraîcheur séduisante, et changent avec succès un terzetto ou un air qui devrait avoir la couleur de tel sentiment, en un très joli et très brillant morceau de concert. Est on curieux d'arriver à la même vérité par une autre route? Rossini, comme tous les autres maîtres, a écrit ses opéras dans la confiance que les deux actes seraient séparés par une heure et demie de ballet ou d'entr'acte. En France, où le naturel n'est pas ce qui brille le plus dans la recherche des plaisirs, on croirait n'avoir pas assez de passion pour Rossini, si l'on n'écoutait pas de suite et sans désemparer, trois heures de sa musique. Cet excès musical, présenté avec tant d'esprit au public de l'Europe qui a le moins de patience et les meilleurs danseurs, est insupportable lorsqu'on représente Don Juan ou tel autre ouvrage passionné. Il n'est personne qui n'ait mal à la tête et qui ne soit mortellement fatigué à la fin des quatre actes des Nozze di Figaro; on croit être lassé de la musique pour huit jours: on est au contraire à mille lieues de ces mauvaises dispositions, quand on vient d'entendre de suite les deux actes de Tancrède ou de l'Élisabeth. La musique de Rossini, qui à chaque instant s'abaisse à n'être que de la musique de concert, s'accommode fort bien du bel arrangement du théâtre de Paris et sort brillante de cette épreuve. Dans tous les sens possibles, c'est de la musique faite exprès pour la France, mais elle travaille tous les jours à nous rendre dignes d'accents plus passionnés.

CHAPITRE XLI
OPINIONS DE ROSSINI SUR QUELQUES GRANDS MAÎTRES SES CONTEMPORAINS. – CARACTÈRE DE ROSSINI

Rossini adore Cimarosa, il en parle les larmes aux yeux.

L'homme qu'il respecte le plus comme compositeur savant, c'est M. Chérubini de Paris. Que n'eût pas fait ce grand maître, si, en devenant sensible à l'harmonie allemande, son âme n'eût pas perdu tout amour ou plutôt toute sensibilité pour la mélodie de sa patrie!

Si Mayer écrivait encore, Rossini en aurait peur; Mayer, en revanche de cette preuve d'estime, aime tendrement son jeune rival et avec toute la bonne foi d'un cœur bavarois.

Rossini a une très haute opinion de M. Pavesi, qui a écrit des morceaux de la première force; il déplore le sort de cet artiste qui, jeune encore, est forcé à l'inaction par une santé languissante. J'ai ouï dire à l'auteur du Barbier qu'il n'y a rien à faire après Fioraventi, dans cette sorte de style bouffe qui s'appelle nota e parola. Il ajoutait qu'il ne concevait rien de plus absurde au monde que la prétention de vouloir essayer de la musique bouffe, après le point de perfection absolue où Paisiello, Cimarosa et Guglielmi ont porté ce genre.

Il est évident d'après cet aveu, qu'il ne voit pas l'existence d'une nouvelle sorte de beau idéal. Les hommes ont trop peu changé depuis Guglielmi, continue Rossini, pour qu'il soit possible de leur présenter une nouvelle sorte de beau idéal; attendons que dans cinquante ans un nouveau public proclame de nouvelles exigences, alors nous le servirons chacun suivant notre génie. J'abrège un peu le raisonnement de Rossini, mais je n'en altère pas le sens général. Je le vis un jour soutenir à ce sujet une thèse furibonde contre un pédant de Berlin, qui opposait des phrases de Kant aux sentiments d'un homme de génie. Je voudrais bien à ce sujet que le nord rentrât un peu en lui-même et se jugeât, lui, sa gaieté et sa capacité pour la musique. Il trouve trop bouffonnes certaines parties de la musique de Rossini (le Miroir, décembre 1821, parlant du finale: cra cra de l'Italiana in Algeri, dont le style n'est pourtant que de mezzo carattere). Quels signes de détresse n'auraient pas donnés ces pauvres littérateurs du Nord, s'ils se fussent rencontrés face à face avec la vraie musique bouffe, avec l'air Signor si, lo genio è bello116! du pédant dans la Scuffiara de Paisiello, ou l'air Amicone del mio core de Cimarosa, etc., etc.! Quand on est insensible à ce point aux prodiges d'un air, ne serait-il pas prudent et philosophique de se taire?

Que le Nord s'occupe de sociétés bibliques et d'idées d'utilité, et d'argent; qu'un pair d'Angleterre, riche de plusieurs millions, passe une journée à discuter gravement avec son homme d'affaires, une réduction de vingt-cinq pour cent à faire à ses nombreux fermiers; le pauvre Italien qui voit ses chaînes rivées et les tyrannies qu'il endure redoublées par l'influence de ces gens si humains et si pieux, sait ce qu'il doit penser de tant de vertu117. Il jouit des arts, il sait goûter le beau sous toutes les formes dont la nature se plaît à l'environner, et regarde l'homme triste du Nord avec plus de pitié que de haine. Que voulez-vous? ces gens tristes et pieux commandent à huit cent mille barbares qui aiment mieux notre climat que leurs neiges, me disait en baissant la tête le plus aimable des pauvres habitants de Venise; notre seule vengeance, c'est qu'ils crèvent d'ennui.

Que l'homme puissant, du haut de son noble orgueil et du milieu de son luxe, abaisse un regard de pitié sur le pauvre Rossini qui, en treize ans de travaux sans relâche, et en ne se permettant jamais aucune dépense inutile, n'a pu arriver à mettre de côté soixante ou quatre-vingt mille francs pour ses vieux jours. Je répondrai: pauvreté n'est pas malheur pour ce grand homme; un piano ou un sot suffit à son amusement. Quelque part qu'il se présente en Italie, dans la plus chétive auberge comme dans le salon d'un prince, le nom de Rossini suffit pour attirer tous les yeux; on lui cède toujours la première place, ou celle qu'il occupe devient la première; il se voit l'objet de transports et d'égards venant du cœur, que le plus grand seigneur n'obtient plus aujourd'hui en Italie qu'autant qu'il dépense gaiement cent mille francs par an. Rossini, jouissant par la gloire de tous les avantages de la grande opulence, ne voit sa pauvreté que lorsqu'il pense au nombre de pièces d'or qu'il possède. C'est à cause du rang unique qu'il occupe en Italie, qu'il était si gauche de lui conseiller de venir à Paris, où, après avoir été la chose curieuse pendant six semaines, il serait bien vite retombé à la suite de cinq cents conseillers d'État, ambassadeurs, généraux, etc., tous personnages plus importants que lui. En Italie, toutes les places ne sont que des mascarades aux yeux de la société, qui n'estime exactement que l'argent qu'elles rapportent.

Avant son mariage avec Mlle Colbrand (1821), qui lui a apporté vingt mille livres de rentes, Rossini n'achetait que deux habits par an; du reste, il avait le bonheur de ne jamais songer à la prudence: or, qu'est la prudence autre chose pour un homme peu riche que la peur de manquer? Que les gens qui se proclament raisonnables fassent donc leur plaisir le plus doux de ce sentiment agréable: la peur. Rossini, sûr de son génie, vivait au jour le jour et sans songer au lendemain. Il peut être à la mode dans le Nord, mais jamais il ne plaira bien intimement à des gens si différents de lui. Ce qui peut arriver, c'est qu'il se forme une nouvelle génération moins affectée, moins prosternée devant la noblesse du style et qui ne s'épouvante pas tant du cra cra du finale de l'Italiana in Algeri. Alors on comprendra en France, 1º le bonheur, 2º le génie italiens.

Rossini et tous les Italiens estiment Mozart, mais pas autant que nous, mais plutôt comme symphoniste incomparable, qu'en sa qualité de compositeur d'opéras. Ils n'en parlent jamais que comme d'un des plus grands hommes qui aient jamais existé; mais même dans Don Juan, ils trouvent les défauts de l'école allemande, c'est-à-dire pas de chant pour les voix; du chant pour la clarinette, du chant pour le basson, mais rien ou presque rien pour cet instrument admirable lorsqu'il ne crie pas: la voix humaine.

J'ai entendu Rossini parler avec un accent sérieux, ce qui n'est pas peu dire pour lui, du seul talent qui eût pu balancer sa réputation et s'en faire une égale, Orgitano; cet aimable jeune homme annonçait au monde un successeur de Cimarosa, lorsqu'il fut enlevé dans la fleur de la jeunesse (1803), nouvel exemple des dangers du génie. Il faut une organisation toute particulière, toute la folie et le feu des passions fortes, et cependant que ces passions ne vous dévorent pas dès l'entrée dans la vie. J'ai honte de cette phrase qui, en italien, serait toute simple.

Pour Paisiello, Rossini en parle comme du plus inimitable des hommes. Ce fut le génie du genre simple et de la grâce naïve, et il a rendu sa manière désormais impossible. Paisiello a obtenu les effets les plus étonnants avec la plus grande simplicité possible de mélodie, d'harmonie et d'accompagnements. Il n'y a plus de mélodie simple à entreprendre, dit Rossini; dès qu'on y songe un quart d'heure il se trouve qu'on retombe dans Paisiello et qu'on le copie avant de le connaître. Rossini peut parler savamment des ouvrages de tous les maîtres; il lui suffit d'avoir joué une seule fois sur le piano une partition quelconque pour la savoir par cœur et ne plus l'oublier. Aussi, sait-il tout ce qui a été écrit avant lui; et cependant on ne voit jamais d'autre papier de musique dans sa chambre que du papier blanc rayé.

Quel que soit le mot que la postérité dise sur Rossini, elle ne pourra s'empêcher de convenir qu'il est, pour la facilité du travail, ce que fut Paisiello pour la simplicité des mélodies.

CHAPITRE XLII
ANECDOTES

Si j'étais assuré que mes lecteurs voudront bien se rappeler que cet ouvrage-ci est une simple biographie, et que ce genre permet de descendre aux détails les plus simples, je raconterais un trait de paresse de Rossini. Dans une journée très froide de l'hiver de 1813, il se trouvait campé dans une mauvaise chambre d'auberge à Venise, et composait au lit pour ne pas faire de feu. Son duetto terminé (il faisait alors la partition de il Figlio per azzardo), la feuille de papier lui échappe des mains, et descend en louvoyant sur le plancher; Rossini la cherche en vain des yeux, la feuille était allée tomber sous le lit. Il étend le bras hors du lit, et se penche pour tâcher de la saisir; enfin, prenant du froid, il se renveloppe dans sa couverture et se dit: Je vais récrire ce duetto, rien de plus facile; je m'en souviendrai bien. Mais aucune idée ne lui revient; il est plus d'un quart d'heure à s'impatienter; il ne peut se rappeler une note. Enfin il s'écrie en riant: «Je suis bien dupe; je vais refaire le duetto. Que les compositeurs riches aient du feu dans leurs chambres, moi je ne me donne pas la peine de ramasser les duetti qui tombent; d'ailleurs, c'est de mauvais augure.»

Comme il achevait le second duetto, arrive un de ses amis à qui il dit: Pourriez-vous m'avoir un duetto qui doit être sous mon lit? L'ami atteint le duetto avec sa canne, et le donne à Rossini. «Maintenant, dit Rossini, je vais vous chanter les deux duetti, dites-moi celui qui vous plaît le plus». L'ami du jeune compositeur donna la préférence au premier; le second était trop rapide et trop vif pour la situation. Rossini en fit, sans perdre de temps, un terzetto pour le même opéra. La personne de qui je tiens l'histoire, m'assure qu'il n'y avait pas le moindre trait de ressemblance entre les deux duetti. Le terzetto fini, Rossini s'habille à la hâte, en jurant contre le froid, sort avec son ami pour aller se chauffer au Casin, et prendre une tasse de café; et il envoie le domestique du Casin porter le duetto et le terzetto au copiste du théâtre de San Mosè, pour lequel il travaillait alors.

Pour l'Italie, rien n'est aimable comme la conversation de Rossini, et rien ne peut lui être comparé; c'est un esprit tout de feu, volant sur tous les sujets, et y prenant une idée agréable, vraie et grotesque. A peine avez-vous saisi cette idée, qu'une autre lui succède. Une telle facilité serait plus étonnante qu'agréable, si le volcan de ces idées nouvelles n'était entrecoupé de récits charmants qui reposent. Ses courses éternelles, pendant douze années, composées d'arrivées et de départs, comme il le dit lui-même en parlant de sa vie, ses relations avec les artistes, les plus fous des hommes, et avec la partie gaie et heureuse de la haute société, l'ont abondamment fourni des anecdotes les plus bizarres sur la pauvre espèce humaine. «Je serais un grand sot d'inventer et de mentir, dit Rossini118, quand quelque homme atrabilaire ou envieux gâte les plaisirs de la société en lui contestant la vérité de ses récits. Par état, j'ai toujours eu affaire à des chanteurs et à des cantatrices; on connaît leurs caprices, et plus j'étais célèbre, plus j'ai eu à subir des caprices étranges. A Padoue, l'on m'a obligé à venir faire le chat dans la rue, tous les jours à trois heures du matin, pour être reçu dans une maison où je désirais fort entrer; et comme j'étais un maître de musique orgueilleux de mes belles notes, on exigeait que mon miaulement fût faux. J'ai vu dans ma chambre, et j'aurais vu dans mon antichambre (si j'en avais eu), la plupart des amateurs riches d'Italie qui finissent toujours par se faire entrepreneurs de spectacle par amour pour quelque prima donna. Enfin, l'on dit que je n'ai pas été sans quelques succès auprès des femmes, et je vous prie de croire que ce ne sont pas les sottes que j'ai choisies. J'ai eu à souffrir d'étranges rivalités; j'ai changé de ville et d'amis trois fois par an pendant toute ma vie; et, grâce à mon nom, presque partout j'ai été présenté et intime avec tout ce qui en valait la peine, deux fois vingt-quatre heures après mon arrivée quelque part, etc., etc.»

Rossini a le grand malheur de ne rien respecter que le génie; il ne ménage rien, il ne se refuse rien dans ses plaisanteries; tant pis pour qui est ridicule: mais il n'est point méchant; il rit le premier comme un fou de ses plaisanteries et puis les oublie. On l'invite à chanter à Rome, chez un cardinal, un caudataire s'approche pour le prier de ne chanter que le moins possible des chants d'amour; Rossini chante des polissonneries en bolonais que personne ne comprend; il rit et pense à autre chose. Sans cette fertilité et cette rapidité dans l'esprit, il n'aurait pu suffire à ses ouvrages. Songez qu'il s'est toujours beaucoup amusé; qu'étant pauvre, il ne peut se faire aider dans la moindre chose pour ses partitions, et que cependant, avant l'âge de trente-deux ans, il a donné quarante-cinq opéras ou cantates.

Rossini a un talent incroyable pour contrefaire les gens qui l'approchent. Il trouve de quoi faire rire aux éclats, dans le geste et la tournure de ceux de ses amis qui semblent les plus remarquables par la simplicité de leurs manières. Vestris, le premier acteur comique de l'Italie et peut-être du monde119, lui disait qu'il aurait eu un talent décidé pour le métier d'acteur. Rossini parodie d'une manière étonnante De'Marini, comédien emphatique et quelquefois sublime qui passe pour le premier talent d'Italie. Quand Rossini se met à faire De'Marini, on commence par rire de la ressemblance, et l'on finit par être ému. Je parle des gens sensibles à la déclamation française et chantante. Comme Alfieri a suivi strictement Racine et Voltaire tout en injuriant la France, de même les acteurs italiens chantent les vers comme les chantaient les acteurs français que Mlle Raucourt mena en Italie par privilège impérial, vers l'an 1808. Comme les acteurs français aussi, ils ne sont bons que dans le comique, où la rapidité du débit empêche le chant jusqu'à un certain point. Vestris seul est exempt d'affectation, et mérite certainement une réputation européenne. Je n'ai mis ici ces deux ou trois idées que parce qu'elles ont été souvent un sujet de débat entre Rossini et l'un de ses admirateurs; Rossini, en Italien patriote, soutient que tout est parfait en Italie (excepté certains personnages), et que nous ne sommes que des jaloux de mauvaise foi lorsque nous n'en convenons pas. Cela vaut bien le Constitutionnel et le Miroir parlant musique et honneur national. Animé par les discussions du parti romantique, qui, en Italie, prétend qu'il ne faut pas chanter les vers, Rossini s'avisa en 1820 de prendre un rôle dans une comédie bourgeoise de Naples, où jouaient des jeunes gens de la première distinction. De'Marini était au nombre des spectateurs, et convint, ainsi que nous tous, que Rossini était étonnant. «Il lui manque, disait De' Marini, l'usage des planches, du reste il est impossible d'être plus vrai, et il n'y a pas deux acteurs en Italie capables de le faire oublier dans un rôle qu'il aurait adopté.»

Rossini fait des vers tant qu'on veut pour ses opéras, et souvent corrige un peu l'emphase des libretti seri qu'on lui présente. Il est le premier à s'en moquer; quand il a fini un air, il déclame devant les amis qui se trouvent autour de son piano, et en en faisant ressortir tout le ridicule, les étranges paroles dont il vient de faire la fortune par sa musique. Quand il a fini de rire: E però, in due anni questo si canterá da Barcelona a Pietroburgo (et pourtant dans deux ans cela se chantera de Barcelone à Pétersbourg): gran trionfo della musica! Par un goût naturel, bien rare en son pays, Rossini est ennemi né de l'emphase. Il faut savoir qu'en Italie l'emphase est pour les beaux-arts ce que sont ici la recherche, l'affectation, le bel esprit et la froideur maniérée. Tout indique que la nature avait donné à la musique dans Rossini un beau génie pour le genre de mezzo carattere. Le malheur a voulu qu'il ait trouvé à Naples mademoiselle Colbrand reine du théâtre; un malheur plus grand a été qu'il ait pris de l'amour pour elle; s'il eût rencontré à sa place une actrice bouffe, la Marcolini, par exemple, ou la Gafforini dans la fleur de la jeunesse, au lieu de nous donner des plaies d'Égypte, il eût continué à faire des Pietra del Paragone et des Italiana in Algeri. Mais nous, pour n'être pas indignes des grands hommes, songeons à apprendre à aimer un grand génie malgré les nécessités que ses passions, sa position, ou le mauvais goût de ses contemporains ont imposées à son talent. En aimerons-nous moins le Corrège, parce que le goût plus ou moins baroque des chanoines de son temps l'a obligé à peindre des coupoles, et à présenter de grandes figures dans d'étonnants raccourcis, di sotto in sù?

DERNIER MOT

Vif, léger, piquant, jamais ennuyeux, rarement sublime, Rossini semble fait exprès pour donner des extases aux gens médiocres. Cependant, surpassé de bien loin par Mozart dans le genre tendre et mélancolique, et par Cimarosa dans le style comique et passionné, il est le premier pour la vivacité, la rapidité, le piquant et tous les effets qui en dérivent. Aucun opéra buffa n'est écrit comme la Pietra del paragone. Aucun opéra seria n'est écrit comme Otello ou la Donna del Lago. Otello ne ressemble pas plus aux Horaces qu'à Don Juan; c'est une œuvre à part. Rossini a peint cent fois les plaisirs de l'amour heureux, et, dans le duetto d'Armide, d'une manière inouïe jusqu'ici; quelquefois il a été absurde, mais jamais il n'a manqué d'esprit, pas même dans l'air gai de la fin de la Gazza ladra. Enfin, également hors d'état jusqu'ici d'écrire sans fautes de sens, ou sans déceler au bout de vingt mesures la présence du génie, depuis la mort de Canova, Rossini se voit le premier des artistes vivants. Quel rang lui donnera la postérité? C'est ce que j'ignore.

Si vous vouliez me promettre le secret, je dirais que le style de Rossini est un peu comme le Français de Paris, vain et vif plutôt que gai; jamais passionné, toujours spirituel, rarement ennuyeux, plus rarement sublime.

113.«Je ne puis être gai quand j'entends une douce mélodie.»
114.Surtout dans les opéras écrits à Naples pour mademoiselle Colbrand.
115.Si je cite souvent le Mariage Secret, c'est qu'il est au nombre des trois ou quatre opéras parfaitement bien connus des quatre ou cinq cents dilettanti auxquels je m'adresse.
116.En napolitain, le pédant dit à la marchande de modes: C'est une belle idée que tu as là de m'aimer! Tu auras beau courir le monde, que pourras-tu trouver de comparable à moi? Sera-ce en Asie?.. sera-ce en Amérique? etc.
117.Voyage de Sharp et d'Eustace, proclamation de lord Bentinck aux Génois; les amiraux Nelson et Caraccioli. Anecdote du cadavre debout sur la mer.
118.S'il convient jamais à M. Rossini de contester quelque phrase de ces chapitres, je la désavoue par avance; je serais au désespoir de manquer de délicatesse envers l'un des hommes pour qui j'ai le respect le plus senti. Je n'admets qu'une noblesse, celle des talents, ensuite celle de la haute vertu; les gens qui ont fait de grandes choses ou qui sont immensément riches peuvent être admis ensuite.
119.Le comique, en Italie, c'est se tromper dans la route du bonheur que l'on brûle d'atteindre, et ce bonheur n'est pas toujours et uniquement placé dans l'imitation des manières de la haute-société.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 сентября 2017
Объем:
262 стр. 4 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают