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Читать книгу: «La vie de Rossini, tome II», страница 12

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CHAPITRE XLVI
DES GENS DU NORD, PAR RAPPORT A LA MUSIQUE

La prudence tue la musique; plus il y aura de passion chez un peuple, moins il y aura de réflexion et de raison habituelles, plus on y aimera la musique.

Le Français est léger et vif, mais il est fort occupé; toutes les carrières sont ouvertes à son ambition; d'ailleurs l'homme le plus riche joue à la rente. Le Français a la gloire des armes comme celle des lettres; le nom de Marengo est aussi célèbre en Europe que celui de Voltaire; dans le monde, c'est-à-dire dès qu'on est trois personnes, il songe à sa vanité, soit pour lui préparer des triomphes, soit pour lui éviter des malheurs. Il passe son temps le plus sérieusement du monde à songer au succès probable d'un calembour, et la réflexion et la prudence ne l'abandonnent jamais. Même dans sa gaieté la plus folle, jamais il ne se livre entièrement et tête baissée aux entraînements du moment et au risque de tout ce qui en peut arriver. Il est fort aimable dans la société, mais la société est devenue pour lui la première des affaires159. C'est le peuple le plus spirituel, le plus agréable et jusqu'ici le moins musical de l'univers.

L'Italien, plein de passions, l'Allemand toujours entraîné par son imagination vagabonde et qui se passionne à force d'imaginer, sont au contraire des peuples fabriqués exprès pour les illusions que fait naître un duetto de Rossini ou un air charmant de Paisiello. Il y a cette différence dans leur musique, que le froid ayant donné des organes plus grossiers à l'Allemand, sa musique sera plus bruyante. Le même froid qui glace les forêts de la Germanie et l'absence du vin l'ayant privé de voix, et son gouvernement paternellement féodal lui ayant fait contracter l'habitude d'une patience sans bornes, c'est aux instruments qu'il demande des émotions160. L'Italien croit en Dieu quand il a peur, et il songe toujours à tromper parce qu'il se trouve opprimé toute sa vie par les tyrannies les plus minutieuses et les plus implacables. L'Allemand, au contraire, ne trompe jamais et croit tout; et plus il raisonne, plus il croit. M. de G**n, le premier jurisconsulte de l'Allemagne, a vu des revenants dans son château. L'Allemand a hérité des Germains de Tacite une bonne foi incroyable; ainsi tout Allemand, avant d'épouser sa femme, lui fait la cour trois ou quatre ans de suite d'une manière publique. En France, il n'y aurait jamais de mariages; il est rare qu'ils manquent en Allemagne. Une fille des hautes classes boude son amant et le gronde sérieusement si elle le surprend à ne pas croire aux Balles magiques du Freyschütz161, M. le comte de W***, jeune diplomate fort distingué et très bel homme, racontait devant moi que lui et ses frères, à l'âge de dix-sept ans, ne manquaient pas tous les ans, de jeûner la nuit du 9 novembre, et d'aller le lendemain dans une certaine vallée du Hartz pour y fondre des balles magiques, la tête couronnée de lierre, et avec les cérémonies voulues par la tradition. Ils étaient ensuite tout étonnés quand, tirant à six cents pas de distance, sur un sanglier dans la forêt de Nordheim, ils manquaient leur coup. Et cependant, ajoutait en riant l'aimable comte de W***, je ne suis pas plus sot qu'un autre.

L'Anglais est attristé par sa bible; ses évêques et ses lords lui défendent, depuis Locke, de s'occuper de logique. Dès qu'on lui parle de quelque découverte intéressante, de quelque théorie sublime, il vous répond: A quoi cela me servira-t-il aujourd'hui? Il lui faut une utilité pratique et dans la journée. Comprimés par la nécessité de travailler incessamment pour ne pas mourir de faim et manquer d'habits, les gens de la classe où l'on a de l'esprit n'ont pas une minute à donner aux arts; voilà de grands désavantages. Les jeunes gens d'Italie et d'Allemagne, au contraire, passent toute leur jeunesse à faire l'amour, et même ceux qui travaillent le plus sont peu gênés, si l'on compare leurs légères occupations qui ne s'étendent jamais au delà de l'avant-dîner, au dur et barbare labeur qui, grâce à l'aristocratie et à M. Pitt, pèse sur les pauvres Anglais pendant douze heures de la journée162. Mais l'Anglais est souverainement timide; c'est de cette triste qualité, fille de l'aristocratie et du puritanisme, que je vois naître en grande partie son amour pour la musique. La crainte de s'exposer au ridicule (to expose oneself) fait qu'un jeune Anglais ne parle jamais de ses émotions. Cette discrétion, commandée par un amour-propre bien entendu, tourne au profit de la musique; il la prend pour confidente et souvent pour expression de ses sentiments les plus intimes.

Il suffit de voir le Beggars opéra ou d'entendre chanter miss Stephens ou le célèbre Thomas Moore, pour reconnaître que l'Anglais a en soi une veine très considérable de sensibilité et d'amour pour la musique. Cette disposition est, ce me semble, plus marquée en Écosse; c'est que l'Écossais a bien plus d'imagination; c'est qu'il y a dans ce pays la longue inaction des soirées d'hiver.

Nous voici de retour au loisir forcé de la pauvre Italie; toujours pour la musique il faut loisir forcé, occupé par l'imagination. En arrivant en Écosse pour la première fois, je débarquai à Inverness; le hasard mit à l'instant sous mes yeux les cérémonies funèbres du peuple des Highlands, et les gémissements des vieilles femmes réunies alentour

«De ce peu de terre que le souffle céleste

Vient de cesser d'animer163

Je me dis: ce peuple-ci doit être musicien. Le lendemain, en parcourant les villages, j'entendis la musique sourdre de toutes parts; ce n'était pas, certes, de la musique italienne, c'était bien mieux en Écosse; c'était une musique née dans le pays et originale. Je ne doute pas que si l'Écosse, au lieu d'être pauvre, se fût trouvée un pays riche; que si le hasard eût fait d'Édimbourg, comme de Pétersbourg, la résidence d'un roi puissant et le lieu de réunion d'une noblesse désœuvrée et opulente, la source naturelle de musique qui se fait jour entre les rochers mousseux de la vieille Calédonie, n'eût été recueillie, purifiée, portée jusqu'à l'idéal, et que l'on n'eût dit un jour la musique écossaise comme l'on dit aujourd'hui la musique allemande. Le pays qui a produit les sombres et attachantes images d'Ossian, et des Tales of my Landlord, le pays qui s'enorgueillit de Robert Burns, peut incontestablement donner à l'Europe un Haydn ou un Mozart. Burns était plus d'à moitié musicien. Mais suivez un instant l'histoire de la jeunesse de Haydn, et voyez Burns mourir de misère et de l'eau-de-vie qu'il prenait pour oublier sa misère. Si Haydn n'eût pas rencontré dès son enfance trois ou quatre protecteurs riches et une institution puissante (la pension des enfants de chœur de la cathédrale de Saint-Étienne), le plus grand harmoniste de l'Allemagne eût été un médiocre charron à Rohran en Hongrie. Le prince Esterhazy entend Haydn et le prend dans son orchestre; c'est qu'un prince hongrois est un bien autre homme qu'un gros pair raisonnable des environs de Londres. Suivez les rapports du prince Esterhazy avec Haydn164, et rien ne vous étonnera plus dans la différence des destinées de Haydn et de Burns, pas même la fastueuse statue que l'on vient d'élever à Burns.

Voici déjà vingt ans qu'un vernis de la plus sale hypocrisie s'étend comme une sorte de lèpre sur les mœurs des deux peuples les plus civilisés du monde. Parmi nous, depuis le sous-préfet jusqu'au ministre, chacun, tout en se croyant obligé à jouer la comédie pour les subalternes, se moque des jongleries de ses supérieurs165. Un homme qui a une pension de mille écus, n'admire la lithographie du coin qu'autant que l'auteur pense bien. Ainsi, s'il ne donne pas un faux vote dans le plus futile des beaux-arts, à la première épuration, l'ami de la maison, qui fait de petits rapports sans orthographe sur l'esprit public, lui fera supprimer sa pension. Voilà une convenance de plus, celle de l'hypocrisie qui vient contribuer à chasser de France le naturel et la gaieté. Quant à l'Angleterre, je vais transcrire une phrase de son plus grand poëte:

The cant which is the crying sin of this double-dealing and false-speaking time of selfish spoilers166.

L'hypocrisie française a déjà tué la peinture; pourra-t-elle enlacer la musique dans ses replis tortueux?

Il n'y a rien de volontaire dans l'hypocrisie de l'Italien. Le péril est si voisin que l'hypocrisie, n'étant plus que de la prudence, n'est presque pas avilissante.

Je demande au lecteur la permission de lui présenter ici comme excuse et correctif des exagérations dont je me suis rendu coupable dans cet ouvrage, une lettre de mademoiselle de Lespinasse qui ne se trouve pas dans la correspondance de cette femme célèbre, imprimée il y a quelques années:

APOLOGIE

DE CE QUE MES AMIS APPELLENT MES EXAGÉRATIONS, MES ENTHOUSIASMES, MES CONTRADICTIONS, MES DISPARATES, MES ETC., ETC., ETC
Mardi 31 janvier 1775.

«Hé bien! voilà donc encore un piège que vous me tendez! Vous me dites hier avec bonté: Vous allez demain à la Fausse-Magie; j'exige de votre amitié de me mander ce que vous en aurez pensé. Mais vous savez bien, répondis-je, que je ne pense pas et que je ne juge jamais. N'importe, dites-vous; j'aime vos impressions, d'abord parce qu'elles sont vraies, et puis parce qu'elles sont outrées, et que j'ai du plaisir à les combattre. Cette observation que vous croyez si bien fondée devrait donc m'arrêter; je devrais après cela me faire un avis bien modéré, bien raisonnable: il manquerait sans doute de goût et de la connaissance des choses dont je parlerais; mais au moins, je ne révolterais pas les gens d'esprit, parce qu'ils sont indulgents, et les sots m'estimeraient parce qu'ils aiment les gobe-mouches. Cela les laisse à leur place, au lieu que les impressions vives, les mouvements de l'âme, les blessent, les inquiètent sans les éclairer ni les échauffer jamais. Je vais donc me laisser aller: je n'aurai égard ni aux sots, ni aux gens d'esprit; je ne craindrai pas même votre jugement, je m'y livre. Je serai sotte où absurde, tout ce qu'il vous plaira; je serai moi.

«J'ai eu du plaisir, oui, beaucoup de plaisir à cette répétition, et je défie tous les connaisseurs de me prouver que j'ai eu tort. J'ai admiré le talent de Grétry; j'ai dit vingt fois avec transport: Jamais on n'a eu plus d'esprit, jamais on n'a mis tant de délicatesse, de finesse et de goût dans la musique; elle a le piquant, la grâce de la conversation d'un homme d'esprit, qui attacherait toujours sans fatiguer jamais, qui ne mettrait que le degré de chaleur et de force convenable au sujet qu'il traite, et qui paraîtrait d'autant plus riche, qu'il ne sortirait jamais de la mesure que lui prescrirait le goût. Enfin, disais-je, si l'auteur de cette musique m'était inconnu, je ferais l'impossible pour faire connaissance avec lui dès aujourd'hui. J'ai été toujours animée, toujours soutenue par le plaisir; l'orchestre me semblait parler, et je m'écriais sans cesse: Oh! que cela est ravissant! Oui, je le répète, il est ravissant de passer deux heures avec des sensations douces, vraies et toujours variées. Le poëme m'a paru charmant; il me semble que le poëte n'a été occupé, d'un bout à l'autre, qu'à faire valoir le musicien. Les airs sont distribués avec beaucoup d'intelligence et de goût; il a trouvé le moyen de rendre les vieillards aussi comiques, aussi piquants que ceux de Molière. Grétry a fait de cette scène un duo qui en rend le comique et la gaieté d'une manière aussi animée qu'originale. Enfin, que vous dirai-je? J'ai été ravie, charmée, et je ne sais qu'aimer et louer, et point critiquer ce qui m'a autant fait de plaisir.

«Je vous vois, je vous entends, et vous espérez que je vais mettre Grétry au-dessus de Gluck, parce que l'impression du moment, fût-elle plus faible, doit effacer celle qui est éloignée. Hé bien! il n'en sera rien, et je vous ferai remarquer que si je suis exagérée, je ne suis point exclusive; et savez-vous pourquoi? c'est que c'est mon âme qui loue, c'est que je hais le dénigrement, et que d'ailleurs je suis assez heureuse pour aimer à la folie les choses qui paraissent le plus opposées; si bien donc que j'aime, que je chéris le talent de M. Grétry, et j'estime et admire celui de M. Gluck. Mais comme je n'ai ni les lumières, ni les connaissances, ni la sottise nécessaires pour assigner des places et des rangs aux talents, je ne m'avise pas de prononcer lequel vaut le mieux, ni même de comparer ce qui ne paraît pas devoir se rapprocher. Je ne sais à quelle distance la nature les a mis l'un de l'autre; mais je sais qu'à talent égal, ils auront dû en faire un emploi différent, puisque le genre de l'opéra-comique n'est pas celui de la tragédie. L'impression que j'ai reçue de la musique d'Orphée, ne ressemble en rien à ce que j'ai éprouvé ce matin. Elle a été si profonde, si déchirante, qu'il m'était absolument impossible de parler de ce que je sentais: j'éprouvais le trouble d'une passion, j'avais besoin de me recueillir; et ceux qui n'auraient pas partagé ce que je sentais auraient pu croire que j'étais stupide. Cette musique était tellement analogue à mon âme, à ma disposition, que vingt fois je suis venue me renfermer chez moi pour jouir encore de l'impression que j'avais reçue; en un mot, cette musique, ces accents attachaient du charme à la douleur, et je me sentais poursuivie par ces sons déchirants et sensibles, j'ai perdu mon Eurydice. Et comment voudriez-vous après cela que je pusse y comparer la Fausse Magie? Comment pouvoir comparer ce qui ne fait que plaire et attacher, à ce qui remplit l'âme, à ce qui la pénètre, à ce qui la bouleverse? comment comparer l'esprit à la passion? Comment comparer un plaisir vif et animé à cette mélancolie douce, qui fait presque de la douleur une jouissance? Oh! non, je ne compare rien, et je jouis de tout. Et vous appelez cela des contradictions dans mes goûts, des disparates dans mes opinions. Eh bien! soit; je ne serai pas conséquente comme la raison; mais j'aurai tout le plaisir de la sensibilité, et de tous les genres de sensibilité. Analysons moins et jouissons davantage; ne portons pas l'esprit de critique aux choses d'agrément et de pur amusement; soyons au moins indulgents pour ce qui vient de nous faire plaisir, et notre goût n'en sera ni moins bon ni moins juste.

«J'aimerai donc ce qui me paraît le plus distant, le plus contraire même; j'aimerai le paisible, le doux Gessner, il portera le calme dans mon âme; et j'aimerai, j'admirerai, je serai à genoux devant Clarisse, que je regarde comme une des plus belles, des plus grandes et des plus fortes productions de l'esprit humain; je serai ravie, exaltée par tous les genres de beauté dont cet ouvrage est plein. La vérité, la simplicité de ce roman me font assez d'illusion pour me persuader que j'ai vécu avec tous les Harlowes. Ils animeront toutes les passions dont mon âme est susceptible; et, en admirant Clarisse, je ne dédaignerai point Marianne; j'y trouverai, sinon la vérité des passions, du moins celle de l'amour-propre, celle des différents états de la société. J'aimerai à voir toutes les nuances de la vanité rendues et mises en action avec finesse et esprit. J'admirerai dans Clarisse la noble simplicité de Richardson; et dans Marivaux j'irai jusqu'à aimer sa manière et même son affectation, qui est souvent originale et piquante, et qui est toujours spirituelle. Oui, dans tous les genres, j'aimerai ce qui paraît opposé, mais qui n'est peut-être opposé que pour les gens qui veulent toujours juger, et qui ont le malheur de ne point sentir.

«La nature, il est vrai, les a bien dédommagés; ils sont toujours contents de leur raison, de leur modération, et de la conséquence qu'il y a dans tous leurs goûts; leur esprit est roide, ils le croient juste; leur âme est de plomb, ils la croient calme; enfin, ils ont la satisfaction de la suffisance, et moi j'ai l'égarement de la passion. Il est vrai que ces gens si raisonnables se sentent à peine exister, et moi, je souffre ou je jouis sans cesse; ils sont ennuyés, je suis enivrée; mais pour rendre justice à eux et à moi je dois avouer que s'ils sont quelquefois ennuyeux, je suis souvent fatigante. Les gens froids peuvent être exagérés; mais les gens animés ne sont et ne peuvent être que hors de mesure et outrés: tous les deux vont par-delà le but; mais les uns s'y sont montés, tandis que les autres y ont été jetés, entraînés. Les uns ont fait le chemin pas à pas, les autres ont sauté les bornes sans les apercevoir. Enfin, je trouve qu'il y a cette différence entre les gens exagérés, et ceux qui sont outrés, qu'on évite les premiers et qu'on quitte les derniers, mais c'est à condition d'y revenir le lendemain; car, ce qu'on aime par-dessus tout, c'est à être aimé, et voilà l'avantage qu'on éprouve avec les gens passionnés: ils révoltent sans doute, souvent ils choquent, ils fatiguent: mais en les critiquant, en les condamnant, même en les haïssant, ils attirent, et on les recherche. Vous me direz que je n'y vais pas de main morte, et que je me loue de manière à révolter le goût et la délicatesse de tous mes juges. Mais c'est à vous que je parle, et vous êtes mon ami avant d'être mon juge; d'ailleurs, pour excuser cet orgueil de Lucifer, que je viens d'étaler, je dois vous faire observer que je me défends, et alors il est permis de parler de soi comme on parlerait d'un autre: il n'est donc pas question d'être modeste, il s'agit d'être vrai.

«Je reviens encore à mes preuves, et j'ajoute que j'aime Racine avec passion, et qu'il y a dans Shakspeare des morceaux qui m'ont transportée; et ces deux hommes-là sont absolument opposés. On est attiré, entraîné par le goût de Racine, par l'élégance, la sensibilité et le charme de sa diction; et Shakspeare rebute par la barbarie de son goût; mais aussi, on est surpris, frappé de sa vigueur, de son originalité et de son élévation dans certains endroits. O permettez-moi donc d'aimer l'un et l'autre! J'aime la naïveté, la simplicité de La Fontaine, et j'aime aussi le fin, l'ingénieux, le spirituel Lamotte. Enfin, je ne finirais pas, si je parcourais tous les genres; car je dirais que je raffole du bon Plutarque et que j'estime le sévère La Rochefoucauld; que j'aime le décousu de Montaigne, et que j'aime aussi l'ordre et la raison de Fénelon.

«Je vous entends vous récrier: Mais il ne fallait pas m'assommer de ce détail de vos goûts: que ne disiez-vous tout d'un coup, j'aime tout ce qui est bon? Mais souvenez-vous donc que je vous l'ai dit cent fois, et que sans doute je ne vous ai point persuadé; car vous ne vous lassez point de me dire que je loue trop, que je suis exagérée, outrée, hors de mesure; il fallait donc vous prouver que j'étais fondée à aimer, à admirer; et ce n'est point avec de l'esprit qu'on jouit autant, c'est avec de l'âme. Souffrez que je dise, que je répète que je ne juge rien, mais que je sens tout; et c'est ce qui fait que vous ne m'entendez jamais dire: cela est bon, cela est mauvais; mais je dis mille fois car jour: J'aime. Oui, j'aime, et j'aimerai à aimer tant que je respirerai, et je dirai de tout ce que disait une femme d'esprit en parlant de ses neveux: J'aime mon neveu l'aîné parce qu'il a de l'esprit, j'aime mon neveu le cadet parce qu'il est bête. Oui, elle avait raison, et je dirai comme elle: j'aime la moutarde parce qu'elle est forte, et j'aime le blanc-manger parce qu'il est doux. Mais avec cette voracité d'affections et de goûts, vous croiriez qu'il n'y a rien ni dans les choses ni dans les hommes, qui puisse me déplaire, me repousser. Oh mon Dieu! je ne finirais pas si j'entrais dans tous les détails; mais je me contenterai seulement de vous indiquer ce qui m'est antipathique: d'abord les vers qui n'ont que le mérité d'être bien faits, et qui sont vides de pensées et de sentiments, comme ceux de M. De…; les comédies qui sont vides d'intérêt et d'esprit, et qui sont écrites d'un ton trivial, comme celles de M…; ou celles qui ont une espèce de jargon qui ne peut être intelligible que pour la coterie de l'auteur, comme celles de M…; les tragédies dont le sujet est passionné, fort et terrible, et dont le style est faible et plat, ou quelquefois barbare, comme celles de M… Enfin, je vous dirai, car il faut finir, que le maniéré, et même le fin, et surtout le fade, est pour moi comme la manne ou la tisane, d'un dégoût mortel, avec cette différence pourtant que la manne et la tisane pourraient cesser de m'être antipathiques en me devenant nécessaires, et que le reste m'est et me sera également odieux dans tous les temps. A l'égard de mon attrait et de mon éloignement pour les personnes, il est absolument analogue à mes goûts ou à mon aversion pour les choses. J'aime mieux une bête qu'un sot; j'aime mieux un homme sensible qu'un homme spirituel; j'aime mieux une femme tendre qu'une femme raisonnable; je préfère la rusticité à l'affectation; j'aime mieux la dureté que la flatterie; je préfère, j'aime avant tout, par-dessus tout, la simplicité et la bonté, mais surtout la bonté. Voilà la vertu qui devrait animer tout ce qui a la puissance ou la richesse. C'est aussi la vertu qui convient aux faibles et aux malheureux; enfin, c'est la bonté qui supplée à tout; et dût-on en abuser, et dussé-je en souffrir, je n'hésiterais pas, si on me donnait le choix d'avoir ou la bonté de madame Geoffrin ou la beauté de madame de Brionne: je dirais: Donnez-moi la bonté, et je serai aimée; voilà le premier, et si je me laissais aller, je dirais l'unique bien dont je veuille. Si je ne me trompe, il y en a un plus grand encore, c'est d'aimer; mais la bonté est déjà une affection de l'âme, et avec cette vertu on aime tout ce qui souffre, tout ce qui est malheureux. Ah! l'on aime donc longtemps! ah! l'on doit aimer toujours! et avec ce degré de bonté que je loue, que j'envie, on pourrait se passer du plaisir des passions. L'âme serait sans cesse en activité, et n'est-ce pas là le plus grand charme de la vie?

«Mais dites-moi si ce n'est pas à vous que je dois souhaiter cette passion jusqu'à l'excès. Que de bonté ne vous faudra-t-il pas pour lire cette longue, froide et fatigante apologie! Ah! vous voilà revenu à jamais de m'accuser; mon exagération est encore moins insupportable que ma justification: mais aussi j'y ai été poussée; tous mes chers amis m'accablent; j'ai voulu leur prouver une fois par des raisons, que ce qu'ils appellent ma folie et mes disparates, n'est autre chose que la raison ou le sentiment, ou la passion. Quelle est donc la conséquence de tout ceci? quel en est le résultat? Voulez-vous que je vous le dise à l'oreille?.. Mais non, vous ne me croiriez pas, et cependant je vous aurais découvert le secret de mon âme. Adieu; condamnez-moi, critiquez-moi, mais aimez-moi; je me louerai de votre bonté, et je ne sentirai qu'elle167

FIN
159.Un sot à mes côtés est content du mauvais spectacle qu'on nous donne ce soir au Gymnase, me dit Guasco; il n'a rien vu d'aussi amusant de toute la journée. Moi, j'ai vu des choses charmantes et souvent d'une angélique beauté, grâce à mon imagination folle. Il est vrai que j'ai eu l'air gauche dans un salon.
160.Le jeune Kreutzer de Vienne a fait une cantate sublime; c'est une des espérances de la musique. Si la vanité ou l'avarice ne gâtent pas Delphine Shaurott, et si elle va en Italie, elle sera la Paganini du piano.
161.Madame la comtesse de ****, près Halberstadt. Le Freyschütz est une tradition populaire dont J. Paul a fait un roman touchant, et Maria Weber un opéra bruyant.
162.On m'a montré à Liverpool des enfants de quatorze ans qui travaillaient de seize à dix-huit heures par jour Je me promenais par hasard ce jour-là avec des dandies de dix-huit ans qui ont cent mille francs de rente et pas une idée, pas même celle de jeter un schelling à ces pauvres petits malheureux. L'Italien est tyrannisé, mais il a tout son temps à lui; le lazzarone de Naples suit librement ses passions comme un sanglier au fond des forêts; je le tiens pour moins malheureux et surtout pour moins abruti que l'ouvrier de Birmingham. Et l'abrutissement moral est un mal contagieux; la grossièreté de l'ouvrier est bien loin d'être sans influence sur le lord.
163.Traduction de leurs cris, que mon cicérone me fit impromptu.
164.Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, page 56. (Page 49 de l'édition du Divan. N. D. L. E.).
165.Un préfet, sous Napoléon, fait appeler un élève de M. le professeur Broussonet à Montpellier, et lui dit gravement: Monsieur, la thèse que vous avez soutenue hier n'est pas catholique. Cette thèse avait rapport à une maladie du bas-ventre qui rend triste; il fallait dire que c'était l'âme qui rend triste.
166.Préface aux derniers chants de Don Juan. Ces derniers chants sont ce que j'ai lu de plus beau en poésie depuis vingt ans. L'assaut d'Ismaïl m'a fait oublier tout l'ennui de Caïn.
167.Nous avons reproduit scrupuleusement, pour cette lettre de Mademoiselle de Lespinasse, sur laquelle se termine l'édition originale de La Vie de Rossini, le texte donné par Stendhal, et nous n'avons pas voulu lui substituer celui des éditions critiques. N. D. L. E.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 сентября 2017
Объем:
262 стр. 4 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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