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Читать книгу: «Le canon du sommeil», страница 3

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VII. EN ROUTE

Durant quelques minutes, je demeurai tout à fait inconscient de moi-même.

La Tanagra, Miss Ellen, deux sosies. Sans compter le troisième que m’avait indiqué tout à l’heure la bonne Mrs. Trilny, la maman de miss Ellen, blonde, quarante ans, mais ressemblant si parfaitement à sa fille, que la directrice n’avait pas hésité à reconnaître leur étroite parenté.

Être blonde, paraître quarante ans, on y peut arriver par déguisement, maquillage, teinture… On n’a jamais certainement l’âge que l’on paraît, ni les cheveux que l’on semble avoir.

Pourquoi cette réflexion d’apparence inopportune?

Parce qu’un rapprochement s’était opéré automatiquement en mon esprit.

La mère d’Ellen s’était présentée la veille à la pension. Le matin un boy, m’avait apporté une lettre de Tanagra m’enjoignant de quitter Londres. Pourquoi ces deux femmes n’en feraient-elles pas une seule?

Mon trouble cérébral augmentait de seconde en seconde, et je ne puis penser, sans inquiétude, à ce qui fût advenu de mon intellect, si Mrs. Trilny en avait jugé à propos de me tirer du labyrinthe de mes réflexions pour me demander:

– Pensez-vous qu’il soit possible d’éviter le scandale?

Ah! c’est juste. J’étais venu pour cela. Le «patron» me l’avait recommandé, tâcher d’éviter le scandale à Trilny-Dalton-School, à la digne directrice qui avait préféré s’adresser au Times plutôt qu’à Scotland-Yard.

Une phrase inepte me monta aux lèvres. Je la prononçai, par exemple, d’un ton sentencieux qui impressionna mon interlocutrice.

– Quand on souhaite qu’autrui ne parle pas d’une chose, il convient de n’en pas parler soi-même.

La respectable dame me considéra un instant, puis d’une voix hésitante:

– Voulez-vous dire que je dois faire le silence sur la disparition de la pauvre enfant?

– C’est bien là ce que j’exprime.

– Vous avez donc reconnu d’où vient cette triste aventure?

– Oui et non, fis-je, un peu embarrassé, je l’avoue.

Mais une pensée subite me rendit mon aplomb.

– Oui, c’est oui, décidément. Je pars dans un instant pour le Continent et j’ai l’impression que j’y rencontrerai une personne, à qui il sera bon de conter l’aventure avant de se livrer à quelque démarche que ce soit.

– Mais, la directrice semblait hésitante,… mais si la pauvre mère venait me réclamer sa fille?

– Envoyez-la au Times…

La vieille dame me saisit les mains, les serra avec force.

– Je comprends… il y a un secret que vous ne croyez pas pouvoir me confier. Et alors vous m’indiquez qu’au Times, tout s’expliquera. Merci, merci… Ah! je suis bien heureuse d’avoir fait votre connaissance.

Je profitai de ce qu’une pendule scolaire sonna la demie après huit heures pour prendre congé, sans m’expliquer davantage.

La confiance de Mrs. Trilny me remplissait de confusion. Pauvre dame qui rendait hommage à ma discrétion, sans soupçonner que le mystère m’apparaissait beaucoup plus compliqué qu’à elle-même.

Bah! À défaut de la réalité, donner l’illusion est encore une bonne action. Sur cette réflexion, démontrant à tout le moins mon ardent désir de vivre en bonne intelligence avec moi-même, je m’acheminai vers la gare de Charing-Cross.

Tedd, mon boy, m’attendait, ma valise d’une main, mon ticket de l’autre. Je lui lis sommairement mes recommandations pour la garde de mon appartement; comme je ne savais trop où le hasard de l’aventure allait m’entraîner, je lui enjoignis, au cas où un fait grave se produirait, de l’insérer au Times, à la colonne «Petite correspondance» sous les initiales M. T X. Le Times se trouve partout. De la sorte, je serais avisé certainement.

Après quoi, je le renvoyai à la douce oisiveté, qui serait son apanage durant mon absence.

Il me restait vingt-sept minutes à dépenser avant l’heure du départ.

J’en profitai pour me lester d’une couple de sandwiches, d’un verre de porto-wine, et cette satisfaction stomacale accordée au personnage préoccupé que j’étais, je gagnai le quai, pris place dans un compartiment de first class (première classe) et m’abandonnai à une rêverie qui, je suis forcé de le reconnaître, n’était point pour flatter l’orgueil d’un roi du reportage, lequel se sentait parfaitement esclave des événements.

Une secousse, le train part. À ce moment un voyageur bondit en trombe dans le compartiment, jette sa valise dans le filet, puis sa canne, son chapeau, se laisse tomber sur la banquette dans l’angle opposé à celui que j’occupe et lance à haute voix:

– By devil, j’ai frisé le ratage du smoking (fumant).

L’expression indiquait que l’individu avait cette mauvaise habitude, trop répandue dans la société londonienne, de parler cockney, c’est à dire une langue verte des salons, qui n’a aucun rapport avec la belle langue anglaise et qui donna à ses adeptes un air de palefreniers déguisés en gens du monde.

Après cette entrée bruyante, du reste, mon compagnon de voyage s’était accolé dans son angle et avait paru s’absorber dans la lecture d’un journal.

C’était un homme de taille au-dessus de la moyenne, sec, nerveux, évidemment vigoureux. Son visage bronzé m’apparaissait inquiétant. L’arcade sourcilière très en relief, le menton carré décelaient la volonté dominatrice, et dans ses yeux gris, à reflets d’acier, sur ses lèvres minces, un adepte de Lavater n’eût pas hésité à diagnostiquer la cruauté.

Au demeurant, il me déplaisait à tel point, que si le voyage avait dû se prolonger, j’aurais changé de compartiment.

Ceci paraît absurde, n’est-ce pas. Eh bien, ce souvenir est l’un de ceux grâce auxquels je ne plaisante plus quand on me parle de pressentiments.

Parfaitement, mon «moi» se révoltait contre cet inconnu. Il le trouvait néfaste à mon endroit. Pourquoi faut-il que l’homme prétendu civilisé dédaigne son instinct?

Ah! Si j’avais à ce moment cassé la tête au personnage, si je l’avais envoyé par la portière sur la voie, j’aurais évité bien des malheurs et mon acte brutal eût été, au point de vue de la justice absolue, une bonne action.

Enfin, ceci sans doute ne devait pas être. À quoi bon les regrets stériles.

À dix heures quarante, le train me déposait sur le quai du port de Folkestone, à deux pas de l’embarcadère du steamer Marguerite, à destination de Boulogne.

Je descendis, gagnai la passerelle d’embarquement.

Mon compagnon de voyage exécuta les mêmes mouvements.

À l’homme de peine qui s’était chargé de ma valise, j’enjoignis de la déposer au bar-buffet du steamer. Mon compagnon de route donna vraisemblablement un ordre semblable au porteur de son bagage, car celui-ci emboîta le pas à mon homme de peine.

Ah! Mais, il m’agaçait le personnage aux yeux gris.

Une fois encore, je me déclarais être stupide. Il est inévitable que des voyageurs suivant une même direction, accomplissent des actes identiques. Je m’étais assez déplacé dans ma vie pour être fixé à cet égard.

Pour me distraire, j’examinai les passagers qui embarquaient.

Des touristes, des voyageurs de commerce allant drainer les poches des clients du continent, l’inévitable pasteur accompagné de son épouse et de ses sept enfants formés en monôme par rang de taille.

Mais j’abandonnai la famille ecclésiastique pour faire don de mon attention à une dame qui accourait sur le quai, escortée par deux commissionnaires chargés d’une multitude de petits paquets. Le tout eut pu être enfermé dans un sac de voyage de moyenne taille, mais sans doute la «lady» avait voulu résoudre le difficile problème d’atteindre au maximum de l’encombrement avec des colis de petit volume.

Je dis lady, car elle était anglaise évidemment, anglaise renforcée même avec son long cache-poussière écossais noir et blanc, aux poches gonflées probablement d’une autre légion de petits paquets; avec son chapeau de paille cerclé d’une ceinture de fleurs bleues et jaunes qui «criaient» même sous la clarté électrique du quai, et surtout son immense voile bleu, enroulé autour du chapeau, du cou, du visage, lequel ne laissait pointer qu’un menu bout de nez, donnant l’impression d’un chasseur à l’affût dans une embuscade de tulle.

Par exemple, la jeune femme… je l’appelai jeune femme par politesse, car son accoutrement lui donnait la forme hétéroclite d’un bagage doué de mouvement, la jeune femme, répéterai-je toujours par politesse, s’agitait comme une Française.

Elle déambulait à petits pas pressés s’arrêtant pour presser les porteurs qui marchaient plus vite qu’elle, puis accélérant son allure afin de les joindre, se mettant à compter ses innombrables paquets, en personne qui craint de les voir s’égarer:

– Dix… quatorze, seize. Où est le dix-septième?… Vous avez perdu le dix-septième… Non, non, je me trompe… je l’ai mis en poche… All right! cela va bien.

Sur la passerelle, elle interpella tout le monde.

– Personne pour indiquer ma cabine… Je suis le nombre: 8… pour Mrs. Dillyfly… Ah! là, sur le pont… Je remercie… Venez, commissionnaires, venez, le temps est petit, vous déposerez les bagages dans la cabine… Je rangerai ensuite, car il est écrit qu’une pauvre femme doit toujours ranger.

Au passage, je notai que si le voile bleu laissait passer le nez en avant, il ne cachait pas non plus en arrière, un chignon roulé d’un blond doré, dû, selon toute probabilité, à une teinture savante.

Deux minutes plus tard, les commissionnaires repassaient sur le quai.

La pauvre petite femme, mistress Dillyfly, procédait à présent au rangement de ses colis.

Presque aussitôt, le mugissement de la sirène ébranla l’atmosphère.

Les amarres furent larguées, un panache de fumée couronna les cheminées, et la «Marguerite» se mit lentement en marche sur l’eau calme du bassin.

VIII. UN CONFRÈRE «COLLANT»

How does he do it? How does he do it?…

Comment a-t-il fait cela? Comment a-t-il fait cela?

Je ne sais si vous connaissez ce refrain exaspérant d’une chanson-scie, qui, il y a quelque trente ans, fit fureur à Londres.

Moi, je la connaissais pour l’avoir trouvée un jour dans un vieux recueil des «Succès de London-Pavilion».

Vous jugez si je fus surpris de l’entendre fredonner presque à mon oreille.

Oh! C’était mon compagnon de voyage, que la vue de mistress Dillyfly m’avait fait oublier.

Il s’était accoudé au bastingage, à deux pas de moi, et il répétait inlassablement:

– How does he do it!

Sa mémoire sans doute n’avait pas conservé autre chose du Succès de London Pavilion.

Il devenait assommant, cet être-là. Voilà, maintenant, qu’il arborait la scie.

Je m’éloignai et m’en fus vingt pas plus loin. Mais à peine avais-je pris place que, derechef, le maudit refrain me sonne aux oreilles.

– How does he do it!

L’homme était là, tout près de moi. Cette fois, cela dépassait la limite de ma patience. Je me tournai brusquement vers le chanteur.

– Je m’éloigne, dis-je d’un ton pas engageant, et vous serai obligé de ne pas me suivre. Je désire être seul avec ma pensée.

Et… il se frotta les mains avec l’expression de la plus vive satisfaction.

Je le regardais, surpris de cet effet de ma sévère invitation. Alors, il parla:

– Vous m’avez adressé le premier la parole, sir Max Trelam…

– Vous me connaissez, m’écriai-je, mon étonnement croissant.

– Oui, oui, vous allez être sûr… Mais je reprends. Moi, je n’osais point vous parler, faute d’avoir été présenté… Mais vous avez commencé, n’est-ce pas; vous avez brisé la glace.

Il appelait cela briser la glace. Eh bien! il n’était pas difficile.

– Alors je puis continuer et présenter moi-même, Agathas Block, correspondant spécial du Standard, votre confrère, si toutefois le vocable n’est point prétentieux de la part d’un humble interviewer, vis-à-vis du «roi du reportage».

Malgré moi, mon visage se détendit. L’étrangeté du bonhomme m’incita au sourire. Néanmoins j’insistai, avec moins de raideur cependant:

– Charmé de la présentation. Mais un confrère comprendra que, songeant à maintenir le titre si flatteur qu’il vient de rappeler, je tienne à la solitude favorable aux utiles réflexions.

– Oh! je conçois très bien. Par malheur, je ne puis pas accorder la solitude.

J’eus un haut-le-corps. La tranquille impudence de cet Agathas Block me semblait ahurissante. Est-ce qu’il émettrait la prétention de m’imposer sa compagnie.

Mais lui, le plus paisiblement du monde, se chargea d’extirper mes derniers doutes.

– Suivez le raisonnement. Je suis un reporter, moi, comme on en découvre treize à la douzaine… Vous saisissez la conséquence. Beaucoup de peine, peu de profit. Il est bien évident que cela m’ennuie, me paraît détestable.

– J’en suis persuadé, mais…

– Attendez. J’ai acquis le moyen de mettre fin à cet état pénible…

– Je vous en félicite, mais permettez…

– Non, ne félicitez pas encore. Il faut tout savoir. Si vous félicitez ensuite, je serai très content. Mais si vous ne trouvez pas matière à félicitations, je me reprocherais d’avoir accepté celles-ci.

Ah mais! Ah mais! Il devenait insupportable avec ses circonlocutions, la conversation filait comme le macaroni, ce plat national italien qui met le pauvre être en faisant sa nourriture, dans la situation grotesque d’être relié par un fil fromager à l’assiette où s’enroulent les tubes de la pâte indigeste.

– Enfin expliquez-vous.

– C’est à cela que je tends, honorable sir Max Trelam. J’ai pensé le «roi du reportage» est le roi, parce qu’il reconnaît toujours la meilleure piste, ce qui lui permet de renseigner son journal, plus tôt et plus complètement que les autres confrères.

Je m’inclinai. Je ne vois pas comment j’aurais pu faire autrement.

– Évidemment, on ne saurait lui demander de divulguer ses procédés…

– La réflexion est marquée au coin de la sagesse, fis-je ironiquement.

– Je suis sage, répliqua d’un ton grave mon interlocuteur. Aussi ne me suis-je pas arrêté à l’idée de vous interroger. Je me suis confié: il faut que Max Trelam te renseigne malgré lui.

– Malgré moi… Ceci me semble difficile encore.

Mais sans rien perdre de son flegme déconcertant, Agathas Block continua:

– Non, cela a l’air difficile, mais l’air seulement. Supposez que nous soyons un instant des frères siamois, indissolublement liés par un appendice physique.

– Grand merci, lançai-je dans un éclat de rire.

Mon bizarre compagnon s’abandonna aimablement à une hilarité réflexe, puis reprenant imperturbablement sa démonstration.

– Cela ne vous convient pas d’être Siamois, je conçois cela de la part d’un bon Anglais… Mettons que je devienne votre ombre, ceci devient un lien peu gênant, ou même votre ami, le lien alors est simplement moral.

– Trêve de suppositions, interrompis-je. Un reporter est, par définition un «tirailleur», c’est à dire un homme qui doit agir seul.

Agathas inclina la tête avec une soumission tout à fait gracieuse.

– Alors, vous ne sauriez m’indiquer un moyen de bénéficier de vos rares qualités en toute courtoisie, en toute sincérité. Je vous assure que je vous en aurai une reconnaissance, dont je vous marquerai les effets de façon avantageuse.

– Eh non! L’idée même, son principe, si je puis m’exprimer ainsi, est inadmissible.

– Il m’est donc interdit d’être votre frère siamois, votre ombre, votre ami?

– Insister me ferait douter de votre intelligence professionnelle.

Il marqua un geste désolé. D’un ton douloureux, il murmura:

– Aussi je n’insiste pas… Seulement mes regrets sont immenses…

– Je vous crois.

– Tout à fait immenses, car n’ayant pas réussi à devenir votre ombre de manière aimable, je me vois contraint de devenir ceci malgré vous.

À cette conclusion inattendue, je sautai sur place.

– Malgré moi… et vous croyez que je me laisserai faire.

– Oh! j’en suis sûr.

Sa placidité me mit hors de moi… Je marchai sur lui, menaçant:

– Ah! prenez garde. Un importun rencontre la correction qu’il mérite.

Il haussa philosophiquement les épaules, en homme préparé à tout.

– La boxe est une chose ridicule, dit-il. Un œil au noir, un nez écrasé, n’empêchent pas un gaillard résolu de suivre son chemin.

À présent, il se posait en victime et je me surprenais à trouver tout simplement héroïque, ce confrère du Standard qui offrait son visage à mes poings, en disant:

– Bah! démolissez la figure, cela n’arrêtera pas mes pieds.

Toute proportion gardée, c’était aussi beau que le cri de Thémistocle, d’hellénique mémoire!

– Frappe, mais écoute.

Seulement, j’étais engagé dans une affaire où la pitié m’eût conduit à trahir mes relations avec X. 323, avec mon amie Tanagra. Je renfonçai donc la pitié pour accentuer la menace.

– La boxe, non pas. Mais un bon coup d’épée, ou une balle de pistolet, à la française, arrêtent le curieux le plus acharné.

Il courba la tête, et avec une humilité impressionnante:

– Je vous en prie, «roi» Max Trelam, ne jouez pas avec le danger. Je suis de première force à l’épée et au pistolet. Je ne me consolerais jamais de priver le Times de son ténor.

J’avoue que je demeurai court.

Agathas Block se révélait comme un obstacle sérieux.

Puis, tout à coup, une idée de gamin me traversa le cerveau, ramenant la joie sur mon visage que la colère devait vilainement contracter.

– Qu’à cela ne tienne, mon cher confrère, nous nous battrons en dépit de votre «première force».

– Vous ne me croyez pas.

– Si, si, je suis convaincu que vous ne vous vantez pas. Cela étant, vous me blesserez certainement. Et alors, je vous permettrai de ne point me quitter… C’est un avenir de garde-malade que je vous assure… Eh! Eh! la profession d’infirmier est tout à fait bien vue de nos jours.

Il m’interrompit pour prononcer d’une voix sourde, où je sentais vibrer le danger tout proche.

– Et si je vous tue?

Je n’avais plus envie de rire. Mais redevenir sérieux eût été avouer le petit frisson intérieur. Aussi j’exagérai la bonne humeur pour lui décocher négligemment:

– En ce cas, vous serez l’ombre d’un mort, puisque le rôle d’ombre vous tient à cœur. De toute façon, vos désirs seront satisfaits dans une certaine mesure. Toutefois, je doute que mon envol vers les «félicités réservées» vous assurent un brillant succès de reportage. J’emporterai avec moi mon secret professionnel.

À ma réelle surprise, Agathas ricana avec un mauvais sourire:

– Qui sait! Votre mort me servira peut-être plus que votre vie.

Puis, saluant correctement.

– Je ne veux pas vous imposer la torture complémentaire de ma présence. À bord, vous ne sauriez m’échapper; je puis donc me relâcher un peu de ma surveillance.

Ma foi, je le confesse, je ne trouvai pas un mot à répliquer. Mon interlocuteur s’éloigna d’un pas tranquille. On n’aurait jamais cru qu’il venait de me menacer de mort. Ah! pour un être flegmatique, Agathas Block était un être flegmatique. Il était impossible de dire le contraire.

À ce moment précis, je reconnus qu’il me serait infiniment désagréable de trépasser sans avoir revu miss Tanagra.

Pourquoi ce sentiment? C’était sans doute ma curiosité de reporter qui se prononçait ainsi… D’autre part, cela pouvait bien ne pas être cela du tout.

IX. MISTRESS DILLYFLY M’ÉTONNE À SON TOUR

Saprelotte, ma nouvelle campagne d’espionnage s’annonçait plus mal que la première.

Certes, j’avais rencontré dans celle-ci, une foule de choses pas très claires, surtout au début; mais vraiment ma journée était trop féconde en incidents étranges.

Mon itinéraire, modifié sans que je susse pourquoi, avait commencé la série.

Puis la disparition de cette miss Ellen, sosie de la Tanagra, sosie rieur, oui, mais enfin rieuse ou mélancolique, les deux personnes avaient des traits identiques.

Et pour brocher sur le tout, cet Agathas Block qui venait se jeter dans mes jambes, non pas hélas sans crier: gare; mais tout au contraire, en criant: gare, de façon inquiétante pour le succès de mon expédition.

Dans quarante minutes, nous entrerions dans le port de Boulogne. Selon sa promesse, ce diable d’homme me demanderait ce à quoi j’étais décidé; et alors…

Là-bas, en avant, j’apercevais le rayon tournant des feux qui marquent l’entrée du chenal. Ils m’avertissaient qu’auprès d’eux expirait pour moi la liberté de discuter. La décision s’imposerait. Satanée décision!

Oui, j’entends bien les gens à solutions simples. Avec un revolver, on peut toujours se débarrasser d’un compagnon gluant. Sans doute, sans doute, mais cela constitue un assassinat. Or, un assassinat, indépendamment des tracasseries légales qu’il entraîne, exige un entraînement spécial, que dis-je, une «capacité» particulière de l’individu qui y recourt.

À mon sens, on naît assassin, comme on naît roturier; on ne le devient pas.

Et dame, ma naissance me paraît avoir laissé beaucoup à désirer à ce point de vue.

J’en étais là de mon monologue intérieur, qui on le voit, n’était pas très avancé, quand une voix me rappela au sentiment que l’homme n’est point seul au monde.

– Je demande le pardon, disait-elle, mais mes «canaris» aiment seulement le chocolat en pastilles… Le buffet ne tient pas les pastilles… et les pauvres petits souffrent. Alors je prends l’audace de demander à toutes les personnes: Vous n’auriez pas sur vous des pastilles de chocolat?

Je regardai qui m’abordait ainsi… C’était mistress Dillyfly.

Ma remuante compatriote avait conservé son cache-poussière, son voile bleu; seulement elle s’était augmentée d’une minuscule cage qu’elle élevait à hauteur de mes yeux, pour me permettre probablement de distinguer deux «canaris» qui voletaient ahuris, bien plus désireux en apparence de tranquillité, que de chocolat.

J’esquissai un geste vague. Non, je n’avais pas en ma possession les pastilles réclamées. La dame le comprit, car elle prit une mine attristée.

– Vous n’avez pas. Cela est tout à fait regrettable. Je présente le pardon. Chers petits oiseaux, sachez dire le good-bye au gentleman.

Elle portait la cage maintenue par sa main gauche, tout près de mon visage; mais en même temps, sa dextre s’appuyait sur ma poitrine, à hauteur de la poche extérieure de mon pardessus, et d’une voix basse, rapide, qui me sembla ne pas appartenir à la même personne, elle prononça:

– Dans la poche, un papier à lire avant Boulogne. Silence. La mort plane.

Avant que je fusse revenu de ma stupéfaction, la bizarre lady s’était éloignée et elle sollicitait des pastilles de chocolat pour ses «aimés canaris» d’une autre passagère qui se promenait sur le pont.

Je jetai un regard circulaire autour de moi. Aucune silhouette rappelant celle d’Agathas Block. Le faquin tenait parole. Il ne me surveillait pas jusqu’à l’arrivée en France.

Néanmoins, impressionné par l’étrange avertissement de Mrs. Dillyfly, et surtout par le timbre, par l’accent de la voix que je me figurais avoir entendue déjà, je gagnai une de ces cabines, mises gratuitement par l’administration du «passage» à la disposition des voyageurs à l’estomac desquels la mer n’est point clémente… Dans ce réduit, où du moins je me trouvais à l’abri des regards, j’enflammai une allumette-bougie, je fouillai dans une poche où mes doigts rencontrèrent un papier, et ce papier déplié, je lus ces lignes tracées au crayon:

«À l’arrivée à Boulogne, acceptez la société d’Agathas Block. On vous délivrera demain. Ayez soin de régler votre dépense au fur et à mesure à l’hôtel, d’avoir votre valise prête, afin de pouvoir partir au signal donné, sans perdre une seconde. La réussite tiendra à la rapidité de la manœuvre».

Pas de signature; écriture inconnue. Au total: un mystère de plus.

Qu’est-ce que c’est que cette Anglaise? Que signifient ces paroles: la mort plane, que l’on croirait empruntées au répertoire mélo dramatique du Strand, notre Ambigu-Comique à nous?

Nous serons à Boulogne dans vingt minutes. Il faut que je lui aie parlé auparavant.

Je veux bien que l’on me délivre d’Agathas Block, mais encore je désire savoir à qui je serai redevable de ma libération.

On ne tient pas à être l’obligé de n’importe qui, tout le monde conçoit cela.

Ayant ainsi pensé, je sors de mon retiro, non sans avoir déchiré l’avis énigmatique, dont je précipitai les morceaux à la mer, et me voici parcourant le pont, à la recherche de la Mrs. Dillyfly.

Au passage, j’aperçus Agathas Block debout près de la coupée. Me vit-il? Je le suppose; mais il n’en fit rien paraître et continua de regarder dans la direction du port, dont les feux et même les réverbères devenaient perceptibles dans la nuit.

J’avais parcouru le navire de bout en bout. Le renflement d’un bar-buffet me masquait l’endroit où j’avais laissé Agathas.

Soudain une porte du bar s’ouvrit, jetant sur le pont une bande lumineuse, et, dans cette clarté, apparut celle que je cherchais.

D’un mouvement rapide, elle écarta le voile bleu qui masquait son visage; dans l’auréole de tulle, j’aperçus les traits de la «Tanagra».

Preste, elle porta l’index à ses lèvres, dans le geste éloquent du silencieux Harpocrate, puis me frôlant au passage, son voile déjà retombé sur l’adorable vision, elle murmura:

– Pas un mot… Ce serait nous condamner.

Et comme je demeurais stupide, médusé, elle disparut sans que je pusse m’expliquer comment.

Seulement à présent, toutes mes hésitations avaient cessé. C’était elle qui me débarrasserait d’Agathas… Je ne me sentais aucune répugnance à lui vouer un sentiment de gratitude.

Par pensée réflexe, je songeai à la pensionnaire de l’institution Trilny, mais ma conviction de la ressemblance parfaite entre l’élève disparue et la Tanagra ne m’apparut plus aussi absolue.

La sirène meuglait, annonçant l’entrée de la «Marguerite» dans le port. Le steamer en effet embouquait le chenal entre les estacades.

J’entrai au bar, je fis prix avec un des barmen pour qu’il portât ma valise à l’hôtel Royal, puis tranquille de ce côté, je me dirigeai vers la «coupée», où déjà se pressaient les passagers pressés de débarquer.

Agathas Block me regardait venir.

Quand je fus auprès de lui, il demanda paisiblement, du ton d’un personnage qui continue une conversation amicale, ce qui démontrait de sa part une inconscience déplacée.

– Eh bien, mon cher grand confrère… Consentez-vous à me permettre de me tailler un gilet dans votre manteau de gloire?

– Il le faut bien, répondis-je affectant la résignation.

– Quoi vraiment?

– Je descends à l’hôtel Royal, où je ne me fâcherai pas de vous voir.

– Nous ferons route ensemble.

– Si vous le désirez.

Ma facilité sembla l’inquiéter. Il me considéra en-dessous.

– Oh! oh! reprit-il entre haut et bas… Vous supposez donc que vous pourrez me «semer»?

– Vous êtes indiscret, mon cher confrère. Je vous autorise à être mon ombre, selon votre heureuse expression; mais je n’ai pas à confier ma pensée à une ombre.

Cela provoqua chez lui un éclat de rire sonore.

– Rien… bien… L’important est que nous marchions de conserve sans nous quereller. Je pense d’ailleurs que vous ne réussirez pas à m’échapper… Oh! je ne doute pas de votre adresse; mais je suis certain de la mienne.

Et avec abandon:

– Au surplus, vous me remercierez à un moment donné; car je vous ferai voir quelque chose qu’il vous serait impossible de voir sans moi.

Il passa familièrement sa main sous mon bras.

– Vous permettez. Je craindrais de vous égarer dans la bousculade du débarquement. Vous m’avez bien dit que vous descendiez à l’hôtel Royal et je ne mets pas en doute votre affirmation. Seulement, cela est votre volonté en ce moment. Rien ne prouve que, séparé de moi, votre volonté ne se modifierait pas.

Il était à gifler, positivement!

Mais je me remémorai le proverbe commun aux «amis» des deux rives de la Manche:

– Le meilleur rire est à celui qui rit le dernier, côté anglais, et du côté français: Rira bien qui rira le dernier.

La promesse de miss Tanagra m’assurait le meilleur rire. Quand on sait cela, il devient aisé de montrer la patience, jusqu’à un degré angélique.

Sans doute, Agathas Block me trouva, trop angélique, car il avança les lèvres en une moue grimaçante, hocha la tête d’un air ennuyé et se cramponna plus étroitement à mon bras. De toute cette mimique, j’affectai de ne me point apercevoir, ce qui redoubla l’inquiétude de mon compagnon.

Nous arrivions au débarcadère. Les amarres lancées aux hommes courant sur le quai s’enroulaient autour des «canons» de fonte, fichés dans la maçonnerie. Le capitaine du steamer, barrant la coupée de son corps, contenait les passagers trop pressés.

Enfin le steam ne bougea plus, la passerelle glissa, reliant le pont au quai, et le commandant prononça:

– À votre disposition, gentlemen et ladies.

À ce moment, deux barmen s’approchèrent de nous. Chacun portait une valise, dont l’une m’appartenait. Je compris que l’autre avait pour propriétaire l’ennuyeux Agathas Block, qui avait, tout comme moi, engagé un porteur au bar.

Nous dîmes en même temps:

– À l’hôtel Royal!

– Les garçons répliquèrent:

– Yes.

Et pointant les valises ainsi que des béliers antiques, ils parcoururent la passerelle, au grand dam des jambes, des côtes et des reins des passagers surpris par cette charge inattendue.

Après quoi, le passage forcé, sans s’inquiéter des récriminations qui s’élevaient dans leur sillage, ils s’élancèrent à toutes jambes le long du quai.

Du coup, Agathas se rasséréna. Il consentait à croire que je me rendais à l’hôtel Royal. Et je m’amusai énormément de sa confiance, à la pensée que je l’y «sèmerais», comme il avait exprimé lui même l’idée de notre séparation.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
270 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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