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Читать книгу: «Noémie Hollemechette», страница 11

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Tous réunis!

Paris, le 1er août 1915.

PAPA n’est plus à Anvers; il est auprès du roi Albert et nous allons le rejoindre!

Il faut que je garde bien le souvenir de tant d’événements et que je les raconte par ordre, comme dit Tantine Berthe. Nous sommes restées jusqu’à la moitié du mois de juillet sans recevoir de nouvelles, ni de lettres de Désiré.

Tout à coup, le 16 juillet, un soir, comme nous revenions d’une promenade, on a porté à maman une dépêche. Elle venait de la légation belge de Paris et disait:

«Hollemechette en sûreté à la Panne.»

Tantine Berthe ne pouvait cacher ses larmes, elle serrait dans ses bras maman qui sanglotait. Madeleine était comme une statue. Quant à Pierre, il nous entraîna dans une ronde folle avec Barbe, en prenant la queue de Phœbus qui sautait après nous. Naturellement, Phœbus n’aime pas du tout cette plaisanterie; il trouve cela offensant, mais Pierre criait si fort: «Tu sais, ton maître est en France, tu le verras bientôt», que Phœbus se mit à aboyer. Alors ce fut un tumulte effroyable.

Mme Moreau et Mme Mase se bouchaient les oreilles en nous faisant signe de nous taire. Seulement, comme leurs yeux riaient, nous avons continué à danser et Phœbus à aboyer.

Enfin le calme s’est rétabli. Pierre a commencé par dire que certainement papa avait été chargé d’un message pour le roi et que, grâce à son intelligence et à son sang-froid, il était arrivé sans encombre à la Panne.

«Non, cela n’est pas possible, il aurait été fusillé en route.

– Il a été renvoyé par les Boches.

– Il s’est enfui.»

Oh! pour cela non… On continuait à discuter, quand maman déclara qu’il fallait attendre, sans chercher à deviner ce qui était arrivé à papa; que nous aurions sûrement une lettre de lui nous expliquant le mystère, que nous devrions être contentes de le savoir en bonne santé.

Pierre était tout à fait enthousiaste! Il soutenait que le «Mystère de la Panne», comme il l’appelait, serait un honneur pour nous et que papa était un héros. Moi, je trouvais que Pierre était tout à fait gentil et j’étais bien de son avis. Nous avons ainsi passé deux jours dans une attente et une agitation incroyable. Pierre allait à la poste quatre fois par jour. Comme il est très bien avec tous les employés, on lui disait de suite s’il y avait des lettres pour nous quand il entrait dans le bureau avec Phœbus.

La dame du téléphone parlait à Phœbus.

«Non, mon bon chien, il n’y a pas de lettre de ton maître aujourd’hui! Tiens, voilà un sucre.»

Et elle lui donnait un morceau de sucre, et Phœbus lui tendait la patte pour la remercier. Enfin, le 18 juillet, nous avons reçu une longue lettre de papa. Je la copie entièrement, car Pierre avait raison, papa est un héros.

«La Panne, 16 juillet.

«Mes chers enfants,

«Enfin, me voici sur ce petit bout de Belgique qui nous reste à nous et qui n’est pas foulé par nos barbares ennemis! Je suis au milieu des restes de notre vaillante armée qui a défendu notre patrie pied à pied, pouce à pouce.

«Ils ont envahi notre pays, ils ont brûlé les villages; mais ils n’ont pu éteindre le patriotisme et l’ardeur qui remplissent nos cœurs. Ils ne prendront pas ce petit coin, et ils en seront chassés un jour, soyez-en certaines, comme je le suis moi-même.

«Quand on voit ces hommes qui m’entourent, ces hommes qui ont combattu depuis un an, qui sont amaigris et harassés, on regarde leur yeux et alors… oh! alors, il n’y a plus de doute, on sent son cœur tressaillir de joie en se disant qu’on les aura.

«Mais vous êtes impatientes, vous voulez savoir comment je suis ici. Oui, je comprends, mais mon cœur est si plein qu’il faut d’abord qu’il s’épanche.

«Et cette population d’Anvers, si vous saviez son courage, sa dignité, sa fermeté, et son espérance! Ah! les Allemands nous croient vaincus! Je vous assure qu’ils ont du fil à retordre avec nos braves Belges, depuis le dernier gamin jusqu’au bourgmestre. Je vous raconterai des faits héroïques et des faits amusants que Noémie sera contente de mettre dans son journal.

«Vous avez su par Désiré que je faisais partie du comité formé à l’Hôtel de Ville pour la défense des intérêts d’Anvers et de ses habitants. Dire les difficultés que nous avons rencontrées en toutes choses serait trop long à narrer. Qu’il vous suffise de savoir que nous avons subi toutes les peines: injures, vols, cruautés, horreurs et douleurs. Tout allait de mal en pis, nous n’avions plus d’argent, plus de pain. La ville avait payé rançon sur rançon. Pourtant, on s’aidait mutuellement et personne ne paraissait démoralisé.

«Un soir, le bourgmestre me fait demander, et dans son cabinet nous nous trouvons réunis tous les membres du comité, neuf au total. Et le bourgmestre nous fait part qu’un fait extrêmement important, qu’un de nos espions venait de lui apprendre, devait être communiqué à notre gouvernement, le plus tôt possible. Ce fait ne serait divulgué qu’à la personne qui porterait le message. Après discussion, car les neuf membres s’étaient proposés immédiatement, le bourgmestre déclara: «M. Hollemechette va remplir cette mission. Il sait parfaitement l’allemand. Il a toutes les qualités nécessaires… et puis il est de Louvain, et ne croyez-vous pas qu’on lui doive cet honneur à lui, victime de l’incendie de sa chère Université?» Oui, mes enfants, moi qui n’avais pas pleuré depuis le jour où les Allemands sont entrés chez nous, mes yeux se sont remplis de larmes et nous nous sommes brusquement embrassés le bourgmestre et moi. Après, il m’a expliqué la mission verbalement et je suis parti. C’était pendant la nuit. Je me suis habillé en paysan et me suis rendu à la gare, où un envoi important de veaux venait d’arriver de Hollande. Il y avait là un groupe de Hollandais en blouse à qui l’on faisait des difficultés pour leur laisser reprendre un train qui allait partir pour Rozendaal. J’aurais mieux aimé aller en Hollande par la Clinge, mais il était préférable de sortir de Belgique de n’importe quelle manière. Je me mêlai aux paysans après m’être emparé d’un énorme bâton, dont on se sert pour frapper les veaux et les bœufs et que j’avais trouvé par terre près d’un tas de fumier. Le commandant de la gare, un grand officier très bête, semblait ne savoir où donner de la tête. Pensez donc! Des troupes qui arrivaient d’un côté, des bestiaux de l’autre et les Hollandais qui voulaient rentrer chez eux! Je me mis avec les crieurs et je criais dans ce patois hollandais que je m’amusais à apprendre avec M. Nijmegen lorsqu’il venait à Louvain pour suivre les cours de notre Université. Et pour que tout parût plus vraisemblable je bégayais, aussi. Enfin le commandant, excédé, nous fit tous monter dans un train en donnant l’ordre au conducteur, un Allemand, de regarder nos papiers en cours de route. Je sortais d’Anvers!

«Le train s’arrêtait toutes les demi-heures et nous ne sommes arrivés à la frontière que le lendemain soir vers huit heures. Les autorités voulaient remettre à plus tard l’examen de nos papiers. Mais les paysans recommencèrent à réclamer en disant qu’ils avaient besoin d’être chez eux et qu’ils se plaindraient. Enfin un petit lieutenant très jeune, prit un ton autoritaire et déclara que l’on allait viser les passeports. Je n’en avais pas et malgré la complaisance de mes compagnons, je n’avais pas voulu leur confier qui j’étais. Mais je comptais sur l’ivresse des Boches. Nous étions une quarantaine. Le lieutenant ainsi que deux secrétaires restaient au moins une demi-heure à regarder chaque papier. Je me plaçai en queue. Au bout de deux heures environ, je vis un de mes compagnons hollandais qui, après avoir fait viser son passeport, s’était profondément endormi sur un banc, son paquet posé à côté de lui. A la faveur du tumulte, je me mis près de lui, je pris ses papiers et me plaçai parmi ceux qui attendaient. Mon tour vint. Mon cœur battait. Le lieutenant qui commençait à perdre la tête prit mon passeport et y appliqua son visa, lorsque son secrétaire, en le regardant, me cria:

«Mais, imbécile, il est déjà visé.»

«Très fort, je bégayais en patois:

«Le lieutenant a signé, mais, pas vous, Monsieur le secrétaire.

« – Triple idiot, tête d’abruti, ma signature n’est pas nécessaire. Va et tais-toi.

« – Bah! vous savez, avec vous j’aime mieux deux signatures qu’une!»

«Il ne comprit pas, mais mes voisins sourirent. Je replaçai les papiers dans le paquet du Hollandais et je montai dans le train. Je n’ai respiré que dans la gare de Rozendaal, car je ne craignais plus les Allemands! Pourtant, par excès de prudence, j’ai gardé mes vêtements de paysan et je suis parti pour Flessingue où je me suis embarqué pour l’Angleterre. Dans la semelle de ma chaussure j’avais placé mes papiers d’identité d’origine belge. Ils me servirent alors et je pus atteindre la Panne où j’ai rempli ma mission. Je reste ici pour le moment. A Anvers, ma disparition a passé inaperçue; en tout cas, le bourgmestre devait dire que j’étais malade. Le mieux, mes enfants, est de venir me rejoindre au Havre. J’ai une situation qui pourra nous faire vivre, et si nos ressources sont trop minimes, on trouvera à travailler pour nos soldats. Je préfère que nous soyons de nouveau réunis en attendant le moment où nous retournerons reconstruire nos foyers détruits!

«Je vous embrasse comme je vous aime.

«Hollemechette.»

Cette lettre avait été lue au milieu d’une grande émotion. Pierre bondissait de temps en temps en poussant des hurrahs! et des «Vive papa Hollemechette!» Maman était obligée de s’arrêter de temps en temps, car la voix lui manquait.

«Tu vois bien, me dit Pierre, que ton père avait une mission de la plus haute importance!»

En disant cela, il tira une des boucles de Barbe. Elle se retourna en criant:

«Tu es un sale Boche.»

Pierre, furieux, lui donna une claque. Naturellement Barbe se mit à hurler. Tantine Berthe la prit et l’emmena dans sa chambre.

Nous avons quitté Montbrison le lendemain du jour où nous avons reçu la lettre de papa. Nous avions beaucoup de chagrin de quitter Mme Moreau et nos petites amies qui ont été si bonnes pour nous. Mais nous avons promis de nous écrire souvent en attendant de nous revoir.

Malgré notre impatience de retrouver papa, nous avons été obligés de rester deux jours à Paris, parce que Tantine Berthe était fatiguée du voyage. A la gare nous avons trouvé Mlle Suzanne qui nous a tous conduits rue Bonaparte dans la maison où nous avions habité avant d’aller à Montbrison. Seulement, les propriétaires étaient revenus. Ils nous ont reçus avec tant de joie que nous pensons que tous les Français sont bons. Pierre, qui est avec nous – car son papa, ne se remettant pas de sa blessure, est actuellement en service aux ateliers de Harfleur où se fabriquent les canons français – Pierre me dit:

«Tous les Français sont épatants!»

M. et Mme Lemarie ont une petite fille très jolie et très gentille. Elle n’a que trois ans et Barbe veut toujours jouer avec elle. Elle a des cheveux blonds, de grands yeux bleus et parle très distinctement. Dans la journée, elle s’amuse à balayer les petits cailloux des allées de son jardin. Phœbus reprend sa place au soleil sur le perron et Barbe remplit les seaux de sable.

Nous avons été faire une visite à M. Le Peltier, au séminaire de Saint-Sulpice. Il y avait à ce moment-là beaucoup de petits enfants qui arrivaient d’Arras et du nord de la France et qui n’avaient plus leurs parents!

Je pensais que nous étions encore bien heureux d’avoir notre papa et notre maman, car quand on a son papa et sa maman, on a encore tout au monde.

Le Havre, août 1915.

Nous avons revu notre papa chéri et nous voilà de nouveau tous réunis. Nous ne sommes pas chez nous, dans notre pays, ni dans notre chère maison, mais, comme dit papa, «nous y retournerons et nous reconstruirons nos maisons détruites.»

Oh! comme nous avons été émues en retrouvant papa!

Au Havre, il nous attendait à la gare. Nous avions pris un train qui partait à huit heures du matin de Paris et qui devait arriver au Havre à onze heures.

Pierre et Mme Mase sont restés à Paris; ils nous ont dit qu’ils avaient encore des emplettes à faire; mais je sais bien qu’au fond, ils ont voulu nous laisser seules avec papa pour les premiers jours.

Pierre nous avait accompagnées à la gare. Naturellement nous n’avions pas de bagages; seulement des paquets qui contenaient notre linge et une valise dans laquelle nous avions mis nos robes.

La gare était pleine de monde et les trains bondés. Impossible de trouver des places, surtout parce que nous avions notre vieux Phœbus avec nous. Quelques personnes ne semblaient pas contentes et nous disaient presque des choses désagréables, mais d’autres étaient aimables et expliquaient que toutes les places étaient prises. Quant aux soldats, des permissionnaires comme nous, expliqua Pierre, ils voulaient tous prendre Phœbus avec eux. Quand ils apprirent qu’il avait eu la patte emportée par un boulet, ils s’écrièrent:

«Mais, c’est un frère!

– C’est un poilu! Vient-il de permission ou sort-il de l’ambulance?

– Retourne-t-il au dépôt pour repartir sur le front?»

Enfin, c’était un tas de plaisanteries qui m’amusaient beaucoup et je remarquais que maman et Tantine Berthe souriaient.

Ah! ce n’était pas le voyage triste que nous avions fait en allant à Montbrison.

Enfin, grâce à Pierre, on nous installa dans un compartiment de deuxième classe, bien que nous ayons des billets de troisième, et Phœbus s’est assis près de Barbe qui tenait Francine dans ses bras.

Il y avait une très grosse dame avec ses deux filles et deux Anglaises. Celles-ci ne disaient rien. Quant à la grosse dame, elle voulut tout de suite connaître l’histoire de Phœbus, avant la nôtre. Elle se mit à déclarer avec enthousiasme qu’elle n’avait jamais vu un chien semblable, que ses aventures étaient surprenantes et très touchantes et qu’elle voudrait bien caresser cette bête extraordinaire. Je dis à Phœbus de donner sa patte à cette excellente dame. Phœbus immédiatement lui tendit sa fausse patte en lui léchant la main.

«Mon Dieu! mon Dieu! s’écriait-elle, dire que je voyage avec un chien héros!»

Quand elle sut que Madeleine était partie de Louvain le lendemain de l’arrivée des Allemands, elle sembla absolument bouleversée et s’écria:

«Ah! mais nous les tiendrons, soyez sûres que nous les tiendrons!»

Elle nous offrit ensuite de partager son déjeuner avec nous. Maman lui dit que nous avions aussi des provisions. Mais elle voulut absolument donner à Barbe et à moi des gâteaux aux amandes qu’elle avait faits elle-même. Elle en fit manger un tout entier à Phœbus.

Maman lui demanda si elle avait des fils à la guerre.

«Moi, madame, j’ai cinq fils qui se battent, et mon mari dirige un atelier où l’on fabrique des obus. Deux de mes garçons ont été décorés de la Légion d’honneur sur le champ de bataille, le troisième a reçu la médaille militaire, le quatrième est grièvement blessé et le dernier est prisonnier! C’est le quatrième que je vais voir au Havre. Il y a tant de Françaises cruellement frappées que je pense que je suis heureuse de les avoir tous encore vivants!»

Nous sommes enfin arrivées au Havre. Nous perdions la tête, tant nous étions émues. Les mains de Tantine tremblaient en essayant de prendre les paquets; quant à maman, elle était toute pâle. Pourtant, elle souriait. La grosse dame nous aida à descendre de wagon. Sur le quai, il y avait une foule de voyageurs, on pouvait à peine circuler. Tout à coup, je me trouvai dans les bras d’un grand monsieur qui était mon papa et qui m’embrassait en disant:

«Ma petite Noémie, ma petite Noémie!»

Et puis Phœbus sauta sur les épaules de papa, lui lécha la figure, lui renversa son chapeau, enfin ce fut un brouhaha terrible, parce que Barbe se mit à pousser des cris de joie pendant que Madeleine embrassait papa sur une joue, et maman sur l’autre.

Tantine seule restait calme.

Papa nous a conduites à l’écart, dans un endroit où il y avait moins de monde. Il s’assit; il semblait ne plus pouvoir se tenir debout. Il avait Barbe dans ses bras, moi contre lui et Phœbus à ses pieds. Madeleine le regardait tranquillement. Elle semblait dire:

«Eh bien! maintenant, je suis contente, je suis de nouveau avec lui.»

«Et Désiré, demanda maman, as-tu de ses nouvelles?»

Papa soupira et dit:

«Le pauvre Désiré a été grièvement blessé au genou et dans le dos. Il n’est plus en danger et on espère pouvoir lui conserver sa jambe. Il est ici à l’ambulance de…

– Mon Dieu, dit maman, allons vite vers lui.»

Pauvre Tantine, elle était très agitée en pensant que Désiré était en danger, et moi et Madeleine nous avions le cœur bien gros.

Papa regarda Phœbus et s’écria:

«Mais, mon vieux Phœbus, tu as donc une patte qui est devenue plus noire que les autres?

– Papa, tu ne sais donc pas que Phœbus a perdu sa jambe à la guerre et qu’on lui en a remis une autre à Lyon et qu’il a reçu la médaille de guerre!»

Papa riait en caressant Phœbus. Non, il ne savait pas, il ne savait rien! Comme nous avions des choses à nous dire!

Depuis que nous avons retrouvé papa, Phœbus ne veut plus le lâcher d’une minute; il le suit pas à pas. Au commencement, nous voulions le garder avec nous à la maison, mais, impossible. Il se sauvait et arrivait toujours à rejoindre son bon maître. Par convenance, papa ne voulait pas de lui au bureau. Aussi, le premier jour, nous l’avions enfermé. Il n’a pas cessé d’aboyer, ç’a été affreux; le second jour, il s’est mis devant la porte, et quand nous avons voulu le saisir il est parti; papa a vite couru et Phœbus l’a rattrapé. Alors, maintenant, il va avec lui, se met à ses pieds sous son bureau et ne bouge plus. Du reste, tout le monde le connaît. On lui ouvre les portes, on lui parle et il y a même des gens qui lui donnent des lettres à porter à papa.

Les bureaux du gouvernement belge sont gardés par des officiers et des soldats. Phœbus est leur ami à tous. On lui a appris à grogner quand on prononce le mot: Boche. Il hérisse ses poils et saute en fureur, c’est drôle comme tout.

Pierre s’amuse quelquefois à dire d’un ton indifférent:

«Tiens, ça sent le Boche ici!»

Phœbus se met à aboyer si furieusement que nous sommes obligés de le faire taire.

Il y a beaucoup de prisonniers boches au Havre. Ils sont sur des bateaux et gardés par des soldats en convalescence qui ont été blessés. Quand ils reviennent des quais où ils déchargent des bateaux, spécialement du matériel de guerre, on cherche à les voir, mais il faut des autorisations, car on leur dirait des injures. Un jour nous sommes parvenus sur le quai. Quelques-uns ont un air arrogant, surtout les officiers. Pierre se contient devant eux parce qu’il trouve que les Français doivent être magnanimes avec l’ennemi. Mais quelle vie nous avons eue avec Phœbus! Nous ne pouvions imaginer qu’il aurait une telle rage en voyant les Boches. Heureusement que papa était avec nous, car il n’y a qu’à lui qu’il obéit un peu.

Pierre cria tout à coup:

«Tiens voilà les prisonniers boches; courons pour les voir.»

Papa n’a pas voulu marcher plus vite, il s’est arrêté simplement; il me donnait la main, de l’autre il tenait Barbe. Phœbus, ne sachant pourquoi, s’était assis tranquillement sur son derrière comme il fait toujours quand nous restons en place.

Tout à coup, les Boches débouchent en face de nous. Phœbus lève la tête, ses poils se hérissent et il bondit en avant. Papa a juste le temps de l’appeler et de le saisir par son collier. Mais il a eu toutes les peines du monde à le tenir. Alors, nous sommes partis et Phœbus s’est calmé, mais en continuant de grogner pendant longtemps.

Barbe le prenait par le cou, en mettant sa poupée à cheval sur son dos, et lui expliquait qu’il fallait être raisonnable et ne pas aboyer. Je l’écoutais, elle lui répétait mot pour mot ce que Tantine lui avait dit à propos d’un caprice qu’elle avait eu dernièrement.

Nous avons revu Louis Gersen, l’artilleur conducteur de chiens avec qui Phœbus a fait la guerre. Il a été très grièvement blessé et il a été soigné à l’ambulance où Madeleine va chaque jour. Il a été très heureux de revoir Phœbus, «son premier compagnon de guerre».

Pierre taquine souvent Madeleine à propos de Louis Gersen. La première fois, elle a seulement rougi et nous avons bien ri, et puis j’ai vu que cela faisait de la peine à Madeleine. Alors j’ai dit à Pierre de ne plus la contrarier.

Nous voici installés pour le moment au Havre, en attendant de retourner dans notre cher Louvain. Papa a un emploi au siège du gouvernement belge; il y passe toutes ses journées, et souvent le soir il rapporte du travail à faire.

Tantine reste à la maison avec Barbe, tandis que je vais à l’école.

Maman et Madeleine sont dans un atelier où l’on confectionne des vêtements militaires.

Nous habitons dans une jolie petite villa située entre Sainte-Adresse et le Havre, boulevard du Roi-Albert, de façon à être tout près des bureaux de papa. Nous vivons avec M. et Mme Mase et Pierre. Nous prenons nos repas tous ensemble. C’est Tantine Berthe et Mme Mase qui s’occupent du ménage, car nous n’avons qu’une servante pour faire les gros ouvrages et, comme dit maman, il y a tant de choses à raccommoder avec les enfants! Nous cousons bien un peu, mais nous n’avons pas beaucoup de temps. Le dimanche nous sortons quelquefois avec papa; c’est assez rare que nous ayons ce plaisir, car il va quelquefois à la Panne où sont le Roi et la Reine des Belges, pour porter des rapports ou recevoir des ordres. Nous allons aussi le dimanche dans un refuge où l’on abrite des Belges. Maman et Madeleine font la soupe et s’occupent des petits enfants. Je suis encore trop petite pour être très utile, mais j’aide tout le monde à faire des commissions. Ce qui nous amuse le plus c’est de voir, dans les rues, une quantité d’Anglais qui se promènent. Ils ont l’air si gentils, si bons garçons avec leur canne à la main et leur petite pipe de bruyère! Pierre arrive toujours à leur parler, et bien qu’il ne sache pas l’anglais et que les soldats, eux, ne sachent pas le français, ils se comprennent et ont même de longues conversations ensemble.

Pierre est ici; son papa est toujours à l’usine de Harfleur et fabrique des canons. Il continue à avoir mal à la jambe; on craint qu’il ne puisse pas retourner sur le front; mais on n’ose pas le lui dire.

Désiré a pu conserver sa jambe, mais il boite et vient d’être réformé. Il a trouvé aussi un emploi dans les bureaux avec papa.

Maintenant que nous sommes de nouveau tous ensemble, notre vie va s’écouler sans que les événements soient assez intéressants pour les noter. Je veux aussi beaucoup travailler à l’école, parce que je suis avec des petites Françaises qui sont très intelligentes et que je désire de tout mon cœur m’instruire sur tout ce qui touche à la France.

Pierre est au lycée. Le soir, nous avons nos devoirs à faire. Je n’ai donc plus le temps d’écrire mon Journal. Mais quand nous reviendrons à Louvain et que nous serons de nouveau dans notre cher pays, si le directeur du Journal des Enfants pense que le récit de notre retour en Belgique peut encore toucher ceux que mon histoire a émus, je l’écrirai et je lui enverrai mon cahier.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
13 октября 2017
Объем:
180 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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