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Читать книгу: «Bouvard et Pécuchet», страница 17

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Puis, il y avait des silences, où chacun semblait plongé dans la recherche d'un problème. Napoléon III n'était plus un Sauveur, et même il donnait un exemple déplorable, en laissant aux Tuileries, les maçons travailler le dimanche.

– On ne devrait pas permettre était la phrase ordinaire de M. le Comte. Économie sociale, beaux-arts, littérature, histoire, doctrines scientifiques, il décidait de tout, en sa qualité de chrétien et de père de famille; – et plût à Dieu que le gouvernement à cet égard eût la même rigueur qu'il déployait dans sa maison. Le Pouvoir seul est juge des dangers de la science; répandue trop largement elle inspire au peuple des ambitions funestes. Il était plus heureux, ce pauvre peuple, quand les seigneurs et les évêques tempéraient l'absolutisme du roi. Les industriels maintenant l'exploitent. Il va tomber en esclavage!

Et tous regrettaient l'ancien régime, Hurel par bassesse, Coulon par ignorance, Marescot, comme artiste.

Bouvard une fois chez lui, se retrempait avec La Mettrie, d'Holbach, etc. – et Pécuchet s'éloigna d'une religion, devenue un moyen de gouvernement. M. de Mahurot avait communié pour séduire mieux ces dames et s'il pratiquait, c'était à cause des domestiques.

Mathématicien et dilettante, jouant des valses sur le piano, et admirateur de Topffer, il se distinguait par un scepticisme de bon goût; ce qu'on rapporte des abus féodaux, de l'Inquisition ou des Jésuites, préjugés, et il vantait le Progrès, bien qu'il méprisât tout ce qui n'était pas gentilhomme ou sorti de l'École Polytechnique.

M. Jeufroy, de même, leur déplaisait. Il croyait aux sortilèges, faisait des plaisanteries sur les idoles, affirmait que tous les idiomes sont dérivés de l'hébreu; sa rhétorique manquait d'imprévu; invariablement, c'était le cerf aux abois, le miel et l'absinthe, l'or et le plomb, des parfums, des urnes – et l'âme chrétienne, comparée au soldat qui doit dire en face du Péché: Tu ne passes pas!

Pour éviter ses conférences, ils arrivaient au château le plus tard possible.

Un jour pourtant, ils l'y trouvèrent.

Depuis une heure, il attendait ses deux élèves. Tout à coup Mme de

Noares entra.

– La petite a disparu. J'amène Victor. Ah! le malheureux.

Elle avait saisi dans sa poche, un dé d'argent perdu depuis trois jours, puis suffoquée par les sanglots: – Ce n'est pas tout! ce n'est pas tout! Pendant que je le grondais, il m'a montré son derrière! Et avant que le Comte et la Comtesse aient rien dit: Du reste, c'est de ma faute, pardonnez-moi!

Elle leur avait caché que les deux orphelins étaient les enfants de

Touache, maintenant au bagne.

Que faire?

Si le Comte les renvoyait, ils étaient perdus – et son acte de charité passerait pour un caprice.

M. Jeufroy ne fut pas surpris. L'homme étant corrompu naturellement il fallait le châtier pour l'améliorer.

Bouvard protesta. La douceur valait mieux.

Mais le Comte, encore une fois s'étendit sur le bras de fer, indispensable aux enfants, comme pour les peuples. Ces deux-là étaient pleins de vices, la petite fille menteuse, le gamin brutal. Ce vol, après tout on l'excuserait, l'insolence jamais, l'éducation devant être l'école du respect.

Donc Sorel, le garde-chasse, administrerait au jeune homme une bonne fessée immédiatement.

M. de Mahurot, qui avait à lui dire quelque chose, se chargea de la commission. Il prit un fusil dans l'antichambre et appela Victor, resté au milieu de la cour, la tête basse:

– Suis-moi dit le Baron.

Comme la route pour aller chez le garde, détournait peu de Chavignolles,

M. Jeufroy, Bouvard et Pécuchet l'accompagnèrent.

À cent pas du château, il les pria de ne plus parler, tant qu'il longerait le bois.

Le terrain dévalait jusqu'au bord de la rivière, où se dressaient de grands quartiers de roches. Elle faisait des plaques d'or sous le soleil couchant. En face les verdures des collines se couvraient d'ombre. Un air vif soufflait.

Des lapins sortirent de leurs terriers, et broutaient le gazon.

Un coup de feu partit, un deuxième, un autre, – et les lapins sautaient, déboulaient. Victor se jetait dessus pour les saisir, et haletait trempé de sueur.

– Tu arranges bien tes nippes dit le baron. – Sa blouse en loques avait du sang.

La vue du sang répugnait à Bouvard. Il n'admettait pas qu'on en pût verser.

M. Jeufroy reprit:

– Les circonstances quelquefois l'exigent. Si ce n'est pas le coupable qui donne le sien, il faut celui d'un autre, – vérité que nous enseigne la Rédemption.

Suivant Bouvard, elle n'avait guère servi, presque tous les hommes étant damnés, malgré le sacrifice de Notre-Seigneur.

– Mais quotidiennement, il le renouvelle dans l'Eucharistie.

– Et le miracle dit Pécuchet se fait avec des mots, quelle que soit l'indignité du Prêtre!

– Là est le mystère, monsieur!

Cependant Victor clouait ses yeux sur le fusil, tâchait même d'y toucher.

– À bas les pattes! Et M, de Mahurot prit un sentier sous bois.

L'ecclésiastique avait Pécuchet d'un côté, Bouvard de l'autre – et il lui dit:

– Attention, vous savez: Debetur pueris.

Bouvard l'assura qu'il s'humiliait devant le Créateur, mais était indigné qu'on en fît un homme. On redoute sa vengeance, on travaille pour sa gloire; il a toutes les vertus, un bras, un oeil, une politique, une habitation. Notre Père qui êtes aux cieux, qu'est-ce que cela veut dire?

Et Pécuchet ajouta:

– Le monde s'est élargi; la terre n'en fait plus le centre. Elle roule dans la multitude infinie de ses pareils. Beaucoup la dépassent en grandeur, et ce rapetissement de notre globe procure de Dieu un idéal plus sublime. Donc la Religion devait changer. Le Paradis est quelque chose d'enfantin avec ses bienheureux toujours contemplant, toujours chantant – et qui regardent d'en haut les tortures des damnés. Quand on songe que le christianisme a pour base une pomme!

Le curé se fâcha. – Niez la Révélation, ce sera plus simple.

– Comment voulez-vous que Dieu ait parlé? dit Bouvard.

– Prouvez qu'il n'a pas parlé! disait Jeufroy.

– Encore une fois, qui vous l'affirme?

– L'Église!

– Beau témoignage!

Cette discussion ennuyait M. de Mahurot; – et tout en marchant:

– Écoutez donc le curé! il en sait plus que vous!

Bouvard et Pécuchet se firent des signes pour prendre un autre chemin, puis à la Croix-Verte: – Bien le bonsoir.

– Serviteur dit le baron.

Tout cela serait conté à M. de Faverges; et peut-être qu'une rupture s'en suivrait? tant pis! Ils se sentaient méprisés par ces nobles; on ne les invitait jamais à dîner; et ils étaient las de Mme de Noares avec ses continuelles remontrances.

Ils ne pouvaient cependant garder le De Maistre; – et une quinzaine après ils retournèrent au château, croyant n'être pas reçus.

Ils le furent.

Toute la famille se trouvait dans le boudoir, Hurel y compris, et par extraordinaire Foureau.

La correction n'avait point corrigé Victor. Il refusait d'apprendre son catéchisme; et Victorine proférait des mots sales. Bref le garçon irait aux Jeunes Détenus, la petite fille dans un couvent. Foureau s'était chargé des démarches, et il s'en allait quand la Comtesse le rappela.

On attendait M. Jeufroy, pour fixer ensemble la date du mariage qui aurait lieu à la mairie, bien avant de se faire à l'église, afin de montrer que l'on honnissait le mariage civil.

Foureau tâcha de le défendre. Le Comte et Hurel l'attaquèrent. Qu'était une fonction municipale près d'un sacerdoce! – et le Baron ne se fût pas cru marié s'il l'eût été, seulement devant une écharpe tricolore.

– Bravo! dit M. Jeufroy, qui entrait. Le mariage étant établi par

Jésus…

Pécuchet l'arrêta. – Dans quel évangile? Aux temps apostoliques on le considérait si peu, que Tertulien le compare à l'adultère.

– Ah! par exemple!

– Mais oui! et ce n'est pas un sacrement! Il faut au sacrement un signe. Montrez-moi le signe, dans le mariage! Le curé eut beau répondre qu'il figurait l'alliance de Dieu avec l'Église. Vous ne comprenez plus le christianisme! et la Loi…

– Elle en garde l'empreinte dit M. de Faverges; sans lui, elle autoriserait la Polygamie!

Une voix répliqua: Où serait le mal?

C'était Bouvard, à demi caché par un rideau. On peut avoir plusieurs épouses, comme les patriarches, les mormons, les musulmans et néanmoins être honnête homme!

– Jamais s'écria le Prêtre! l'honnêteté consiste à rendre ce qui est dû. Nous devons hommage à Dieu. Or qui n'est pas chrétien, n'est pas honnête!

– Autant que d'autres dit Bouvard.

Le comte croyant voir dans cette repartie une atteinte à la Religion l'exalta. Elle avait affranchi les esclaves.

Bouvard fit des citations, prouvant le contraire:

– Saint Paul leur recommande d'obéir aux maîtres comme à Jésus. – Saint Ambroise nomme la servitude un don de Dieu. – Le Lévitique, l'Exode et les Conciles l'ont sanctionnée. – Bossuet la classe pari le droit des gens. – Et Mgr Bouvier l'approuve.

Le comte objecta que le christianisme, pas moins, avait développé la civilisation.

– Et la paresse, en faisant de la Pauvreté, une vertu!

– Cependant, monsieur, la morale de l'Évangile?

– Eh! eh! pas si morale! Les ouvriers de la dernière heure sont autant payés que ceux de la première. On donne à celui qui possède, et on retire à celui qui n'a pas. Quant au précepte de recevoir des soufflets sans les rendre et de se laisser voler, il encourage les audacieux, les poltrons et les coquins.

Le scandale redoubla, quand Pécuchet eut déclaré qu'il aimait autant le

Bouddhisme.

Le prêtre éclata de rire. – Ah! ah! ah! le Bouddhisme.

Mme de Noares leva les bras. – Le Bouddhisme!

– Comment, – le Bouddhisme? répétait le comte.

– Le connaissez-vous? dit Pécuchet à M. Jeufroy, qui s'embrouilla.

– Eh bien, sachez-le! mieux que le christianisme, et avant lui, il a reconnu le néant des choses terrestres. Ses pratiques sont austères, ses fidèles plus nombreux que tous les chrétiens, et pour l'incarnation, Vischnou n'en a pas une, mais neuf! Ainsi, jugez!

– Des mensonges de voyageurs dit Mme de Noares.

– Soutenus par les francs-maçons ajouta le curé.

Et tous parlant à la fois: – Allez donc – Continuez! – Fort joli! – Moi, je le trouve drôle – Pas possible si bien que Pécuchet exaspéré, déclara qu'il se ferait bouddhiste!

– Vous insultez des chrétiennes! dit le Baron. Mme de Noares s'affaissa dans un fauteuil. La Comtesse et Yolande se taisaient. Le comte roulait des yeux; Hurel attendait des ordres. L'abbé, pour se contenir, lisait son bréviaire.

Cet exemple apaisa M. de Faverges; et considérant les deux bonshommes: – Avant de blâmer l'Évangile, et quand on a des taches dans sa vie, il est certaines réparations…

– Des réparations?

– Des taches?

– Assez, messieurs! vous devez me comprendre! Puis s'adressant à Fourreau: Sorel est prévenu! Allez-y! Et Bouvard et Pécuchet se retirèrent sans saluer.

Au bout de l'avenue, ils exhalèrent tous les trois, leur ressentiment. On me traite en domestique grommelait Foureau; – et les autres l'approuvant, malgré le souvenir des hémorroïdes, il avait pour eux comme de la sympathie.

Des cantonniers travaillaient dans la campagne. L'homme qui les commandait se rapprocha; c'était Gorju. On se mit à causer. Il surveillait le cailloutage de la route votée en 1848, et devait cette place à M. de Mahurot, l'ingénieur, celui qui doit épouser Mlle de Faverges! Vous sortez de là-bas, sans doute?

– Pour la dernière fois! dit brutalement Pécuchet.

Gorju prit un air naïf. – Une brouille? tiens, tiens!

Et s'ils avaient pu voir sa mine, quand ils eurent tourné les talons, ils auraient compris qu'il en flairait la cause.

Un peu plus loin, ils s'arrêtèrent devant un enclos de treillage, qui contenait des loges à chien, et une maisonnette en tuiles rouges.

Victorine était sur le seuil. Des aboiements retentirent. La femme du garde parut.

Sachant pourquoi le maire venait, elle héla Victor.

Tout d'avance, était prêt, et leur trousseau dans deux mouchoirs, que fermaient des épingles. Bon voyage leur dit-elle, heureuse de n'avoir plus cette vermine!

Était-ce leur faute, s'ils étaient nés d'un père forçat! Au contraire ils semblaient très doux, ne s'inquiétaient pas même de l'endroit où on les menait.

Bouvard et Pécuchet les regardaient marcher devant eux.

Victorine chantonnait des paroles indistinctes, son foulard au bras, comme une modiste qui porte un carton. Elle se retournait quelquefois; et Pécuchet, devant ses frisettes blondes et sa gentille tournure, regrettait de n'avoir pas une enfant pareille. Élevée en d'autres conditions, elle serait charmante plus tard: quel bonheur que de la voir grandir, d'entendre tous les jours son ramage d'oiseau, quand il le voudrait de l'embrasser; – et un attendrissement, lui montant du coeur aux lèvres, humecta ses paupières, l'oppressait un peu.

Victor comme un soldat, s'était mis son bagage sur le dos. Il sifflait – jetait des pierres aux corneilles dans les sillons, allait sous les arbres, pour se couper des badines – Foureau le rappela; et Bouvard, en le retenant par la main jouissait de sentir dans la sienne ces doigts d'enfant robustes et vigoureux. Le pauvre petit diable ne demandait qu'à se développer librement, comme une fleur en plein air! et il pourrirait entre des murs avec des leçons, des punitions, un tas de bêtises! Bouvard fut saisi par une révolte de la pitié, une indignation contre le sort, une de ces rages où l'on veut détruire le gouvernement.

– Galope! dit-il. Amuse-toi! jouis de ton reste!

Le gamin s'échappa.

Sa soeur et lui coucheraient à l'auberge – et dès l'aube, le messager de

Falaise prendrait Victor pour le descendre au pénitencier de

Beaubourg – une religieuse de l'orphelinat de Grand-Camp emmènerait

Victorine.

Foureau, ayant donné ces détails, se replongea dans ses pensées. Mais Bouvard voulut savoir combien pouvait coûter l'entretien des deux mioches.

– Bah!.. L'affaire, peut-être, de trois cents francs! Le comte m'en a remis vingt-cinq pour les premiers débours! Quel pingre!

Et gardant sur le coeur, le mépris de son écharpe, Foureau hâtait le pas, silencieusement.

Bouvard murmura:

– Ils me font de la peine. Je m'en chargerais bien!

– Moi aussi dit Pécuchet, la même idée leur étant venue.

Il existait sans doute des empêchements?

– Aucun! répliqua Foureau. D'ailleurs il avait le droit comme maire de confier à qui bon lui semblait les enfants abandonnés. – Et après une longue hésitation: – Eh bien oui! prenez-les! ça le fera bisquer.

Bouvard et Pécuchet les emmenèrent.

En rentrant chez eux, ils trouvèrent au bas de l'escalier, sous la madone, Marcel à genoux, et qui priait avec ferveur. La tête renversée, les yeux demi clos, et dilatant son bec-de-lièvre, il avait l'air d'un fakir en extase.

– Quelle brute! dit Bouvard.

– Pourquoi? Il assiste peut-être à des choses que tu lui jalouserais si

tu pouvais les voir. N'y a-t-il pas deux mondes, tout à fait distincts?

L'objet d'un raisonnement a moins de valeur que la manière de raisonner.

Qu'importe la croyance! Le principal est de croire.

Telles furent à la remarque de Bouvard les objections de Pécuchet.

CHAPITRE X

Ils se procurèrent plusieurs ouvrages touchant l'Éducation – et leur système fut résolu. Il fallait bannir toute idée métaphysique, – et d'après la méthode expérimentale suivre le développement de la Nature. Rien ne pressait, les deux élèves devant oublier ce qu'ils avaient appris.

Bien qu'ils eussent un tempérament solide, Pécuchet voulait comme un Spartiate les endurcir encore, les accoutumer à la faim, à la soif, aux intempéries, et même qu'ils portassent des chaussures trouées afin de prévenir les rhumes. Bouvard s'y opposa.

Le cabinet noir au fond du corridor devint leur chambre à coucher. Elle avait pour meubles deux lits de sangle, deux cuvettes, un broc. L'oeil-de-boeuf s'ouvrait au-dessus de leur tête; et des araignées couraient le long du plâtre.

Souvent, ils se rappelaient l'intérieur d'une cabane où l'on se disputait. Une nuit, leur père était rentré avec du sang aux mains. Quelque temps après les gendarmes étaient venus. Ensuite ils avaient logé dans un bois. Des hommes qui faisaient des sabots embrassaient leur mère. Elle était morte; une charrette les avait emmenés; on les battait beaucoup, ils s'étaient perdus. Puis ils revoyaient le garde champêtre, Mme de Noares, Sorel, et sans se demander pourquoi cette autre maison, ils s'y trouvaient heureux. Aussi leur étonnement fut pénible quand au bout de huit mois les leçons recommencèrent.

Bouvard se chargea de la petite. Pécuchet du gamin.

Victor distinguait ses lettres, mais n'arrivait pas à former les syllabes. Il en bredouillait, s'arrêtait tout à coup, et avait l'air idiot. Victorine posait des questions. D'où vient que ch dans orchestre a le son d'un q et celui d'un k dans archéologie? On doit par moments joindre deux voyelles, d'autres fois les détacher. Tout cela n'est pas juste. Elle s'indignait.

Les maîtres professaient à la même heure; dans leurs chambres respectives – et la cloison étant mince, ces quatre voix, une flûtée, une profonde et deux aiguës composaient un charivari abominable. Pour en finir et stimuler les mioches par l'émulation, ils eurent l'idée de les faire travailler ensemble dans le muséum; et on aborda l'écriture.

Les deux élèves à chaque bout de la table copiaient un exemple. Mais la position du corps était mauvaise. Il les fallait redresser; leurs pages tombaient, les plumes se fendaient, l'encre se renversait.

Victorine en de certains jours, allait bien pendant cinq minutes puis traçait des griffonnages; et prise de découragement restait les yeux au plafond. Victor ne tardait pas à s'endormir, vautré au milieu du bureau.

Peut-être souffraient-ils? Une tension trop forte nuit aux jeunes cervelles. – Arrêtons-nous dit Bouvard.

Rien n'est stupide comme de faire apprendre par coeur; mais si on n'exerce pas la mémoire, elle s'atrophiera; – et ils leur serinèrent les premières fables de La Fontaine. Les enfants approuvaient la fourmi qui thésaurise, le loup qui mange l'agneau, le lion qui prend toutes les parts.

Devenus plus hardis, ils dévastaient le jardin. Mais quel amusement leur donner?

Jean-Jacques, dans Émile conseille au gouverneur de faire faire à l'élève ses jouets lui-même en l'aidant un peu, sans qu'il s'en doute. Bouvard ne put réussir à fabriquer un cerceau, Pécuchet à coudre une balle.

Ils passèrent aux jeux instructifs, tels que des découpures, un verre ardent. Pécuchet leur montra son microscope; – et la chandelle étant allumée, Bouvard dessinait avec l'ombre de ses doigts un lièvre ou un cochon sur la muraille. Le public s'en fatigua.

Des auteurs exaltent comme plaisir, un déjeuner champêtre, une partie de bateau; était-ce praticable, franchement? Fénelon recommande de temps à autre une conversation innocente. Impossible d'en imaginer une seule!

Ils revinrent aux leçons; et les boules à facettes, les rayures, le bureau typographique, tout avait échoué, quand ils avisèrent un stratagème.

Comme Victor était enclin à la gourmandise, on lui présentait le nom d'un plat: bientôt il lut couramment dans le Cuisinier français. Victorine étant coquette, une robe lui serait donnée, si pour l'avoir, elle écrivait à la couturière: en moins de trois semaines elle accomplit ce prodige. C'était courtiser leurs défauts, moyen pernicieux mais qui avait réussi.

Maintenant qu'ils savaient écrire et lire, que leur apprendre? Autre embarras. Les filles n'ont pas besoin d'être savantes comme les garçons. N'importe! on les élève ordinairement en véritables brutes, tout leur bagage se bornant à des sottises mystiques.

Convient-il de leur enseigner les langues? L'espagnol et l'italien prétend le Cygne de Cambrais ne servent qu'à lire des ouvrages dangereux. Un tel motif leur parut bête. Cependant Victorine n'aurait que faire de ces idiomes; tandis que l'anglais est d'un usage plus commun. Pécuchet en étudia les règles, et il démontrait, avec sérieux, la façon d'émettre le th comme cela, tiens – the, the, the!

Mais avant d'instruire un enfant, il faudrait connaître ses aptitudes. On les devine par la Phrénologie. Ils s'y plongèrent. Puis voulurent en vérifier les assertions sur leurs personnes. Bouvard présentait la bosse de la bienveillance, de l'imagination, de la vénération et celle de l'énergie amoureuse; vulgo: érotisme.

On sentait sur les temporaux de Pécuchet la philosophie et l'enthousiasme, joints à l'esprit de ruse.

Tels étaient leurs caractères.

Ce qui les surprit davantage, ce fut de reconnaître chez l'un comme l'autre le penchant à l'amitié; – et charmés de la découverte, ils s'embrassèrent avec attendrissement.

Leur examen, ensuite, porta sur Marcel.

Son plus grand défaut et qu'ils n'ignoraient pas, était un extrême appétit. Néanmoins, Bouvard et Pécuchet furent effrayés en constatant au-dessus du pavillon de l'oreille, à la hauteur de l'oeil, l'organe de l'alimentivité. Avec l'âge leur domestique deviendrait peut-être comme cette femme de la Salpêtrière, qui mangeait quotidiennement huit livres de pain, engloutit une fois douze potages – et une autre, soixante bols de café. Ils ne pourraient y suffire.

Les têtes de leurs élèves n'avaient rien de curieux. Ils s'y prenaient mal sans doute? Un moyen très simple développa leur expérience. Les jours de marché ils se faufilaient au milieu des paysans sur la Place, entre les sacs d'avoine, les paniers de fromages, les veaux, les chevaux, insensibles aux bousculades – et quand ils trouvaient un jeune garçon, avec son père, ils demandaient à lui palper le crâne dans un but scientifique.

Le plus grand nombre ne répondait même pas. D'autres croyant qu'il s'agissait d'une pommade pour la teigne refusaient vexés – quelques-uns par indifférence se laissaient emmener sous le porche de l'église, où l'on serait tranquille.

Un matin que Bouvard et Pécuchet commençaient leur manoeuvre le curé, tout à coup, parut; et voyant ce qu'ils faisaient accusa la phrénologie de pousser au matérialisme et au fatalisme. Le voleur, l'assassin, l'adultère, n'ont plus qu'à rejeter leurs crimes sur la faute de leurs bosses.

Bouvard objecta que l'organe prédispose à l'action, sans pourtant vous y contraindre. De ce qu'un homme a le germe d'un vice, rien ne prouve qu'il sera vicieux. Du reste, j'admire les orthodoxes; ils soutiennent les idées innées, et repoussent les penchants. Quelle contradiction!

Mais la Phrénologie, suivant M. Jeufroy, niait l'omnipotence divine, et il était malséant de la pratiquer à l'ombre du saint-lieu, en face même de l'autel. Retirez-vous! non! retirez-vous.

Ils s'établirent chez Ganot, le coiffeur. Pour vaincre toute hésitation Bouvard et Pécuchet allaient jusqu'à régaler les parents d'une barbe ou d'une frisure.

Le docteur, un après-midi vint s'y faire couper les cheveux. En s'asseyant dans le fauteuil, il aperçut reflétés par la glace, les deux phrénologues, qui promenaient leurs doigts sur des caboches d'enfant.

– Vous en êtes à ces bêtises-là? dit-il.

– Pourquoi, bêtises?

Vaucorbeil eut un sourire méprisant; puis affirma qu'il n'y avait point dans le cerveau plusieurs organes. Ainsi, tel homme digère un aliment que ne digère pas tel autre. Faut-il supposer dans l'estomac autant d'estomacs qu'il s'y trouve de goûts?

Cependant, un travail délasse d'un autre, un effort intellectuel ne tend pas à la fois, toutes les facultés. Chacune a donc un siège distinct.

– Les anatomistes ne l'ont pas rencontré dit Vaucorbeil.

– C'est qu'ils ont mal disséqué reprit Pécuchet.

– Comment?

– Eh! oui! Ils coupent des tranches, sans égard à la connexion des parties, phrase d'un livre – qu'il se rappelait. Voilà une balourdise! s'écria le médecin. Le crâne ne se moule pas sur le cerveau, l'extérieur sur l'intérieur. Gall se trompe et je vous défie de légitimer sa doctrine, en prenant au hasard, trois personnes dans la boutique.

La première était une paysanne, avec de gros yeux bleus.

Pécuchet, dit en l'observant:

– Elle a beaucoup de mémoire.

Son mari attesta le fait, et s'offrit lui-même à l'exploration.

– Oh! vous mon brave, on vous conduit difficilement.

D'après les autres il n'y avait point dans le monde un pareil têtu.

La troisième épreuve se fit sur un gamin escorté de sa grand-mère.

Pécuchet déclara qu'il devait chérir la musique.

– Je crois bien! dit la bonne femme montre à ces messieurs pour voir!

Il tira de sa blouse une guimbarde – et se mit à souffler dedans. Un fracas s'éleva. C'était la porte, claquée violemment par le docteur qui s'en allait.

Ils ne doutèrent plus d'eux-mêmes, et appelant les deux élèves recommencèrent l'analyse de leur boîte osseuse.

Celle de Victorine était généralement unie, marque de pondération – mais son frère avait un crâne déplorable! une éminence très forte dans l'angle mastoïdien des pariétaux indiquait l'organe de la destruction, du meurtre; – et plus bas, un renflement était le signe de la convoitise, du vol. Bouvard et Pécuchet en furent attristés pendant huit jours.

Il faudrait comprendre le sens des mots; ce qu'on appelle la combativité implique le dédain de la mort. S'il fait des homicides, il peut de même produire des sauvetages. L'acquisivité englobe le tact des filous et l'ardeur des commerçants. L'irrévérence est parallèle à l'esprit de critique, la ruse à la circonspection. Toujours un instinct se dédouble en deux parties, une mauvaise, une bonne; on détruira la seconde en cultivant la première; et par cette méthode, un enfant audacieux, loin d'être un bandit deviendra un général. Le lâche n'aura seulement que de la prudence, l'avare de l'économie, le prodigue de la générosité.

Un rêve magnifique les occupa; s'ils menaient à bien l'éducation de leurs élèves, ils fonderaient un établissement ayant pour but de redresser l'intelligence, dompter les caractères, ennoblir le coeur. Déjà ils parlaient des souscriptions et de la bâtisse.

Leur triomphe chez Ganot les avait rendus célèbres – et des gens les venaient consulter, afin qu'on leur dise leurs chances de fortune.

Il en défila de toutes les espèces: crânes en boule, en poire, en pains de sucre, de carrés, d'élevés, de resserrés, d'aplatis, avec des mâchoires de boeuf, des figures d'oiseau, des yeux de cochon – Tant de monde gênait le perruquier dans son travail. Les coudes frôlaient l'armoire à vitres contenant la parfumerie, on dérangeait les peignes, le lavabo fut brisé; – et il flanqua dehors tous les amateurs, en priant Bouvard et Pécuchet de les suivre, ultimatum qu'ils acceptèrent sans murmurer, étant un peu fatigués de la cranioscopie.

Le lendemain, comme ils passaient devant le jardinet du capitaine, ils aperçurent causant avec lui Girbal, Coulon, le garde champêtre, et son fils cadet Zéphyrin, habillé en enfant de choeur. Sa robe était toute neuve, il se promenait dessous avant de la remettre dans la sacristie – et on le complimentait.

Placquevent pria ces Messieurs de palper son jeune homme, curieux de savoir ce qu'ils penseraient.

La peau du front avait l'air comme tendue; un nez mince, très cartilagineux du bout, tombait obliquement sur des lèvres pincées; le menton était pointu, le regard fuyant, l'épaule droite trop haute.

– Retire ta calotte lui dit son père.

Bouvard glissa les mains dans sa chevelure couleur de paille; puis ce fut le tour de Pécuchet; et ils se communiquaient à voix basse leurs observations.

– Biophilie manifeste. Ah! ah! l'approbativité! Conscienciosité absente!

Amativité nulle!

– Eh bien? dit le garde champêtre.

Pécuchet ouvrit sa tabatière, et huma une prise.

– Rien de bon! hein?

– Ma foi répliqua Bouvard ce n'est guère fameux.

Placquevent rougit d'humiliation. – Il fera, tout de même, ma volonté.

– Oh! oh!

– Mais je suis son père, nom de Dieu, et j'ai bien le droit!..

– Dans une certaine mesure reprit Pécuchet.

Girbal s'en mêla:

– L'autorité paternelle est incontestable.

– Mais si le père est un idiot?

– N'importe dit le Capitaine son pouvoir n'en est pas moins absolu.

– Dans l'intérêt des enfants ajouta Coulon.

D'après Bouvard et Pécuchet, ils ne devaient rien aux auteurs de leurs jours, et les parents, au contraire, leur doivent la nourriture, l'instruction, des prévenances, enfin tout!

Les bourgeois se récrièrent devant cette opinion immorale. Placquevent en était blessé comme d'une injure.

– Avec cela, ils sont jolis, ceux que vous ramassez sur les grandes routes! ils iront loin! Prenez garde.

– Garde à quoi? dit aigrement Pécuchet.

– Oh! je n'ai pas peur de vous!

– Ni moi, non plus.

Coulon intervint, modéra le garde champêtre, et le fit s'éloigner.

Pendant quelques minutes on resta silencieux. Puis il fut question des dahlias du capitaine qui ne lâcha point son monde, sans les avoir exhibés l'un après l'autre.

Bouvard et Pécuchet rejoignaient leur domicile, quand à cent pas devant eux, ils distinguèrent Placquevent, et Zéphyrin près de lui, levait le coude en manière de bouclier pour se garantir des gifles.

Ce qu'ils venaient d'entendre exprimait sous d'autres formes les idées de M. le comte; mais l'exemple de leurs élèves témoignerait combien la liberté l'emporte sur la contrainte. Un peu de Discipline était cependant nécessaire.

Pécuchet cloua dans le muséum un tableau pour les démonstrations; on tiendrait un journal où les actions de l'enfant notées le soir seraient relues le lendemain. Tout s'accomplirait au son de la cloche. Comme Dupont de Nemours, ils useraient de l'injonction paternelle d'abord, puis de l'injonction militaire et le tutoiement fut interdit.

Bouvard tâcha d'apprendre le calcul à Victorine. Quelquefois, il se trompait; ils en riaient l'un et l'autre; puis le baisant sur le cou, à la place qui n'a pas de barbe, elle demandait à s'en aller; il la laissait partir.

Pécuchet aux heures des leçons avait beau tirer la cloche, et crier par la fenêtre l'injonction militaire, le gamin n'arrivait pas. Ses chaussettes lui pendaient toujours sur les chevilles; à table même, il se fourrait les doigts dans le nez, et ne retenait point ses gaz. Broussais là-dessus défend les réprimandes; car il faut obéir aux sollicitations d'un instinct conservateur.

Victorine et lui, employaient un affreux langage, disant mé itou pour moi aussi, bère pour boire, al pour elle, un deventiau, de l'iau; mais comme la grammaire ne peut être comprise des enfants, – et qu'ils la sauront s'ils entendent parler correctement, les deux bonshommes surveillaient leurs discours jusqu'à en être incommodés.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
350 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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