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Читать книгу: «Souvenirs de Charles-Henri Baron de Gleichen»

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AVERTISSEMENT

L a duchesse de Choiseul, qui nous est aujourd'hui si bien connue, a passionnément aimé son mari, nous le savons, et elle n'a jamais aimé que lui, on peut le croire sans témérité. Mais elle se laissait volontiers admirer, adorer, aimer, car elle inspirait à tous ceux qui l'approchaient et qui étaient touchés de sa beauté et de ses vertus, des sentiments qui, pour n'oser s'avouer hautement et se déguiser sous les noms honnêtes d'amitié et de dévouement, ressemblaient à ce que l'on est convenu d'appeler de l'amour. Parmi ces amoureux discrets et délicats se distinguait un étranger, un allemand, le baron de Gleichen, dont il est si souvent fait mention dans les lettres de Mme du Deffand et de la duchesse de Choiseul. Nul ne fut plus que lui, si on excepte l'abbé Barthélemy, sous le charme des attraits irrésistibles de cette femme autant estimable qu'aimable, qui avait toutes les vertus ou peu s'en faut, cela n'est pas douteux, et qui pourtant n'était pas chrétienne, avouons-le au risque de déplaire à ses adorateurs de ce temps-ci.

J'ai ouï dire à de très-bons juges qui, par pure ignorance, ne rendaient pas justice au duc de Choiseul, qu'il était impossible qu'un mari si tendrement aimé par une femme si parfaite ne fût pas estimable. Le duc de Choiseul, quoique, hélas! bien souvent infidèle, était digne de tant d'amour; on n'inspire pas des sentiments tout à la fois si tendres et si passionnés sans les mériter. L'abbé Barthélemy, cet ami si dévoué, s'il vit dans la mémoire des hommes, ce n'est pas pour avoir écrit le Jeune Anacharsis et avoir su le phénicien, c'est uniquement à cause de l'affection qu'avait pour lui la duchesse de Choiseul, et du culte qu'il lui avait voué. Après le grand abbé, Gleichen est sûrement celui qui a le plus aimé la duchesse de Choiseul, et c'est lui sans contredit qui a fait de cette femme rare le portrait le plus ressemblant et aussi le plus flatteur. En revanche, elle lui a donné des marques de la plus véritable affection, et pour le conserver auprès d'elle, dans sa société de tous les jours, le duc de Choiseul, à sa prière, a fait et tenté des choses impossibles.

Barthélemy et Gleichen ont été incontestablement les deux amis que la duchesse de Choiseul a le plus particulièrement distingués, et à qui elle a été le plus attachée. Cette recommandation a suffi pour faire revivre le nom de Barthélemy, déjà tombé dans l'oubli: qu'elle sauve du même naufrage la mémoire de Gleichen, qui mérite aussi bien d'être un peu connu pour lui-même, et à qui ses modestes Souvenirs assurent une place honorable parmi les chroniqueurs de la seconde moitié du dix-huitième siècle.

Charles-Henri de Gleichen naquit en 1735 à Nemersdorf, auprès de Bayreuth. Son père, dont il était l'unique fils, était grand veneur de cette petite cour. Gleichen reçut sa première éducation dans la maison paternelle, et en 1750 il fut envoyé à l'université de Leipsig. Il y connut le poëte Gellert, qui fut vraisemblablement un de ses maîtres, et à qui il inspira une vive amitié. En 1752, Gleichen était de retour à Bayreuth, et il fut admis dans la maison du margrave en qualité de gentilhomme de la chambre. L'année suivante, il alla à Paris achever son éducation: il paraît avoir surtout fréquenté le salon de Mme de Graffigny. En 1755, Gleichen accompagna le margrave de Bayreuth et sa femme en Italie, et le 21 août de la même année, il fut attaché à la personne de la margrave en qualité de chambellan. Cette femme d'un mérite si distingué, digne sœur de Frédéric, honorait Gleichen d'une confiance toute particulière. Elle le renvoya en 1756 en Italie.

Voici deux lettres qu'elle lui écrivait:

Bayreuth, le 9 avril 1756.

«J'ai eu le plaisir, monsieur, de recevoir votre lettre. Tout ce que vous me dites de beau de Rome me fait venir l'eau à la bouche. Est-il possible qu'on puisse avoir des vapeurs, quand on est au paradis? Cependant vous mandez au marquis d'Adhémar que vous en êtes tourmenté. J'espère qu'elles vous donneront trêve à l'avenir et que j'aurai plus souvent de vos nouvelles.

«Après avoir passé le plus triste hiver du monde par rapport à ma santé, j'ai fini par prendre une fausse pleurésie. Comme je suis encore si languissante, je ne crois pas de longtemps me tirer d'affaire. J'en viens à nos commissions:

«Je vous laisse entièrement le maître de mes trésors, et d'en acheter tout ce qu'il vous plaira. Le diable règne beaucoup chez moi à force de retrancher sur mes charmes. Je vous envoie 200 sequins, que vous pourrez employer à votre plaisir, pour ce que vous trouverez de plus beau. Je vous prie de faire en sorte que Pompée Battoni finisse le tableau du margrave, et qu'il soit envoyé tout de suite. Pour ce qui est du portrait du duc et de ma fille, je ferai écrire à Stuttgard.

«Je trouve comme vous que le modèle de la Flore est extrêmement cher.

«Je vous prie de faire mes excuses au prélat Marcolini de ce que je ne lui ai point répondu, et de dire au prélat Emaldi que ma tabatière partira incessamment, et que c'est le peintre qui en a retardé l'envoi.

«Le service de porcelaine pour le cardinal Valenti est parti le 5 de ce mois. Je vous adresse la lettre. Mandez-moi si La Condamine est encore à Rome, et en ce cas faites-lui bien mes compliments. Dites-lui que mon portrait va être commencé, et soyez persuadé de ma parfaite estime, monsieur.

«Votre très-affectionnée

«Wilhelmine.»
A Bayreuth, le 18 avril 1756.

«J'ai eu un plaisir infini, monsieur, en lisant votre relation, et j'en aurai encore plus, si vous voulez bien la continuer. Tout ce qui renouvelle les idées de mon voyage me récrée l'esprit. Vous devez m'avoir bien des obligations de vous avoir renvoyé au charmant séjour où vous êtes.

«Si l'on m'y veut un peu de bien, je le mérite par le tendre amour que j'ai pour ce paradis. Faites, je vous prie, bien des compliments à tous ceux qui se souviennent de moi, et surtout aux cardinaux de la maison Corsini, dont vous ne me dites rien, et à M. de Stainville.

«J'aurais été charmée si M. de Canillac avait reçu le chapeau de cardinal. Je vous adresse deux lettres. Vous n'avez pas besoin de recommandations. Si je vous en donne, c'est plutôt par une marque de mon estime que par toute autre raison. Soyez persuadé, monsieur, que je tâcherai de vous en convaincre en toute occasion.

«Wilhelmine.»

P. S. Je suis encore très-malade, et j'ignore si je relèverai de cette maladie, ou non. La tabatière de M. le prélat Emaldi est partie. Il m'a été impossible de dicter plus longtemps.

Gleichen resta en Italie jusqu'après la mort de la margrave, qui arriva le 14 octobre 1758. Il revint en passant par Avignon et Genève, et il s'arrêta pour faire aux Délices une visite à Voltaire, qu'il avait déjà vu à Bayreuth en 1753. Pendant son séjour à Rome, Gleichen avait connu l'ambassadeur de France, le comte de Stainville, et avait été admis dans sa familiarité. Vers la fin de 1758, le comte de Stainville était devenu duc de Choiseul et ministre des affaires étrangères en France, à la place du cardinal de Bernis. Le margrave de Bayreuth avait à réclamer le payement des subsides que la France lui avait promis pour prix de sa neutralité, et on ne s'empressait guères, paraît-il, de faire droit à ses justes réclamations. Il semble que le duc de Choiseul lui fit dire qu'il lui serait agréable d'avoir à traiter de cette affaire avec le baron de Gleichen. Cette insinuation fut un ordre, et Gleichen retourna à Paris chargé de cette commission: on peut soupçonner pourtant qu'il aurait souhaité un autre emploi. Voici ce que lui écrivait à ce sujet la duchesse de Choiseul:

«Je suis bien aise, monsieur le baron, que vous ayez eu des preuves de l'intérêt que M. de Choiseul et moi prenons à vous. J'ai bien senti cependant que ce que nous avons demandé, que vous fussiez employé par le margrave en France, n'était pas ce qui devait vous être le plus agréable, mais je ne crois pas que ce soit ce qui doive vous être le moins utile. C'est toujours un commencement, et commencer, dans toutes les affaires, est toujours l'opération la plus difficile: l'impulsion une fois donnée, c'est au talent à la conduire où il veut.»

Gleichen ne resta que neuf mois en France1, car le margrave de Bayreuth était un trop petit prince pour avoir un envoyé accrédité près la cour de Versailles. Le duc et la duchesse de Choiseul désiraient pourtant que Gleichen fût fixé à Paris. Le roi de Danemark avait des intérêts à ménager à la cour de Versailles; il lui était dû aussi de grosses sommes pour des subsides que la France lui avaient promis, et qu'elle ne lui payait pas. Le duc de Choiseul fit savoir à Copenhague que les intérêts du Danemark ne pourraient être confiés en de meilleures mains qu'en celles de Gleichen, et que si on voulait à la fois lui être agréable et faire chose utile, il n'y avait pour le roi de Danemark qu'à prendre à son service le baron de Gleichen. La négociation ne fut pas longue. De son côté, le margrave de Bayreuth s'empressa de donner à Gleichen la permission d'entrer au service du Danemark, et aurait-il pu la refuser après avoir reçu la lettre qu'on va lire:

«Mon cousin, le baron de Gleichen, votre ministre, m'a rendu sa personne si agréable, pendant le séjour qu'il a fait à ma cour, que je n'ai pu me dispenser de m'intéresser à son avancement, et vous savoir gré de la permission que vous lui avez donnée d'entrer au service du roi de Danemark. Je suis très-sensible aux nouveaux témoignages que vous me donnez de votre attachement à cette occasion. Je connais trop l'élévation de vos sentiments, pour n'y pas prendre une entière confiance, et vous ne devez pas douter que je n'y réponde par ceux de la plus haute estime et de la plus sincère affection pour vous. Sur ce, je prie Dieu, qu'il vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde.

«Écrit à Versailles, le 29 août 1759.

«Louis.»

Le margrave de Bayreuth ne se borna pas à autoriser Gleichen à quitter son service: il lui accorda une pension de mille thalers. Il est vrai que cette pension fut payée peu régulièrement, et, en 1767, il ne fallut pas moins que l'intervention du duc de Choiseul pour faire toucher à Gleichen l'arriéré de plusieurs années.

Voici en quels termes le comte de Moltke, grand maréchal de la cour de Danemark, et favori du roi, écrivait à Gleichen, le 21 août 1759:

«L'empressement avec lequel je me suis porté à apprécier l'ouverture que M. le duc de Choiseul a faite de votre part, il y a quelque temps, du dessein que vous avez d'entrer au service du roi, ne vous laissera aucun doute sur la satisfaction que je ressens, de ce que Sa Majesté a daigné déférer à vos souhaits. Elle a balancé d'autant moins à cet égard que les mérites que vous possédez, et dont elle est très-bien informée, lui ont donné pour vous, monsieur, beaucoup d'estime, et que d'ailleurs elle a été fort aise d'avoir pu faire voir, en cette occasion, de quel poids est auprès d'elle la recommandation de M. de Choiseul.»

Gleichen ne tarda pas à se rendre à Copenhague pour présenter ses devoirs à son nouveau maître. Mais ce n'était pas pour rester dans ce triste séjour qu'il avait renoncé à son pays. On peut juger de son désappointement par la lettre qu'il adressait bientôt après son arrivée en Danemark à la duchesse de Choiseul:

«Ah! madame, qu'il fait froid à Copenhague: je suis un homme gelé, si vous ne daignez pas vous souvenir que vous m'avez promis de dire à chaque courrier un mot pour moi à M. le duc, pour qu'il en dise un autre à M. de Bernstorff. Si vous saviez, madame, combien il fait froid à Copenhague, vous auriez pitié de moi, et de là il résulterait peut-être que dans peu j'aurais plus chaud. J'ai l'imagination glacée en pensant à l'hiver prochain, et il en arrivera pis à toute ma personne, si le peu de froid qu'on sent à Paris ne vous fait penser à celui dont on souffre ici. On a même raffiné sur le supplice d'hiver dans ce pays-ci. Parce qu'on n'est qu'à demi-chemin pour aller à la mer Glaciale, il n'est pas d'usage de porter des fourrures. J'en grelotte! Dussé-je être envoyé en Russie, au moins je pourrais m'y fourrer jusqu'aux dents. Pardon de ma lettre à la glace. Je finis, madame, en faisant des vœux pour que ma lettre ne vous gèle pas, et en vous assurant de mon éternelle reconnaissance et de mon profond respect. Je ne vous parle pas de mon ennui, c'est un chapitre à part, que je traite dans une lettre à l'abbé, et dont il doit vous rendre compte.»

Voici la lettre que Gleichen adressait dans le même temps à l'abbé Barthélemy:

«Je suis consolé, mon cher abbé, à peu près comme Job l'était par ses amis, et tous les miens me disent: «Tu l'as voulu, George Dandin!» J'ai tort, mais ce n'est pas de m'ennuyer horriblement ici, c'est d'avoir voulu venir dans un pays si ennuyeux. Toutefois, pouvais-je prévoir un mal qu'on ne connaît véritablement qu'ici? L'ennui y est aussi épais que l'eau qu'on y boit et l'air qu'on y respire. Hors d'ici, on ne s'ennuie que par raffinement, cela n'approche pas même de nos plaisirs. Il n'y a que les femmes que je trouve charmantes dans ce pays. On est dispensé de toute sorte de galanterie à leur égard; aussi sont-elles d'une sagesse extrême, prudes, bégueules, maussades et froides. Voici à peu près les discours les plus éloquents que m'a tenus la dame la plus coquette de Copenhague, celle qui donne le ton aux autres: Monsieur est ici depuis peu, j'espère; Monsieur a pris maison, j'espère; Monsieur joue gros jeu, j'espère; au quadrille, j'espère; Monsieur y perd son argent, j'espère; Monsieur aura la fièvre, j'espère. Et oui, morbleu! mes dames, monsieur crèvera, j'espère, s'il ne sort pas bientôt d'ici.»

La duchesse de Choiseul essayait de consoler le pauvre Gleichen, tombé de Charybde en Scylla, et cherchait à lui faire prendre patience. Elle lui écrivait:

«Votre imagination, monsieur le baron, vous forme des fantômes auxquels vous ne donnez l'être que pour vous déchirer le sein; je souffre des maux qu'ils vous causent et je voudrais bien y parer, mais il n'appartient qu'à Hercule seul de vaincre la chimère. Ce n'est pas comme ceux qui ne partageraient ni vos inquiétudes ni vos embarras, que je vous engage à la patience et au courage; c'est comme un moyen de diminuer vos malheurs; le désespoir aveugle et le courage éclaire. N'abandonnez pas votre âme, calmez votre imagination, servez-vous de la justesse de votre esprit pour apprécier les choses à leur juste valeur; n'appelez pas malheur ce qui n'est souvent qu'une suite des contrariétés ordinaires de la vie: c'est en luttant contre elles que le courage les surmonte; vous croirez peut-être que l'habitude du bonheur m'a ôté l'idée du malheur, ou la sensibilité pour les malheureux, non, monsieur; vous vous tromperiez, mais sachez qu'il n'est impossible à personne de n'être pas malheureux, et croyez en même temps, qu'il n'est pas plus impossible d'être heureux. Pour vous convaincre de cette vérité, examinez les hommes, et vous verrez qu'à l'exception d'un fort petit nombre, c'est à leur moral qu'ils doivent le bonheur dont ils jouissent, ou le malheur qui les opprime.

«N'allez pas, je vous prie, vous imaginer, monsieur le baron, que ces réflexions soient des préceptes que je vous donne; je ne fais que vous rappeler au besoin ce que vous avez sans doute pensé autrefois. Dieu nous garde de ces censeurs sévères qui veulent nous rendre insensibles à tout événement. Je vous dis au contraire: dépitez-vous, s'il le faut, contre les contrariétés de la fortune; soyez ce que vous êtes, mais laissez ensuite la raison reprendre ses droits; et ce conseil n'est que pour vous marquer l'intérêt que je prends à ce que vous souffrez actuellement, et celui que je prendrai toujours à tout ce qui vous regarde.»

Et encore le 27 octobre:

«J'allais répondre à votre lamentable lettre du 1er de ce mois, quand j'ai reçu celle du 8. Le pinceau en est un peu moins tragique, mais permettez-moi de vous le dire, il l'est trop encore. Vous devez assez de justice à l'intérêt que je prends à ce qui vous regarde, pour que mes conseils ne puissent vous être suspects, et la pitié que je dois à l'ennui, s'il en était besoin, me justifierait de reste. Croyez donc que je plains le vôtre autant qu'on doit le plaindre, mais je veux que cette pitié même me serve à le combattre. Quoique jeune encore, vous avez vu assez de pays, vous avez connu assez d'hommes, pour savoir que cette maladie règne dans tout l'univers, et le soin que l'on prend pour l'éviter ne vous a-t-il pas montré son empire? Peu de gens s'y soustraient; je n'en connais que deux classes, ceux qui sont tout entiers à leurs passions, ou tout entiers à eux-mêmes. Le trouble qui accompagne les premiers; et les remords qui souvent les suivent, les rendent encore plus malheureux; pour les seconds, ils sont inutiles dans la société; et ce sont deux écueils également à éviter. Le ciel nous a donné les passions comme les ressorts de notre âme, et non comme ses tyrans: notre courage doit servir à les contenir, et notre esprit à les employer: vous avez l'un et l'autre, et vous êtes dans le cas d'en faire usage.

«Une noble, juste et honnête ambition vous a fait, par des moyens pareils, quitter votre cour, pour faire briller vos talents dans une autre, et servir sur un plus grand théâtre; M. de Choiseul a été assez heureux pour vous être utile dans ce projet, et l'amitié de M. de Bernstorff vous en promet déjà le succès. Mais à peine arrivé à Copenhague, l'ennui qui vous poursuit vous le fait presque abandonner, ou vous expose à en perdre les fruits en en précipitant l'effet. La meilleure recette que j'aie à vous donner contre l'ennui est de vous le cacher à vous-même; quand on s'y livre, il nous peint tout de ses couleurs. Je vous permettrais de vous ennuyer, si, arrivé à la fin de votre carrière, vous n'aviez plus rien à désirer ni à entreprendre, mais vous ne faites que la commencer. Avec de l'esprit, des livres, trois ou quatre personnes à qui parler, qui aient seulement le sens commun, et un projet à suivre, on ne doit pas s'ennuyer. Quelque triste que soit le Danemark, il vous offre au moins ces ressources. Votre liaison avec M. de Bernstorff, dont l'esprit et les connaissances ont fait les délices de ce pays-ci et causent encore nos regrets, en est une grande; cultivez-la et profitez-en. M. de Choiseul vous y servira de tout son pouvoir par les recommandations les plus vives; mais n'attendez pas de lui qu'il vous demande lui-même pour être employé dans cette cour; ce serait aller contre votre objet, et vous nuire au lieu de vous servir. C'est ce qu'il m'a chargé de vous dire, monsieur, quand je lui ai montré votre dernière lettre; M. de Bernstorff est encore plus le ministre de son maître qu'il n'est l'ami de M. de Choiseul, et il le doit regarder de même à son égard. Ainsi, en vous demandant, il vous rendrait suspect à ce ministre, et ce serait pour vous une raison d'exclusion. C'est pourquoi il faut que vous attendiez patiemment que les circonstances vous amènent ce que vous désirez. En suivant un plan, on le remplit tôt ou tard, et il ne nous échappe que lorsque nous l'abandonnons.»

Il est évident que si pour complaire au duc de Choiseul, la cour de Danemark avait pris Gleichen à son service, le crédit de ce ministre à Copenhague n'était pourtant pas assez fort pour faire nommer Gleichen au poste de Paris, et contrebalancer l'influence des envoyés de Prusse et d'Angleterre à cette cour, qui auraient vu avec regret le Danemark avoir pour représentant à la cour de France un homme que l'on devait croire tout à la dévotion du duc de Choiseul: Il ne faut pas oublier qu'en 1759 la guerre de Sept ans durait encore, et que les deux parties belligérantes mettaient tout en œuvre pour faire sortir le Danemark de sa neutralité. D'ailleurs, pour envoyer Gleichen en France, il aurait fallu déplacer le ministre en titre, le comte de Wedel Fries, qui ne voulait pas quitter ce poste volontairement, et sans doute il avait plus de crédit à Copenhague qu'un étranger et un nouveau venu, tel que Gleichen. Les instances réitérées du duc de Choiseul réussirent pourtant à faire entrer Gleichen dans le service diplomatique: il fut nommé ministre en Espagne. On peut juger du désespoir du pauvre Gleichen en se voyant relégué dans ce poste lointain, alors peu envié, et où il craignait de se voir à tout jamais oublié. Voici en quels termes il se plaignait au duc de Choiseul:

«M. l'ambassadeur2 m'a annoncé qu'on me destine à m'envoyer en Espagne. J'en ai pressenti mon père, qui s'y oppose avec une douleur qui me rendrait malheureux, si je ne la respectais pas. Sa santé et son âge me font prévoir que je touche au moment de le perdre. Dois-je me préparer le repentir ineffaçable d'avoir hâté sa mort, et m'éloigner si fort, tandis qu'il s'agit de recueillir ma fortune la plus solide? Il s'agit de ma tranquillité et de mon intérêt le plus fort, et j'ai recours à Votre Excellence pour que je lui sois redevable de préférence, et qu'elle veuille m'aider à tourner ce moment si favorable à mon avantage. L'importance du poste qu'on me destine me prouve les effets de la protection de Votre Excellence et des bonnes intentions qu'on a pour moi. Mais si l'on veut véritablement me rendre heureux, il sera bien facile de faire une translocation en ma faveur, et de m'envoyer en Allemagne. J'accepterai avec plaisir une moindre place, ce qui accommodera même celui qui me cédera la sienne, et je répugnerai d'autant moins à aller à la cour de Pologne, quoique ce soit le début diplomatique dans ce pays-ci, que j'y serais plus à portée de mes espérances qu'en Espagne, d'où l'on n'est tiré que bien difficilement. Je supplie Votre Excellence de m'obtenir cette grâce de M. de Bernstorff, qui peut-être ne me mettra à portée de la lui demander, que quand le temps sera trop court pour cet arrangement. Le sacrifice que je fais de cette place, qui me tente infiniment, au devoir que la nature a rendu le premier de tous, me rend plus digne de votre protection que jamais. C'est une des plus importantes marques de la bonté de Votre Excellence que je lui demande, et elle comblera ma reconnaissance, l'attachement inviolable et le profond respect, avec lequel je suis toute ma vie, etc.»

En revanche, un des nombreux amis que Gleichen avait laissés en France, le félicitait presque de sa nomination au poste de Madrid; ce n'était rien moins que le marquis de Mirabeau.

Du Bignon, le 30 octobre 1760.

«C'est une chose fort honorable de recevoir dans nos champs une petite lettre toute puante et toute musquée, datée de Copenhague. Elle m'est venue fort à propos, car on était en peine le jour même de nommer une bouteille de vin doux qui s'est trouvée dans mon cellier, et je l'ai appelée Muscat de Copenhague; c'est cela, et je vous en suis bien obligé. Je vous plains, mon pauvre baron, de ce que l'ennui monte en croupe et galope avec vous, qu'il traverse même des bras de mer, pour vous tenir compagnie. Oh! Cosmopolite longin, vous seriez ultra sauromata, que vous trouveriez toujours le tu autem de Rabelais. Croyez-moi, mangez moins, dormez moins, digérez mieux, et faites de fortes promenades le matin au lieu du soir, mais de très-bonne heure, et petit à petit vous verrez que tous les pays se ressemblent, et qu'on peut être gaillard partout, à moins que le cœur ne soit fort attaché quelque part, sorte d'encombre dont la providence a garé votre contenue (sic) morale et physique. En outre, vos pénibles attributs peuvent aussi se trouver compris dans les décrets d'en haut, pour vous rendre plus habile à remplir supérieurement les devoirs de l'état auquel votre étoile et votre volonté vous ont appelé; car, si nous faisions un être imaginaire et fantastique de la politique, il me semble, qu'elle serait longue et maigre, l'arrière-train traînant, la révérence profonde, la voix douce et basse, le teint parfois luisant et parfois allumé, l'œil élastique et la vue rapprochée, parlant peu et toujours dans des coins, écoutant beaucoup et soupirant parfois. Vous voyez, mon très-cher, que cette ressemblance-là ne vous coûtera pas tant à attraper que pourrait faire celle d'un homme gaillard, qui va la tête en l'air, parle haut, gesticule, et donne dans tous les pots au noir qui se trouvent en son chemin; or, on ne saurait avoir tout. Vous croyez donc, mon cher baron, que votre bouffonne destinée vous fera envoyer calciner en Espagne. Vous y aurez le pied sec comme les cèdres du Liban; vous y trouverez des pierres gravées, si les Maures en avaient; vous y serez déféré à l'inquisition pour plus d'un fait, et en partirez pour l'Angleterre tout préparé à aller finir votre cours des singularités humaines, avec la secte des ennuyés de la vie. Oh! mon cher baron, vous savez que j'ai un faible pour vous, quoique vous ne valiez rien, mais je suis tout plein de ces faibles-là, et vous êtes un des plus forts. Voulez-vous que je vous parle sérieusement, il en est temps encore. Remplissez votre destinée, puisque vous vous l'êtes choisie, et profitez de vos courses, pour vous bien persuader de la vérité du mot de Salomon qui avait tout vu et joui de tout, c'est, que tout est vanité, si ce n'est de bien faire et se réjouir. A cela, vous avez deux empêchements que vous pouvez vaincre; l'un est votre santé que vous pouvez rendre très-bonne par la sobriété; l'autre, votre volonté, qu'il serait temps de songer à vaincre, sans quoi elle vous martyrisera toute la vie, sans vous rendre un instant heureux. En outre, diminuez beaucoup, si vous m'en croyez, de ce souci du lendemain qui vous a pris bien jeune, et qui devient un tic, et désespère en vieillissant. Vous n'en ferez rien, mon très-gracieux, et je compte sur la vanité de mon sermon; vous n'en serez que plus réjouissant, mon très-cher, pour votre très-affectionné et plus que dévoué.

«Je suis parti pour la campagne trois jours après votre départ, et conséquemment n'ai plus vu depuis ni M. ni Mme de Choiseul.»

Gleichen dut faire contre mauvaise fortune bon cœur, et, en attendant des jours meilleurs, se rendre à Madrid, où il resta trois longues années. Il passa par Bayreuth, où il vit son père pour la dernière fois, car il mourut en 1761. Il s'arrêta à Paris quelques jours, et il lui fut certainement promis par le duc et la duchesse de Choiseul qu'il ne serait pas oublié. En effet, aussitôt après la conclusion du traité de Paris (février 1763), le duc de Choiseul renouvela ses instances à Copenhague, et Gleichen arriva au comble de ses vœux. Ce n'était pas uniquement pour être agréable au duc de Choiseul, et moins encore à lui-même, que Gleichen fut nommé envoyé extraordinaire du roi de Danemark près la cour de Versailles, mais en considération du crédit qu'on lui supposait avec raison auprès du tout-puissant ministre qui gouvernait la France. Cela est manifeste par les instructions que le baron de Bernstorff lui adressait à Madrid, vers le milieu de l'été de 1763, en lui recommandant de se hâter de se rendre à son nouveau poste:

«Le Roi m'ordonnant de joindre aux instructions expédiées selon le style et la forme ordinaire, que, par son commandement, j'ai l'honneur de vous remettre aujourd'hui, une explication plus particulière et plus précise des affaires qu'il vous confie, ainsi que de ses volontés et de ses vues à leur égard, a bien voulu me dispenser de vous parler de la France elle-même, de sa puissance, de ses malheurs, de sa politique ancienne et nouvelle, de ses liaisons et alliances, de son ministère, des intrigues et factions qui la divisent. Ces détails nécessaires pour tout autre, ne le sont pas pour vous. Sa Majesté sait que vous connaissez cette puissante monarchie et ceux qui la gouvernent, et elle a jugé de là, qu'il suffirait de vous exposer son système, tant général que surtout relatif à cette couronne, et d'en tirer les conséquences, qui, déterminant ses intérêts et ses souhaits vis-à-vis d'elle, serviront de règles et de principes à votre conduite et à vos soins.

«Le Roi a pour unique but le bonheur de ses peuples, vraie source, son cœur le sent, de la gloire et de la félicité du monarque et de la monarchie; l'assurer, l'augmenter par des moyens dignes de lui, par la pureté et la justice de ses desseins et de ses projets, par la fermeté de ses résolutions et de ses démarches dans leur exécution, par l'observation la plus scrupuleuse de sa parole, par une constance inaltérable dans ses amitiés et de ses alliances: c'est là sa politique, et, en la suivant attentivement, on est sûr de ne jamais manquer ses intentions.

«La félicité d'un peuple est de ne dépendre d'aucune autre puissance que de celle de son souverain naturel et légitime et de ses lois; de jouir en paix et en tranquillité de tous les bénéfices et de tous les avantages que ces lois lui accordent; de ne jamais voir ses intérêts sacrifiés ou subordonnés à ceux d'une autre nation; de ne combattre, s'il le faut, que pour son maître et sa patrie, et non pour des querelles étrangères, dont il ne ferait que partager en subalterne les hasards et les maux, sans être admis à une part égale des biens, des succès et de la gloire; de voir son souverain considéré et révéré par les autres puissances de l'Europe, son alliance recherchée et son influence fondée sur l'opinion de sa sagesse et de sa vertu, assez établie chez les conseils des nations voisines pour pouvoir y maintenir l'équilibre et la paix, et écarter toute résolution contraire à la sûreté et à la tranquillité communes; et de sentir enfin sa prospérité, ses forces et ses richesses augmentées intérieurement par des acquisitions faites légitimement et judicieusement, par de sages établissements dans toutes les parties de l'état, par une attention suivie à favoriser la population, par l'extension de son commerce et par les encouragements donnés à l'agriculture, à l'industrie et aux arts. C'est cette félicité que le Roi cherche par des soins infatigables à procurer et à conserver à la nation qui lui obéit; il n'a point fait de démarche pendant tout son règne, qui n'ait tendu à l'augmenter, et tous les ordres qu'il donne aujourd'hui, et à vous, monsieur, et à nous tous qui le servons, n'ont point d'autre but.

«C'est de ce principe que sont émanées toutes ses mesures; c'est ce principe qui l'a tenu, malgré les menaces et les promesses, ferme, calme et intrépide dans l'orage, et qui, après l'avoir engagé à faire goûter à ses sujets la douceur d'une profonde paix au milieu des horreurs et des calamités d'une guerre générale, lui a mis les armes à la main, lorsqu'un ennemi redoutable se préparait à envahir ses États, aussi décidé à combattre, même à forces inégales, dès que l'honneur et le salut de son peuple l'exigeaient, et de préférer la guerre la plus dangereuse à une honteuse paix, qu'il l'avait été jusque-là de préférer la paix aux apparences séduisantes d'une guerre qui, à tout autre qu'à lui, n'aurait d'abord paru annoncer et promettre que des avantages faciles et certains; c'est encore le même principe qui le guide dans ses résolutions, aujourd'hui que l'Europe, respirant de ses malheurs et de ses illusions, va rentrer dans son ancien système, ou peut-être prendre une forme nouvelle encore plus solide.

«Il importe à la France comme au Roi, que le Nord soit libre, et que, pour cet effet, l'excessive puissance des Russes, de cette nation devenue aujourd'hui si orgueilleuse et si entreprenante, soit limitée; il ne lui importe pas moins que la Suède ne soit point asservie sous le joug d'une princesse ambitieuse et absolument dépendante des adversaires et rivaux de la maison de Bourbon, ni les anciens et fidèles amis de la France, victimes de leur zèle pour elle, soumis et sacrifiés au ressentiment et au pouvoir arbitraire de cette violente ennemie; il lui importe également que, par une union sincère formée entre les deux anciennes couronnes du Nord, l'équilibre de cette partie de l'Europe, source de son influence sur elle, se rétablisse; et il lui importe enfin, autant qu'au roi, que le commerce de l'univers ne soit pas uniquement entre les mains des Anglais, ses ennemis implacables, et des Hollandais, toujours enclins à embrasser et à soutenir leur cause, mais que les nations naviguantes et trafiquantes du Nord y aient part, et puissent, lorsque le cas l'exige, empêcher que la mer ne leur soit fermée, et ne leur refuse pas tous ses biens et tous ses secours.

«Le Roi ne demande rien au Roi Très-Chrétien, rien que l'exécution de ses anciennes promesses, et l'observation de ses propres intérêts.

«Vous ne trouverez point de négociations entamées entre les deux couronnes; toutes celles dont vos prédécesseurs ont été chargés sont finies, et la délicatesse du Roi ne lui a pas permis d'en ouvrir de nouvelles dans ces temps de malheurs et de détresse, où des infortunes et des calamités multipliées, au dedans et au dehors du royaume, ont épuisé et épuisent encore toute l'attention et toute la sollicitude du ministère de Versailles.

«L'alliance même, qu'il a été d'usage jusqu'ici de renouveler toujours quelques années avant terme, tire à sa fin: elle expirera au quinze mars prochain (1764). Le Roi consentirait probablement à la prolonger, mais il ne veut pas que vous en fassiez la proposition. Dans le dérangement où se trouvent les finances de la France, et au moment du nouveau système que l'on paraît vouloir y établir, cette proposition ne pourrait pas être reçue.

«Sa Majesté n'en fera pas l'essai, et elle se borne à vous enjoindre de veiller à l'accomplissement de l'ancien traité, c'est-à-dire, à l'acquit des subsides arriérés. Si la France veut continuer d'être ce qu'elle est, ou redevenir ce qu'elle a été, il faut qu'elle discerne et distingue les puissances, qui peuvent et veulent être ses amis, de celles, qui ne peuvent et ne veulent pas l'être; que, sans courir vainement, et par une complaisance dont elle doit avoir senti l'inutilité, après l'alliance des unes, elle cherche à conserver celle des autres; il faut qu'elle travaille au maintien du repos et de l'indépendance du Nord; il faut qu'elle soutienne en Suède un parti malheureux et prêt à succomber, qui s'est sacrifié pour lui complaire; il faut qu'elle fasse usage de tout son crédit dans ce royaume, pour y conserver la liberté et le gouvernement, tel qu'il est établi par les lois.

«C'est là le point décisif pour le Nord et pour le crédit de la France. Je vous le recommande, monsieur, par ordre exprès du Roi. Faites-en l'objet principal de vos soins et ne déguisez pas à la France, que le salut du Nord repose et se fonde sur cette base; que, si on l'ébranlait jamais, tout serait en feu au même moment, et que le Roi, fidèle à ses principes, et préférant à tout le bonheur de son peuple, intimement et irrévocablement lié à la liberté de la Suède, n'hésiterait pas à soutenir de tout son pouvoir et par les derniers efforts de ses armes, le parti de ceux qui combattraient pour elle.

«Ce parti est aussi celui de la France, et il est assez malheureux pour ne pouvoir résister toujours, sans un secours étranger, à l'ambition de la cour et à celle de ceux qu'elle suscite contre lui. Ne permettez pas qu'on se lasse à Versailles de l'assister, et opposez-vous à tous ces faux politiques qui, sous prétexte du peu d'utilité, dont la Suède est aujourd'hui à ses alliés, voudraient y rétablir la souveraineté; faites sentir à MM. de Choiseul et de Praslin, qu'au moment que la France paraîtrait vouloir consentir, ou seulement conniver à une pareille entreprise, elle perdrait tous ses amis dans le Nord, et livrerait la Suède, si la révolution réussissait, à la domination des Russes, et aux conseils impérieux du roi de Prusse, seul oracle de la reine sa sœur; et, si elle ne réussissait pas, à l'influence des Anglais, auxquels les défenseurs de sa liberté seraient obligés de s'adresser, dès l'instant qu'ils se verraient délaissés par la France. Dévoilez-leur toutes les suites d'un projet si funeste.

«Vous veillerez avec scrupule au maintien des droits du Roi et de ceux de son ambassade, et vous accorderez vos soins distingués à ce que la chapelle de Sa Majesté serve à l'usage auquel le Roi la destine, à l'édification et à la consolation de ceux de sa religion, qui, sans elle, seraient peut-être privés de tout secours spirituel. Le Roi, protecteur en tous lieux de ceux qui professent sa foi, aime, que ses ministres pensent à cet égard comme lui.

«Tout Danois, ou autre sujet de Sa Majesté, trouvera en vous un soutien et un père; vous permettrez à ceux qui ont des affaires ou des procès en France, de recourir à vos lumières, à vos conseils et à votre appui; et vous donnerez une attention particulière à la conduite, aux mœurs et aux principes de la jeune noblesse de la nation voyageant en France. Si quelqu'un d'entre elle se dérangeait à un certain point, vous vous hâteriez d'en avertir sa famille, et de prévenir ainsi sa perte.»

La véritable raison du choix de Gleichen pour le poste de Paris était l'espoir que par son crédit personnel il réussirait à obtenir le payement des sommes assez considérables que le Danemark réclamait de la France. En vertu d'une convention du 4 mai 1758, le cabinet de Versailles s'était engagé à donner à la cour de Copenhague un subside annuel de deux millions de francs pendant six ans. En 1763, il était dû au Danemark un arriéré de 10,400,000 livres, que le cabinet de Versailles se montrait peu empressé d'acquitter. Gleichen réussit à obtenir le payement de six millions, et un autre ministre que lui n'aurait sûrement pas touché un sou de cette dette, car le duc de Choiseul ne manquait pas de bonnes raisons pour justifier la non-exécution de la convention de 1758. C'est à opérer cette rentrée inespérée que se borna la carrière diplomatique de Gleichen à Paris de 1763 à 1770.

1.Pendant ce séjour à Paris, Gleichen paraît avoir beaucoup vécu dans la société de Grimm, de Diderot et du baron d'Holbach, qu'il avait sans doute déjà connus lors de son premier voyage en France. Dans une des lettres de Diderot à Mlle Voland, à la date du 15 mai 1759, on lit le passage suivant où se trouve une allusion difficile à expliquer:
  «Nous partîmes hier à huit heures pour Marly; nous y arrivâmes à dix heures et demie; nous ordonnâmes un grand dîner, et nous nous répandîmes dans les jardins… Je portais tout à travers les objets des pas errants et une âme mélancolique. Les autres nous devançaient à grands pas, et nous les suivions lentement, le baron de Gleichen et moi. Je me trouvais bien à côté de cet homme; c'est que nous éprouvions au dedans de nous un sentiment commun et secret. C'est une chose incroyable comme les âmes sensibles s'entendent presque sans parler. Un mot échappé, une distraction, une réflexion vague et décousue, un regret éloigné, une expression détournée, le son de la voix, la démarche, le regard, l'attention, le silence, tout les décèle l'une à l'autre. Nous nous parlions peu; nous sentions beaucoup; nous souffrions tous deux; mais il était plus à plaindre que moi. Je tournais de temps en temps mes yeux vers la ville; les siens étaient souvent attachés à la terre; il y cherchait un objet qui n'est plus… Le baron de Gleichen a beaucoup voyagé; ce fut lui qui fit les frais du retour…»
2.Le président Ogier, alors envoyé de France à Copenhague.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
210 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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