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Читать книгу: «Les origines de la Renaissance en Italie», страница 14

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CHAPITRE IX
La Renaissance des arts en Italie. Les premières Écoles

La littérature italienne a connu deux Renaissances, séparées l'une de l'autre par un siècle environ, et que rattache l'une à l'autre le grand travail des humanistes, des antiquaires, des platoniciens. La Renaissance des arts s'est développée sans aucune interruption, pour ainsi dire, jusqu'à la fin du XVIIe siècle. C'est par la peinture qu'elle s'est manifestée avec le plus d'éclat: au XVIe siècle, il n'est aucune province, aucune cité civilisée qui n'ait son école; pour un foyer qui s'est affaibli, tel que Pérouse, dix se sont allumés au rayonnement de Florence, de Venise, de Rome, de Milan, de Bologne. L'Europe reçut alors les leçons de l'Italie, mais l'Italie avait d'abord pris celles de Florence, de Pise, de Sienne. C'est toujours à la «ville des fleurs» et à la Toscane qu'il faut revenir, car c'est de là que partirent les principaux courants de l'esprit humain.

I

Les Italiens n'ont inventé aucun principe nouveau, aucune forme nouvelle d'architecture: tous les éléments de cet art leur sont venus du dehors, ou par la tradition latine et nationale: la colonnade et l'entablement grecs, le cintre romain, la coupole romaine ou byzantine, l'ogive arabe ou normande, la basilique des premiers siècles, l'église romane, le pilier et le chapiteau byzantins ou arabes, le château fort féodal. Ils avaient sous leurs yeux, en Sicile, les monuments grecs, dans toute la péninsule, les monuments romains. Cependant, ils se sont longtemps abstenus de l'imitation rigoureuse des ordres antiques. Ce n'est guère qu'après Brunelleschi et Leo Battista Alberti qu'ils ont adopté le style gréco-romain, librement façonné, sans préoccupation d'archéologie, mais non sans emphase; ce style, que l'Europe a le plus imité dans la Renaissance, dès le XVIIe siècle, marque l'originalité la moins grande de l'architecture italienne. La ligne véritable de l'Italie a été surtout romane, c'est-à-dire dérivée directement de l'art romain, et fidèle aux principes de solidité, de gravité de celui-ci. Le lombard de la seconde époque, à partir du XIe siècle, qui donne son nom aux monuments italiens jusqu'à la fin du XIIIe, est identique avec le roman. Lorsque le gothique apparaît avec ensemble, vers l'an 1300, il est obligé de se discipliner conformément au génie raisonnable de l'architecture antérieure. «Le plein cintre se maintint auprès de l'ogive dans toutes les constructions religieuses» de la fin du moyen âge535. Le goût italien, habitué à la ligne horizontale, répugnait aux élans vertigineux du gothique; il ne consentit pas à renoncer à la proportion juste entre la hauteur et la largeur des édifices536; il acceptait l'ogive pour les façades, les fenêtres et les portails; mais le plan intérieur des églises conservait l'arc plein cintre, les voûtes d'arête ou les poutres horizontales, les colonnes rondes, la corniche régnant autour du monument. Le gothique italien repousse la végétation touffue du gothique septentrional et les effets compliqués; comme il garde les vastes surfaces planes, il n'a pas besoin, pour se soutenir, de l'armature des contreforts537. Les pignons isolés, à la forme aiguë, de nos églises, descendent ici jusqu'aux lignes moins ambitieuses des toits à l'italienne, modification que Nicolas de Pise appliqua à Saint-Antoine de Padoue, et Simone Andreozzi à l'Ara-Cœli538. N'oublions pas la solidité des matériaux. Une église de marbre, appuyée au dedans sur des piliers de marbre ou de porphyre, défie l'action des siècles. La cathédrale de Milan, qui est du gothique pur, mais toute en marbre, durera plus longtemps que Notre-Dame.

On peut dire que l'art ogival fut beaucoup moins, en Italie, un système d'architecture qu'un principe d'ornementation. Les Italiens l'ont reçu des Normands ou des ultramontains, de même qu'ils ont pris aux Arabes de Sicile l'arcade et la colonne orientales, non pour copier un art singulier, mais pour se l'assimiler et en tirer une parure. Les Normands siciliens eux-mêmes n'avaient-ils point adapté de la sorte à leurs formes architectoniques tout ce qui, dans l'art des Byzantins et celui des Arabes, pouvait s'y appliquer sans discordance539? C'est ainsi que Venise, qui se préoccupe moins de l'unité harmonieuse que de l'éclat de ses monuments, à son palais ducal (XVe siècle), fait reposer, sur les arcades presque romanes d'une première colonnade aux fûts robustes, la légère galerie trilobée, de style arabe, du premier étage, et celle-ci supporte, à son tour, la masse pleine du reste de l'édifice, percée seulement de quelques fenêtres ogivales. De même, dans Saint-Marc (XIe siècle), les Vénitiens n'ont conservé de Sainte-Sophie que l'inspiration générale et le décor, mais ils ont modifié profondément le plan très-simple de l'église byzantine. L'architecture italienne de la première Renaissance recherche la séduction pittoresque: au temps même des premiers sculpteurs et des premiers peintres, elle est, par la pureté de ses proportions, la richesse et la finesse de ses ornements, une sculpture et une peinture. Les peintres eux-mêmes et les sculpteurs, Giotto, Nicolas et Jean de Pise, Ghiberti sont au premier rang des architectes de leur âge. Les trois arts concourent si bien ensemble que les monuments d'architecture semblent disposés pour le plus grand avantage des sculpteurs et des peintres. On sent qu'une race spirituelle s'est éveillée, qu'elle a chassé les rêves sévères du moyen âge, qu'elle goûte à la vie et s'éprend de la beauté. Elle va retoucher et égayer ses vieilles églises, et surtout en construire de nouvelles. Si Jacopo, un architecte qui vient de l'Allemagne, de la Valteline ou de la haute Lombardie540, élève, sur la colline d'Assise, l'église romane de Saint-François, basse et sombre comme une crypte des bords du Rhin, il édifie tout aussitôt, sur la voûte même de l'austère monument, l'église supérieure, ogivale, lumineuse et joyeuse, châsse splendide pour les reliques de l'apôtre541. La nef élancée, les faisceaux de sveltes colonnes qui reçoivent, sur d'élégants chapiteaux, les nervures des voûtes revêtues d'arabesques, l'azur céleste étoilé d'or des voûtes, les peintures qui ornent toutes les surfaces, et les vitraux d'émeraudes et de rubis rappellent notre Sainte-Chapelle542. Giotto la décore de fresques, mais il peint aussi, dans l'église ténébreuse, entre le chœur et la nef, le Triomphe et les vertus de saint François543. Cependant, ces églises, qui réservent pour le sanctuaire seul toutes leurs richesses pittoresques, répondent moins au goût italien que les nobles cathédrales de Pise (XIe et XIIe siècles), de Pistoja (XIIIe), d'Arezzo (XIIIe), d'Orvieto (de 1290 au XVIe siècle), de Sienne (la façade, fin du XIIIe), de Lucques (XIIe et XIIIe), de Florence (XIVe). Ici, conformément à la tradition antique, l'œuvre d'art se manifeste surtout par le décor extérieur; mais le décor n'est point, comme dans nos églises du nord, un accident que la fantaisie de l'artiste multiplie ou exagère à mesure que le style devient moins pur. Car il tient intimement au noyau architectural, il est l'édifice lui-même, ou tel membre de l'édifice, et il ne serait pas possible de l'en détacher. C'est pourquoi il procède toujours, à la façon antique, par la répétition, le groupement, en un mot, par le système des formes décoratives. S'il se multiplie, c'est pour faire un ensemble logique et produire une impression d'ensemble. Prenez les monuments de Pise, le Dôme, le Baptistère, le Campanile. Tous les trois, ils répètent la même idée architecturale, variée selon l'époque de leur construction: c'est ainsi qu'un élément ogival paraît au Baptistère et à la coupole du Dôme; mais le motif est, au fond, identique en chacun: sur une première assise d'arcades aveugles, aux colonnes engagées, s'élèvent, à la façade du Dôme, quatre étages de colonnades; à la Tour penchée, six; au Baptistère, un seulement. L'édifice, dépouillé de cet appareil, se tiendrait debout, mais ses proportions seraient rompues, sa physionomie effacée: c'est par ces délicates ouvertures qu'il regardait au dehors et semblait respirer la lumière.

Tous les détails du décor furent donc d'une grande importance dans l'architecture de la première Renaissance; il fut alors exécuté avec une recherche que les monuments de l'époque postérieure, imités d'après les ordres antiques, n'ont plus connue. Du XIIe au XIVe siècle, nous sommes dans la période communale, et l'édifice, qui appartient à tous, doit enchanter les yeux et l'orgueil de tous. La cathédrale sera donc ciselée comme un ouvrage d'orfévrerie, parée comme un lieu de fête. Au dehors, elle imitera, par ses assises de marbre aux couleurs variées et la marqueterie des encadrements qui occupent les surfaces planes544, les mosaïques des pavés précieux; au dedans, par son ameublement et ses peintures, elle sera digne encore de Dieu et des bourgeois. La civilisation composite de la Sicile a, sur ce point, donné aux Italiens les meilleurs exemples. Le portail du Dôme de Monreale, encadré, avec une sévérité gracieuse, d'arabesques de marbre, les trois colonnes d'angle du cloître, revêtues d'arabesques, dont les chapiteaux, composés de niches architecturales enfermant des personnages, se rejoignent et forment comme un couronnement unique, le plan noble de l'église, où l'ogive normande des nefs repose sur des piliers aux chapiteaux à la fois romans et corinthiens, tous ces éléments d'élégance passèrent dans l'architecture des cités italiennes. L'emploi de l'arabesque ou de l'encadrement de feuillages et de fruits, des colonnettes torses dans le faisceau des portails, des mosaïques de marbres multicolores disposées par cordons réguliers et marquant les divisions de l'édifice545, devint très-fréquent. On chercha la légèreté extrême, sans compromettre, comme dans nos ouvrages gothiques, la solidité apparente d'un monument546. Si, comme au palais de la Seigneurie, à Florence, la gravité républicaine et la crainte des émeutes obligent à garder, à l'extérieur, l'appareil solide et nu, les ouvertures rares et étroites et le beffroi crénelé d'une forteresse, au dedans, la cour de Michelozzo Michelozzi est toute fleurie d'arabesques; la cour du Bargello (palais du podestat), avec son long escalier en plein air, fermé, au palier du milieu, par une porte semblable à un petit arc de triomphe, avec la galerie du premier étage et les écussons de marbre capricieusement attachés aux murailles, est aussi d'une distinction rare. L'intérieur des édifices appartient surtout aux sculpteurs et aux peintres; mais l'architecte, qui veille à l'harmonie générale de son œuvre, y montrera encore, par le caractère de l'ameublement, l'originalité de son génie: les chaires à prêcher, telles que celles de Pise, de Sienne et de Pistoja, sont elles-mêmes des monuments; les autels en pierres précieuses, les trônes épiscopaux couronnés de dais, les stalles de bois ciselé, les fonts baptismaux, les lutrins, les lampes de bronze sculpté, les tabernacles, tels que celui de Saint-Paul-hors-les-Murs, œuvre probable d'Arnolfo del Lapo, dernière relique de la vieille basilique547, les balustrades ouvragées des chœurs, complètent une ornementation où chaque détail est porté à sa forme accomplie et qui est d'accord avec tout l'ensemble, expression d'une foi simple, d'un christianisme généreux; le luxe païen, les dorures et les couleurs bruyantes des églises plus modernes, les baldaquins énormes, surchargés de nuages dorés, de flammes et d'anges qui pèsent sur les autels, les façades somptueuses appliquées à Saint-Pierre, à Saint-Jean-de-Latran, à Sainte-Marie-Majeure, font regretter le vieil art et la vieille foi.

II

Les qualités de la sculpture décorative, arabesques ou formes végétales, que les Italiens ont si heureusement mariées à leur architecture, laissaient entrevoir ce que cet art produirait, appliqué à la représentation de la forme humaine. Le sens de la réalité est, en effet, déjà très-vif dans ces ouvrages. Ils n'ont plus rien de la convention, de la figure abstraite et de la raideur primitive: les fruits, les fleurs et les feuilles appartiennent à une végétation réelle; ils se groupent en touffes et en bouquets façonnés d'après le modèle vrai. Les Italiens ont renoncé à l'effet recherché par la flore invraisemblable de l'époque romane; dorénavant, ils ne montreront plus aux yeux que la nature.

Longtemps la règle byzantine les avait enchaînés étroitement. Anselmo da Campione, dans ses bas-reliefs de la cathédrale de Modène; Benedetto Antelami, dans sa Descente de Croix du Dôme de Parme, au XIIe siècle; les premiers sculpteurs romains, ombriens, vénitiens et lombards, du XIe et du XIIe siècle, Nicolo di Rainuccio, Giovanni Ranieri, Pietro Oderigi, et les maîtres de Saint-Marc et de San-Zeno de Venise; les artistes qui firent les portes de bronze de Trani, d'Amalfi, du mont Cassin, de Salerne; Bonnano de Pise, l'auteur des portes du Dôme, à Pise et à Monreale548, puis les sculpteurs du XIIe siècle qui, à côté de celui-ci, travaillaient «alla greca»549, tels que Gruamonte de Pise, tous ils reproduisaient les canons de Byzance, les personnages alignés, les corps trapus, les têtes trop grosses, les yeux vides et fixes, les gestes gauches, les draperies pesantes, les ailes d'anges massives et qui pendent. Chez plusieurs d'entre eux, l'effort pour s'affranchir est visible, mais ils n'ont pas encore trouvé la formule de la liberté550.

C'est Nicolas de Pise qui détacha l'entrave byzantine. Il naquit vers 1207, et se signala d'abord comme architecte. Il termina, à Naples, pour Frédéric II, le Castel Capuano et le Castel del Uovo. En 1232, il commença, à Padoue, les plans de la basilique de Saint-Antoine. Son premier ouvrage de sculpture, le haut-relief de sa Déposition de Croix à la cathédrale de Lucques, montre déjà les personnages groupés d'une façon touchante autour de la figure principale. Cependant, jusqu'en 1260, Nicolas travailla surtout comme architecte, à Florence, à Arezzo, à Volterra, à Cortona. A cette époque, déjà avancé dans la vie, il fut chargé par Pise d'édifier le pulpito du Baptistère. Il avait remarqué, dès son enfance, autour du Dôme, les sarcophages antiques où l'on déposait parfois les restes des grands citoyens; il avait étudié, selon Vasari, le tombeau qui servit pour la mère de la comtesse Mathilde et dont le bas-relief grec représente l'histoire de Phèdre et d'Hippolyte. Sa vocation s'était alors révélée551; il la porta silencieusement en lui-même, jusqu'au jour où il put reprendre, dans une œuvre analogue, les traditions du grand art. Il les ranima, en effet, dans les chaires de Pise et de Sienne et la châsse de Saint-Dominique, à Bologne, avec une gravité naïve et un goût déjà très-sûr; ce n'est point un néo-grec, ni un antiquaire superstitieux: il s'est pénétré des principes les plus généraux de la sculpture antique, l'ordonnance harmonieuse des scènes, l'emploi habile de l'espace où beaucoup de personnages se meuvent dans un cadre étroit, la majesté tranquille des poses, le bel ordre des draperies, la noblesse des têtes. Mais son œil et sa main ont encore la pratique de la sculpture primitive: les mouvements sont d'une gaucherie timide, les figures sont parfois pesantes. Il donne l'impression des œuvres romaines de la fin de l'Empire. Cependant sa bonne volonté de néophyte est fort apparente. Voici, dans la Circoncision, le Bacchus barbu sculpté sur un vase du Campo Santo, et, sur l'arca de Saint-Dominique, un esclave imité d'après un monument du Capitole, et un éphèbe vêtu de la tunique grecque. A la chaire de Pise, que celle de Sienne reproduit en grande partie, la Vierge est drapée et voilée comme une matrone ou une déesse; dans la Nativité, elle est assise sur son lit avec une pose qui rappelle les monuments funéraires; les rois mages présentent des profils grecs et leurs barbes sont bouclées à l'antique. Mais Nicolas de Pise, s'il a découvert et étudié la Grèce, n'a point renoncé à la nature, et dans ses meilleurs morceaux, il est revenu à l'observation de la vie. C'est par là surtout qu'il se montre disciple intelligent des anciens. Dans le Jugement du Baptistère, on voit des corps de damnés se replier et se tordre avec une vérité dans l'effort qu'il faut signaler. Au Crucifiement, deux figures du premier plan se rapprochent beaucoup plus par le costume, la longue barbe et le visage, du type oriental que du type grec.

La sagesse de cet excellent artiste préserva donc la sculpture naissante de l'imitation excessive des modèles grecs. Dans son école d'abord, puis chez tous les sculpteurs de la Renaissance, l'enthousiasme pour l'art antique fut toujours très-vif: les Trois Grâces trouvées au XIIIe siècle dans les fondations du Dôme de Sienne, les statues exhumées des ruines de Rome et le Torse du Belvédère, ranimèrent sans cesse cette ardeur. On sait avec quel scrupule Michel-Ange étudia sur les ouvrages grecs la charpente et l'enveloppe du corps humain552. Mais, à partir de Nicolas de Pise, les maîtres italiens interprétèrent d'une façon très-personnelle l'antique; aucun d'eux ne le copia servilement, et c'est encore Nicolas, le premier et, par conséquent, le moins savant de tous, dont le ciseau eut les plus dociles réminiscences.

Son fils Giovanni (1240-1320), l'élégant architecte du Campo Santo, qui, à la cathédrale de Sienne, travailla, avec cinq autres compagnons, sous l'œil du maître, semble d'abord s'arracher avec un empressement singulier à la tradition classique retrouvée par Nicolas. Est-il donc un élève des Grecs, l'artiste qui a taillé la statue allégorique de Pise, debout, portée par les quatre Vertus cardinales des philosophes, la Prudence, la Tempérance, la Force d'âme et la Justice? La Tempérance est nue, sans doute; ses cheveux tressés à l'antique et sa pose indiquent le souvenir de quelque Vénus grecque; mais ses voisines et Pise elle-même ont les visages les moins helléniques, et la Prudence est une vieille très-maussade. Qu'a-t-il fait de la sérénité antique et des représentations bien rythmées des bas-reliefs paternels, le sculpteur violent du pulpito du Dôme, à Pise, et de Sant-Andrea, à Pistoja? Ces visages sont durs, ces gestes vulgaires, ces crucifiés étalent une maigreur déplaisante, ces foules se pressent confusément; l'art était-il déjà sur le bord de la décadence? Regardez à loisir: celui-ci est un grand maître aussi et qui n'est point si éloigné de l'éducation grecque qu'il vous a d'abord paru; car il compose admirablement, et quand l'œil a fait le tour de l'un de ses morceaux, l'esprit a reçu une impression d'ensemble de toutes les impressions de détails; étudiez à part un seul de ses personnages: la pose et le geste sont d'accord entre eux, et l'artiste n'a été embarrassé par aucune pose, ni par aucun geste. La réalité ne l'a point effrayé, et il l'a exprimée vivement, comme il l'avait observée maintes fois; mais la réalité qu'il montre n'est jamais triviale. Voyez, au Massacre des Innocents, à Pise, ces mères éperdues qui arrachent leurs petits aux égorgeurs, les serrent follement dans leurs bras, les retournent et les tâtent pour s'assurer de leur mort, puis, accroupies, les pleurent avec violence; la passion maternelle a été saisie à tous ses degrés, tous les moments du drame ont été notés tour à tour; enfin, au sommet de la scène, Hérode, couronné et assis, se tourne à droite vers ses exécuteurs et leur fait, de son bras étendu, un geste impérieux et impatient, tandis que, de l'autre côté, des mères le supplient; au Massacre de la chaire de Pistoja, le roi juif regarde à ses pieds, avec un plaisir farouche, la foule lamentable des bourreaux et des victimes. L'école de Pise, avec Giovanni, manifeste le génie des écoles toscanes de sculpture et de peinture, la tendance au naturalisme; elle demeure en même temps fidèle à l'inspiration primitive de l'art italien, la profonde émotion religieuse, exprimée surtout par les sujets et les formes pathétiques; à la sculpture architecturale de Nicolas a succédé déjà, et, pour ainsi dire, sous ses yeux, la sculpture pittoresque, pleine de mouvement, spirituelle, audacieuse, habile aux effets que l'art antique n'a jamais connus, qui, avec Jacopo della Quercia, au commencement du XVe siècle, puis Lorenzo Ghiberti, Donatello et ses disciples, Desiderio da Settignano, «il bravo Desider, si dolce e bello»553, et Andrea del Verrocchio, enfin avec Luca et Andrea della Robbia, rivalisera par le choix des sujets, la subtilité des physionomies, l'appareil des scènes et la délicatesse des détails, avec la peinture et même avec l'orfévrerie.

Les signes de cette originalité nouvelle ne manquent pas dans l'œuvre même de Giovanni. Le premier, il redoubla l'expression d'un monument de sculpture par une certaine familiarité raffinée qui semble plutôt le propre de la peinture. Ainsi, au tombeau de Benoît XI, dans San-Domenico de Pérouse, à la tête et aux pieds du pape endormi sur son lit de marbre, deux anges, dépouillés de leurs ailes hiératiques, soulèvent doucement les rideaux du baldaquin mortuaire. Aux pieds de sainte Marguerite de Cortone554, est couché le chien qui avait conduit la jeune femme près du corps ensanglanté de son amant, triste spectacle qui la décida à se consacrer à une pénitence éternelle.

A côté de Jean de Pise, son compagnon d'études dans l'atelier de Nicolas, l'architecte Arnolfo del Lapo ou del Cambio (1232-1310), nature plus fine, plus florentine, montrait, à Saint-Dominique d'Orvieto, dans le tombeau du cardinal Guillaume de Braye, des qualités plus harmonieuses, empreintes déjà du charme qui n'a plus quitté les artistes de Florence. Le mort est assisté par deux anges dont la figure respire une grande tristesse; plus haut, dans l'ogive d'un tabernacle gothique posée sur deux colonnes torses, la Madone est assise sur un trône monumental, tête de déesse, aux cheveux disposés à la manière grecque, couronnée d'un diadème d'où descend un voile tombant jusqu'aux épaules, visage doux et grave; elle tient sur ses genoux le bambino, et pose la main droite sur le bras du siége. N'avons-nous pas, dans cet ouvrage, comme un pressentiment des Vierges d'Andrea del Sarto?

L'école de Pise continua de fleurir, au XIVe siècle, avec Andrea et ses fils Nino et Tommaso, et ses élèves Alberto Arnoldi, Giovanni Balduccio et Andrea Orcagna. Andrea de Pise (1270-1345) reprit, dans cette ville, l'étude attentive des monuments grecs555. Florence lui doit une porte de son Baptistère, où il représenta, en bas-reliefs de bronze, d'un style très-simple, et d'un art plein de conscience, l'histoire de saint Jean. Dans ces petits tableaux, l'entente de la scène est remarquable; il y a une naïveté savante dans la mise au tombeau du Précurseur, que ses disciples, courbés, deux par deux, déposent pieusement au sépulcre: un jeune homme, la tête rasée comme celle d'un moine, les éclaire de sa torche; de l'autre côté, un vieillard, les mains jointes, regarde le ciel et prie. Nino s'est rendu célèbre par ses nombreuses Madones, et surtout par la Vierge à la Rose, qui est à l'église della Spina, à Pise, œuvre gracieuse, mais où se glisse déjà une certaine affectation, défaut qui s'aggrave encore sur les figures trop souriantes de la Vierge et de l'Ange, à l'Annonciation de Santa-Caterina. Nino et son frère Tommaso n'eurent guère d'influence en dehors de la Toscane. Balduccio de Pise devait porter plus loin l'action de cette grande école. A Milan, au monument de saint Pierre Martyr, l'adversaire des Patarins, dans Sant-Eustorgio, il dressa les statues de huit Vertus qui marquent le véritable commencement de la statuaire italienne. La pose de ces personnages est d'une noblesse antique, et déjà les draperies indiquent bien l'attitude du corps au repos; mais les figures sont de beaucoup plus expressives que celles des statues grecques; ainsi l'Espérance se reconnaît facilement au mouvement passionné du regard. Les anciens modèles n'imposent décidément qu'une discipline féconde au goût des artistes; pour le reste, ceux-ci demeurent italiens, plus épris de la grâce, que de la grandeur, curieux du sentiment et du pathétique, fort attentifs d'ailleurs au travail des peintres, et habiles à reproduire, par le bronze ou le marbre, l'impression de la peinture.

Tout le groupe d'Andrea de Pise se ressent, en effet, de l'influence de Giotto; l'école pisane allait toujours plus loin dans cette recherche du pittoresque où elle était entrée avec Giovanni. Les bas-reliefs anonymes du Dôme d'Orvieto, dans la première partie du XIVe siècle, témoignent encore, dans leur ensemble, des qualités diverses manifestées tour à tour par les maîtres de Pise, l'équilibre de la composition, le mouvement bien proportionné des tableaux, le sens dramatique, le charme attendri, la gravité religieuse. Aucun don, aucune promesse ne manqua dans le berceau de la sculpture italienne, pas même la fougue révolutionnaire d'un artiste impétueux, Andrea Orcagna (1329-1376), architecte, orfèvre, sculpteur, poëte et peintre; celui-ci, au tabernacle de l'Or San-Michele de Florence, dans les scènes de la vie et de la mort de la Vierge, fit voir que la Renaissance était déjà assez maîtresse de ses traditions pour rompre avec elles, s'il lui plaisait, mêler la raideur de l'art primitif au naturalisme le plus franc, la brutalité à la grâce mystique556, et que l'émotion violente pouvait être rendue en Italie, avec une grande sûreté d'exécution, par l'art que les Grecs avaient consacré à l'impassible sérénité557.

Nicolas avait fondé, par son passage à Sienne, l'école de cette ville558, que les bas-reliefs d'Orvieto durent occuper longtemps, et qui possédera, en Jacopo della Quercia, son premier maître illustre; Orcagna, qui est Florentin, signale le moment où l'école de Florence se détache de celle de Pise; mais Ghiberti, Donatello, Luca della Robbia ne font que continuer la chaîne qui, de Nicolas, de Jean et d'André de Pise, se prolongera sans interruption jusqu'à Michel-Ange.

III

La sculpture italienne, qui fut si vite entraînée du côté de la peinture, avait cependant précédé celle-ci de près d'un demi-siècle. Nicolas et Jean de Pise sont, en effet, infiniment plus avancés dans leur art propre que les plus vieux peintres de l'Italie et Cimabue. Mais le génie d'un grand homme, de Giotto, suffit pour porter si haut la peinture, que les autres arts parurent tout à coup dépassés: elle les attira donc à elle comme par un charme singulier qui dura jusqu'à la fin de la Renaissance.

Il y eut, à la vérité, des peintres dans la péninsule, dès les premières années du XIIIe siècle, et même les miniaturistes du Térence et du Virgile du Vatican nous font remonter beaucoup plus haut. Mais les peintures de ce temps ne valent pas les mosaïques contemporaines. Le moine florentin Jacobo Torriti exécuta alors des mosaïques au Baptistère de Florence, à Saint-Jean-de-Latran, et orna l'abside de Sainte-Marie-Majeure de ce Couronnement de la Vierge autour duquel se déroulent de belles arabesques peuplées d'oiseaux. Torriti continuait ainsi, surtout par la noblesse simple de ses tableaux, les progrès d'un art qui, depuis un siècle, en Italie, se dégageait de plus en plus de la gaucherie primitive; dans cette peinture décorative, toute byzantine par ses traditions et sa pratique, le maître de Sainte-Marie-Majeure se montre beaucoup moins byzantin que les peintres à fresque de son temps, et que Cimabue lui-même. Le Christ majestueux du Dôme de Cività-Castellana, qui étend sa main droite pour bénir, avec un mouvement solennel, date environ de 1230; c'est l'ouvrage signé de Jacobo Cosma, de Rome, fils de Lorenzo; trois générations de Cosmati, Lorenzo, Jacobo, Luca et Giovanni, travaillèrent dans l'Italie centrale, à Subiaco, à Anagni, à Rome, dans les églises de l'Ara-Cœli, de Sainte-Praxède, de Sainte-Marie-Majeure; Giovanni, au monument de l'évêque de Mende, à Santa-Maria-sopra-Minerva (vers 1300), témoigne déjà, par la forme des anges, de l'influence de Giotto. Le chef-d'œuvre de cette école est dans Santa-Maria-in-Trastevere; ce sont les scènes de la vie et de la mort de la Vierge, à la partie inférieure et au grand arc de la tribune; par l'harmonie des couleurs, la vie et l'ordonnance des tableaux, surtout par l'animation des figures, cette mosaïque se rattache étroitement au groupe de Giotto. Selon Vasari, elle est due à Pietro Cavallini, de Rome, élève du peintre florentin, et qui, dit-il, «tout en aimant beaucoup la manière grecque, la mêla toujours à celle de Giotto559». Pietro mourut vers 1364; depuis longtemps la peinture proprement dite n'avait plus de leçons à recevoir des maîtres mosaïstes.

Elle avait eu des origines assez modestes, dont la trace se retrouve dans un grand nombre de cités, à Lucques, à Pise, à Sienne, à Parme, à Spolète, à Sarzane, à Assise, à Pérouse, à Milan, à Florence, à Vérone. Du XIe au XIIIe siècle, nous avons affaire aux maîtres imagiers plutôt qu'à des peintres véritables, et cette imagerie, rapprochée des mosaïques de la même époque, semble en décadence. Les premiers progrès s'y développent non point dans le sens de la beauté ou de l'expression, mais dans celui de l'invention. En effet, le Crucifix, peint à fresque ou à la détrempe, reçoit en quelque sorte un commentaire de plus en plus abondant; le drame du Calvaire s'enrichit sans cesse de personnages nouveaux, d'abord la Vierge et saint Jean, au pied de la croix, puis, dans le ciel, Dieu le Père et les anges, et, sur la terre, les évangélistes, les disciples, les saintes Femmes, les bourreaux, les soldats à cheval, toutes les scènes de la Passion naïvement accumulées. Mais la laideur triomphe dans ces pieux ouvrages; le Christ a les extrémités démesurément allongées, les épaules longues et droites, le ventre étranglé et creux, le corps diaphane, les muscles accentués contrairement à la plus simple anatomie, la tête mal construite, la chevelure rigide. La souffrance du Sauveur s'exprime d'une façon farouche, la douleur des assistants tourne à la grimace; le dessin est incorrect et sec, les ombres maladroites et dures, les mouvements mécaniques. Les premiers peintres authentiques, dès le commencement du XIIIe siècle, s'efforcent d'améliorer la distribution des teintes plutôt que le dessin; ils ont déjà un sentiment vague des effets clairs ou obscurs, ils cherchent à rendre plus fidèlement les parties nues, ils réussissent déjà plus heureusement dans les attitudes pathétiques; leur réalisme, surtout dans la représentation du cadavre divin, est parfois intéressant. C'est ainsi que Giunta de Pise, entre 1220 et 1240, a laissé, aux Saints-Ranieri-et-Leonardo de Pise, et à Sainte-Marie-des-Anges d'Assise, des Crucifiements d'une barbarie moins choquante que celle de ses prédécesseurs. Mais cinquante ans plus tard, Guido de Sienne560, dans ses Madones à l'Enfant de San-Domenico et de l'Académie des beaux-arts, qui ont été probablement retouchées au XIVe siècle, n'a point fait, sur Giunta, de progrès très-sensibles. L'inspiration y est moins triste peut-être, mais les draperies comme les nus n'ont rien perdu encore de la raideur byzantine; le peintre, avec son pinceau, semble aussi peu libre du jeu de sa main que le mosaïste avec ses dés de marbre. Margaritone d'Arezzo, qui doit à son compatriote Vasari de n'être point oublié, multiplia en Italie les portraits de saint François, sujet difficile pour un artiste de si petite expérience, dont le plus grand mérite est probablement d'avoir été le maître de Montano d'Arezzo, peintre favori du roi Robert de Naples.

535.Garnaud, Étud. d'archit. chrétienne. Avant-propos.
536.Vasari, qui écrit longtemps après l'ère du gothique italien, est sévère pour cet art en général, où il ne voit qu'extravagance et désordre, ouvrage des Allemands, dit-il, «dont ceux-ci ont empoisonné le monde, che son tante che hanno ammorbato il mondo». Dell'architett., III.
537.V. Ch. de Rémusat, Notes d'un voyage dans le nord de l'Italie. (Rev. des Deux-Mond., 1er et 15 octob. 1857.)
538.Gailhabaud, Monum. anc. et mod., t. III. Église de Saint-François d'Assise.
539.V. au Dôme de Monreale, la rencontre très-heureuse des trois arts.
540.Tiraboschi, Storia, t. IV, lib. III, cap. 6. – Vasari, Vita di Arn. di Lapo.
541.V. dans le tableau de Granet, au Louvre, l'église inférieure et la description de M. Taine, Voyage en Italie.
542.V. Gailhabaud, op. cit.
543.Sur l'attribution incertaine de ces ouvrages, V. Della Valle, Lettere Sanesi sopra le belle arti.
544.Santa-Maria-del-Fiore.
545.Campanile de Florence.
546.Loggia de' Lanzi, à Florence. On sut réserver, dans la richesse des ensembles, les parties qui méritaient d'être traitées avec une richesse plus grande: ainsi, au palais ducal de Venise, le portail voisin de Saint-Marc et l'escalier des Géants (fin du XVe siècle).
547.V. Cicognari, Stor. della scultura, t. III, p. 265.
548.V. Tiraboschi, Storia, t. III, lib. II, cap. 8. Il reste de Bonnano, à Pise, la porte du transept du sud, voisine de la Tour penchée.
549.Quella vecchia maniera greca goffa e sproporzionata, dit Vasari. Vita di Nicc. et Giov. Pisani.
550.V. Perkins, Tuscan Sculptors, their Lives, Works and Times. London, 1864, t. I. Introd.
551.Niccolo, considerando la bontà di quest'opera, e piacendogli fortemente, mise tanto studio e diligenza per imitare quella maniera… Ibid.
552.V. dans l'Œuvre et la Vie de Michel-Ange, Paris, Gaz. des Beaux-Arts, 1876, les remarquables chapitres de M. Eug. Guillaume, Michel-Ange sculpteur, et de M. Ch. Blanc, le Génie de Michel-Ange dans le dessin.
553.Cron. rim. di Giov. Santi, ap. Passavant, Raphaël, t. I, p. 427.
554.A l'église de Santa-Margherita.
555.Molte anticaglie e pili che ancora sono intorno al Duomo e al Campo Santo, che gli fecero tanto giovamento e diedero tanto lume, che tale non lo potette aver Giotto. Vasari, Vita di And. Pisano.
556.Rapprochez, par exemple, la Déposition au tombeau de l'Assomption.
557.V. Crowe et Cavalcaselle, Geschichte, t. II, p. 15.
558.Perkins, Tuscan Sculptors, t. I, ch. IV.
559.Per molto piacergli la maniera greca, la mescolò sempre con quella di Giotto. Vita di P. Cavallini.
560.V. Crowe et Cavalcaselle, New History of Painting in Italy, dans la traduct. et l'édit. critique de Max Jordan, Geschichte, etc., t. I, cap. V, pour la controverse sur la date vraie de Guido.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
01 ноября 2017
Объем:
320 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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