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Читать книгу: «La Renaissance Italienne et la Philosophie de l'Histoire», страница 2

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Il était naturel, en effet, que le plus grand effort des Italiens fût dirigé du côté de l'indépendance religieuse. Ils n'eussent rien gagné à se soustraire à l'empire et à la féodalité s'ils s'étaient d'ailleurs résignés à la domination du saint-siège. Entre l'église et l'Italie s'établit une sorte de concordat tacite où l'indulgence réciproque eut la meilleure part. L'église permit aux Italiens de passer sans austérité ni tristesse à travers cette vallée de larmes. Les papes accordèrent à la Péninsule des libertés ecclésiastiques qu'ils eussent refusées à l'étranger; à l'église de Milan, dont l'archevêque était une sorte de souverain pontife, l'autonomie liturgique; à Venise, un patriarcat presque indépendant de Rome; à la Sicile, au midi napolitain, une familiarité étonnante avec la communion grecque et l'usage de la langue grecque pour le culte. Les meilleurs chrétiens de l'Italie, les moines, les anachorètes élèvent sans cesse la voix contre les abus du pontificat romain, que corrompt la puissance séculière. Pierre Damien, l'ami de Grégoire VII, déplore que l'église ait en main le glaive temporel. On connaît les invectives furieuses de Dante contre Rome, l'insolence du moine Jacopone à l'égard de Boniface VIII. Mais, en tout ceci, il faut voir la passion politique plutôt que l'émotion religieuse. Le christianisme italien est une création singulière. Il tient beaucoup de la foi primitive; le dogme étroit, la morale rigide, la pratique sévère, la hiérarchie gênent fort peu son indépendance: l'inspiration individuelle, la communion directe du fidèle avec Dieu, qui forment le fond de la religion franciscaine, sont peut-être les plus essentielles traditions de l'âme italienne. Une pensée paraît souvent chez leurs premiers écrivains, tels que Dante et Francesco da Barberino: c'est dans le cœur qu'est la religion vraie. Dante met en purgatoire le roi Manfred que l'église a maudit, que Clément IV a fait arracher à sa sépulture et jeter, —a lume spento, les cierges étant éteints, – au bord du Garigliano. Non, s'écrie le fils de Frédéric II, leur malédiction ne peut nous damner.

Per lor maledizion si non si perde.

L'Italie n'est pas éloignée de penser que toutes les religions mènent au royaume de Dieu. Le voisinage des croyances les plus diverses, l'islamisme et la foi grecque, l'avait préservée de l'égoïsme religieux. La tolérance la conduisit à une notion libérale de l'orthodoxie: le conte des Trois Anneaux était au Novellino longtemps avant Boccace. C'est pourquoi les Italiens, très libres dans l'enceinte de leur église, n'ont jamais songé sérieusement à en sortir. Ils n'ont point eu d'hérésie nationale: la pataria lombarde, le catharisme oriental, l'affiliation à la secte vaudoise ne furent, entre le XIe et le XIIIe siècles, que de courtes tentatives de révolte plus sociale encore que religieuse. La doctrine issue des prédictions de Joachim, abbé de Flore, parut un instant plus menaçante; elle troubla le monde franciscain par l'attente d'une troisième révélation, l'Évangile éternel du Saint-Esprit. Le saint-siège traita avec douceur ces excès du mysticisme italien; il autorisa la liturgie et le culte de Joachim dans les diocèses de Calabre; il condamna Jean de Parme, le général des frères mineurs, puis lui offrit le chapeau de cardinal, enfin, le béatifia; il laissa pulluler les petites sectes des fraticelles et des spirituels, qui continuaient le joachimisme; il béatifia à son tour Jacopone, le plus bruyant de tous ces sectaires. Il était bien entendu, entre l'église et l'Italie, que selon la parole empruntée à saint Paul par Joachim, «là où est l'esprit du Seigneur, là est la liberté». La conscience libre, dans la cité libre, telle fut alors la loi de la civilisation italienne.

Dans le domaine rationnel, l'Italien du moyen âge n'est pas moins maître de soi-même. Il pense librement et d'une façon très saine. C'est un fait grave que la scolastique ne s'est jamais implantée solidement dans la Péninsule. L'Italie a donné à l'école de Paris plusieurs de ses plus grands docteurs, Pierre Lombard, saint Thomas, saint Bonaventure, Gilles de Rome, Jacques de Viterbe; ceux d'entre eux qui ont repassé les Alpes étonnèrent plutôt qu'ils ne séduisirent leurs compatriotes. Saint Thomas professa devant Urbain IV ses doctrines «par une méthode singulière et nouvelle», écrit Tolomeo de Lucques. La scolastique ne fut docilement acceptée en Italie que par les théologiens et les moines. Au XIVe siècle, Pétrarque et Cino da Rinuccini, dans son Paradis des Alberti, se moquent du trivium et du quadrivium. Les premiers moralistes, Brunetto Latini et Dante, peuvent conserver les divisions et l'apparence logique de l'École: en réalité, ils procèdent par expérience dans leurs descriptions de la nature et du cœur humain. La science nationale de l'Italie, à Bologne, à Rome, à Padoue, n'est point la dialectique, mais le droit écrit, c'est-à-dire la raison appliquée aux choses de la vie réelle; c'est aussi le péripatétisme de la tradition arabe, mais absolument dégagé de la théologie, l'averroïsme, auquel se rattache la rénovation des sciences naturelles et de la médecine. Cette grande école, dont Padoue fut le centre, a beaucoup inquiété l'église: les peintres religieux, tels que Benozzo Gozzoli, montrent volontiers Averroès terrassé, véritable Antéchrist, sous les pieds de saint Thomas. Les averroïstes ont tenté, dans l'Italie du moyen âge, une reconnaissance de l'ordre purement rationnel que Descartes reprendra pour la France. Leurs adhérents plus ou moins déclarés allèrent très vite jusqu'au terme dernier de l'incrédulité: ils niaient l'immortalité de l'âme et l'âme elle-même. Les bonnes gens, la gente volgare, voyant Guido Cavalcanti passer rêveur dans les rues de Florence, prétendaient qu'il cherchait des raisons de ne pas croire en Dieu. Déjà, au commencement du XIIe siècle, on avait signalé à Florence des épicuriens qui se riaient de Dieu et des saints et vivaient selon la chair, dit Villani. Comme tous ces libres esprits appartiennent au parti gibelin, il est peut-être bon de n'accueillir qu'avec réserve les accusations lancées contre eux par les guelfes et les moines. On ne peut sans doute mesurer l'étendue de leur scepticisme, mais il faut bien signaler en eux ce trait caractéristique de l'homme moderne. Ils ont eu, dans leur incrédulité, l'orgueil naturel aux consciences qui dédaignent la foi ou les illusions de leur siècle. Dante les condamne, comme hérétiques, mais on sent qu'il les admire, car ils sont de sa race. Le plus hautain de tous, Farinata degli Uberti, tout droit dans son sépulcre embrâsé, le front altier, semble, dit-il, avoir l'enfer en grand mépris. Mais n'avons-nous pas déjà perdu de vue le moyen âge occidental? Tandis que la France s'arrête dans l'œuvre de la civilisation, l'Italie, ouvrière plus tardive, est toute prête à inventer une civilisation nouvelle. Elle tient en ses mains l'instrument de tout progrès, l'art de penser clairement; elle sait opposer à l'autorité de la tradition la valeur rationnelle et l'énergie de l'individu. Elle passe d'une façon presque insensible du moyen âge à la renaissance.

II

Elle y passe d'abord par une vaste crise politique et sociale qui a transformé chez elle la notion de l'état, le caractère du pouvoir, les rapports du citoyen avec le gouvernement de sa patrie, les relations des différentes parties de l'Italie entre elles, les relations de l'Italie avec la chrétienté. Il s'agit de la tyrannie, ou du principat absolu, qui s'établit avec ensemble sur les débris de l'ordre féodal et des communes républicaines. Burckhardt étudie ce grand fait avant tous les autres, parce qu'il est non point la seule cause, mais la cause initiale de presque tous. La tyrannie, en brisant les anciens cadres politiques, n'a pas seulement donné aux Italiens un exemple d'action; elle leur a imposé l'action même par la nécessité où ils se trouvèrent de respirer et de vivre dans l'atmosphère d'un régime nouveau.

Le type premier de l'état moderne remonte à l'empereur Frédéric II. Avant lui, les princes normands avaient régné sur l'Italie inférieure et la Sicile en modifiant le système féodal, qu'ils changèrent en baronnies indépendantes: Frédéric substitue à leur œuvre une remarquable imitation des gouvernements musulmans. Il est, lui, le seul baron, le maître absolu; partout où il domine, le droit politique des comtes est anéanti, les élections populaires sont défendues; entre lui et la multitude des sujets ne subsiste plus une ombre de hiérarchie; il gouverne par son bon plaisir, loi suprême qu'exécutent sans pitié ses vicaires, tels qu'Ezzelino da Romano; il gouverne en dehors de l'église et contre elle; s'il ne fonde pas une religion d'état, s'il ne prétend pas à la suprématie religieuse du monde, tout au moins est-il le chef véritable des religions diverses qui vivent en paix sous son sceptre. Il s'est réservé le pouvoir judiciaire; il enveloppe son royaume du réseau d'une administration dont sa chancellerie trilingue est le centre, fixe, par le cadastre, l'impôt foncier, règle les impôts de consommation, surveille la science, fait des universités de Naples et de Salerne une école impériale où toute la jeunesse de l'Italie méridionale est obligée d'étudier; il est lui-même l'armateur privilégié de l'empire pour tous les ports de la Méditerranée, il s'octroie le monopole du sel et des métaux. Son égoïsme, ses passions, son génie, où la tolérance se rencontre avec la cruauté, sont la règle unique de sa politique. Il brûle les hérétiques, tout en réconciliant l'Europe chrétienne avec l'Asie musulmane. Il appelle à sa cour les poètes et les médecins grecs ou arabes, les troubadours, les rabbins juifs, les géomètres et les chanteurs. Ce khalife souabe qui écrit des vers d'amour et s'entoure de bourreaux sarrasins est la terreur de l'Occident et de Rome. Mais l'Italie, qui bientôt permettra tout à ses maîtres, à la condition qu'ils fassent de grandes choses, voit en Frédéric le premier de ses princes, specchio del mondo, miroir du monde, dit le Novellino; longtemps après la chute de sa maison, il occupera l'imagination populaire et passera dans les songes des Visconti, des Malatesta, des Sforza et des Borgia.

La tyrannie italienne a mis plus d'un siècle à trouver son expression définitive dans les grandes familles despotiques des derniers Visconti et des Sforza de Milan, des Este de Ferrare, des Gonzague de Mantoue, des Montefeltri d'Urbin, dans le principat des premiers Médicis, le pontificat des papes tels que Pie II ou Paul II. Au XIVe siècle, le désordre inouï où est tombée l'Italie, abandonnée par le pape et l'empereur, permet aux audacieux de s'imposer violemment soit à leur propre cité, soit aux barons de leur voisinage. Les petites dominations qui ont commencé par un exploit de brigandage sont alors très nombreuses et d'un caractère farouche. La résistance des communes ou celle des seigneurs, l'indiscipline de ses fils, de ses bâtards et de ses proches qui se rient d'un droit dynastique fondé par le guet-apens, maintiennent le maître illégitime dans la méfiance, le forcent à régner par l'épouvante. Le tyran s'isole dans son palais où aboutissent toutes les forces vives de l'état, la police, les impôts, la justice; la garde du tyran est la seule armée nationale; son trésor bâtit les églises, dessèche les marais. Son peuple lui appartient au même titre que ses meutes de chasse. Jean-Marie Visconti lâchait ses dogues sur les bourgeois de Milan, Urbain VI jetait des cardinaux dans une citerne pleine de reptiles. Cette tyrannie ne pouvait durer; elle s'usa vite par sa violence même. Le XVe siècle nous la montre s'améliorant par le progrès de l'esprit politique, par un développement plus humain de la personnalité des princes. Les petites seigneuries sont absorbées par les plus grandes. Celles qui subsistent encore, les Malatesta de Rimini, les Baglioni de Pérouse, les Manfreddi de Faenza, semblent désormais de véritables fosses aux lions où princes et sujets se dévorent sans merci. Mais, ailleurs, l'ordre a commencé. Un nouveau personnage est entré en scène, le condottière, qui est parfois un tyran à la solde d'un autre, capitaine d'aventures, vénal, brave, dénué de scrupules, mais qui sait commander, rompu à toutes les ruses, étonnamment maître de sa passion du moment. Tel fut le paysan Jacques Sforza, qui fonda la plus grande des maisons italiennes. Il disait à son fils François: «Ne touche jamais à la femme d'autrui; ne frappe aucun de tes gens, ou, si cela t'arrive, envoie-le bien loin; ne monte jamais un cheval ayant la bouche dure ou sujet à perdre ses fers…» Le condottière a créé l'armée moderne, où la valeur personnelle et l'expérience du général sont un ressort d'autant plus puissant que l'invention des armes à feu modifie davantage la vieille tactique féodale et contraint le soldat à une manœuvre d'ensemble; il achèvera dans la tyrannie italienne, où il s'installe souvent par usurpation, l'état moderne absolu. Ici, la fortune de l'état, entourée de puissances rivales, repose à la fois sur les ressources militaires et sur l'habileté diplomatique du tyran. Et toute la sécurité de celui-ci est dans son propre caractère. Il n'a pas, aux yeux des sujets, comme le roi de France ou l'empereur, une sorte de prestige mystique; sa race n'est point séculaire; le parchemin que lui ont délivré l'empereur ou le pape ne compte point pour son peuple; la seule garantie qu'il ait de son pouvoir est la façon dont il l'exerce. Et, comme il est le fils de ses œuvres, il groupe naturellement autour de sa personne ceux dont la noblesse est tout intellectuelle, les artistes, les savants, les poètes, les érudits. Le mécénat devient la parure de la tyrannie italienne. Il en est aussi la force, car il console les villes de leurs libertés communales perdues, et il enveloppe le prince d'une clientèle dévouée, toujours prête pour la louange et qui a toute l'apparence de l'opinion publique. Ainsi l'une des plus sûres raisons d'être des princes est la part considérable qu'ils ont dans la civilisation de la renaissance.

Les formes de cette souveraineté furent très diverses. Ferrare, Urbin, Mantoue, toujours menacées par quelque voisin, le pape, Milan ou Venise, se résignèrent à une politique effacée, mais, pour l'élégance de la civilisation, elles se tinrent au premier rang. La tyrannie par excellence fut le duché de Milan, surtout au temps de Ludovic le More. Milan pouvait fermer ou ouvrir à l'étranger les routes des Alpes; elle était comme la clé de voûte de la Péninsule: ses maîtres osaient aspirer à la couronne d'Italie. Au midi, Naples avec sa famille vraiment royale, mais étrangère, les Aragons, sa noblesse héréditaire et le tempérament monarchique qu'elle tenait des Normands et des Angevins, fut plutôt une royauté au sens européen qu'un principat italien. D'ailleurs, elle ne compta guère dans la renaissance: sa civilisation, très brillante au XIIe siècle et dans la première moitié du XIIIe, vint du dehors; la dynastie espagnole reprit, avec Alphonse le Grand, la tradition libérale de Robert d'Anjou; néanmoins, les Deux-Siciles furent toujours inférieures, pour la culture de l'esprit, même aux petites principautés des Este et des Gonzague.

C'est à Rome que le régime tyrannique apparut de la façon la plus originale et la plus complexe. Le saint-siège était, en Italie, la plus ancienne image de l'autorité. Mais, depuis plus de deux cents ans, son pouvoir s'était lentement modifié sous l'empire de circonstances presque fatales. Peu à peu, le pape du moyen âge, le pape faible dans Rome, sans cesse violenté par sa noblesse ou son peuple, mais très fort en face de la chrétienté, avait fait place à un prince ecclésiastique, de plus en plus maître de Rome et de ses états, de plus en plus redoutable aux factions féodales, mais qui, chaque jour, perdait quelque chose de sa primauté religieuse. Les luttes des papes avec Frédéric II, Manfred et les Gibelins, la rébellion permanente des fraticelles et des mystiques, Philippe le Bel, l'exil d'Avignon, le schisme, l'hérésie hussite, les conciles du XVe siècle, précipitèrent la déchéance du pontificat romain. L'église elle-même avait dû, à Constance et à Bâle, dépouiller son premier évêque de la toute-puissance dogmatique. Les papes voyaient toutes leurs entreprises religieuses condamnées d'avance. Eugène IV, Nicolas V essayèrent vainement la réconciliation de la chrétienté grecque avec Rome. Pie II mourut en bénissant à Ancône les galères qui ne devaient point faire voile vers Jérusalem. Mais Sixte IV refusa obstinément aux princes chrétiens de prêcher la croisade contre les Turcs, et Alexandre VI noua avec Bajazet des relations diplomatiques. La papauté, se repliant dans sa puissance territoriale, passa très résolument à l'état de tyrannie italienne. Elle eut ses condottières, ses ambassadeurs, ses espions, ses sbires, son trésor, ses droits de douane, son tarif d'indulgences. Mais sa condition de royauté élective lui imposait un rôle difficile dans le concert de la péninsule. Le pape, vieux, privé de la garantie dynastique, était condamné à une perpétuelle défensive. Les cardinaux des précédentes familles pontificales, les nobles romains, les princes italiens enlaçaient de mille intrigues le chef de l'église, dont la succession semblait toujours ouverte. Le pape, obligé par sa situation temporelle de suivre une politique sans cesse changeante, grâce à la mobilité des intérêts italiens auxquels elle se mêlait, dut, afin d'être le maître dans sa maison, exercer sur le sacré-collège une police terrible, écraser dans le sang le parti des Colonna, abattre ce qui restait de petits tyrans dans les Romagnes, nouer et dénouer des ligues, s'appuyer tour à tour sur Naples, Milan, Venise, Florence, trahir le lendemain l'allié de la veille, acheter une infanterie suisse, enfin appeler sur la Péninsule l'étranger, la France, l'Espagne ou l'empire. Le saint-siège a tourné dans ce cercle depuis la fin du grand schisme jusqu'à Clément VII, entraînant dans son tourbillon la politique de l'Italie entière. Le seul point auquel ces papes (Jules II excepté) s'attachèrent avec constance, fut le népotisme. C'était l'inévitable nécessité du principat ecclésiastique. Par leurs neveux ou leurs fils, dotés de fiefs considérables et mariés dans les familles princières, les pontifes créaient l'apparence d'une dynastie, agrandissaient la suzeraineté de l'église du côté de Naples, de Florence, de Venise. Le népotisme a bouleversé l'Italie sous Sixte IV, Alexandre VI et Léon X; il faillit être mortel à l'église elle-même. Le fils de Sixte IV, Pietro Riario, conçut l'idée de prendre la tiare, à titre d'héritier, sans élection et du vivant même de son père. César Borgia reprit ce projet extraordinaire en vue duquel Alexandre ménageait à son fils l'appui de Venise. Qu'il se fût ou non proclamé pape, il mettait la main sur le royaume de saint Pierre et le fondait, avec son duché des Romagnes, en une souveraineté de l'Italie centrale: «J'avais pensé à tout ce qui suivrait la mort du pape et trouvé remède à tout, dit César à Machiavel, quelques jours après la fin foudroyante d'Alexandre; seulement, j'avais oublié que, lui mort, je pouvais être moi-même moribond.»

Burckhardt étudie à part deux cités: Venise, qui demeurait une république patricienne, immobile dans sa constitution sociale, et Florence, qui, démocratique de génie, goûta de tous les régimes, de la tyrannie militaire du duc d'Athènes, de la démagogie incendiaire des ciompi, de la tyrannie théocratique de Savonarole, du principat intermittent des Médicis, de la république bourgeoise de Soderini. Venise fut longtemps comme en dehors de l'Italie, tournée vers l'Orient, indifférente aux agitations de la Péninsule, où elle n'entrait jamais que pour quelques instants, en faisant payer son alliance le plus cher possible. Tout son esprit d'invention allait vers les régions lointaines où cheminaient ses caravanes. Le moyen âge se prolongeait sur les lagunes, maintenu par un gouvernement inquisitorial, la dévotion d'état, l'étroite solidarité des citoyens, que fortifiait la haine du reste de la Péninsule. Le soupçon incessant, la terreur de la délation, pesaient sur toutes les âmes. Venise, très ingénieuse de bonne heure pour le calcul des intérêts économiques, ne devait s'éveiller que tard à la vie de l'esprit. Sa renaissance fut d'arrière-saison, le dernier rayon de l'Italie. Elle n'eut pas, antérieurement à Alde Manuce, l'amour désintéressé des lettres; elle décourageait les érudits que l'Orient grec lui envoyait; Paul II, un Vénitien, traitait d'hérétiques tous les philologues. Venise laissa se perdre les manuscrits de Pétrarque et dépérir la bibliothèque de Bessarion. Ses premiers poètes datent du XVIe siècle, sa peinture originale de la fin du XVe. Sa littérature propre est dans les Relations de ses orateurs, qui, par leur art national de l'espionnage, ont été peut-être les plus fins diplomates du monde.

Tout autre fut la physionomie de Florence. Ce peuple mobile peut renverser dix fois par siècle son gouvernement: on sent qu'il est le maître de sa destinée et de ses actes. Machiavel en expose l'histoire comme celle d'un être vivant et personnel: «Florence, dit Burckhardt, était alors occupée du plus riche développement des individualités, tandis que les tyrans n'admettaient pas d'autre individualité que la leur et celle de leurs plus proches serviteurs.» Cette vie féconde de la conscience à laquelle les tyrans doivent tout ce qu'ils sont, et qu'ils communiquent aux artistes et aux écrivains de leur cour, Florence l'avait donnée elle-même à tous ses citoyens. Le Florentin ne se laisse point opprimer par l'histoire tumultueuse de sa république. Il cherche toujours, entre les partis extrêmes, quelque point de conciliation. Il veut bien être guelfe, mais à la condition que le pape ne touchera point aux libertés florentines. Il étudie sérieusement les causes de la prospérité ou du malaise de la cité. Avec Dante et Machiavel, il juge les défauts de son génie, la légèreté, la jalousie, la calomnie, l'hérédité de la vengeance; avec les Villani, Guichardin et Varchi, il recherche et mesure toutes les sources de la fortune de Florence, il passe sans effort de la statistique à l'économie politique; il aime sa ville; exilé, il la pleure, même en la maudissant, et, jusqu'au dernier jour de l'indépendance nationale, il la glorifie comme le chef-d'œuvre de l'histoire. Dans une telle cité, le régime politique repose sur l'opinion et chancelle au moindre frémissement du sentiment public. Florence n'a jamais été plus véritablement elle-même qu'aux jours où le crédit seul de Cosme l'Ancien gouvernait les affaires; la seule tyrannie qu'elle accepta avec sérénité fut, après la conspiration des Pazzi, celle de Laurent le Magnifique. C'est à ces années de la vie florentine que s'applique le mieux la dénomination donnée par Burckhardt à la première partie de son livre: l'État considéré comme œuvre d'art. Vers ce poète et ce sage gravite harmonieusement une civilisation où tout un peuple épris de liberté et de beauté a mis son âme.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
221 стр. 2 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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