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Читать книгу: «Le second rang du collier», страница 13

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Arrive l'époque de la foire de l'endroit. L'amoureux, toujours aux aguets, remarque que sa bien-aimée prend plaisir à visiter les baraques et vient souvent se promener à la fête; un éclair de génie traverse son cerveau: il séduit le propriétaire d'un phoque, et obtient de se mettre dans le baquet, à la place de l'animal. Ainsi caché, il attend, avec une persévérance et une patience admirables, le passage de la jeune châtelaine.

Elle s'avance enfin, sous l'auréole rose de son ombrelle, et s'arrête pour regarder le phoque. Alors, le jeune homme, au lieu du classique: «Papa! Maman!» d'une voix passionnée et tremblante, murmure:

– Mademoiselle, je vous aime!.. Je n'ai pas d'espoir et je vais mourir… Mais je voulais avoir le bonheur de vous dire pourquoi je meurs…

Très surprise d'abord, la belle héritière s'attendrit. Ce jeune homme, déguisé en phoque, a de beaux yeux et une voix touchante; il ne faut pas mourir, mais sortir du baquet, aller demander au châtelain la main de sa fille, l'obtenir, et être le plus heureux des hommes.

Le faux phoque bondit hors de l'eau, et, tout ruisselant, tombe aux pieds de la jeune fille. Huit jours après, les bans sont publiés.

A la nouvelle de cette rare fortune, pris d'un beau zèle, tous les jeunes gens de la ville se mettent dans des baquets et font le phoque, attendant l'occasion de s'écrier:

– Mademoiselle, je vous aime!

Mais il ne passe plus d'héritières…

Cette conclusion surtout amusait Flaubert. Avec quel bon rire, qui secouait drôlement sa vaste poitrine et faisait se voiler dans leurs longs cils ses beaux yeux bleus, il achevait son récit!

Louis Bouilhet, que l'on appelait toujours «monseigneur», était un homme doux et charmant, qui admirait passionnément son grand Flaubert, le conseillait, et le soutenait pendant la terrible gestation des œuvres. Il m'était très sympathique et causait beaucoup avec moi, parce qu'il s'intéressait spécialement à l'écriture chinoise. Il voulait savoir comment les caractères étaient composés, afin de les décomposer pour en donner le sens mystique. Par exemple: femme et fils, en se réunissant, forment un troisième signe signifiant —amour; Bouilhet disait: a l'amour fils de la femme». Cœur et porte ensemble veulent dire —tristesse; il traduisait: «le cœur captif». —Trois, – homme, – soleil, combinés ensemble, signifient —printemps:– c'était «trois hommes en marche vers la lumière». Je pense qu'il avait le désir de réunir en un petit recueil un certain nombre d'exemples pareils à ceux-ci.

Maxime du Camp, mon très affectueux parrain, contrastait avec ces deux beaux Normands, blonds, robustes, exubérants et sans façon: il était brun comme un Arabe, mince, sec, réservé et d'une correction élégante.

Ernest Feydeau semblait l'homme le plus heureux du monde. Ses succès littéraires lui donnaient une assurance et un joyeux orgueil, qui rayonnaient de sa personne, continuellement. Il avait coutume de dire, en parlant de lui-même: «l'auteur de Fanny», et il n'avait rien imaginé de plus beau à offrir à sa fiancée, lorsqu'il s'était remarié, qu'un émail, très finement peint sur le chaton d'une bague, qu'il montrait à tous ses amis, et représentant: «l'œil de Feydeau».

Il gardait cependant beaucoup de candeur et de naïveté, une tendance à tout croire, et à mal comprendre l'ironie et les paradoxes: c'est pourquoi le pince-sans-rire féroce, qu'était Baudelaire, l'horripilait si fort et le mettait hors de lui.

Oubliant l'œuvre de Balzac, il s'imaginait avoir inventé la psychologie, et il observait toujours, autour de lui, étudiait les âmes, à travers les corps.

Une fois, je m'étais jetée sur le canapé, le poing à la tempe, comme absorbée par une rêverie ténébreuse. Feydeau causait avec mon père, en face de moi. Il se mit à m'examiner et fit, à demi-voix, des réflexions que j'entendais très bien: «le naturel de l'attitude, si savante cependant … la grâce qui s'ignore … l'intensité de l'expression, produite sans doute par quelque pensée frivole, etc…» Lorsqu'à la fin je me relevai brusquement, comme éveillée par l'attention dont j'étais l'objet, il me dit:

– Jeune fille, souviens-toi que, sans le savoir, tu as légèrement posé devant Feydeau.

Je retins un sourire, et mon père échangea avec moi un imperceptible clignement d'yeux: nous pensions tous deux que c'était plutôt le contraire…

Quand approchait le printemps, l'époque des expositions, les peintres affluaient à la maison. Théophile Gautier était du jury de peinture, et les articles du grand critique faisaient, mieux que tous autres, les réputations: on connaissait sa bienveillance, pas si débonnaire cependant qu'on voulait le croire, et bien souvent aiguisée d'ironie, pour qui savait lire entre les lignes. Mais la brutalité lui répugnait, et tout effort sincère lui semblait digne d'égards.

Dans la conversation il apportait la même urbanité, et, si quelque hâbleur croyait pouvoir lui conter de folles histoires, il le laissait aller jusqu'au bout, se gardant bien de lui couper son effet; puis, d'un coup de griffe, léger mais sûr, il faisait crouler le château de cartes.

Un peintre, de grand talent, lui narrait, une fois, d'étonnantes aventures de voyages. – José-Maria de Heredia, un jeune et charmant poète que nous voyions pour la première fois, était à Neuilly, ce jour-là. – L'artiste racontait, entre autres, une excursion en Égypte, au cours de laquelle il avait dû soutenir un combat singulier avec un boa, qui avait failli le dévorer.

Théophile Gautier suivit le récit jusqu'à la fin, puis il dit à son ami, de sa voix la plus tranquille:

– Mon cher X… écoute ceci pour ta gouverne! Quand tu raconteras ta petite histoire, dans les sociétés, remplace le boa par un crocodile: il n'y a pas de constrictors en Égypte…

Épris des arts plastiques comme il l'était, Théophile Gautier rédigeait ses Salons avec moins de répugnance que ses chroniques dramatiques. Parmi les tableaux et les marbres il pouvait encore choisir ses thèmes, et il s'ingéniait à transposer l'art des formes, en son style coloré et pittoresque. Il travaillait à la maison, ou quelquefois, pour aller plus vite, il écrivait ses articles, sur son carnet de notes, à l'Exposition même.

Moi aussi, j'écrivis un Salon: mon père m'avait beaucoup engagée à le faire, pour m'exercer, disait-il, à la critique, et il paraissait dans le journal l'Entracte. Ce compte rendu était extrêmement gauche et succinct, car je n'avais pas – et je n'eus jamais – l'esprit d'analyse, sachant très mal expliquer, le pourquoi de mes enthousiasmes et de mes haines, néanmoins très violentes et intransigeantes. Un passage de ces articles, si maladroits, eut cependant une gloire imprévue. Il se rapportait à un tableau d'Ernest Hébert:

A côté de la Perle noire est un tout petit cadre admiré de tous: c'est simplement un banc de pierre au fond d'une allée, dans un coin de parc solitaire (personne n'est assis sur ce banc). Mais des souvenirs doux et tristes semblent l'envelopper. Autrefois, de tendres promeneurs s'y sont reposés, se parlant bas et longuement ou bien, peut-être, silencieux et émus; alors les arbres complices ont caché, de leur verdure impénétrable, de frais baisers rapides et tremblants. Puis le vent d'hiver a soufflé; la ruine et la mort ont passé par là, et le parc est resté désert; le banc s'est recouvert d'un linceul de mousse, et les arbres, autour de lui, laissent traîner tristement à terre leurs branches dépouillées.

Pour m'encourager et me persuader que c'était très bien, Théophile Gautier reprit cet embryon d'idée; il en fit un chef-d'œuvre, le fameux poème, qu'il dédia au peintre lui-même:

LE BANC DE PIERRE
 
Au fond du parc, dans une ombre indécise,
Il est un banc solitaire et moussu,
Où l'on croit voir la Rêverie assise,
Triste et songeant à quelque amour déçu.
Le souvenir dans les arbres murmure,
Se racontant les bonheurs expiés;
Et, comme un pleur, de la grêle ramure
Une feuille tombe à vos pieds.
 
 
Ils venaient là, beau couple qui s'enlace,
Aux yeux jaloux tous deux se dérobant,
Et réveillaient, pour s'asseoir à sa place,
Le clair de lune endormi sur le banc
Ce qu'ils disaient, la maîtresse l'oublie;
Mais l'amoureux, cœur blessé, s'en souvient,
Et dans le bois, avec mélancolie,
Au rendez-vous, tout seul, revient.
 
 
Pour l'œil qui sait voir les larmes des choses,
Ce banc désert regrette le passé,
Les longs baisers, et le bouquet de roses,
Comme un signal à son angle placé.
Sur lui la branche à l'abandon retombe,
La mousse est jaune et la fleur sans parfum;
La pierre grise a l'aspect de la tombe
Qui recouvre l'amour défunt!..
 

Ces réunions d'artistes illustres, ou inconnus encore, qui formaient, à cette époque du Salon, une véritable cour autour de mon père, m'effarouchait assez, et, si elles n'étaient pas composées de quelques-uns de mes bons amis, tels que Puvis, Paul Baudry, Hébert et quelques autres, je fuyais, car je redoutais les peintres et les sculpteurs par-dessus tout. Cela, à cause de mon nez: mon père ne manquait jamais d'en faire admirer le style classique à ceux qui étaient capables de l'apprécier; il me poussait du doigt, par le menton, pour me mettre le visage dans la bonne pose, et rien ne m'humiliait et ne m'agaçait autant que cette cérémonie.

Je ne voulais pas le contrarier, mais, aux coups de sonnette, du haut de la fenêtre, j'examinais les nouveaux venus: dès que je devinais, en l'un d'eux, un peintre ou un sculpteur, non encore initié à mon profil, je me hâtais de disparaître, sous la penderie du cabinet de toilette, où je m'ennuyais, patiemment, de longues heures. L'instant venait où l'on me cherchait, où l'on m'appelait avec insistance, mais je ne répondais pas, et je sortais seulement de ma cachette quand la porte de la rue avait claqué derrière le visiteur.

IX

– Votre mère n'est pas là?.. Très bien!.. allons ranger le salon.

C'est Dumas fils, qui vient d'entrer, par la porte de la cour, le chapeau en arrière, les mains dans ses poches, l'air très frondeur.

L'esthétique du salon a quelques défauts, qui nous taquinent beaucoup; nous avons chuchoté bien souvent à ce sujet avec Dumas, qui partage notre souci. Aujourd'hui, révolutionnaire, il médite un bouleversement.

Dans la compagnie de sa sœur Carlotta, qui est devenue très bourgeoise et occupe activement son inaction, ma mère a pris la manie du tricotage, du crochet, de la tapisserie: après de longs mois d'application, elle arrive à parachever des œuvres, dont elle est fière, et elle en orne le salon. Sans pitié pour la noble harmonie des toiles illustres pendues aux murs, d'innocentes tapisseries, aux couleurs crues et criardes, couvrent les tables, et par terre, plus horrible encore, voisinant avec un tapis d'Orient, s'étale un carré d'herbe, nuancée, en laine frisée, piqué de coquelicots et de marguerites, faites au crochet!..

C'est surtout cette verdure qui nous désole. Dumas n'hésite pas: il bondit vers elle, l'empoigne en regardant autour de lui dans quel coin il va l'enfouir.

– Une idée!.. Soulevons la dame en bronze qui pleurniche, écrasons sous son poids ces délicieuses pâquerettes… Maintenant, en amassant la mousse autour du socle, cela n'est plus qu'une vague draperie qui ne tire pas l'œil.

C'est parfait: nous battons des mains. Quelques meubles déplacés, et disposés de façon à couper les lignes, à rompre le déplaisant parallélisme, produisent un bon effet; mais les tapisseries, jetées çà et là, hurlent toujours, il n'y a aucun moyen d'en tirer parti.

– Soyons héroïques! s'écrie Dumas, supprimons-les!

Il les enlève et les roule:

– Je tiendrai tête à l'orage!.. D'ailleurs, la maman est violente, mais pas méchante du tout… Seulement, vous en avez tous peur, et c'est là le mal…

Nous nous sommes assis pour nous reposer en admirant notre œuvre. Rien ne détonne plus maintenant: le salon semble plus large et cependant plus intime; sous la lumière tamisée par le vitrail, – qui n'a qu'un tort, celui de projeter des lueurs rouges et vertes sur la Diane de Paul Baudry, – l'ensemble a certainement beaucoup gagné.

Pourvu que ses changements soient maintenus!..

Dumas nous raconte qu'il y a eu un incendie, chez lui, dans sa chambre, et qu'il a failli rôtir. Il est enchanté de cet événement, parce que la compagnie d'assurances lui refait une chambre toute neuve.

– En somme, il n'y a de brûlé qu'un rideau de mon lit et je demandais simplement qu'il fût remplacé; les agents de la Compagnie se sont récriés: l'ancien et le neuf n'iraient pas ensemble, la teinte ne serait pas la même, cela jurerait affreusement!.. Bref, ils remplacent tout, la tenture, les portières, le couvre-pied, et c'est joliment malin de leur part, car vous voyez quelle réclame je leur fais!.. Je parie que vous n'êtes pas assurés.

Nous n'en savons trop rien. Et quelle imprudence de ne pas l'être! Le père, bien souvent, s'endort sur son journal et enflamme le coin du papier à sa bougie… Dernièrement, j'ai été réveillée, moi, en pleine nuit, par une odeur de roussi. Qu'est-ce que je vois du haut de l'escalier? Mon père, adossé au poêle, sur lequel il a posé sa lumière, et qui lit tranquillement; une colonne de fumée monte derrière lui. Je dégringole nu-pieds et me jette sur l'épais veston de velours, que j'arrache facilement, mais qui, complètement brûlé dans le dos, se partage en deux, une manche par-ci, l'autre par-là.

– Si vous étiez assurés, Théo aurait eu un veston neuf! s'écrie Dumas.

Puis il me demande si j'ai fini de lire Vauvenargues, dont il m'a donné une charmante édition reliée. Je crois bien que je l'ai lu! Je sais même par cœur nombre de ses pensées et je les cite, en les appliquant aux circonstances, avec beaucoup d'à-propos. Par exemple, si l'on me raille sur la véhémence de mes enthousiasmes, je réponds:

«C'est un grand signe de médiocrité que de louer tout modérément.»

Ou, quand je crois ne pas devoir obéir:

«Les conseils des vieillards sont comme le soleil d'hiver: ils éclairent sans réchauffer.»

– Est-elle mauvaise! dit Dumas en riant.

Et il nous fait de la morale, comme cela lui arrive quelquefois.

Dans les premiers temps de notre connaissance, il nous inspirait une certaine crainte: sa brusquerie, son esprit mordant nous intimidaient; les histoires qu'il rapportait nous paraissaient terribles; les mots cruels dont il avait cinglé ceux – et aussi celles – qui l'attaquaient étaient d'une suprême insolence. Un entre autres, nous avaient frappées. Une orgueilleuse personne lui ayant demandé, non sans dédain, où il avait étudié les femmes du monde:

« – Chez moi, madame,» avait-il répondu.

Mais, entre les piquants de sa malice, sa grande bonté s'était vite laissée voir, et nous étions devenus très amis.

La morale qu'il nous faisait était assez originale. Il cherchait à nous armer pour la vie, en nous détournant des «niaiseries sentimentales», comme il nous disait, des coups de tête absurdes, qui vous jettent dans des aventures, dont toute l'existence se ressent. Le malheur est qu'il est difficile de démêler, tout d'abord, quel rôle vous convient le mieux, sur le théâtre du monde, que l'on se trompe le plus souvent, qu'au lieu de prendre la route qui vous mènerait à tout, on s'engage dans le sentier qui vous conduit à rien. D'après lui, nous étions des créatures de luxe. En dépit d'une éducation décousue, et dans un milieu où l'on nous surveillait d'une façon intermittente et plutôt vague, nous avions su nous affiner toutes seules et, par une instinctive réaction contre la liberté trop large, garder une attitude réservée et fière, très louable. L'événement le plus à redouter pour nous, c'était un mariage médiocre – «une chaumière et un cœur» – qui nous dépayserait complètement et nous serait funeste. Nous menions, sans nous en douter peut-être, une vie de choix, inaccessible à de beaucoup plus riches: l'élite du monde fréquentait chez nous, nous étions de toutes les inaugurations, de toutes les fêtes de l'art; nous assistions aux premières représentations de tous les théâtres, dans les plus belles loges… Et il nous faisait un tableau très noir de la vie étroite, du logis encombré, de la marmaille criarde et mal tenue, du terre à terre de tous les instants, où le miel de l'amour a vite fait de se changer en fiel. Mieux valait cent fois, d'après lui, si le parti idéal ne se rencontrait pas, rester seules et sans entraves, que de s'enlizer dans un bourbier.

– Tout ce que j'en dis, cependant, ajoutait-il, ne vous empêchera pas d'épouser quelque poète sans le sou, sur la foi de ses sonnets: la jeunesse méprise l'argent et ne veut pas croire qu'il est la seule puissance durable; l'expérience des autres n'a jamais convaincu personne. Je puis, avec Judith, citer Vauvenargues: «Les conseils des vieillards sont comme le soleil d'hiver: ils éclairent sans réchauffer».

Mais voilà que l'on a sonné, et Dash n'aboie pas. C'est maman! Nous aimons autant disparaître; nous grimpons quatre à quatre vers notre chambre, après un adieu hâtif à Dumas. Devant cette fuite, peu héroïque, il s'écrie, comme il le fait souvent, lorsqu'il arrive au milieu d'une discussion:

– Quelle famille!..

 
Les pétunias blancs semés dans les corbeilles
Semblent des papillons qui volent les abeilles…
 

C'est moi qui, en oscillant dans le hamac, improvise ce distique, par hasard, sans y avoir pensé le moins du monde.

Mon père, assis sur l'herbe, le dos appuyé contre un arbre, est enchanté de ces deux vers qui pourtant ne valent pas grand chose.

– L'image est juste et la rime riche, dit-il.

Et il profite de l'occasion pour me gronder de ce que je ne m'exerce pas à faire des vers.

– Je t'assure que je n'ai aucune disposition: dès que je m'efforce, pour t'obéir, mes idées s'éparpillent comme une volée de moineaux et il m'est impossible d'en retenir une seule. Je ne suis préoccupée que de la rime et de la mesure … mais je n'ai rien à mesurer!.. De plus l'hiatus ne me paraît pas si vilain, je serais tentée de trouver joli, et pas trop long, le fameux vers de Balzac:

O inca! O roi infortuné et malheureux!!!

D'ailleurs, depuis quelque temps, j'ai une prédilection pour une sorte de poésie, toute spéciale, et plus difficile que toute autre, à ce qu'il me semble. C'est Mohsin-Khan qui m'a donné ce goût nouveau, en me récitant des vers de Kheyam, d'Hafiz ou de Saadi… C'est tout court, ces poèmes persans: un distique, un quatrain; mais c'est parfait et complet, comme une perle ou un diamant. Même à travers la prose et la gaucherie du mot à mot, on comprend ce que cela doit être.

– Nous ne sommes pas des pourceaux: tu peux semer tes perles devant nous.

– Je ne les ai pas toutes recueillies dans un écrin, en voici une pourtant:

Un jour, je vis, en rêve, Iblis. C'était un beau jeune homme au front pensif, au regard lumineux.

– Comment se peut-il, m'écriai-je, qu'on te représente horrible à voir, avec des cornes et une queue?..

Alors, Iblis eut un sourire doux et triste et me répondit:

– C'est parce que le pinceau est entre les mains de l'ennemi.

– C'est très beau, en effet, dit mon père, très profond, et cela forme un ensemble parfait auquel on ne saurait rien ajouter.

– Je préfère encore ce distique – de Saadi, comme le quatrain; – celui-ci, c'est un diamant:

Je suis près de toi et je ne peux arriver jusqu'à toi.

Ainsi, dans le désert, le chameau mourant de soif, dont toute la charge est de l'eau.

Mon père est enthousiasmé, l'image lui paraît admirable: il voudrait traduire ce distique en vers français, mais le vocable «chameau» lui semble difficile à employer.

Mohsin-Khan est poète aussi. Il imite avec succès, dans le quatrain suivant, Omer Kheyani, l'ivrogne sublime:

 
O vin limpide! O boisson lumineuse!
Je veux te boire tant et tant,
Que celui qui de loin m'apercevra s'écrie:
«Eh! d'où donc viens-tu, seigneur le Vin?..»
 

J'ai retenu encore ce distique tout récemment composé:

 
Sans cesse j'évoque l'image de ma bien-aimée absente,
Et toujours elle s'efface, comme un dessin tracé sur l'eau.
 

Maintenant, père, je vais te dire un secret! J'avais promis de le garder, mais je le viole sans remords, certaine que je suis de te faire plaisir… Nono a écrit des vers, mais il ne veut pas qu'on le sache; il ignore même que j'ai son sonnet; c'est madame Ganneau qui le lui a chipé, pour me le donner.

– Cela ne m'étonnerait pas du tout que Nono ait du talent… En tout cas je respecte cette pudeur, et, si ses vers sont par trop maladroits, je serai censé ne les avoir pas lus.

Je saute hors du hamac pour courir chercher le sonnet de Clermont-Ganneau dans la cachette où je le garde. Quand je reviens, mon père tend vers moi une main impatiente, avec cette curiosité intense qu'il a pour tout ce qui est écrit.

De très près, sans monocle, attentivement, il lit le sonnet que voici:

LUX
 
Quand passe, ventre à terre, un cheval indompté,
Dans son galop sans frein semblant avoir des ailes,
On voit souvent jaillir, parmi l'obscurité,
Sous son ongle de fer, des gerbes d'étincelles.
 
 
Et toi, pareillement, sombre fatalité,
Coursier qui n'as jamais connu ni mors ni selles,
Sous ton sabot d'acier foulant l'humanité,
Tu réduis, sans les voir, bien des cœurs en parcelles.
 
 
Mais de ces cœurs meurtris et broyés sous le choc
Jaillit une étincelle ainsi que sur le roc,
Etincelle éclatante au milieu des ténèbres!
 
 
O grands penseurs, frappés par le destin jaloux
Sur notre route obscure, ô martyrs! c'est donc vous
Qui seuls illuminez les profondeurs funèbres!
 

Je ne regrette pas ma trahison, car mon père trouve la pensée très belle et la facture du sonnet déjà habile; il est tout heureux de voir l'adolescent qu'il aime se révéler poète. Mais cela ne le surprend pas.

Le jeune Nono, félicité de toutes parts, ne m'en veut pas trop de l'avoir dénoncé, et Mme Ganneau a la joie d'entendre dire à Théophile Gautier:

– Je signerais ces vers-là sans hésiter!

Nos meilleures journées étaient celles que nous pouvions passer à la maison, seules avec le père, et elles semblaient lui plaire autant qu'à nous-mêmes. Nous les connaissions d'avance: elles revenaient toutes les quinzaines; la maman sortait, pour faire des visites, déjeuner et dîner chez des amies.

Il était entendu, qu'alors il n'y avait plus d'autorité, qu'on ne grondait pas, qu'il nous était permis de faire ce que nous voulions, de dire toutes les folies qui nous passaient par la tête. Nous n'abusions pas trop de la licence et, en général, nous étions très sages. Par les temps maussades, nous restions dans la chambre du père; tous assis par terre, sur le tapis, étayés de coussins, nous bavardions sans relâche.

Parfois, avec une verve comique, qui nous donnait le fou rire, Théophile Gautier s'amusait à parodier quelque chef-d'œuvre, lui qui prétendait ne rien comprendre aux parodies et qui détestait par-dessus tout la caricature. Mais il voulait prouver que, pour faire un pastiche ou une charge, pour exagérer d'une façon juste la manière ou les traits, dans le sens ridicule, il fallait parfaitement comprendre et avoir beaucoup de talent. D'après lui, jamais les partisans du classique et du poncif n'étaient parvenus à parodier Victor Hugo: les tons rutilants manquaient sur leurs palettes, et, malgré eux, leurs grises platitudes se moquaient plutôt de ce qu'ils voulaient défendre.

Une fois, il nous résuma, en un discours d'une gaieté étincelante, l'œuvre de Paul de Kock! – pour nous épargner, disait-il, la peine de la lire dans un style grossier et bourgeois. – Certes, personne n'a connu un Paul de Kock d'une telle drôlerie et aussi bon écrivain! Quel dommage qu'un phonographe n'ait pas conservé cette étonnante improvisation et que la mémoire du romancier, jadis si cher aux foules, soit privée de l'honneur imprévu d'un tel commentaire!

Cet adorable enjouement était un des plus grands charmes de Théophile Gautier, si chargé de soucis pourtant, si opprimé par la vie. Il lui arrivait bien de se plaindre, et ses lamentations étaient véhémentes, mais rares.

– Je suis jovial et bas bouffon, disait-il parfois, et, comme le grand Rabelais, je trouve que le rire est le propre de l'homme.

De loin en loin, nous entreprenions quelque grand travail, rangement de la bibliothèque ou classement de gravures; nous étions bien vite lassées. Nous remettions tout en tas, et nous entraînions le père au salon pour l'instruire dans la connaissance de la grande musique. Il lui fallait s'asseoir près du piano et écouter la symphonie héroïque, ou la symphonie en la. Il allumait un cigare et se soumettait docilement. Si nous croyions surprendre chez lui le moindre signe de distraction ou un commencement de somnolence, nous changions immédiatement de thème, nous jouions J'ai du bon tabac ou Malbrough s'en va-t-en guerre, mais il n'était jamais pris et protestait tout de suite.

Quand il faisait beau, nous allions, l'après-midi, faire une promenade, presque toujours au Jardin d'acclimatation, dont une des entrées était tout près de chez nous. Munis d'énormes miches de pain, nous visitions nos amis les hémiones, les zébus, les lamas, qui crachent au nez de ceux qui leur déplaisent, les grues couronnées du Sénégal, l'agami, qui fait si drôlement la police des poulaillers, et surtout les kanguroos, si amusants par leur saut ridicule et le fauteuil pliant que forment leurs pattes de derrière.

Jamais nous ne manquions d'aller faire un tour à l'aquarium, auquel Théophile Gautier s'intéressait spécialement, pour voir s'il n'avait pas quelque nouvel hôte. L'apparition des hippocampes, ces délicieux petits chevaux ailés qui semblaient des Pégases en miniature, nous avait enthousiasmés.

Quand cet aquarium avait été inauguré, mon père avait écrit à ce propos un article qui lui avait valu ses entrées permanentes au Jardin, – à lui, à sa famille et à tous ceux qui se présentaient en sa compagnie.

Cet article n'a jamais été recueilli, pas plus que tant de pages remarquables: au moins de quoi faire vingt volumes compacts. J'ai eu grand plaisir à le retrouver et à le relire. On m'accordera que c'est un «reportage», ou même une «variété» scientifique, de qualité peu ordinaire:

La vie mystérieuse qui fourmille sous les eaux semblait devoir rester impénétrable pour l'homme: vie immense, profonde, inépuisable, multiple d'une étrangeté de formes, d'une bizarrerie d'habitudes, qui étonnent l'imagination la plus hardie. Sans doute la science possède la faune et la flore de ces abîmes comblés d'un fluide que nos poumons ne sauraient respirer, mais à l'état inerte, mort, empaillé: les poissons dans l'alcool, les coquilles sur des rayons, les végétaux entre les feuilles d'un herbier…

Dans le demi-jour vitreux et le silence éternel de l'abîme, car les tempêtes les plus violentes ne sont qu'un léger frisson sur l'épiderme de l'Océan, toute une prodigieuse création, qui va du coquillage microscopique, dont il faut trois millions pour remplir un pouce cube, jusqu'à la colossale monstruosité de la baleine, nage, rampe, sautille, s'accroche, s'incruste, s'enchevêtre, s'irradie, sécrète et prépare dans l'ombre les continents futurs, les Amériques de l'avenir, sous les plis de cet immense manteau glauque qui recouvre plus des deux tiers de notre globe. – Ce monde profond, dont l'atmosphère est un liquide d'une acre amertume, et qui n'aperçoit notre soleil que comme une irradiation diffuse, semble à tout jamais fermé à l'homme…

L'aquarium en trahit les mystères: grâce à lui on pourra étudier la vie intime de ces peuples humides; on connaîtra leurs mœurs, leurs habitudes, leurs sympathies et leurs antipathies, car ils habiteront, comme le sage le désirait, une maison aux murailles de verre incapable de garder un secret.

Après avoir franchi un vestibule fort simple, on se trouve, comme au Diorama, dans un large couloir à dessein baigné d'ombre. Le regard se tourne de lui-même vers une suite de tableaux éclairés par un jour de grotte d'azur et d'un effet magique. Rien de pareil ne s'est jamais offert à l'œil humain: c'est le monde tel que le voient les néréides, les sirènes, les ondines, les nixes et les poissons. – Dans la paroi du mur sont pratiquées quatorze cavités ou chambres, en forme de parallélogramme, séparées par des intervalles égaux. Le côté qui fait face au spectateur est fermé par une glace de Saint-Gobain d'une transparence extrême.

Les trois autres faces sont revêtues de plaques en ardoises d'Angers. Une eau douce ou salée, qu'épurent de puissants filtres, remplit ces bacs. Quatre bacs sont consacrés à la vie fluviale, et dix à la vie marine…

Un lit de sable couvre le fond de chaque vivier; des pierres, des fragments de roche que tapissent en partie des plantes aquatiques composent, réfléchis par la surface plane de l'eau comme une glace, des paysages et des cavernes de l'étrangeté la plus chimériquement pittoresque. L'eau en forme l'atmosphère, en dégrade les plans, en azure les lointains. Au bout de quelques minutes, l'illusion est complète. Le sentiment de la proportion se perd, on croit voir les vallées et les montagnes d'un pays inconnu ou plutôt d'une planète nouvelle… Les pierres deviennent des pics énormes, la moindre anfractuosité de galet une grotte profonde; les cailloux du dernier plan se grossissent en sierras. Les filets de la vallisneria, les touffes de l'anacharis représentent des forêts noyées. – Quant aux poissons, pénétrés de lumière, ils sont d'une translucidité féerique. Ils montent et descendent, se déplacent par de légers mouvements de queue ou de nageoires et comme s'ils flottaient dans l'air le plus limpide; s'ils s'approchent de l'invisible barrière que leur oppose la glace, on dirait qu'ils vont sortir du cadre et s'élancer hors de leur élément…

Quand on arrive aux bacs d'eau de mer, on est saisi tout de suite d'une radicale différence d'aspect. La transparence de l'eau douce est celle du cristal; celle de l'eau de mer est la transparence du diamant: le milieu a complètement disparu, et, sans la crépitation de petites bulles que vient faire à la surface le stillicidium de renouvellement, on pourrait croire qu'il n'y a rien entre l'œil et la paroi opaque de la caisse. Les rochers qui hérissent ces bacs sont plus âpres, plus bizarres de formes, plus fauves de couleur que ceux dont sont formés les paysages d'eau douce. Des fleurs d'une apparence et d'une coloration fantastique adhèrent à leurs flancs. – Ces fleurs sont des polypes, des actinies, êtres singuliers qu'on appelle aussi anémones de mer, à cause de leur ressemblance avec cette fleur; ces anémones se composent d'une sorte de tige ou pied charnu extrêmement contractile, s'épanouissant au lobe supérieur en une couronne de tentacules très délicats qui retombent comme des pétales et dont la bouche de l'animal forme le centre ou cœur.

Ces actinies se déplacent en se laissant rouler par les vagues; l'été, elles se rapprochent des côtes; l'hiver, elles se réfugient aux profondeurs, où les variations de température sont moins sensibles. – Quel prodige! une fleur qui marche et qui mange! Car ces tentacules, pareils à une chevelure soyeuse, saisissent en se contractant les animalcules dont l'actinie fait sa nourriture. Si nous vous disions que ces bacs contiennent en outre l'actinia dianthus, la tealia crassicornus, la bunodes gemmacea, nous ne vous apprendrions peut-être pas grand'chose, et ces noms passablement rébarbatifs n'éveilleraient aucune idée dans votre imagination, à moins que vous ne soyez naturaliste. Mais figurez-vous, sur de mignons pédoncules, des panaches de pistils, des boules aériennes semblables aux têtes de pissenlit et qu'on croirait pouvoir souffler; des couronnes, des étoiles d'une pulpe transparente colorée comme les moires du burgau; tout un bouquet à cueillir pour la fête d'une Océanide. Seulement, pensez que ces fleurs marines sont des animaux, quoiqu'on ait bien de la peine à concilier l'idée de la vie avec ces formes végétales.

Cette étoile d'or et d'écarlate, c'est la balanophyllia regia,– quel nom terrible! – dont les tissus internes sécrètent une matière calcaire qui devient le corail. Ainsi cette charmante ramification d'un rouge si sanguin et si vivant, dont les tons comme ceux de la perle s'associent toujours si bien à l'épiderme satiné de la femme, n'est que l'armature intérieure d'un polype.

Le pagurus Bernardus, vulgairement connu sous le nom de Bernard l'Ermite, réunit toujours devant sa glace un groupe de spectateurs. Ses allures sont assez comiques, si un tel mot peut s'accorder avec l'imperturbable sérieux de la nature. Le Bernard l'Ermite est un crabe revêtu seulement d'une moitié d'armure; son corps, bien préservé à la partie antérieure par un test solide, reste sans défense à l'arrière. Connaissant le défaut de sa cuirasse, Bernard, qu'on appelle l'Ermite, et qui serait mieux nommé le Prudent, cherche une coquille vide, s'y introduit à reculons comme on fait dans les gondoles vénitiennes, et l'emporte avec lui. Quand il grossit, il en avise une plus grande et s'y loge, toujours à mi-corps. Quel ingénieux moyen de suppléer l'absence de carapace de son arrière-train! Cette armure d'emprunt ne rassure guère d'ailleurs le pagurus Bernardus. Il va, il vient, toujours inquiet, agitant ses pinces et ses tentacules, faisant le mort à la plus légère alarme. Chose bizarre! le pagure a un parasite. La sagartia parasitica (espèce d'anémone) s'implante très souvent sur la coquille qu'il charrie, et se fait promener par lui comme en palanquin. Dans cette même case, la chevrette exécute ses évolutions rapides, et voltige, papillon de nacre, sur ces étranges fleurs de la mer. A travers son frêle corps d'argent translucide, on voit s'opérer la digestion et tout le travail de la vie.

Les serpules sont aussi très curieuses, avec leurs tubes allongés, garnis d'une frange de digitations très menues et de couleurs variées. Le murex arenaceus, ou des rochers, porte sur sa coquille tout un jardin de jolies plantes aquatiques, et la nassa reticulata tend son piège enfoncé dans le sable jusqu'à la pointe. Voici les crustacés, homards, langoustes: ceux-là, on les connaît pour les avoir étudiés en mayonnaise. Plus loin, le spinache quinze épines, mince, effilé, gracieux, se livre à des exercices de nage perpendiculaire. Au moment de la ponte, le spinache fait un nid à ses œufs avec les divers débris de végétaux qu'il trouve à sa portée. Ce soin est rare chez les poissons, en général peu soucieux de leur postérité. Dans le dernier bac frétillent des muges, des labres et autres menus poissons de mer. On ne peut pas exiger de baleine dans un aquarium, aujourd'hui du moins, car on y viendra. Du tableau de genre on passera au tableau d'histoire, car rien n'est impossible au génie de l'homme…

C'est au Jardin d'acclimatation que nous vîmes, une fois, un personnage extraordinaire, qui depuis longtemps habitait Paris et l'occupait de ses excentricités: le duc de Brunswick, si célèbre alors, qui, chassé de son duché par ses sujets, indignés de ses excès, avait, en fuyant, sauvé avec sa vie beaucoup de millions et de magnifiques pierreries. Mon père nous redisait d'étonnantes anecdotes sur les raffinements de coquetterie imaginés par ce seigneur: il était vieux et ravagé, mais voulait paraître jeune; il se coiffait de perruques, en soie, d'un noir bleu, et en avait une pour chaque jour du mois, afin de graduer la longueur des cheveux: il était censé les faire couper le trentième jour. Sous le postiche, on lui tordait la peau du crâne, le plus possible, et on serrait le tortillon avec un ruban: cela tendait les tissus flétris et faisait remonter les lignes du visage. Il se couvrait de bijoux ornés de pierres précieuses, diamants énormes, rubis, saphirs, surchargeait ses mains de bagues, mais on ne lui voyait jamais d'émeraudes. Une dame lui en fit un jour la remarque; alors il défit la ceinture de son pantalon et fit voir à la dame, assez choquée, de superbes émeraudes qui boutonnaient son caleçon: il n'employait jamais cette pierre qu'à cet usage.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
281 стр. 2 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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