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Читать книгу: «Le collier des jours», страница 8

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XLI

Quand les sorties n'étaient que de quelques jours, je passais chez mon père, chez ma grand'mère ou même chez Carlotta Grisi, ces courtes vacances.

C'était chez Giselle que je m'ennuyais le moins.

Le matin, elle travaillait pendant plusieurs heures, en chemise, devant sa psyché, elle étudiait ses pas: elle courait, bondissait, marchait sur la pointe des orteils, se renversait en toutes sortes de poses, souple, légère, délicieuse. J'assistais à ce spectacle, bien sage dans un petit coin, avec une surprise et une curiosité extrêmes.

Je n'ai, d'ailleurs, jamais vu danser Giselle, que là.

Les personnes qu'elle recevait étaient très aimables pour moi; dans l'idée de plaire à la tante, sans doute, on flattait la nièce.

J'ai gardé le souvenir, toujours attendri, d'un jeune prince étranger, pâle et blond, qui était mon ami plus que les autres. Je lui tenais compagnie, dans ses longues stations d'attente au salon. Il causait avec moi, comme avec une grande demoiselle, d'une voix douce et sourde, et toute sa personne me paraissait particulièrement précieuse et élégante. Il me fit des cadeaux merveilleux, entre autres celui d'un canard mécanique que l'on remontait avec une clé, et qui marchait, battait des ailes et faisait: coin-coin!.. Il me donna aussi un salon, formé d'un paravent rose et or, où s'enchâssaient des glaces, alternant avec des tableaux, d'un mobilier mignon et de deux belles dames qui se rendaient visite. Ce fut là mon jouet de prédilection, et je le conservai très tard dans ma vie.

Quand c'était chez ma grand'mère, que je passais mes jours de sortie, ils étaient alors pour moi une vraie pénitence.

Cette dame, solennelle, sévère et grognonne, m'était tout à fait antipathique, et, de plus, elle me faisait peur, de sorte que, contre ma coutume, je subissais sa tyrannie.

Elle occupait, passage Saulnier, derrière une cour, séparée de la rue par une porte cochère, et un mur orné de pots de fleurs, un petit appartement au premier. Victoire, sa bonne, une femme d'un certain âge, coiffée d'un tour de cheveux noirs comme de l'encre, qui lui donnait un air terrible, venait me chercher au couvent. Aussitôt arrivée passage Saulnier, ma grand'mère me faisait asseoir sur une petite chaise auprès du feu (c'était le plus souvent en hiver) et me donnait à lire un livre très ennuyeux, pour me faire tenir tranquille, disait-elle.

Je rôtissais d'un côté, ma joue devenait toute rouge, et avec des impatiences dans les jambes et des envies de crier, je n'osais pas bouger, pendant des heures. Quelquefois, j'obtenais d'aller faire le marché avec Victoire, et c'était une délivrance.

Quand la grand'mère était absente, ma seule ressource pour me distraire, était de converser avec le perroquet, le seul personnage de la maison pour qui j'eus de la sympathie.

C'était un vieil oiseau, qui en savait long, et m'enseignait complaisamment tout son répertoire. Il me reprenait très drôlement quand je me trompais, en me regardant de son petit œil malin et j'avais pour lui la plus vive admiration. J'ai appris de lui bien des refrains et, entre autres une chanson, paroles et musique, que je n'ai jamais oubliée:

 
«Quand je bois du vin clairet,
Tout tourne au cabaret…»
 

Chez mes parents c'était plus gai; je retrouvais ma sœur, et il y avait un perpétuel va-et-vient de gens, que je ne connaissais pas, mais qui étaient connus, quelquefois célèbres; entre autres Ernest Reyer, qui chantait au piano d'extraordinaires chansons, Paul de Saint-Victor, Nadar, Vivier, qui jouait du cor de chasse et imaginait les farces les plus étonnantes. Une négresse cantatrice: Maria Martinez, surnommée la Milabran noire. Elle embrassait, de ses grosses lèvres, ma mère, qui n'aimait pas du tout cela et prétendait qu'elle sentait le singe. Mon père s'intéressait à elle et s'efforçait de la protéger dans sa carrière fantaisiste et décousue. Il composa même pour elle une opérette, qui fut jouée, intitulée: La Négresse et le Pacha.

Une rieuse demoiselle, connue par voisinage (elle habitait sur le même palier) Marie Dupin, était là aussi très souvent. Son nez, spirituellement relevé, amusait beaucoup mon père, qui essaya plusieurs fois de le croquer.

Louis de Cormenin, le parrain de ma sœur, venait souvent nous chercher, et nous conduisait au théâtre de Séraphin, ou bien nous promenait en voiture; mais, à moi, campagnarde, puis recluse, la voiture ne me plaisait guère, je n'y étais pas très rassurée et je vois encore le regard de surprise et de dédain suprême, que ma sœur, Parisienne déjà blasée, laissa tomber sur moi, un jour où j'avais peur d'un cheval, que je trouvais trop grand, et qui se cabrait!

XLII

Au retour de ces journées mondaines, je rapportais, dans le couvent, des impressions qui m'enveloppaient quelque temps et n'étaient pas toujours des plus édifiantes. Je répétais des mots et des bouts de chansons que j'avais retenus, ou bien, ce qui était plus grave encore, je m'efforçais d'imiter à ma façon, les entrechats de Giselle.

En général, je recherchais la solitude pour me livrer à ces exercices, et un grand corridor, qui passait derrière les classes, coupé par des marches de pierres, me semblait le lieu le plus propice à ces essais tumultueux. Les deux mains posées sur une des marches, je donnais de grands coups de pied en arrière, envoyant mes jambes par-dessus ma tête, avec mes jupes à l'aventure. Je mettais une ardeur extrême à cette étude, qui m'eût amenée, peut-être, à faire la roue assez exactement. Mais j'y étais si appliquée que j'oubliais toute prudence.

Un jour, hélas! la sœur Sainte-Claire, sortant de sa classe, me surprit au moment du plus bel effet!..

Quel spectacle! Elle en fut comme suffoquée; elle jugea même la faute si grave, qu'elle ne se trouva pas le droit de décréter, seule, la punition, et réunit un conseil.

La sœur Sainte-Claire était toute petite, avec de jolis yeux inquiets, dans une figure ronde, aux joues rouges comme des pommes; elle n'était pas méchante, mais toujours scandalisée, et elle dirigeait la seconde classe, très nombreuse, en des effarements sans fin. Je tombais mal, en ayant été surprise par cette timorée.

Il n'y eut pas moyen de racheter le châtiment. Je fus condamnée à être à genoux devant la communauté, supplice – équivalant au pilori – destiné à abaisser l'orgueil, et à inspirer au coupable, ainsi humilié, un profond repentir de sa faute; mais qui produisait sur la pécheresse endurcie que j'étais, bien peu d'effet.

C'était au réfectoire, que l'on subissait la peine. Toutes les religieuses, revenant de la chapelle, défilaient, l'une derrière l'autre, en récitant à demi-voix des litanies. Elles étaient obligées pour gagner leur réfectoire, de traverser le nôtre, et chacune passait ainsi devant la criminelle.

Je les regardais en dessous – tandis qu'elles laissaient tomber sur moi un regard de commisération – très intéressée par leurs allures et leurs attitudes diverses: le voile baissé, pour mieux garder leur recueillement: l'une se balançait comme au rythme de quelque cantique; l'autre ne se balançait pas, mais levait la tête avec des yeux extatiques; beaucoup tenaient leurs mains contre leur poitrine, jointes par les paumes; plusieurs égrenaient le rosaire, et le bourdonnement sourd de toutes les voix était traversé de sons rauques, comme sanglotés, de soupirs flûtés et de notes aiguës, aussitôt éteintes.

Quand le dernier voile avait disparu, il fallait baiser la terre, avant de se relever. On m'avait heureusement indiqué le moyen d'esquiver, par un subterfuge, cette désagréable opération: on baisait sa propre main, et cela revenait au même: puisque nous ne sommes que poussière…

XLIII

L'expérience me fit découvrir, qu'il y avait, parmi les religieuses, et vis-à-vis de moi, deux camps, dont l'un m'était très favorable, l'autre très hostile.

Le couvent avait des nouvelles du monde, par les élèves, d'abord, dont les plus grandes avaient jusqu'à vingt ans, et les murs n'étaient pas assez hauts pour que la célébrité de mon père ne les ait pas franchis. L'auteur de Mademoiselle de Maupin n'était probablement pas en odeur de sainteté; de plus, ma mère chantait au théâtre; ma tante dansait; Julia Grisi était ma cousine; tout cela m'entourait d'une atmosphère particulière, qui avait, pour les unes, l'attrait du fruit défendu et inspirait aux autres la réprobation et l'horreur. Celles-là m'accablaient de regards courroucés et dénonçaient mes moindres peccadilles; tandis que les premières me cajolaient et me poursuivaient d'insidieuses et d'indiscrètes questions.

On me demanda une fois, s'il était vrai que mon père avait deux femmes!.. Je répondis, sans hésiter (je ne sais où j'avais pris cette réponse péremptoire): «Qu'il pouvait bien en avoir deux, si cela lui plaisait, puisqu'il était Turc.» Turc!.. J'étais donc une païenne, alors? Cela se voyait bien, à mon absence complète de dévotion…

L'idée d'être Turque ne me blessait en rien; j'étais même persuadée que j'avais été en Orient et je donnais, au sujet de ce voyage imaginaire, tous les détails que l'on voulait, et qui, par extraordinaire, étaient exacts. La cause de cette bizarrerie est sans doute très explicable, mais elle m'échappe complètement.

Parmi les religieuses qui me détestaient, il y en avait une, qui me produisait une impression indéfinissable. Quand elle était présente, je l'épiais continuellement, sans pouvoir m'en empêcher, et elle s'en apercevait, car bien souvent, son regard irrité se heurtait au mien et c'était un choc dont je ressentais vraiment la secousse.

Cette religieuse était jeune, comme une novice, bien qu'elle portât le voile noir. Elle était grande, – très grande, – mince et souple, pleine de brusquerie, cependant, dans ses gestes et dans sa marche. Son visage régulier, pâle, à la bouche sinueuse, au menton arrondi et saillant, était énergique et beau, mais il y avait dans toute sa personne comme une gaucherie ou une gêne. A son aversion pour moi se mêlait, à ce que j'imaginais, une certaine crainte. On l'appelait sœur Basile.

Elle n'enseignait pas, mais comme presque toutes les religieuses, nous gardait, à son tour, pendant les récréations. Elles avaient lieu quelquefois, en hiver, ou quand il pleuvait, dans la seconde classe, grande salle, en contre-bas, qui longeait le préau et coupait à angle droit la première classe et la petite classe, situées sur la cour. Une sainte Anne, en plâtre peint, apparaissait tout au fond de cette salle, plus longue que large.

C'est là que je crus découvrir, un jour, le mot de cette énigme, si longtemps cherchée. Brusquement il me sembla que tout s'expliquait. J'attirai, dans l'angle le plus reculé, ma peureuse et douce Catherine, et je lui soufflai dans l'oreille, le plus bas possible:

– Je sais, maintenant, la sœur Basile est un homme.

– Un homme!

– Regarde-la, ça se voit bien, va; elle est si grande, l'air si fier, et quand elle marche, sa robe n'est pas assez large pour ses pas…

– Prends garde, on dirait qu'elle t'a entendue.

La sœur Basile, en effet, dardait vers nous un regard fixe et dur, de l'autre bout de la salle, où elle se tenait debout et les bras croisés, dans une attitude vraiment virile.

– Elle n'a pas entendu, mais elle a peur que je devine, il y a longtemps qu'elle se méfie.

Catherine était terrifiée:

– Si on sait que nous savons, qu'est-ce qu'on va nous faire?..

Moi, j'étais fière de ma découverte, et j'aurais voulu pouvoir répondre une fois: «Oui, mon père» à ce Basile, pour voir ce qu'il dirait; mais il ne me parlait jamais, et je guettais le son de sa voix, entendu bien rarement.

Je ne pus garder un tel secret. Il fut chuchoté d'oreille à oreille et les grandes surtout y prirent un vif intérêt. Plusieurs étaient convaincues comme moi. Elles disaient que ce devait être un jeune prêtre, qui avait, peut-être, sa sœur dans le couvent; d'autres cachaient des sourires, pleins de sous-entendus; quelques-unes le trouvaient charmant.

Les religieuses furent certainement informées de cette scandaleuse rumeur, car Basile fut dispensé de la garde des classes. On ne le revit plus, que de loin, à la chapelle. Mais il n'y eut pas d'enquête, on ne chercha pas à punir. Sans doute la communauté décida que le mieux était d'étouffer, sous le silence, une aussi monstrueuse histoire; ou, peut-être… J'ose à peine avouer, que je ne suis pas encore bien convaincue, que la sœur Basile n'était pas un homme!..

XLIV

Nous étions assez peu nombreuses, à la classe de musique; classe tout à fait à part et soumise à l'autorité absolue de sa sœur Fulgence, seule à la diriger.

C'était une personne très remarquable que la sœur Fulgence, au visage énergique et anguleux, avec des yeux fauves, ombragés par des sourcils en broussailles. Courte et trapue, elle marchait toujours très vite, penchée en avant et se dandinant, comme si elle eût voulu faire valoir sa tournure.

Son enseignement était divisé en deux parties. La première consistait en une espèce de conférence, où elle racontait les origines et l'histoire de la musique, en développait la théorie, en expliquait les principes. Ce discours, qui s'adressait plutôt aux élèves de dix-huit ans, qu'aux petites comme moi, je le suivais cependant sans en perdre un mot, et la sœur Fulgence était certainement éloquente, car sa parole me communiquait son enthousiasme et m'ouvrait tout un monde magnifique.

Malheureusement, la seconde partie de l'enseignement n'était pas à la hauteur de la première: assise devant le piano, je ne savais plus du tout ce que le professeur voulait de moi. Sa façon d'enseigner me rappelait assez la manière dont j'apprenais à lire à ma camarade de Montrouge: Nini Rigolet; elle me disait: «Jouer», tandis que je n'avais aucune notion, ni d'exécution, ni de lecture musicale. Le morceau qu'elle plaçait sur le pupitre, n'eût pas été facile, même pour une élève déjà forte: c'était une pièce de concert intitulée: La Ronde des Porcherons, et pour moi, naturellement, absolument indéchiffrable. Il y avait aussi une polka, hérissée de dièzes: Fleur des champs et fleur des salons, qui m'intéressait davantage, à cause de l'image gravée sur la couverture, mais je ne voyais pas plus loin.

Le sœur Fulgence insistait. Après avoir résisté longtemps, je me mettais à taper, au hasard, sur le clavier et à donner même des coups de pied dans la caisse. La leçon finissait mal. La maîtresse, qui avait sa méthode à elle, pour enseigner, avait aussi une façon spéciale de châtier, et là, les exemptions n'avaient pas cours.

Dans une terrine, à demi pleine d'eau et de vinaigre, trempaient des verges menaçantes. La sœur Fulgence les saisissait, vous faisait mettre à genoux, troussait vos jupes et vous fouettait d'une main alerte. Après la leçon, sûre de ne pas l'échapper, j'allais moi-même dans la chambre des exécutions et je me mettais en posture.

Je fis un jour à la «professeuse» cette proposition ingénieuse: «Ne pas prendre de leçon et être fouettée tout de suite» puisque l'issue était fatale, cela éviterait, à elle, la peine, à moi, l'ennui. D'un air à la fois furieux et rieur, la sœur Fulgence me répondit:

– Non, mademoiselle, vous prendrez d'abord votre leçon, et vous serez fouettée, ensuite.

Après deux ans de ce régime, j'étais parvenue à jouer une ligne de la polka: Fleur des champs et fleur des salons, et une ligne et demie de: La Ronde des Porcherons, mais j'avais la musique en horreur!

XLV

Le bulletin qui tenait l'état de ma conduite et que l'on remettait chaque mois à ma famille, portait, invariablement: —Religion: – aucune.

Chose très singulière, dans ce milieu, sous ces influences, malgré mon imagination très vive, le mysticisme n'avait aucune prise sur moi. J'avais bien, tout d'abord, écouté attentivement l'histoire religieuse; la toute-puissance, les grâces accordées, à qui les demandait d'un cœur fervent et en ayant la foi, m'intéressaient surtout, mais, au point de vue pratique. J'adressai plusieurs lettres à la Vierge et aux saints, pour leur demander différentes choses – entre autres du chocolat – ayant été sage dans le but de les obtenir. Les réponses n'étant pas venues, j'avais, du coup, perdu la foi. Je dormais tout le long de la messe, chaque matin, sous l'œil compatissant de la bonne sœur Dodo; et, le dimanche, aux offices, je n'étais occupée qu'à tâcher de voir dans l'église publique et à communiquer mes réflexions à Catherine, qui n'osait pas rire et tremblait toujours de mes audaces.

On faisait cependant, pour l'édification des petites, un catéchisme spécial, qui avait lieu les jeudis. A cet effet, des bancs étaient rangés dans le chœur des religieuses et cela nous amusait d'être en ce lieu sacré, si sévèrement interdit d'ordinaire.

Le prêtre, en surplis blanc, s'asseyait contre le grillage, dans l'église publique, il nous apparaissait par le carré ouvert; sa tête, et ses bras gesticulant, débordant de notre côté.

Il ne me semble pas que ce vieil abbé, jovial et rieur, prenait sa mission très au sérieux; il nous racontait des histoires, le plus souvent comiques, et je n'ai retenu, de son enseignement, qu'une seule recommandation et des plus extraordinaires, faite surtout à des petites filles de huit à dix ans:

«Lorsque l'on joue une partie de dames avec une dame, nous dit-il un jour, il faut toujours lui laisser prendre les pions noirs, parce qu'ils font ressortir la blancheur de ses mains».

Depuis lors, je me suis religieusement conformée à cette loi, c'est-à-dire que j'ai toujours accaparé les pions noirs.

C'était ce même prêtre qui confessait toute la communauté, les élèves, et jusqu'aux pécheresses de huit ans. Il n'avait pas besoin pour cela de pénétrer dans le couvent: le confessionnal était, comme l'église, partagé en deux par une grille et il ne communiquait pas autrement.

Quand c'était mon tour de confesser mes péchés, je mettais mon orgueil à en avoir beaucoup et de très damnables, et comme en somme, mon examen de conscience ne m'en fournissait que d'assez piètres, j'en inventais de plus importants. On m'avait appris que l'on péchait en pensée, aussi bien qu'en action, et puisque j'imaginais des fautes, j'en étais donc vraiment coupable.

Ce n'était guère l'avis du brave confesseur, qui, au récit de mes méfaits, avait des pouffements contenus, qui jaillissaient, parfois, en gloussements si drôles, que je me mettais à rire aussi, et nous arrivions à de tels éclats, que la sœur Marie-Jésus, qui était sacristine, prenait sur elle d'ouvrir brusquement la porte du confessionnal et de m'en faire sortir, en murmurant, pâle de colère:

– Cette petite-là est tellement pervertie, qu'elle est capable de causer la perdition, même d'un prêtre!..

Etait-ce donc, alors, comme brebis égarée, qu'on cherche à reprendre par des cajoleries, qu'on me gâtait, cependant, plus qu'aucune autre; avait-on l'idée de me conquérir à la vie monastique, pour laquelle je n'avais jamais donné aucun symptôme de vocation? il est certain qu'on me traitait avec une indulgence spéciale.

Un jour, il y eut grande émotion dans le couvent, préparatifs de fête, tapis, guirlandes, fleurs effeuillées: l'archevêque de Paris venait visiter le couvent!

Il arriva en bel appareil, avec une suite nombreuse, et le cloître, si fermé d'ordinaire, se laissa fouler par les pas de beaucoup d'hommes.

Très curieuse de voir ce spectacle inusité, je m'étais faufilée au premier rang, en me cachant un peu, toutefois. Une des religieuses m'aperçut et, au lieu de me gronder, m'attira à elle et me poussa vers l'archevêque.

– Monseigneur, lui dit-elle, je vous présente l'espoir de la communauté.

Le prélat me tapota les joues en me félicitant; mais j'ai toujours cherché, depuis, en quoi j'avais pu être, un seul instant, l'espoir de la communauté…

XLVI

Un glas sinistre, qui tombe, lourdement, dans le silence. Les classes suspendues; à la chapelle, les cierges allumés, toutes les sœurs en prière: la mère Sainte-Trinité est à l'agonie…

Une impression de terreur pèse sur nous. Dans la classe, muette, le front contre une des vitres, je regarde de l'autre côté, les fenêtres que je connais bien, de l'appartement où se passe cet événement horrible et solennel. Je cherche à m'imaginer tous les détails: la longue vieille figure, sans son voile noir, renversée sur l'oreiller, grimaçante et râlante; et les sœurs autour du lit, et le prêtre, que l'on a vu passer, venant du dehors, et portant les saintes huiles.

Mais ce qui m'apparaît surtout, c'est le placard aux friandises, qu'elle ouvrait si complaisamment et qu'elle n'ouvrira plus. J'entends sur le bord du verre les petits chocs du flacon tenu par sa main incertaine, je retrouve l'intonation de sa voix: «Du cassis comme on n'en boit pas».

J'ai supplié qu'on me laissât la voir une dernière fois: c'est impossible, elle ne parle plus, n'entend plus et ne m'apercevrait même pas. Alors je trépigne de colère contre cette inconnue implacable: la mort!..

Le matin, au dortoir, on nous éveille en nous touchant l'épaule, pour ne pas sonner la cloche. La mère Sainte-Trinité est morte dans la nuit.

La journée se passe, presque tout entière, dans la chapelle, autour du catafalque, dressé au milieu du chœur et tout illuminé de cierges. La nuit, quelques-unes des grandes, les plus pieuses, obtiennent la faveur de veiller la morte, avec les religieuses.

Et, le lendemain, pour la première fois depuis mon arrivée, la porte cochère s'ouvre toute grande, devant le corbillard qui vient du dehors. Les chevaux piaffent sur les pavés de notre cour et les bottes noires du cocher luisent. Je comprends alors la fonction de cette porte, toujours close et voilée d'un crêpe de poussière; elle ne s'ouvre que pour laisser sortir les mortes…

C'est toujours un chagrin pour la communauté de voir ainsi rentrer, de force, dans le monde profane, la dépouille d'une d'elles, et un grief inapaisé, qu'il leur soit interdit de dormir l'éternel sommeil sous une dalle de l'église où elles ont prié toute leur vie.

On chuchote des histoires mystérieuses, d'inhumations clandestines, de saintes abbesses, dont les ossements miraculeux sont gardés dans des souterrains inconnus. On me montre même, en me faisant promettre de garder le secret, dans un reliquaire d'or, fermé d'une vitre de cristal, et posé sur un autel dans la sacristie, le cœur, desséché et noir, d'une religieuse d'autrefois, aimée entre toutes.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 октября 2017
Объем:
190 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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