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Читать книгу: «Le mystère de la chambre jaune», страница 15

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XXVII
Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire

Il y eut un remous terrible. On entendit des cris de femmes qui se trouvaient mal. On neût plus aucun égard pour «la majesté de la justice». Ce fut une bousculade insensée. Tout le monde voulait voir Joseph Rouletabille. Le président cria quil allait faire évacuer la salle, mais personne ne lentendit. Pendant ce temps, Rouletabille sautait par-dessus la balustrade qui le séparait du public assis, se faisait un chemin à grands coups de coude, arrivait auprès de son directeur qui lembrassait avec effusion, lui prit «sa» lettre dentre les mains, la glissa dans sa poche, pénétra dans la partie réservée du prétoire et parvint ainsi jusquà la barre des témoins, bousculé, bousculant, le visage souriant, heureux, boule écarlate quilluminait encore léclair intelligent de ses deux grands yeux ronds. Il avait ce costume anglais que je lui avais vu le matin de son départ – mais dans quel état, mon Dieu! – lulster sur son bras et la casquette de voyage à la main. Et il dit:

«Je demande pardon, monsieur le président, le transatlantique a eu du retard! Jarrive dAmérique. Je suis Joseph Rouletabille! …»

On éclata de rire. Tout le monde était heureux de larrivée de ce gamin. Il semblait à toutes ces consciences quun immense poids venait de leur être enlevé. On respirait. On avait la certitude quil apportait réellement la vérité… quil allait faire connaître la vérité…

Mais le président était furieux:

«Ah! vous êtes Joseph Rouletabille, reprit le président… eh bien, je vous apprendrai, jeune homme, à vous moquer de la justice… En attendant que la cour délibère sur votre cas, je vous retiens à la disposition de la justice… en vertu de mon pouvoir discrétionnaire.

– Mais, monsieur le président, je ne demande que cela: être à la disposition de la justice… je suis venu my mettre, à la disposition de la justice… Si mon entrée a fait un peu de tapage, jen demande bien pardon à la cour… Croyez bien, monsieur le président, que nul, plus que moi, na le respect de la justice… Mais je suis entré comme jai pu…»

Et il se mit à rire. Et tout le monde rit.

«Emmenez-le!» commanda le président.

Mais maître Henri-Robert intervint. Il commença par excuser le jeune homme, il le montra animé des meilleurs sentiments, il fit comprendre au président quon pouvait difficilement se passer de la déposition dun témoin qui avait couché au Glandier pendant toute la semaine mystérieuse, dun témoin surtout qui prétendait prouver linnocence de laccusé et apporter le nom de lassassin.

«Vous allez nous dire le nom de lassassin? demanda le président, ébranlé mais sceptique.

– Mais, mon président, je ne suis venu que pour ça! fit Rouletabille.

On faillit applaudir dans le prétoire, mais les chut! énergiques des huissiers rétablirent le silence.

«Joseph Rouletabille, dit maître Henri-Robert, nest pas cité régulièrement comme témoin, mais jespère quen vertu de son pouvoir discrétionnaire, monsieur le président voudra bien linterroger.

– Cest bien! fit le président, nous linterrogerons. Mais finissons-en dabord…»

Lavocat général se leva:

«Il vaudrait peut-être mieux, fit remarquer le représentant du ministère public, que ce jeune homme nous dise tout de suite le nom de celui quil dénonce comme étant lassassin.»

Le président acquiesça avec une ironique réserve:

«Si monsieur lavocat général attache quelque importance à la déposition de M. Joseph Rouletabille, je ne vois point dinconvénient à ce que le témoin nous dise tout de suite le nom de «son» assassin!»

On eût entendu voler une mouche.

Rouletabille se taisait, regardant avec sympathie M. Robert Darzac, qui, lui, pour la première fois, depuis le commencement du débat, montrait un visage agité et plein dangoisse.

«Eh bien, répéta le président, on vous écoute, monsieur Joseph Rouletabille. Nous attendons le nom de lassassin.»

Rouletabille fouilla tranquillement dans la poche de son gousset, en tira un énorme oignon, y regarda lheure, et dit:

«Monsieur le président, je ne pourrai vous dire le nom de lassassin quà six heures et demie! Nous avons encore quatre bonnes heures devant nous!»

La salle fit entendre des murmures étonnés et désappointés.

Quelques avocats dirent à haute voix:

«Il se moque de nous!»

Le président avait lair enchanté; maîtres Henri-Robert et André Hesse étaient ennuyés.

Le président dit:

«Cette plaisanterie a assez duré. Vous pouvez vous retirer, monsieur, dans la salle des témoins. Je vous garde à notre disposition.»

Rouletabille protesta:

«Je vous affirme, monsieur le président, sécria-t-il, de sa voix aiguë et claironnante, je vous affirme que, lorsque je vous aurai dit le nom de lassassin, _vous comprendrez que je ne pouvais vous le dire quà six heures et demie! _Parole dhonnête homme! Foi de Rouletabille! … Mais, en attendant, je peux toujours vous donner quelques explications sur lassassinat du garde… M. Frédéric Larsan qui ma vu «travailler» au Glandier pourrait vous dire avec quel soin jai étudié toute cette affaire. Jai beau être dun avis contraire au sien et prétendre quen faisant arrêter M. Robert Darzac, il a fait arrêter un innocent, il ne doute pas, lui, de ma bonne foi, ni de limportance quil faut attacher à mes découvertes, qui ont souvent corroboré les siennes!»

Frédéric Larsan dit:

«Monsieur le président, il serait intéressant dentendre M. Joseph Rouletabille; dautant plus intéressant quil nest pas de mon avis.»

Un murmure dapprobation accueillit cette parole du policier. Il acceptait le duel en beau joueur. La joute promettait dêtre curieuse entre ces deux intelligences qui sétaient acharnées au même tragique problème et qui étaient arrivées à deux solutions différentes.

Comme le président se taisait, Frédéric Larsan continua:

«Ainsi nous sommes daccord pour le coup de couteau au coeur qui a été donné au garde par lassassin de Mlle Stangerson; mais, puisque nous ne sommes plus daccord sur la question de la fuite de lassassin, «dans le bout de cour», il serait curieux de savoir comment M. Rouletabille explique cette fuite.

– Évidemment, fit mon ami, ce serait curieux!»

Toute la salle partit encore à rire. Le président déclara aussitôt que, si un pareil fait se renouvelait, il nhésiterait pas à mettre à exécution sa menace de faire évacuer la salle.

«Vraiment, termina le président, dans une affaire comme celle-là, je ne vois pas ce qui peut prêter à rire.

– Moi non plus!» dit Rouletabille.

Des gens, devant moi, senfoncèrent leur mouchoir dans la bouche pour ne pas éclater…

«Allons, fit le président, vous avez entendu, jeune homme, ce que vient de dire M. Frédéric Larsan. Comment, selon vous, lassassin sest-il enfui du «bout de cour»?

Rouletabille regarda MmeMathieu, qui lui sourit tristement.

«Puisque MmeMathieu, dit-il, a bien voulu avouer tout lintérêt quelle portait au garde…

– la coquine! sécria le père Mathieu.

– Faites sortir le père Mathieu! «ordonna le président.

On emmena le père Mathieu.

Rouletabille reprit:

«… Puisquelle a fait cet aveu, je puis bien vous dire quelle avait souvent des conversations, la nuit, avec le garde, au premier étage du donjon, dans la chambre qui fut, autrefois un oratoire. Ces conversations furent surtout fréquentes dans les derniers temps, quand le père Mathieu était cloué au lit par ses rhumatismes.

«Une piqûre de morphine, administrée à propos, donnait au père Mathieu le calme et le repos, et tranquillisait son épouse pour les quelques heures pendant lesquelles elle était dans la nécessité de sabsenter. MmeMathieu venait au château, la nuit, enveloppée dans un grand châle noir qui lui servait autant que possible à dissimuler sa personnalité et la faisait ressembler à un sombre fantôme qui, parfois, troubla les nuits du père Jacques. Pour prévenir son ami de sa présence, MmeMathieu avait emprunté au chat de la mère Agenoux, une vieille sorcière de Sainte-Geneviève- des-Bois, son miaulement sinistre; aussitôt, le garde descendait de son donjon et venait ouvrir la petite poterne à sa maîtresse. Quand les réparations du donjon furent récemment entreprises, les rendez-vous nen eurent pas moins lieu dans lancienne chambre du garde, au donjon même, la nouvelle chambre, quon avait momentanément abandonnée à ce malheureux serviteur, à lextrémité de laile droite du château, nétant séparée du ménage du maître dhôtel et de la cuisinière que par une trop mince cloison.

«MmeMathieu venait de quitter le garde en parfaite santé, quand le drame du «petit bout de cour» survint. MmeMathieu et le garde, nayant plus rien à se dire, étaient sortis du donjon ensemble… Je nai appris ces détails, monsieur le président, que par lexamen auquel je me livrai des traces de pas dans la cour dhonneur, le lendemain matin… Bernier, le concierge, que javais placé, avec son fusil, en observation derrière le donjon, ainsi que je lui permettrai de vous lexpliquer lui-même, ne pouvait voir ce qui se passait dans la cour dhonneur. Il ny arriva un peu plus tard quattiré par les coups de revolver, et tira à son tour. Voici donc le garde et MmeMathieu, dans la nuit et le silence de la cour dhonneur. Ils se souhaitent le bonsoir; MmeMathieu se dirige vers la grille ouverte de cette cour, et lui sen retourne se coucher dans sa petite pièce en encorbellement, à lextrémité de laile droite du château.

«Il va atteindre sa porte, quand des coups de revolver retentissent; il se retourne; anxieux, il revient sur ses pas; il va atteindre langle de laile droite du château quand une ombre bondit sur lui et le frappe. Il meurt. Son cadavre est ramassé tout de suite par des gens qui croient tenir lassassin et qui nemportent que lassassiné. Pendant ce temps, que fait MmeMathieu? Surprise par les détonations et par lenvahissement de la cour, elle se fait la plus petite quelle peut dans la nuit et dans la cour dhonneur. La cour est vaste, et, se trouvant près de la grille, MmeMathieu pouvait passer inaperçue. Mais elle ne «passa» pas. Elle resta et vit emporter le cadavre. Le coeur serré dune angoisse bien compréhensible et poussée par un tragique pressentiment, elle vint jusquau vestibule du château, jeta un regard sur lescalier éclairé par le lumignon du père Jacques, lescalier où lon avait étendu le corps de son ami; elle «vit» et senfuit. Avait-elle éveillé lattention du père Jacques? Toujours est-il que celui-ci rejoignit le fantôme noir, qui déjà lui avait fait passer quelques nuits blanches.

«Cette nuit même, avant le crime, il avait été réveillé par les cris de la «Bête du Bon Dieu» et avait aperçu, par sa fenêtre, le fantôme noir… Il sétait hâtivement vêtu et cest ainsi que lon sexplique quil arriva dans le vestibule, tout habillé, quand nous apportâmes le cadavre du garde. Donc, cette nuit-là, dans la cour dhonneur, il a voulu sans doute, une fois pour toutes, regarder de tout près la figure du fantôme. Il la reconnut. Le père Jacques est un vieil ami de MmeMathieu. Elle dut lui avouer ses nocturnes entretiens, et le supplier de la sauver de ce moment difficile! Létat de MmeMathieu, qui venait de voir son ami mort, devait être pitoyable. Le père Jacques eut pitié et accompagna MmeMathieu, à travers la chênaie, et hors du parc, par delà même les bords de létang, jusquà la route dÉpinay. Là, elle navait plus que quelques mètres à faire pour rentrer chez elle. Le père Jacques revint au château, et, se rendant compte de limportance judiciaire quil y aurait pour la maîtresse du garde à ce quon ignorât sa présence au château, cette nuit-là, essaya autant que possible de nous cacher cet épisode dramatique dune nuit qui, déjà, en comptait tant! Je nai nul besoin, ajouta Rouletabille, de demander à MmeMathieu et au père Jacques de corroborer ce récit. «Je sais» que les choses se sont passées ainsi! Je ferai simplement appel aux souvenirs de M. Larsan qui, lui, comprend déjà comment jai tout appris, car il ma vu, le lendemain matin, penché sur une double piste où lon rencontrait voyageant de compagnie, lempreinte des pas du père Jacques et de ceux de madame.»

Ici, Rouletabille se tourna vers MmeMathieu qui était restée à la barre, et lui fit un salut galant.

«Les empreintes des pieds de madame, expliqua Rouletabille, ont une ressemblance étrange avec les traces des «pieds élégants» de lassassin…»

MmeMathieu tressaillit et fixa avec une curiosité farouche le jeune reporter. Quosait-il dire? Que voulait-il dire?

«Madame a le pied élégant, long et plutôt un peu grand pour une femme. Cest, au bout pointu de la bottine près, le pied de lassassin…»

Il y eut quelques mouvements dans lauditoire. Rouletabille, dun geste, les fit cesser. On eût dit vraiment que cétait lui, maintenant, qui commandait la police de laudience.

«Je mempresse de dire, fit-il, que ceci ne signifie pas grandchose et quun policier qui bâtirait un système sur des marques extérieures semblables, sans mettre une idée générale autour, irait tout de go à lerreur judiciaire! M. Robert Darzac, lui aussi, a les pieds de lassassin, et cependant, il nest pas lassassin!»

Nouveaux mouvements.

Le président demanda à MmeMathieu:

«Cest bien ainsi que, ce soir-là, les choses se sont passées pour vous, madame?

– Oui, monsieur le président, répondit-elle. Cest à croire que M. Rouletabille était derrière nous.

– Vous avez donc vu fuir lassassin jusquà lextrémité de laile droite, madame?

– Oui, comme jai vu emporter, une minute plus tard, le cadavre du garde.

– Et lassassin, quest-il devenu? Vous étiez restée seule dans la cour dhonneur, il serait tout naturel que vous layez aperçu alors… Il ignorait votre présence et le moment était venu pour lui de séchapper…

– Je nai rien vu, monsieur le président, gémit MmeMathieu. À ce moment la nuit était devenue très noire.

– Cest donc, fit le président, M. Rouletabille qui nous expliquera comment lassassin sest enfui.

– Évidemment!» répliqua aussitôt le jeune homme avec une telle assurance que le président lui-même ne put sempêcher de sourire.

Et Rouletabille reprit la parole:

«Il était impossible à lassassin de senfuir normalement du bout de cour dans lequel il était entré sans que nous le vissions! Si nous ne lavions pas vu, nous leussions touché! Cest un pauvre petit bout de cour de rien du tout, un carré entouré de fossés et de hautes grilles. Lassassin eût marché sur nous ou nous eussions marché sur lui! Ce carré était aussi quasi-matériellement fermé par les fossés, les grilles et par nous-mêmes, que la «Chambre Jaune!»

– Alors, dites-nous donc, puisque lhomme est entré dans ce carré, dites-nous donc comment il se fait que vous ne layez point trouvé! … Voilà une demi-heure que je ne vous demande que cela! …»

Rouletabille ressortit une fois encore loignon qui garnissait la poche de son gilet; il y jeta un regard calme, et dit:

«Monsieur le président, vous pouvez me demander cela encore pendant trois heures trente, je ne pourrai vous répondre sur ce point quà six heures et demie!»

Cette fois-ci les murmures ne furent ni hostiles, ni désappointés. On commençait à avoir confiance en Rouletabille. «On lui faisait confiance.» Et lon samusait de cette prétention quil avait de fixer une heure au président comme il eût fixé un rendez-vous à un camarade.

Quant au président, après sêtre demandé sil devait se fâcher, il prit son parti de samuser de ce gamin comme tout le monde. Rouletabille dégageait de la sympathie, et le président en était déjà tout imprégné. Enfin, il avait si nettement défini le rôle de MmeMathieu dans laffaire, et si bien expliqué chacun de ses gestes, «cette nuit-là», que M. De Rocoux se voyait obligé de le prendre presque au sérieux.

«Eh bien, monsieur Rouletabille, fit-il, cest comme vous voudrez!

Mais que je ne vous revoie plus avant six heures et demie!»

Rouletabille salua le président, et, dodelinant de sa grosse tête, se dirigea vers la porte des témoins.

*

Son regard me cherchait. Il ne me vit point. Alors, je me dégageai tout doucement de la foule qui menserrait et je sortis de la salle daudience, presque en même temps que Rouletabille. Cet excellent ami maccueillit avec effusion. Il était heureux et loquace. Il me secouait les mains avec jubilation. Je lui dis:

«Je ne vous demanderai point, mon cher ami, ce que vous êtes allé faire en Amérique. Vous me répliqueriez sans doute, comme au président, que vous ne pouvez me répondre quà six heures et demie…

– Non, mon cher Sainclair, non, mon cher Sainclair! Je vais vous dire tout de suite ce que je suis allé faire en Amérique, parce que vous, vous êtes un ami: je suis allé chercher le nom de la seconde moitié de lassassin!

– Vraiment, vraiment, le nom de la seconde moitié…

– Parfaitement. Quand nous avons quitté le Glandier pour la dernière fois, je connaissais les deux moitiés de lassassin et le nom de lune de ces moitiés. Cest le nom de lautre moitié que je suis allé chercher en Amérique…»

Nous entrions, à ce moment, dans la salle des témoins. Ils vinrent tous à Rouletabille avec force démonstrations. Le reporter fut très aimable, si ce nest avec Arthur Rance auquel il montra une froideur marquée. Frédéric Larsan entrant alors dans la salle, Rouletabille alla à lui, lui administra une de ces poignées de main dont il avait le douloureux secret, et dont on revient avec les phalanges brisées. Pour lui montrer tant de sympathie, Rouletabille devait être bien sûr de lavoir roulé. Larsan souriait, sûr de lui-même et lui demandant, à son tour, ce quil était allé faire en Amérique. Alors, Rouletabille, très aimable, le prit par le bras et lui conta dix anecdotes de son voyage. À un moment, ils séloignèrent, sentretenant de choses plus sérieuses, et, par discrétion, je les quittai. Du reste, jétais fort curieux de rentrer dans la salle daudience où linterrogatoire des témoins continuait. Je retournai à ma place et je pus constater tout de suite que le public nattachait quune importance relative à ce qui se passait alors, et quil attendait impatiemment six heures et demie.

*

Ces six heures et demie sonnèrent et Joseph Rouletabille fut à nouveau introduit. Décrire lémotion avec laquelle la foule le suivit des yeux à la barre serait impossible. On ne respirait plus. M. Robert Darzac sétait levé à son banc. Il était «pâle comme un mort».

Le président dit avec gravité:

«Je ne vous fais pas prêter serment, monsieur! Vous navez pas été cité régulièrement. Mais jespère quil nest pas besoin de vous expliquer toute limportance des paroles que vous allez prononcer ici…»

Et il ajouta, menaçant:

«Toute limportance de ces paroles… pour vous, sinon pour les autres! …»

Rouletabille, nullement ému, le regardait. Il dit:

«Oui, msieur!

– Voyons, fit le président. Nous parlions tout à lheure de ce petit bout de cour qui avait servi de refuge à lassassin, et vous nous promettiez de nous dire, à six heures et demie, comment lassassin sest enfui de ce bout de cour et aussi le nom de lassassin. Il est six heures trente-cinq, monsieur Rouletabille, et nous ne savons encore rien!

– Voilà, msieur! commença mon ami au milieu dun silence si solennel que je ne me rappelle pas en avoir «vu» de semblable, je vous ai dit que ce bout de cour était fermé et quil était impossible pour lassassin de séchapper de ce carré sans que ceux qui étaient à sa recherche sen aperçussent. Cest lexacte vérité. Quand nous étions là, dans le carré de bout de cour, lassassin sy trouvait encore avec nous!

– Et vous ne lavez pas vu! … cest bien ce que laccusation prétend…

– Et nous lavons tous vu! monsieur le président, sécria Rouletabille.

– Et vous ne lavez pas arrêté! …

– Il ny avait que moi qui sût quil était lassassin. Et javais besoin que lassassin ne fût pas arrêté tout de suite! Et puis, je navais dautre preuve, à ce moment, que «ma raison»! Oui, seule, ma raison me prouvait que lassassin était là et que nous le voyions! Jai pris mon temps pour apporter, aujourdhui, en cour dassises, une preuve irréfutable, et qui, je my engage, contentera tout le monde.

– Mais parlez! parlez, monsieur! Dites-nous quel est le nom de lassassin, fit le président…

– Vous le trouverez parmi les noms de ceux qui étaient dans le bout de cour», répliqua Rouletabille, qui, lui, ne semblait pas pressé…

On commençait à simpatienter dans la salle…

«Le nom! Le nom! murmurait-on…

Rouletabille, sur un ton qui méritait des gifles, dit:

«Je laisse un peu traîner cette déposition, la mienne, msieur le président, parce que jai des raisons pour cela! …

– Le nom! Le nom! répétait la foule.

– Silence!» glapit lhuissier.

Le président dit:

«Il faut tout de suite nous dire le nom, monsieur! … Ceux qui se trouvaient dans le bout de cour étaient: le garde, mort. Est-ce lui, lassassin?

– Non, msieur.

– Le père Jacques? …

– Non msieur.

– Le concierge, Bernier?

– Non, msieur…

– M. Sainclair?

– Non msieur…

– M. Arthur William Rance, alors? Il ne reste que M. Arthur Rance et vous! Vous nêtes pas lassassin, non?

– Non, msieur!

– Alors, vous accusez M. Arthur Rance?

–Non, msieur!

– Je ne comprends plus! … Où voulez-vous en venir? … il ny avait plus personne dans le bout de cour.

– Si, msieur! … il ny avait personne dans le bout de cour, ni au-dessous, mais il y avait quelquun au-dessus, quelquun penché à sa fenêtre, sur le bout de cour…

– Frédéric Larsan! sécria le président.

– Frédéric Larsan!» répondit dune voix éclatante Rouletabille.

Et, se retournant vers le public qui faisait entendre déjà des protestations, il lui lança ces mots avec une force dont je ne le croyais pas capable:

«Frédéric Larsan, lassassin!»

Une clameur où sexprimaient lahurissement, la consternation, lindignation, lincrédulité, et, chez certains, lenthousiasme pour le petit bonhomme assez audacieux pour oser une pareille accusation, remplit la salle. Le président nessaya même pas de la calmer; quand elle fut tombée delle-même, sous les chut! énergiques de ceux qui voulaient tout de suite en savoir davantage, on entendit distinctement Robert Darzac, qui, se laissant retomber sur son banc, disait:

«Cest impossible! Il est fou! …»

Le président:

«Vous osez, monsieur, accuser Frédéric Larsan! Voyez leffet dune pareille accusation… M. Robert Darzac lui-même vous traite de fou! … Si vous ne lêtes pas, vous devez avoir des preuves…

– Des preuves, msieur! Vous voulez des preuves! Ah! je vais vous en donner une, de preuve… fit la voix aiguë de Rouletabille… Quon fasse venir Frédéric Larsan! …»

Le président:

«Huissier, appelez Frédéric Larsan.»

Lhuissier courut à la petite porte, louvrit, disparut… La petite porte était restée ouverte… Tous les yeux étaient sur cette petite porte. Lhuissier réapparut. Il savança au milieu du prétoire et dit:

«Monsieur le président, Frédéric Larsan nest pas là. Il est parti vers quatre heures et on ne la plus revu.»

Rouletabille clama, triomphant:

«Ma preuve, la voilà!

– Expliquez-vous… Quelle preuve? demanda le président.

– Ma preuve irréfutable, fit le jeune reporter, ne voyez-vous pas que cest la fuite de Larsan. Je vous jure quil ne reviendra pas, allez! … vous ne reverrez plus Frédéric Larsan…»

Rumeurs au fond de la salle.

«Si vous ne vous moquez pas de la justice, pourquoi, monsieur, navez-vous pas profité de ce que Larsan était avec vous, à cette barre, pour laccuser en face? Au moins, il aurait pu vous répondre! …

– Quelle réponse eût été plus complète que celle-ci, monsieur le président? … il ne me répond pas! Il ne me répondra jamais! Jaccuse Larsan dêtre lassassin et il se sauve! Vous trouvez que ce nest pas une réponse, ça! …

– Nous ne voulons pas croire, nous ne croyons point que Larsan, comme vous dites,«se soit sauvé»… Comment se serait-il sauvé? Il ne savait pas que vous alliez laccuser?

– Si, msieur, il le savait, puisque je le lui ai appris moi- même, tout à lheure…

– Vous avez fait cela! … Vous croyez que Larsan est lassassin et vous lui donnez les moyens de fuir! …

– Oui, msieur le président, jai fait cela, répliqua Rouletabille avec orgueil… Je ne suis pas de la «justice», moi; je ne suis pas de la «police», moi; je suis un humble journaliste, et mon métier nest point de faire arrêter les gens! Je sers la vérité comme je veux… cest mon affaire… Préservez, vous autres, la société, comme vous pouvez, cest la vôtre… Mais ce nest pas moi qui apporterai une tête au bourreau! … Si vous êtes juste, monsieur le président – et vous lêtes – vous trouverez que jai raison! … Ne vous ai-je pas dit, tout à lheure, «que vous comprendriez que je ne pouvais prononcer le nom de lassassin avant six heures et demie». Javais calculé que ce temps était nécessaire pour avertir Frédéric Larsan, lui permettre de prendre le train de 4 heures 17, pour Paris, où il saurait se mettre en sûreté… Une heure pour arriver à Paris, une heure et quart pour quil pût faire disparaître toute trace de son passage… Cela nous amenait à six heures et demie… Vous ne retrouverez pas Frédéric Larsan, déclara Rouletabille en fixant M. Robert Darzac… il est trop malin… Cest un homme qui vous a toujours échappé… et que vous avez longtemps et vainement poursuivi… Sil est moins fort que moi, ajouta Rouletabille, en riant de bon coeur et en riant tout seul, car personne navait plus envie de rire… il est plus fort que toutes les polices de la terre. Cet homme, qui, depuis quatre ans, sest introduit à la Sûreté, et y est devenu célèbre sous le nom de Frédéric Larsan, est autrement célèbre sous un autre nom que vous connaissez bien. Frédéric Larsan, msieur le président, cest Ballmeyer!

– Ballmeyer! sécria le président.

– Ballmeyer! fit Robert Darzac, en se soulevant… Ballmeyer! …

Cétait donc vrai!

– Ah! ah! msieur Darzac, vous ne croyez plus que je suis fou, maintenant! …»

Ballmeyer! Ballmeyer! Ballmeyer! On nentendait plus que ce nom dans la salle. Le président suspendit laudience.

*

Vous pensez si cette suspension daudience fut mouvementée. Le public avait de quoi soccuper. Ballmeyer! On trouvait, décidément, le gamin «épatant»! Ballmeyer! Mais le bruit de sa mort avait couru, il y avait, de cela, quelques semaines. Ballmeyer avait donc échappé à la mort comme, toute sa vie, il avait échappé aux gendarmes. Est-il nécessaire que je rappelle ici les hauts faits de Ballmeyer? Ils ont, pendant vingt ans, défrayé la chronique judiciaire et la rubrique des faits divers; et, si quelques-uns de mes lecteurs ont pu oublier laffaire de la «Chambre Jaune», ce nom de Ballmeyer nest certainement pas sorti de leur mémoire. Ballmeyer fut le type même de lescroc du grand monde; il nétait point de gentleman plus gentleman que lui; il nétait point de prestidigitateur plus habile de ses doigts que lui; il nétait point d«apache», comme on dit aujourdhui, plus audacieux et plus terrible que lui. Reçu dans la meilleure société, inscrit dans les cercles les plus fermés, il avait volé lhonneur des familles et largent des pontes avec une maestria qui ne fut jamais dépassée. Dans certaines occasions difficiles, il navait pas hésité à faire le coup de couteau ou le coup de los de mouton. Du reste, il nhésitait jamais, et aucune entreprise nétait au-dessus de ses forces. Étant tombé une fois entre les mains de la justice, il séchappa, le matin de son procès, en jetant du poivre dans les yeux des gardes qui le conduisaient à la cour dassises. On sut plus tard que, le jour de sa fuite, pendant que les plus fins limiers de la Sûreté étaient à ses trousses, il assistait, tranquillement, nullement maquillé, à une «première»du Théâtre-Français. Il avait ensuite quitté la France pour travailler en Amérique, et la police de létat dOhio avait, un beau jour, mis la main sur lexceptionnel bandit; mais, le lendemain, il séchappait encore… Ballmeyer, il faudrait un volume pour parler ici de Ballmeyer, et cest cet homme qui était devenu Frédéric Larsan! … Et cest ce petit gamin de Rouletabille qui avait découvert cela! … Et cest lui aussi, ce moutard, qui, connaissant le passé dun Ballmeyer, lui permettait, une fois de plus, de faire la nique à la société, en lui fournissant le moyen de séchapper! À ce dernier point de vue, je ne pouvais quadmirer Rouletabille, car je savais que son dessein était de servir jusquau bout M. Robert Darzac et Mlle Stangerson en les débarrassant du bandit sans quil parlât.

On nétait pas encore remis dune pareille révélation, et jentendais déjà les plus pressés sécrier: «En admettant que lassassin soit Frédéric Larsan, cela ne nous explique pas comment il est sorti de la Chambre Jaune! …» quand laudience fut reprise.

*

Rouletabille fut appelé immédiatement à la barre et soninterrogatoire, car il sagissait là plutôt dun interrogatoire que dunedéposition, reprit.

Le président:

«Vous nous avez dit tout à lheure, monsieur, quil était impossible de senfuir du bout de cour. Jadmets, avec vous, je veux bien admettre que, puisque Frédéric Larsan se trouvait penché à sa fenêtre, au-dessus de vous, il fût encore dans ce bout de cour; mais, pour se trouver à sa fenêtre, il lui avait fallu quitter ce bout de cour. Il sétait donc enfui! Et comment?»

Rouletabille:

«Jai dit quil navait pu senfuir «normalement…» Il sest donc enfui «anormalement»! Car le bout de cour, je lai dit aussi, nétait que «quasi» fermé tandis que la «Chambre Jaune» létait tout à fait. On pouvait grimper au mur, chose impossible dans la «Chambre Jaune», se jeter sur la terrasse et de là, pendant que nous étions penchés sur le cadavre du garde, pénétrer de la terrasse dans la galerie par la fenêtre qui donne juste au-dessus. Larsan navait plus quun pas à faire pour être dans sa chambre, ouvrir sa fenêtre et nous parler. Ceci nétait quun jeu denfant pour un acrobate de la force de Ballmeyer. Et, monsieur le président, voici la preuve de ce que javance.»

Ici, Rouletabille tira de la poche de son veston, un petit paquet quil ouvrit, et dont il tira une cheville.

«Tenez, monsieur le président, voici une cheville qui sadapte parfaitement dans un trou que lon trouve encore dans le«corbeau» de droite qui soutient la terrasse en encorbellement. Larsan, qui prévoyait tout et qui songeait à tous les moyens de fuite autour de sa chambre – chose nécessaire quand on joue son jeu – avait enfoncé préalablement cette cheville dans ce «corbeau». Un pied sur la borne qui est au coin du château, un autre pied sur la cheville, une main à la corniche de la porte du garde, lautre main à la terrasse, et Frédéric Larsan disparaît dans les airs… dautant mieux quil est fort ingambe et que, ce soir-là, il nétait nullement endormi par un narcotique, comme il avait voulu nous le faire croire. Nous avions dîné avec lui, monsieur le président, et, au dessert, il nous joua le coup du monsieur qui tombe de sommeil, car il avait besoin dêtre, lui aussi, endormi, pour que, le lendemain, on ne sétonnât point que moi, Joseph Rouletabille, jaie été victime dun narcotique en dînant avec Larsan. Du moment que nous avions subi le même sort, les soupçons ne latteignaient point et ségaraient ailleurs. Car, moi, monsieur le président, moi, jai été bel et bien endormi, et par Larsan lui-même, et comment! … Si je navais pas été dans ce triste état, jamais Larsan ne se serait introduit dans la chambre de Mlle Stangerson ce soir-là, et le malheur ne serait pas arrivé! …»

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
21 июля 2018
Объем:
310 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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