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Читать книгу: «Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires», страница 20

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XIII
PASSAGERS MYSTÉRIEUX

J'avais entendu dire que nous allions aux Indes, mais je n'en étais pas sûr. Je cherchai à me renseigner auprès des trois matelots européens qui étaient à bord. L'un d'eux, un Français, affirma que nous allions tout simplement en Espagne; l'autre, un Anglais, soutint que nous ne dépasserions point le Cap de Bonne-Espérance; quant au troisième, un Irlandais, il avoua qu'il ne savait rien.

La curiosité qui me poussait à m'informer de notre itinéraire était assez ridicule, en somme, car le but du voyage serait toujours le même pour moi. Que nous allions aux Indes ou en Chine, cela importait peu. Le principal était que je m'éloignasse le plus possible de l'Angleterre et le Sea-Gull semblait aussi pressé que moi de fuir la côte.

Dès que nous eûmes dépassé les «Needles», récifs dangereux qui se trouvent, comme on sait, à la pointe extrême de l'île de Wight, nous mîmes le cap au sud-quart-sud-ouest.

Malheureusement, le vent qui jusqu'alors avait été favorable, changea brusquement, et nous fûmes obligés de louvoyer, ce qui retarda beaucoup notre marche.

Néanmoins, le Sea-Gull tenait merveilleusement le «près» et faisait, avec le vent, un angle de quatre quarts, soit quarante-cinq degrés. Il avait cependant un défaut, il gîtait beaucoup et, à certains moments, le pont offrait une déclivité telle que nous devions nous cramponner à la lisse et aux superstructures pour ne pas être envoyés par-dessus bord. Ce brick-goélette, comme tous les bateaux de plaisance, était très fin de formes, et il y avait lieu de s'étonner que le capitaine eût choisi un tel bâtiment pour faire de longs voyages. D'ailleurs, tout était mystère sur le Sea-Gull. J'avais cru jusqu'alors que celui qui le commandait en était le propriétaire, mais j'appris bientôt par le matelot irlandais que nous avions deux passagers à bord: un homme et une femme.

Il me semblait en effet étonnant que le capitaine voyageât pour son seul plaisir.

La première journée que je passai sur le Sea-Gull fut des plus calmes. On ne m'employa qu'à des manœuvres insignifiantes et j'eus la chance, lorsque la brise fraîchit et qu'il fallut carguer perroquet et cacatois, de ne pas faire partie de la bordée de service.

A la nuit, le capitaine – je ne sais si j'ai dit qu'il s'appelait Ross – fit, selon la vieille coutume maritime, à laquelle certains navigateurs sont restés fidèles, prendre un ris dans la voilure et il ne resta plus sur le pont que le marin de quart, la bordée de tribord et l'homme de barre.

Mes camarades et moi, après avoir pris notre repas, nous nous réfugiâmes dans le gaillard d'avant et installâmes nos hamacs.

Cardiff, son éternelle pipe aux dents, assista à notre coucher, puis, quand il vit que tout était en ordre, il se retira dans sa chambre.

Dès qu'il eut disparu, quelqu'un ralluma la camoufle, la voila prudemment avec l'étamine bleue d'un pavillon et une partie de l'équipage se mit à jouer aux cartes. Je remarquai que les plus acharnés parmi les joueurs étaient les nègres et les Chinois. Ces gens ne se comprenaient pas entre eux, mais ils suppléaient aux paroles par une mimique étrange, coupée de temps à autre, d'interjections rauques et traînantes. Je fus assez étonné de ne pas voir circuler d'argent, mais l'Irlandais, qui était mon voisin de hamac, m'apprit qu'ils jouaient sur parole et qu'ils régleraient leurs comptes à la fin de la traversée, lorsqu'ils auraient touché leur solde.

Il y eut, à un certain moment, une vive discussion qui se termina par un assaut de boxe entre un nègre et un Chinois. Le nègre mit son adversaire knock out et la partie recommença, pendant que deux matelots relevaient le Chinois, qui était quelque peu meurtri et le couchaient dans son hamac.

Mon voisin de lit, l'Irlandais (je me rappelle qu'il s'appelait Solway), bavard comme tous ses compatriotes, avait fait glisser sur leur tringle les garcettes de son hamac et s'était rapproché de moi.

– Sur quel bateau étiez-vous avant de venir ici? demanda-t-il.

– Sur le Black-Star, répondis-je…

– Un long courrier?

– Oui…

– Moi, j'étais sur le Newcastle, un vieux bâtiment plein de rats qui repose maintenant par le fond, dans le canal de Saint-Georges.

– C'est la première traversée que vous faites sur le Sea-Gull?

– Oui… d'ailleurs tout l'équipage est dans mon cas… nous sommes tous nouveaux à bord…

– Pas possible?

– Quoi?.. vous ne le saviez pas?

– Non, je vous assure… mais à qui appartient le bateau sur lequel nous sommes?

– A personne… ou du moins si, il appartient à un armateur anglais qui l'a loué aux deux passagers qui sont à bord… Ce sont eux qui ont engagé le capitaine Ross et l'ont chargé de recruter l'équipage.

– Ah!.. et sait-on quels sont ces gens?

– On dit – mais je ne pourrais rien affirmer – que c'est un lord qui voyage avec sa maîtresse… Je l'ai aperçu avant-hier, quand il a embarqué… Il a une drôle de tête…

– Et la femme?

– Elle était tellement emmitouflée qu'on ne lui voyait que les yeux et le bout du nez…

– Ils ont des domestiques avec eux?

– Non…

– Comment… pas même un groom?

– Je ne crois pas…

– Et depuis leur embarquement, ils n'ont point paru sur le pont?

– Non… ils ne bougent pas de leur appartement… il n'y a que le capitaine et le steward qui les approchent…

– Bizarre!..

– Oui… bizarre, comme vous dites… moi, j'ai dans l'idée que ces particuliers-là ont fait quelque sale coup et qu'ils ont frété le Sea-Gull pour échapper à la police…

– Mais avant le départ, il y a eu une visite à bord?

– Oui… j'y ai même assisté, mais le capitaine avait eu soin de cacher les deux passagers dans la cale avec tous leurs bagages…

– Alors, le capitaine est de mèche avec eux?

– Probable!

Cette conversation fut interrompue par l'arrivée brusque de Cardiff. En apercevant le falot qui était toujours allumé, il poussa un hurlement de fauve, se précipita sur les joueurs, leur administra une volée de coups de poings, déchira les cartes, puis éteignit la lumière et disparut. Cardiff, on le voit, s'y entendait à maintenir l'ordre à bord. Quand il eut refermé la porte, les nègres et les Chinois regagnèrent à tâtons leurs hamacs et jusqu'à la relève de minuit le silence le plus complet régna dans la chambrée.

Au matin, quand je parus sur le pont, le capitaine Ross m'appela:

– Venez dans ma cabine, j'ai à vous parler…

Je le suivis en tremblant.

Quelle nouvelle tuile, pensai-je, vais-je encore recevoir sur la tête?..

Dès que nous fûmes seuls, le capitaine me dit:

– Je vous ai observé hier pendant toute la journée et j'ai pu me convaincre que vous êtes marin, comme moi je suis évêque… vous vous tenez sur les barres comme un dromadaire sur une balançoire et vous ne savez même pas déborder la vergue de la hune et frapper les palans sur les galhaubans… Je pensais que vous pourriez faire un gabier supplémentaire de basse-voile, mais vous ne seriez même pas capable de larguer le dormant de l'écoute… et d'amarrer le conducteur sur les cosses d'empointure lorsqu'elles sont larguées…

Tout ce que me disait le capitaine était pour moi de l'hébreu, mais comme j'avais l'air de protester, il s'écria:

– Un gabier, vous?.. Jamais de la vie!..

– Cependant, je vous assure qu'à bord du Black-Star

– Quoi?.. que faisiez-vous à bord du Black-Star?.. vous briquiez la poulaine, hein?.. c'est tout ce que vous pouvez faire… Tenez, je vais vous prouver que vous êtes nul en navigation… que vous n'avez jamais mis les pieds sur un navire à voiles… Je suppose que le hale-bas du foc soit cassé… par quoi le remplacez-vous?.. Ha! vous restez là comme un cachalot qui a avalé une gaffe… vous ne savez pas!.. Et quand un hunier se déchire, comment vous y prenez-vous pour le réparer sans le carguer?.. Vous voyez, vous demeurez bouche bée… Vous êtes gabier comme la tige de mes bottes et vous m'avez monté le coup, quand vous vous êtes présenté!.. Je ne sais ce qui me retient de vous débarquer séance tenante…

Le capitaine Ross, d'un tour de langue changea sa chique de côté, puis après avoir juré tout ce qu'il savait, et m'avoir prodigué un tas de noms qu'un horse-guard n'eût pas entendus sans rougir, il parut se calmer un peu…

– C'est bien, dit-il… cela m'apprendra à engager un matelot sans lui faire faire un petit voyage dans les vergues… Je vous avais promis vingt-cinq livres pour la traversée… je vous diminue de moitié… et dorénavant, au lieu de grimper dans la mâture, vous resterez à la cuisine, avec le maître-cook… Vous savez éplucher les oignons et les pommes de terre, je suppose?.. Allez, rompez, et que je ne vous voie plus… descendez trouver Zanzibar et dites-lui de ma part que, comme vous étiez trop bête pour faire un gabier, je vous ai nommé laveur de vaisselle…

Je saluai et sortis, affectant d'être navré de ma disgrâce, mais très heureux, au fond, de ce changement de situation… J'étais maintenant certain de ne pas me rompre le cou en tombant des hunes.

Je m'engageai dans le petit escalier à pente roide qui conduisait à la cuisine et, cinq minutes après, je me présentais à M. Zanzibar, un nègre du plus beau noir dont la peau humide luisait comme celle d'un phoque sortant de l'onde.

Lorsque j'entrai, Zanzibar était en train de moduler sur un énorme ocarina de métal blanc une mélodie tropicale. Tout en jouant, il remuait la tête, roulait de gros yeux blancs et, de ses pieds nus, frappait le sol en cadence. Dès qu'il me vit, il ôta l'ocarina de ses lèvres et demanda:

– Qui tu veux-ti, missié?

A défaut de lettre d'introduction, je lui exposai de vive voix le but de ma visite.

Il m'écouta en souriant, puis, quand j'eus terminé:

– Mi, bi content, dit-il… Oui bi content d'avoir camarade… Triste ici!.. Tous deux nous rigoli, nous joui ocarina, pi dansi… Comment ti t'appelles?

– Colombo, répondis-je (on se rappelle que c'était le nom que m'avait donné le capitaine).

– Mi, Zanzibar… mais pas vrai… mi pas Zanzibar… Mi Batouala.

Nous nous serrâmes la main et Zanzibar, pour fêter ma bienvenue, déboucha une fiole de rhum.

Au bout de quelques jours nous étions les meilleurs amis du monde et nous passions notre temps à nous raconter des histoires et à jouer de l'ocarina. J'avais autrefois pratiqué cet instrument stupide et j'en jouais assez bien, mais pour Zanzibar j'étais un artiste.

Quand je voulais le charmer, je lui disais de chanter sa mélodie et je l'accompagnais à la tierce.

Alors, il ne se tenait plus de joie et nous recommencions vingt fois de suite le même air. Cependant, ce concert déplut aux passagers mystérieux dont l'appartement se trouvait situé au bout de la coursive d'entrepont. Ils se plaignirent au capitaine et celui-ci, non content de confisquer l'ocarina, fit donner vingt-cinq coups de corde à Zanzibar.

Je revois encore le malheureux garçon quand il revint à sa cuisine après avoir subi ce châtiment barbare. Il avait les épaules et le dos zébrés de grandes raies bleuâtres et souffrait atrocement. Je le pansai du mieux que je pus et m'efforçai de le consoler.

Pauvre Zanzibar!

Ce qui l'affectait surtout, c'était d'être privé de son ocarina.

Je promis de lui confectionner un instrument plus harmonieux, et il fallut qu'immédiatement je me misse au travail.

Avec une boîte à cigares, sur laquelle je tendis des fils de fer de diverses grosseurs, je fabriquai une sorte de cithare d'une sonorité parfaite. J'en fis aussi une pour moi et nous reprîmes enfin nos duos que personne, cette fois, ne vint interrompre, car le bruit ne parvenait point jusqu'aux oreilles des passagers.

A quelques jours de là le matelot qui remplissait les fonctions de steward s'étant cassé le bras en tombant dans la cale, c'est moi qui fus désigné par le capitaine pour le remplacer. Mon service consista donc à servir à table les deux mystérieux personnages qui étaient, on le sait, les vrais maîtres du navire.

La première fois que je parus devant eux, mes plats à la main, ils me regardèrent avec méfiance. A la longue, ils s'habituèrent à moi et devinrent même très familiers, ce qui dénotait chez eux un manque complet d'éducation. Sûrement, ce gentleman n'était pas un lord, comme le prétendait l'Irlandais. C'était un individu quelconque, aux gestes gauches, à la physionomie commune et totalement dépourvu d'élégance bien qu'il soignât beaucoup sa personne et se parfumât à outrance. On voyait du premier coup d'œil que cet homme-là n'avait pas toujours eu de la fortune. Il avait dû s'enrichir tout d'un coup, soit par quelque spéculation heureuse, soit par quelque entreprise louche… ou peut-être par une colossale escroquerie.

Quant à la femme qui était assez jolie, mais maquillée comme une fille, elle était digne de son seigneur et maître. Elle fumait les coudes sur la table et bavardait à tort et à travers, avec une voix cassée de noceuse.

Ils m'appelèrent d'abord M. Colombo, puis Colombo tout court, et enfin «mon petit Colombo».

Ils devinrent même avec moi d'une telle liberté que je fus, une fois ou deux, obligé de leur faire respectueusement observer qu'ils allaient un peu loin. Ils n'en continuèrent pas moins à plaisanter avec moi de façon stupide. Ils me posaient une foule de questions indiscrètes, me forçaient à boire avec eux et bientôt, après leur dîner, ils me retinrent à jouer aux cartes. Dès lors ce furent d'interminables parties et je devins le commensal de ces gens louches.

J'avais d'abord résisté à leurs sollicitations, par crainte du capitaine, mais quand je m'aperçus que ce dernier me traitait avec plus d'égards, depuis que j'étais l'ami de ses passagers, je profitai largement de leur hospitalité et ne vécus que très peu à la cuisine, au grand désespoir de Zanzibar qui en était réduit à jouer seul de la cithare…

Nous étions maintenant en vue des côtes de Portugal, mais contrairement à ce que je croyais, le Sea-Gull ne s'arrêterait pas à Lisbonne. Ainsi en avaient décidé M. et Mme Pickmann – c'était le nom que se donnaient les deux étranges passagers dont j'étais devenu le familier. Ils ne semblaient pas tenir à descendre à terre, du moins pour le moment.

XIV
OU JE MANŒUVRE AVEC ASSEZ D'HABILETÉ

Un jour, M. Pickmann, qui maintenant me consultait sur tout, me posa quelques questions qui me parurent bizarres. Il me demanda entre autres quelles étaient les formalités de débarquement dans les ports et, quand je lui eus dit que tout navire était soumis à la visite, il parut singulièrement troublé… et regarda sa femme d'un air inquiet.

Je ne tardai pas à acquérir la preuve que mes deux «amis» n'avaient pas la conscience bien nette et je me mis à les surveiller de près. L'homme, depuis quelque temps, était plus réservé, mais la femme, très loquace, surtout après les repas, laissait parfois échapper des paroles imprudentes.

C'est ainsi qu'un soir, tandis que nous émettions quelques idées sur la vie et ses surprises, elle murmura tristement:

– Ah!.. mon petit Colombo, la fortune ne fait pas le bonheur, allez… et une bonne petite existence bien tranquille, exempte de soucis, est cent fois préférable à une existence de luxe et de plaisirs comme celle que nous pouvons mener maintenant, M. Pickmann et moi.

– Certes, répondis-je… vous avez bien raison… Ce que nous devons rechercher avant tout, c'est la tranquillité d'esprit.

M. Pickmann lança à sa femme un regard furieux, mais il était trop tard, le coup était porté… Je commençais à comprendre pourquoi, à certains moments, les deux passagers du Sea-Gull étaient si tristes et si préoccupés. Evidemment, le remords ou plutôt la crainte de l'avenir commençait à les torturer. Je résolus d'user de diplomatie et de provoquer des confidences.

Pendant quelques jours, M. et Mme Pickmann se tinrent sur leurs gardes, et affectèrent une réserve qui ne pouvait durer. Ces gens étaient trop exubérants, trop bavards pour cesser brusquement de raconter des histoires. Peu à peu, ils redevinrent aussi loquaces, la femme surtout, et nous reprîmes, en jouant aux cartes, nos petites conversations.

Mme Pickmann adorait le poker et tous les soirs, après dîner, me provoquait à ce jeu, au grand mécontentement de son mari qui aurait préféré faire une partie d'échecs…

Tout en taquinant les cartes, nous buvions, bien entendu et vers minuit, Mme Pickmann – ma petite Dolly, comme l'appelait son époux – était généralement grise. Alors, elle bavardait comme une pie borgne et me documentait peu à peu sur son existence passée… J'appris ainsi que son mari (ou du moins l'homme à qui elle donnait ce nom) avait occupé une situation dans une grande banque de Londres. A cette époque, le couple ne devait pas rouler sur l'or, puisqu'il habitait dans les environs de Soho Square, quartier qui n'a rien d'aristocratique. Ils n'avaient même pas de bonne et c'était Dolly qui faisait la cuisine et lavait la vaisselle…

Cette dernière confidence, qui était au moins imprudente, valut à Mme Pickmann, de la part de son mari, un coup d'œil irrité, mais la bavarde, très allumée par le whisky, n'en continua pas moins à étaler devant moi les petites misères de sa vie d'antan.

– A quoi bon se gêner devant Colombo, dit-elle, n'est-il pas notre ami? D'ailleurs nous n'avons pas à nous en cacher, nous n'avons pas toujours été riches… Avant de devenir millionnaires, nous avons joliment tiré le diable par la queue…

– Vous avez probablement fait un héritage? interrogeai-je, tout en battant les cartes…

– Oui… répondit M. Pickmann… oui, nous avons eu la chance de faire un héritage… Une vieille tante que nous voyions rarement nous a laissé sa fortune…

– Et une jolie fortune, allez, s'écria Mme Pickmann… c'est à n'y pas croire…

– Tous mes compliments, dis-je… Il y a bien des gens qui voudraient être à votre place… mais comment se fait-il qu'au lieu de manger cette belle fortune à Londres, vous alliez vous fixer à l'étranger?..

Cette question parut embarrasser beaucoup Mme Pickmann, aussi laissa-t-elle son mari répondre.

– Vous comprenez, dit Pickmann qui ne manquait pas d'esprit d'à-propos, à Londres, beaucoup de gens nous ont connus pauvres… Il nous serait bien difficile, du jour au lendemain, de faire figure dans la haute société… tandis qu'à l'étranger…

– Oui… vous avez raison… mais cela ne vous ennuie pas un peu de quitter l'Angleterre?

– Certes. Mais nous y reviendrons dans quelques années…

– Pour l'instant, vous allez aux Indes?

– Non, à Madagascar…

– Tiens, quelle idée!

– Ah! tu vois, dit Mme Pickmann en regardant son mari, Colombo est de mon avis… Il trouve étonnant que nous allions à Madagascar, dans un pays de sauvages…

– J'ai mes raisons pour aller à Madagascar… répliqua sèchement Pickmann… c'est une île ravissante, le climat y est très sain…

– Hum!.. fis-je.

– Vous connaissez Madagascar?

– Oh! très bien, mentis-je avec aplomb.

– Ah! vraiment! s'écria Mme Pickmann vivement intéressée… donnez-nous donc quelques détails, alors?.. mon petit Colombo…

– Volontiers… mais je crains de vous désillusionner un peu…

– Ça ne fait rien… dites toujours.

– Eh bien, Madagascar n'est point, à mon avis, le pays rêvé pour des gens riches comme vous et qui désirent profiter de la vie… Le climat y est très rude, c'est plein de moustiques dont la piqûre donne des fièvres et les habitants sont loin d'être hospitaliers. Ils sont méfiants, détestent l'étranger et ne savent quelles vexations lui faire subir… Tenez, un exemple… Il y a cinq ans, j'étais à Majunga…

– Tiens! glapit Mme Pickmann, c'est justement à Majunga que nous allons…

Je secouai tristement la tête et continuai:

– Oui… j'étais à Majunga. Le bateau sur lequel je me trouvais avait fait escale dans ce port à la suite d'une avarie de machine, et comme la réparation devait prendre au moins quinze jours, j'avais obtenu, ainsi qu'une partie de l'équipage, l'autorisation de descendre à terre et de vivre à l'hôtel… Ah! les hôtels de Majunga!.. Mais cela n'est rien encore… Figurez-vous qu'à peine débarqué, je me vois suivi par deux grands escogriffes qui, finalement, m'arrêtent et me demandent mes papiers… Je les leur montre et je croyais en avoir fini avec les formalités… ah bien oui!.. ça ne faisait que commencer… On m'emmène au bureau de police et l'on me fouille… J'avais beau protester, affirmer que je faisais partie de l'équipage du Quickly, les policiers ne voulaient rien entendre… Ils prétendaient que j'étais un individu de sac et de corde, venu à Majunga pour échapper à la justice de mon pays… Bref, mon incarcération dura deux jours et, sans l'intervention du Consul britannique, je crois que je moisirais encore dans les prisons de Madagascar… Je ne suis pas le seul, d'ailleurs, à qui pareille mésaventure soit arrivée… le second de notre bâtiment, un Anglais comme moi, fut aussi arrêté et maintenu au secret, pendant huit jours… Ah! ne me parlez pas de Madagascar, mes amis, c'est le pays de la méfiance et du soupçon… Il suffit qu'on soit Anglais pour qu'immédiatement on devienne suspect… Cela tient à ce que l'île est en butte aux querelles religieuses… Les catholiques et les protestants, qui sont à couteaux tirés, ne savent quelles niches se faire… Si l'on est sujet du Royaume-Uni, immédiatement on a contre soi tous les prêtres de l'île qui sont heureux d'embêter les pasteurs…

Pendant que je débitais cette histoire imaginée de toutes pièces, j'observais attentivement M. et Mme Pickmann et je voyais leurs figures changer à vue d'œil… J'avais touché juste… mes deux nouveaux riches ne tenaient pas à faire connaissance avec la justice… C'étaient deux escrocs, deux voleurs plutôt et ils étaient loin de se douter que leur ami Colombo, qui les renseignait si complaisamment sur Madagascar où il n'avait jamais mis les pieds, était un confrère…

– Alors, demanda Pickmann, quelle région me conseilleriez-vous?

– Ma foi, je ne sais, répondis-je… Cela dépend de vous… Puisque vous avez loué un yacht, c'est que vous désirez voyager, voir du pays…

– Ah! oui, dit Mme Pickmann d'un ton grincheux, parlons-en du yacht! Ce qu'on s'y ennuie, grand Dieu!

– Pourquoi avoir loué ce bateau, où vous êtes plutôt à l'étroit, au lieu de prendre quelque bon paquebot sur lequel vous auriez eu de belles cabines et une nourriture de choix?..

Cette question parut gêner M. et Mme Pickmann…

– Nous voulions être seuls, déclara enfin le mari… Nous désirions aussi éviter un tas de formalités…

– En ce cas, vous avez fait un mauvais calcul, car un yacht est soumis à plus de formalités qu'un paquebot… Vous allez voir ça quand vous débarquerez…

Pour le coup, Pickmann se troubla et je vis sa femme pâlir… Mes soupçons se précisaient de plus en plus… J'avais bien affaire à deux filous cherchant – assez maladroitement d'ailleurs – à dépister la police.

– Vraiment! s'écria Mme Pickmann, qui ne pouvait tenir sa langue, ce n'était pas la peine de payer si cher la location de ce maudit yacht…

– Serait-il indiscret, dis-je, de vous demander combien vous avez loué ce bateau?

– Un prix fou, monsieur… un prix fou… tenez, vous ne devineriez jamais…

– Cinq mille livres?

– Ah! vous n'y êtes pas… Quinze mille, monsieur… oui, quinze mille… pour deux mois…

– C'est un peu cher, en effet…

– Parbleu, mon mari s'est fait rouler… Si encore pour ce prix, nous étions dispensés de toutes les formalités de douane et de police.

– N'y comptez pas…

– Cependant, si nous nous faisions débarquer dans quelque petit port?..

– Vous auriez encore plus d'ennuis…

Il y eut un silence.

Ce fut M. Pickmann qui reprit:

– Ecoutez, Colombo, vous m'avez l'air d'un brave garçon… vous avez pu constater que nous sommes pour vous des amis… que nous vous traitons en camarade…

– Et je vous en sais gré, répondis-je…

– Eh bien! donnez-nous un conseil… Vous êtes très au courant, en votre qualité de marin, des différents usages de la navigation… Comment pourrions-nous débarquer sans être importunés par les douaniers, les officiers de port et les inspecteurs de police?.. Cela va vous paraître bizarre, mais je suis d'une nervosité telle que je ne puis me soumettre, sans devenir fou furieux, à toutes les chinoiseries administratives auxquelles sont astreints les voyageurs ordinaires… C'est stupide, direz-vous, mais on ne se refait pas…

Je pris un air grave et parus réfléchir longuement…

M. et Mme Pickmann ne me quittaient pas des yeux, attendant avec une visible inquiétude les paroles que j'allais prononcer.

– Ma foi, dis-je enfin, la question est très embarrassante, et j'avoue…

– Voyons, voyons! cherchez bien, supplia Mme Pickmann, vous êtes un homme de ressource et je suis sûre que vous allez trouver quelque chose…

Je demeurai silencieux pendant quelques secondes, puis laissai tomber ces mots:

– Il y aurait peut-être un moyen de tout arranger, mais il faut que je m'informe… Patientez un jour ou deux… surtout ne consultez pas le capitaine.

– Nous ne lui dirons rien, répondit Mme Pickmann, d'ailleurs, il me déplaît souverainement ce bonhomme-là…

– Bien… fiez-vous à moi…

Pickmann me prit les mains et me dit d'une voix qui tremblait un peu:

– Ecoutez, Colombo… il y a mille livres pour vous, si vous arrivez à nous éviter les formalités du débarquement…

Je pris un air indigné:

– Je ne fais jamais payer mes services, quand il s'agit d'obliger des amis… Vous êtes de braves gens, vous avez eu pour moi trop de bontés pour que j'accepte quoi que ce soit… Je ne suis qu'un simple marin, mais j'ai du cœur… et quand je me dévoue, c'est sans arrière-pensée…

M. et Mme Pickmann étaient ébahis. Jamais ils ne se seraient attendus, c'est certain, à rencontrer tant de désintéressement chez un vulgaire matelot…

Ils me serrèrent les mains avec effusion, les larmes aux yeux, en me comblant de bénédictions.

Les deux nigauds étaient pris au piège et j'étais, maintenant, le maître de la situation.

A quelques jours de là, au moment où nous approchions des Canaries, je simulai tout à coup une vive inquiétude, et Mme Pickmann, remarquant mon air soucieux, me demanda avec intérêt:

– Qu'avez-vous donc, mon bon Colombo, vous serait-il arrivé quelque chose?

– Non… répondis-je… non… rien du tout…

– Mais vous paraissez préoccupé?

– En effet… il y a en ce moment de vilains nuages à l'horizon.

– Grand Dieu!.. allons-nous avoir une tempête?

– Non… il ne s'agit pas de cela. Demeurez dans votre cabine… N'en bougez pas surtout avant que je revienne…

Et je sortis, laissant mes deux oiseaux dans les transes.

Suivant ma tactique habituelle, je graduais savamment mes effets, sachant par expérience que c'est le meilleur moyen d'affoler ceux que l'on veut perdre.

Au bout d'une heure, je reparus, complètement rasséréné.

– Tout va bien, maintenant, dis-je d'un ton joyeux…

– Que s'est-il donc passé, mon bon Colombo? demanda Mme Pickmann…

– Oh! rien, répondis-je, mais j'ai craint un moment que nous n'ayons une visite… Une chaloupe à vapeur venait droit sur nous… Il paraît que ceux qui la montaient se sont contentés des signaux que leur a faits le capitaine car ils ont immédiatement viré de bord… Puissions-nous être aussi heureux une autre fois…

M. et Mme Pickmann étaient maintenant tranquillisés… Ils se mirent à table et firent honneur au repas que je leur servis.

Certes, ces repas étaient loin d'être succulents!.. Ils étaient, comme on sait, préparés par Zanzibar, et le brave nègre nous confectionnait des plats qui eussent sans doute flatté le palais des Canaques mais qui n'avaient rien pour flatter celui des Européens… C'étaient toujours des salmis épicés, pimentés, où dominait un affreux goût de cannelle et de clou de girofle…

Heureusement M. et Mme Pickmann, comme tous les gens habitués aux tristes nourritures de Soho Square, n'étaient pas difficiles. Ils mangeaient comme quatre, buvaient comme six et se déclaraient satisfaits du régime du bord. Moi qui étais plus délicat, je préparais mes plats moi-même, au grand désespoir de ce pauvre Zanzibar qui multipliait ses mélanges, persuadé qu'un jour ou l'autre, je finirais bien par le féliciter sur sa cuisine.

Brave Zanzibar! c'était un bon celui-là et il s'était sincèrement attaché à moi. Il n'y a que dans ces cœurs simples que l'on trouve une réelle affection. Il était aux petits soins pour moi et s'ingéniait à m'être agréable.

C'était le seul être que je fréquentasse à bord – hormis M. et Mme Pickmann, bien entendu.

D'ailleurs, je ne me trouvais point en contact avec les hommes de l'équipage, car je ne couchais même plus dans mon hamac. J'occupais avec Zanzibar une cabine d'entrepont où il y avait deux lits – deux cadres plutôt. Le capitaine avait bien fait quelques difficultés avant de m'autoriser à prendre un de ces lits qui était celui du steward, mais enfin, il y avait consenti en maugréant. Master Ross n'ignorait point que j'étais au mieux avec ses deux passagers et, bien que cela lui déplût souverainement, il avait assez d'esprit pour ne rien laisser paraître de sa mauvaise humeur.

Un jour, cependant, il me fit appeler et me dit:

– J'ai remarqué que M. et Mme Pickmann vous traitent, non pas en domestique, mais en ami. Vous êtes un roublard, vous avez su les empaumer… Moi, je m'en fiche… du moment qu'ils sont satisfaits de vous, je n'ai rien à dire… Cependant, puisqu'ils vous ont pris tout à fait à leur service, il est assez naturel qu'ils vous paient… Arrangez-vous avec eux comme vous l'entendrez, mais moi, je vous supprime votre solde.

– C'est bien, dis-je, je m'entendrai avec eux…

Je me gardai, bien entendu, de rapporter cette conversation à mes amis… D'ailleurs, je m'en moquais de ma solde… N'était-ce pas moi le plus riche du bateau? Il est vrai que ma fortune reposait uniquement sur un diamant dont je ne pouvais me débarrasser, mais j'espérais bien qu'avant peu ma situation se modifierait sérieusement et que je jouirais enfin d'une tranquillité bien gagnée.

Oh! ce diamant! Quelles tortures il m'avait fait endurer! Ce n'est qu'à force d'émétique que j'étais parvenu à le «désingurgiter», mais il avait dû sérieusement me détériorer l'estomac, car j'étais parfois pris d'atroces douleurs, qui me faisaient pousser des hurlements.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
11 августа 2017
Объем:
440 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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