Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «La Liberté et le Déterminisme», страница 28

Шрифт:

CONCLUSION

I. Mouvement de la philosophie moderne en Allemagne, en Angleterre et en France.

II. Résumé de la méthode suivie pour la recherche d'une conciliation. Moyens-termes scientifiques intercalés entre les doctrines adverses.

III. Inductions métaphysiques. – Problème final et nécessité de le résoudre moralement par l'action.

I. – L'accord progressif des doctrines doit se faire moins par la destruction des systèmes que par leur superposition en un plus vaste édifice, dont les diverses assises se soutiennent au lieu de se nuire. Ces diverses assises ne sont, en somme, que nos propres puissances intérieures projetées à l'origine des choses: intelligence, sensibilité, volonté. Les systèmes métaphysiques ont beau chercher à connaître ce qui est réellement et indépendamment de nous, nous ne pouvons nous représenter ce qui est que d'après ce que nous sommes. De là la philosophie de l'intelligence, la philosophie de la sensibilité, la philosophie de la volonté, l'une intellectualiste, l'autre esthétique au sens étymologique du mot, l'autre morale.

La première assise de l'édifice philosophique est formée par tout ce que le matérialisme contient de positif sur les conditions nécessaires des choses, que Socrate et Platon appelaient μηχαναι αιτιαι αναγκαιαι. La liaison mécanique des phénomènes, d'où résulte la stabilité de l'univers, est l'objet même de l'intelligence ou de la science. Nous ne connaissons et comprenons que ce que nous expliquons par la logique appliquée à la quantité et au mouvement, c'est-à-dire par la mathématique universelle et le mécanisme universel. Mais n'y a-t-il rien de plus? C'est ce que soutiennent les purs matérialistes. Pour eux, l'explication de l'univers est toute simple: c'est comme un vaste jeu de dés ou de dominos qui, en s'ajustant par leurs bouts similaires, selon des combinaisons mathématiques, forment des dessins de toute sorte. Il reste à savoir ce que sont en eux-mêmes les dés, les molécules, les atomes. Ce jeu de surfaces satisfait l'intelligence abstraite, mais il n'explique même pas le fait de sentir, la simple sensation. Or, il faut bien qu'il y ait sous l'intellectuel du sensible proprement dit, sous le formel du réel. Et cette réalité, nous ne pouvons la comprendre que par analogie avec ce que nous appelons sentir, désirer. De là la tendance à placer dans les choses, comme face interne et vraiment psychique, non plus physique, quelque chose d'analogue à nos sensations, à nos plaisirs, à nos douleurs, à nos désirs. «Le mouvement est un désir,» disaient Aristote et Platon.

La seconde assise de la construction philosophique, c'est donc le sensible, dont le mécanique ou, ce qui revient au même, l'intellectuel pur n'est que le dehors. Cette assise fut ajoutée par Socrate, Platon, Aristote, mais ils ne purent s'empêcher de se figurer encore le sensible sous forme intellectuelle, comme tendance à une fin plus ou moins entrevue par une intelligence, comme finalité proprement dite. S'appuyant sur ce que le plaisir, fond de la sensation, semble la conscience d'une harmonie, ils ont cru que l'harmonie était un concours de moyens vers une fin. Cette finalité n'était, nous l'avons fait voir, que du mécanisme retourné, – conception encore plus subjective que le mécanisme pur. C'était une sorte d'art humain placé dans les choses et ajouté à la science. Mais, quelque contestable que soit le mode de représentation finaliste et esthétique, quand on le transporte ainsi dans l'univers, ce qui demeure incontestable, c'est qu'on ne peut pas faire du réel avec du logique pur ou du mécanique pur, parce qu'alors il n'y aurait plus que des rapports abstraits sans termes concrets; et le concret, c'est ce que nous saisissons en le sentant. Il n'y a pas d'autre moyen pour nous d'entrer en possession du réel que de sentir: c'est ce que Kant a parfaitement montré, et c'est ce que les anciens ou, parmi les modernes, les cartésiens avaient trop oublié.

Une fois rétablie la sensation au dedans du réel, que l'intelligence parcourt du dehors, il reste encore un point de vue qui paraît supérieur aux précédents: c'est celui de l'activité primitive, de la volonté radicale, fond de nos idées de cause, d'inconditionnel, d'absolu, de liberté. C'est vers ce point de vue que tend à s'élever la morale proprement dite, car la morale a pour objet la volonté même et le but le plus haut que la volonté puisse poursuivre.

Les anciens, cependant, firent toujours rentrer la morale dans la science ou dans l'art, sans assigner à la moralité une sphère qui lui fût absolument propre. L'éthique était pour eux la science du bien ou l'art du bien; et par ce bien, nous l'avons vu, ils entendaient quelque chose d'impersonnel ou de neutre, qui était la vérité, l'utilité, la beauté, sans être encore proprement la bonté. Or, la vérité n'est que la nécessité logique; l'utilité n'est que la nécessité en quelque sorte sensible, vitale et, si l'on veut, «finale». Quant à la beauté et à la grâce, elles ne font encore qu'éveiller l'idée d'un principe supérieur à la nécessité et dominant l'organisme visible. La vraie liberté idéale, qui serait l'absolu même, et la vraie moralité idéale, qui ne serait plus un bien abstrait, mais une bonté vivante, furent cependant entrevues par Platon et par les Alexandrins, comme par l'Inde, par la Perse, par la Judée. Avec le christianisme, elle s'éleva au rang d'une idée directrice et rénovatrice. Ce principe, obscurci et mutilé par la théologie romaine, rétabli dans l'ordre social par la France, proposé par elle comme idéal au monde sous les noms de liberté, d'égalité et de fraternité, semble enfin arriver de nos jours à la conscience de lui-même dans l'ordre philosophique. Kant et ses successeurs ont tous conçu la philosophie comme l'explication des choses à un triple point de vue, celui de la connaissance, celui de la sensibilité et celui de la volonté. Le mécanisme universel, tel que Descartes l'avait représenté, tel que Leibnitz l'avait accepté comme loi de la connaissance scientifique, fut l'objet propre de la Critique de la raison pure: l'organisation vivante et les lois internes du désir furent celui de la Critique du jugement téléologique et esthétique; enfin, Kant ajouta à ces deux premiers objets l'idéal nouveau d'une moralité qui serait vraiment à elle-même sa raison, sans recevoir sa loi ni des nécessités logiques et mécaniques, ni des nécessités sensibles et esthétiques. Par là, au lieu de subordonner la volonté à l'utile, à l'agréable, ou même à un bien abstrait, Kant voulut faire procéder le bien réel de la volonté même, qui, étant autonome, serait enfin libre. Mais Kant fit encore de la liberté un principe trop abstrait, la raison universelle; il fit de la loi une catégorie trop abstraite, trop logique, trop formelle, celle de l'universalité; il rejeta au second rang l'amour ou la charité, dont il semblait encore confondre l'idée typique avec le désir et le sentiment fatal. Malgré son formalisme excessif, il n'en a pas moins fait voir que l'idéale liberté doit être introduite au sommet de la philosophie comme une notion à part, dont la logique et l'art, la pensée et le sentiment ne sauraient remplir entièrement le contenu, et qui symbolise pour nous le suprême principe de l'action. Après Kant, la philosophie allemande maintint à la fois ces trois catégories de la nécessité, de la finalité immanente et de la liberté idéale. Déjà Leibnitz, avec Platon et Aristote, avait remarqué que les causes efficientes et les causes finales, les mouvements et les appétitions sont la même série prise en deux sens inverses; l'école de Kant n'eut qu'à développer cette conception pour réduire en un seul système l'universelle logique et l'art universel de la nature, où elle vit la double expression d'un principe un et inconditionnel. Hegel lui-même maintint la liberté idéale au troisième moment de l'évolution métaphysique, mais seulement comme l'unité finale du grand Tout. Schelling, dans sa dernière philosophie, et après lui Schopenhauer, placèrent au-dessus du logique et au-dessus du sensible la volonté comme principe des choses. En cette volonté Schopenhauer reconnut la liberté nouménale, où son pessimisme voudrait nous faire rentrer par l'anéantissement de toute existence matérielle et intellectuelle. Enfin les disciples de Schopenhauer ont donné à la volonté supra-consciente le nom de l'Inconscient, et ils en ont fait dériver le mécanisme et la finalité universelle, avec la perspective d'une délivrance finale par le nirvâna.

En France, à l'école sensualiste, tout entière absorbée dans le mécanisme des sensations, succéda Maine de Biran, qui rétablit dans l'homme et dans la nature le dynamisme de la vie, mais sous la forme douteuse de la force motrice. Maine de Biran rêva, lui aussi, au-dessus de la logique et de l'art, une sphère de liberté idéale, dont il n'eut qu'un sentiment trop mystique. L'influence de ses idées, d'abord mutilées par Victor Cousin, reparut ensuite: plus d'un philosophe français s'est accordé avec Maine de Biran et avec la philosophie allemande pour supposer, au-dessus du mécanisme logique et de la réalité sensible, une région de liberté qui serait en même temps celle de l'amour compris en son vrai sens. Par là, tout en s'inspirant de la philosophie évangélique et de la philosophie germanique, la philosophie française ne faisait pourtant que revenir à la tradition cartésienne. Descartes, en effet, avait déjà élevé au-dessus du mécanisme matériel une pensée qui, elle-même, lui semblait subordonnée à la liberté. Descartes avait même fait consister cette liberté dans une volonté indéterminée et indéterminable. La subordination de la pensée à la volonté, selon lui, existait non seulement dans l'homme, mais en Dieu même. Pascal, à son tour, admit trois ordres: l'un où tout est mouvement, l'autre où tout est pensée, l'autre où règne la «charité.» Enfin l'idée non plus mystique, mais pratique, de la liberté individuelle, avec celle du droit qui s'y rattache, puis l'idée de fraternité universelle, avec celle d'association qui en dérive, devinrent les conceptions dominantes de la philosophie française au dix-huitième siècle, de la Révolution française et des écoles politiques de notre époque qui ont développé les principes de la Révolution. C'est aux Français que Kant et Fichte empruntèrent, en grande partie, leur métaphysique du droit et leur philosophie de la liberté dans l'ordre social. Si on songe de plus à l'influence jadis exercée par Descartes sur Leibnitz, on reconnaîtra que la France n'avait qu'à conserver et à développer, dans l'ordre philosophique, sa propre tradition, pour s'accorder sur plus d'un point capital avec les écoles allemandes. On peut ajouter que l'idée directrice de la France, étant celle de liberté et par cela même de fraternité, est l'idée directrice de l'humanité même: notre idée nationale est précisément l'idée humaine165. La philosophie allemande, au contraire, s'en est tenue de préférence, dans le domaine social et politique, aux catégories de la nécessité logique et mécanique, de la science et de la force. Abandonnant à la sphère mystique de la religion la liberté idéale et «intelligible,» elle a cherché surtout son modèle pratique dans le mécanisme de la matière ou dans les lois de l'organisme vivant. L'unité qu'elle semble aujourd'hui poursuivre dans l'ordre social est celle qui subordonne les moyens aux fins comme les effets aux causes, les parties au tout, l'individu à l'État, les États faibles aux États forts, les races prétendues inférieures aux races supérieures: la science et l'art y priment la morale. Si un peuple vaut surtout par son idée directrice, et si l'idée de liberté ou de fraternité est la vraie puissance à laquelle appartient l'avenir, quelles que soient, dans le présent, les apparences contraires, ce n'est pas à l'Allemagne, c'est à la France qu'appartiendra sans doute la plus haute victoire.

L'Angleterre, dans l'ordre philosophique, a surtout étudié jusqu'ici le mécanisme des phénomènes ou des sensations. Cependant, ses plus récents philosophes admettent, sous l'enveloppe extérieure des choses, un dynamisme interne, dont la forme expérimentale est l'énergie musculaire; c'est là une conception qui n'est pas sans analogie avec la doctrine de Biran. En même temps, les penseurs anglais qui s'élèvent à des vues systématiques représentent l'universelle évolution, à la fois mécanique par l'extérieur et psychique par l'intérieur, comme le «symbole» d'une réalité absolue et inconditionnelle, qui est pour nous l'Inconnaissable. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ce principe le noumène de Kant. Tel est, selon M. Spencer, l'indestructible fondement des spéculations qui se retrouvent dans toutes les philosophies et dans toutes les religions. Le nom que M. Spencer donne à la réalité persistante et éternelle, c'est la Force, – non la force à nous connue, mais la force inconnue et inconnaissable. Il n'y a pas grande différence entre cette Force universelle et la Volonté universelle de Schopenhauer; comme, de plus, elle est «absolue» et «inconditionnée,» tout en étant «conditionnante,» on pourrait lui donner sans inconvénient, avec la philosophie allemande, le nom également symbolique de liberté, qui exprime simplement en langage humain l'antithèse de l'activité primitive avec le conditionné et le nécessité. Mais les Anglais n'aiment pas ce mot, du moins en métaphysique et en morale. Dans leur physique des mœurs, ils ne font même pas figurer la liberté comme idéal, comme puissance de désintéressement et de vouloir universel. A l'exemple des Anciens, ils ramènent la morale tout entière à la science ou à l'art, sans se demander si elle n'exprimerait pas, au moins «symboliquement», quelque idéal supérieur. Il en résulte que, dans l'ordre social, la liberté demeure pour eux un moyen, non une fin: elle n'a de valeur que comme le plus utile instrument du bien-être individuel ou collectif. C'est au fond l'idée de l'utile qui est pour eux, dans la pratique, l'idée directrice. Malgré leur libéralisme si sincère, ils ne comprennent guère l'idéal moral d'une liberté absolument désintéressée, qui serait par elle-même sacrée et aimable. La notion de la moralité proprement dite disparaît à leurs yeux comme principe à part et original; l'éthique n'est plus qu'une science ou un art analogue aux autres, simple extension de la physiologie, de l'hygiène et de la sociologie.

Le défaut commun des divers systèmes métaphysiques dont nous venons de faire l'esquisse rapide, c'est, si nous ne nous trompons, le vide ou l'hiatus qu'ils laissent subsister entre la réalité et l'idéal, entre le relatif et l'«absolu,» entre le phénomène et le «noumène,» entre le connaissable et l'«inconnaissable.» La région de l'idéal demeure, soit un domaine mystique et transcendant, livré aux rêves de la foi, soit une nuit impénétrable dont ne peut nous venir rien d'utile pour la connaissance ou pour l'action. La liberté intelligible des Allemands est aussi oisive que les dieux d'Epicure; elle n'est que la totalité de l'univers ou l'unité dont le tout dérive, et on ne voit pas comment elle peut descendre dans l'homme. De même, l'inconnaissable et l'inconditionnel des Anglais est un X dont il n'y a plus à s'occuper, même en morale, une fois qu'on l'a placé, énigme insoluble, au commencement du livre de la science. Le déterminisme règne, exclusivement et sans restriction, sur la pratique comme sur la théorie. Seule, la philosophie française de nos jours s'efforce de maintenir, surtout en morale, une liberté plus pratique et moins transcendante, mais elle la représente sous la forme antiscientifique du libre arbitre. De là, entre la morale et la science, une opposition inconciliable.

Un problème se pose donc à notre époque: ne pourrait-on conserver la liberté, au moins comme idéal, dans la théorie, et donner à cet idéal un rôle actif, humain, individuel, de manière à réconcilier, sur le plus vaste terrain possible, le déterminisme et la liberté? – C'est pour contribuer à cette conciliation progressive que nous avons cherché, dans le livre qu'on vient de lire, à rapprocher peu à peu les systèmes adverses.

II. – Toutes les doctrines métaphysiques relatives à la nature de l'activité aboutissent également à quelque notion ultime et incompréhensible à laquelle elles subordonnent le reste. Si on abstrait ce que les notions dernières des systèmes ont de différent, on aura peut-être un résidu commun. Or, dans la question qui nous occupe, les éléments ultimes des systèmes nous ont paru être la notion d'une activité indéterminée, celle d'une activité déterminée et celle d'une activité déterminante; en d'autres termes, l'indifférence, la nécessité, la liberté. Mais l'indéterminé n'est qu'une notion secondaire, qui suppose une notion supérieure: nous l'avons vu, une cause n'est indéterminée que par rapport aux causes étrangères, ou par rapport aux effets qu'elle produit, en ce sens qu'elle n'est pas déterminée par eux; elle n'est pas pour cela en elle-même indétermination absolue. Le système de l'indifférence a donc pour résidu l'idée d'une puissance qui ne serait pas déterminée, mais déterminerait ses propres actes, c'est-à-dire, au fond, l'idée de l'indépendance, de la liberté. Quant au système de la nécessité, il faut savoir d'abord s'il s'agit une nécessité relative et empirique, ou d'une nécessité absolue et métaphysique. Rien n'empêche, nous l'avons vu, d'admettre la nécessité comme loi des effets ou des moyens, c'est-à-dire d'admettre que les effets sont déterminés par une cause supérieure, et que les moyens sont déterminés par la fin: cette conception des effets et des moyens comme conditionnés ou nécessités, chacun par rapport aux autres et tous par rapport à une cause supérieure, n'exclut pas la possibilité de la liberté dans la cause même. Bien plus, si par hypothèse la cause est libre, il faudra précisément que cette dépendance complète existe dans les effets. Le vrai fatalisme est celui qui soutient que le dernier mot des choses n'est pas seulement une nécessité relative, laquelle pourrait dépendre encore de quelque liberté radicale, mais une nécessité absolue et radicale elle-même. Or, ce principe suprême dont les fatalistes font la loi et l'unité de l'univers, est une puissance nécessitante, déterminante, sorte de destin qui nous offre encore pour résidu un je ne sais quoi dont dépend tout le reste. Ainsi, la nécessité ne peut exclure toute liberté que si elle s'érige en absolu, et elle ne peut s'ériger en absolu que si elle se confond pour nous avec l'indépendance. En un mot, le déterminé et le non-déterminé semblent avoir pour principe le déterminant. Une idée plus ou moins vague d'indépendance et de liberté, idée problématique d'ailleurs et comme parabolique, se trouve être ainsi l'élément dernier des systèmes. On devait s'y attendre, puisque cette idée est le produit dernier de notre pensée même: le principe de causalité métaphysique n'en est que l'expression abstraite.

L'idée de liberté, comme elle nous a paru être au fond de ce qu'on nomme la «raison», nous a paru être aussi au fond de la conscience. A ce point de vue, elle est déjà moins abstraite et moins négative: elle est ce que nous désignons par le mot moi, marque de notre personnalité en face des choses extérieures, en face de l'univers. Par une intuition naturelle ou par une illusion naturelle, nous nous représentons notre activité propre sous l'idée de liberté: il nous semble qu'il y a en nous une indépendance individuelle qui consiste, non pas à exclure toute dépendance sous quelque rapport que ce soit, mais à s'affranchir progressivement de toutes les dépendances; c'est une puissance indéfinie, sinon infinie, qui nous semble pouvoir surmonter successivement tous les obstacles.

Cette idée de liberté, où coïncident la «raison» et la «conscience» mal à propos séparées par tant de psychologues, est-elle finalement démentie ou vérifiée par l'observation et par les lois de la nature, soit physiques, soit psychologiques? – Telle est la question fondamentale où se concentre tout le débat entre les systèmes adverses.

Nous avons rétabli d'abord, dans le domaine même des faits psychologiques, un élément essentiel dont l'oubli rendait suspects d'erreur tous les raisonnements des déterministes: l'influence exercée par l'idée même de la liberté. Cette idée, entre la liberté et la nécessité, est évidemment un intermédiaire. Quelle qu'en soit la valeur objective, qu'on y voie le plus sublime produit de la nécessité ou l'obscure conscience d'une liberté réelle, il est incontestable que cette idée existe et agit dans tous les esprits: elle offre donc aux déterministes et à leurs adversaires un terrain commun où ils peuvent déjà se rencontrer. Et ce terrain est celui des faits ou de l'expérience, de ce qu'on appelle la connaissance positive, qui exprime les relations vérifiables des choses, non leur essence absolue.

Dans cette sphère de l'expérience, la notion de liberté nous a paru en premier lieu une idée-force, qui produit son effet sur le mécanisme même de nos actes, selon la loi de causalité empirique.

Cette loi, – qui est plutôt la loi des effets que celle des causes, – est un rapport de détermination universelle et réciproque, qui fait que la détermination d'une chose dépend de la détermination de toutes les autres. Dans le déterminisme universel, il n'y a aucun vide, aucune solution de continuité, rien de fluide: tout est solide, plein, résistant. Enserrés dans ce monde, nous sommes attachés de toutes parts comme par les «clous de la nécessité»; nous ne paraissons pas seulement emprisonnés, mais comprimés et écrasés entre les murs de notre prison; nous ne pouvons faire un mouvement que si notre prison même, c'est-à-dire l'univers entier, se meut avec nous et nous entraîne avec le reste. A cette condition seulement tout est un, parce que tout se tient; à cette condition seulement le monde peut devenir l'objet d'une pensée une. Il semble donc que la pensée, avec l'universel déterminisme, ait imposé aux choses la loi tyrannique de la fatalité. Tel est le premier moment de la dialectique. Pourtant, malgré la prison qui m'écrase, je trouve une force de résistance dans l'idée même de liberté. Quand j'agis sous cette idée, avec la persuasion que les murs de ma prison peuvent reculer et me permettre un mouvement, ils reculent en effet. Il est vrai que je les retrouve plus loin, mais, là encore, ils semblent de nouveau être mobiles et céder à la force de l'idée. Cette idée de liberté fait donc reculer devant elle les obstacles, et on ne saurait d'avance indiquer, dans l'expérience, une limite intérieure que je ne puisse franchir par la réaction de l'idée sur cette limite même. Bien plus, quand j'accomplis certains actes, je me figure que les murs de la prison intérieure tombent et que l'espace s'ouvre devant moi.

– Illusion, diront les déterministes; les murs existent encore. – Peut-être, mais il en est de cette question comme du problème relatif à l'infinité du monde. Quelqu'un pourrait soutenir que, si j'allais assez loin, je rencontrerais les «murailles du monde»; mais si, en fait, je ne les rencontre jamais, les choses se passent pratiquement comme si ces bornes n'existaient pas.

Par là nous obtenons une liberté relative qui peut se concilier avec le déterminisme relatif. N'est-ce encore simplement qu'une nécessité prenant la forme de la liberté, ou est-ce la liberté prenant la forme de la nécessité? – Question qui concerne l'absolu des choses, et qui doit être réservée jusqu'au moment des spéculations métaphysiques. Tant que, dans l'ordre même de la pratique, il ne deviendra pas nécessaire de prendre un parti sur la nature absolue des objets, nous pourrons admettre d'un commun accord une certaine liberté de fait due à l'idée même de la liberté. En d'autres termes, le déterminisme intellectuel se change inévitablement en une sorte de liberté intellectuelle sous l'idée directrice de liberté166.

La liberté nous a paru, en second lieu, un objet de désir, conséquemment une fin directrice dont l'influence s'exerce sur nos actes, les règle, y introduit l'harmonie. A ce point de vue, nous avons obtenu une sorte de liberté sensible et esthétique: l'évolution de nos désirs prend, elle aussi, la forme de la liberté quand nous désirons la liberté même. Ici l'indépendance psychologique compatible avec le déterminisme se rapproche davantage d'une liberté vraie, parce que le dynamisme intérieur des désirs et des sentiments enveloppe une plus évidente spontanéité que le mécanisme extérieur. La détermination mécanique n'est que le prolongement du passé; la détermination finaliste a lieu par l'idée et le désir d'une fin à venir. Il ne faut pas croire pour cela, ni qu'elle fasse éclater le mécanisme par une rupture intérieure, ni qu'elle se développe en dehors. Non, elle se développe du dedans même: l'«appétition» se révèle peu à peu comme le fond du mécanisme devenu conscient de son propre ressort et de sa propre direction. La finalité est la sensibilité et l'activité réfléchies sur elles-mêmes par l'intermédiaire de l'intelligence; elle est la pensée et le désir d'un état à venir, qui, ainsi, «devient»; mais cette pensée et ce désir d'un état futur sont actuels; ils sont produits eux-mêmes par la conscience de l'état présent, qui, à son tour, sort du passé. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a un progrès du point de vue mécaniste au point de vue finaliste. Dans le déterminisme exclusivement mécaniste et matérialiste, chaque phénomène est l'expression nécessaire de tous les faits extérieurs ou mouvements qui ont été, rien de plus; dans le déterminisme finaliste, le phénomène est l'expression d'un certain principe intérieur toujours présent, qui a fait être le passé et produira l'avenir par la conscience même qu'il acquiert de soi. Le passé, en tant que série de phénomènes mécaniques, n'est plus alors l'expression adéquate du principe qui l'a produit, et l'avenir n'est plus simplement la reproduction mécanique du passé: il y a, dans l'avenir et dans le présent même, quelque chose de plus que dans les phénomènes extérieurs et mouvements du passé; il y a un fond interne qui ne s'est pas épuisé dans les formes antécédentes et qui enveloppe, non un passé toujours répété, mais un avenir vraiment à venir, conséquemment progressif. Quoi qu'il en soit de la finalité hors de nous, il demeure incontestable que, dans notre conscience au moins, le désir de la liberté réalise une sorte de finalité immanente, supérieure au mécanisme brut comme la vie est supérieure à ses propres organes167.

En troisième lieu, la liberté nous a paru un objet d'amour moral. Ici, le sujet et l'objet ne semblent plus séparés par une aussi grande distance qu'aux autres moments de l'évolution intérieure. L'idée abstraite de liberté semblait trop éloignée d'une liberté réelle; le désir actif de la liberté, quoique plus voisin, semblait encore loin de son objet; dans l'amour de la liberté, le sujet et l'objet tendent à se confondre. En étudiant la notion morale de l'amour désintéressé et universel, nous avons trouvé que l'amour d'autrui ne serait réel qu'autant qu'il serait libre. Maintenant, l'amour vrai, le vrai désintéressement est-il réel en nous? On ne peut le démontrer. Mais à coup sûr, si le déterminisme subsiste encore dans notre amour du bien universel, du moins y a-t-il pris tellement la forme de la liberté que nous pouvons à peine distinguer cette forme du fond même168.

Considérée dans ce triple rôle, l'idée de liberté nous a fourni une méthode d'approximation indéfinie vers la liberté réelle. Et cette méthode peut être acceptée même par les partisans de la nécessité. Nous y avons trouvé quelque chose d'analogue, en son genre, à la méthode infinitésimale de Leibnitz, qui fournit aux mathématiciens une approximation indéfinie, parce qu'elle permet de diminuer indéfiniment, au-dessous de toute quantité donnée, la différence de la variable et de sa limite.

La vraie et complète liberté envelopperait quelque chose d'absolu, et l'absolu, étant inexplicable, ne peut être l'objet d'une connaissance proprement dite. Donc, la liberté fût-elle certaine, on ne pourrait l'expliquer en elle-même, mais seulement dans ses effets. D'autre part, si ces effets sont explicables, c'est que, étant déterminés les uns par les autres et par leur cause supérieure, ils forment un mécanisme ou un organisme, dont on peut déterminer les ressorts ou les fonctions; ils forment conséquemment un déterminisme. C'est à ce point de vue que nous avons essayé une explication scientifique des formes communes de la liberté et du déterminisme. Cette explication remplit une lacune considérable dans les deux systèmes adverses. La doctrine de la nécessité, en effet, avait besoin de se compléter en montrant comment le déterminisme arrive à prendre l'apparence de la liberté; la doctrine de la liberté, à son tour, devait se compléter en montrant comment la liberté prend l'apparence du déterminisme: par là les deux systèmes devaient aller au-devant l'un de l'autre.

Résumons en un tableau les différents degrés que nous avons parcourus dans cette conciliation progressive, opérée sur le domaine de la science proprement dite.

I. Point de départ métaphysique (et invérifiable) des doctrines nécessitaires:

Nécessité absolue au fond des choses.

II. Développement scientifique du déterminisme, dans le domaine de la nécessité relative.

1o Déterminisme mécaniste et intellectualiste, fondé sur l'influence nécessitante des idées et des mouvements qui y correspondent. (Démocrite, Hobbes, Spinoza, Leibnitz, etc.)

2o Déterminisme finaliste, fondé sur l'influence nécessitante des désirs. (Platon, les stoïciens, Leibnitz, etc.)

3o Déterminisme moral, fondé sur l'influence nécessitante de l'amour du bien. (Socrate, Platon, les stoïciens, Leibnitz, Spinoza.)

Point culminant atteint jusqu'ici par le déterminisme dans son développement historique: La nécessité morale, telle que l'ont admise les platoniciens, les stoïciens, les spinozistes, les théologiens de la grâce.

III. – Progrès nouveaux que nous avons fait faire au déterminisme, et nouveaux moyens-termes que nous y avons introduits:

165.C'est ce que nous avons essayé de mettre en lumière dans notre Idée moderne du droit.
166.Voir p. 221 et suiv.
167.V. p. 252 et suiv.
168.Voir p. 281 et suiv.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
580 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают