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Читать книгу: «Le pouce crochu», страница 13

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Il fallait sortir par le puits, c’était évident, et il ne s’agissait plus que de préparer l’évasion.

La grande difficulté, c’était d’atteindre l’ouverture percée dans la voûte de la galerie. Courapied, qui était deux fois plus grand que Georget, aurait pu y arriver en sautant, s’accrocher à quelque saillie et grimper tout seul: ou bien encore faire la courte échelle à son fils qui passerait le premier. Mais si on usait de ces procédés, l’un des deux pourrait bien rester en route, et alors le problème ne serait résolu qu’à moitié.

Georget songea à utiliser les barriques comme marchepied. Il avait pu constater que deux ou trois étaient vides, et par conséquent, faciles à rouler. Il résolut de faire seul cette opération préparatoire: Courapied n’était pas en état de l’aider et il suffirait de le réveiller quand l’aube commencerait à poindre.

L’orage s’éloignait et la pluie avait cessé de tomber. Georget rebroussa chemin, portant le bidon plein d’eau, et arriva bientôt à l’endroit où son père reposait toujours sur son lit de jambons. Il posa le vase à portée de la main du dormeur et pour pouvoir travailler plus sûrement, il se décida, un peu à contrecœur, à allumer sa lanterne.

Il ne lui restait plus qu’une allumette et il lui en coûtait de la sacrifier, car si l’évasion manquait, il allait être condamné aux ténèbres à perpétuité. Mais le moment était venu de brûler ses vaisseaux pour jouer une partie suprême.

Il mit donc le feu à la bougie qui était consumée aux trois quarts et, pour y voir plus clair, il laissa ouverte la porte vitrée du falot.

Il retrouva sans peine les fûts vides, qui étaient les premiers de la rangée, en choisit un, celui qui paraissait le plus solide, et se mit à le pousser devant lui, sans déranger Courapied, qui ronflait comme un tuyau d’orgue.

Il eut tôt fait d’amener la barrique sous l’orifice du puits et de la dresser sur champ.

Alors, il leva la tête, et il lui sembla que le ciel était déjà moins noir. Ce n’était pas encore le jour, mais c’était le crépuscule qui commençait.

Dans une demi-heure, l’aurore allait se lever.

Georget, ravi, grimpa sur la barrique pour attendre la lumière du soleil qu’il n’avait pas vue depuis huit jours.

Le lambeau du ciel que Georget apercevait par l’orifice du puits blanchissait à vue d’œil, mais la lumière d’en haut ne descendait pas encore jusqu’au fond du tuyau. Il semblait qu’elle fût tamisée par une clôture à claire-voie et d’ailleurs l’aube naissait à peine.

Georget faisait des vœux ardents pour que le jour qui allait paraître fût illuminé par un beau soleil de printemps, car un temps nuageux n’aurait pas suffi pour lui montrer les facilités et les difficultés du chemin qu’il voulait prendre pour s’échapper.

L’intrépide gamin, debout sur le fond de la barrique, avait déjà mesuré la distance qui le séparait de la voûte et reconnu que ses bras levés en l’air n’y atteignaient pas. Mais il espérait qu’en sautant il pourrait s’accrocher, pour peu que ses mains rencontrassent un point d’appui.

Et, pour tenter l’expérience, il attendit qu’il fît plus clair.

Le chien n’aboyait plus et tout danger extérieur paraissait écarté, car les rôdeurs de la plaine Saint-Denis rentrent dans leurs tanières à l’heure où les honnêtes ouvriers se lèvent pour aller au travail.

Et il était difficile d’admettre que Zig-Zag se promenait dans ces parages avec Amanda, à la petite pointe du jour. Ils ne pouvaient pas deviner que leurs dernières victimes allaient ressusciter.

Georget se voyait déjà dehors et se demandait:

– Ou irons-nous, quand nous serons sortis de cette vilaine cave? Chez la demoiselle… s’ils ne l’ont pas tuée. Et qui sait si elle nous recevra?… si elle nous croira quand nous lui raconterons ce qui nous est arrivé?… Si elle ne nous accusera pas de nous être entendus avec Zig-Zag?… et puis, père lui en veut, et il est capable de lui dire des sottises.

À ce moment, la voix de Courapied l’appela par son nom, une voix enrouée, mais qui portait encore très loin, car le vieux pitre avait contracté sur les planches l’habitude de ne pas dire un mot sans crier à tue-tête.

– Me voilà, père! dit Georget en sautant à terre.

Il trouva Courapied, assis sur les salaisons, et jurant comme un païen.

– Qu’est-ce que tu m’as mis là-dedans? vociférait-il en secouant le bidon.

– C’est de l’eau, père. Je te l’ai rapportée et tu peux la boire… moi, j’ai déjà bu.

–Tiens! v’là ce que j’en fais de ton eau.

Et l’ivrogne jeta le liquide salutaire au nez de son fils, qui avait pris tant de peine pour le recueillir.

– Je veux de l’eau-de-vie, reprit-il. Tourne le robinet.

– Mais, père, il faut te lever. J’ai trouvé un chemin pour sortir d’ici.

– Eh bien! va-t’en. Je reste près de la barrique et puisque tu ne veux pas me servir, je vas me servir moi-même.

Il étendit le bras, saisit le robinet et pendant que l’alcool coulait à flots, il essaya de remplir son bidon, mais en s’agitant, il fit un faux mouvement qui renversa la lanterne, avec la bougie allumée.

Georget se précipita pour la relever. Il arriva trop tard. La terre, imprégnée de trois-six, prit feu comme un tas de soufre, et la flamme força le courageux enfant à reculer. Il ne fut pas atteint; mais Courapied, aussi imbibé que le sol, se mit à brûler comme le buisson ardent au milieu duquel Moïse apparut à son peuple.

Le pauvre pitre se tordait, en poussant des cris épouvantables, et son fils essayait vainement de le saisir par ses vêtements qui flambaient. Il y serait peut-être parvenu, mais, par surcroît de malheur, la barrique surchauffée éclata et l’alcool qu’elle contenait se répandit comme un torrent de feu qui engloutit aussitôt Courapied.

Georget, qui avait eu la présence d’esprit de faire un bond en arrière, reçut des éclaboussures et n’eut que bien juste le temps de se sauver.

Son père était perdu. Les flammes remplissaient le caveau; les autres barriques allaient sauter aussi; à quoi eût servi à l’enfant de rester dans ce brasier? L’instinct de la conservation l’emporta et Georget s’enfuit à toutes jambes, poursuivi par une fumée épaisse qui faillit l’asphyxier.

Il ne commença à respirer qu’après avoir dépassé l’endroit où la galerie bifurquait, et il n’y serait pas resté longtemps sans périr étouffé, car l’incendie augmentait avec une rapidité effrayante, mais il retrouva sa barrique, il sauta dessus et, en levant la tête, il vit non seulement le jour, le plein jour, mais encore des barres de fer qui faisaient saillie dans le mur du tuyau, de véritables échelons, comme on en met dans les puits d’égout pour faciliter aux égoutiers la montée et la descente.

La plus basse de ces barres était bien à un mètre au-dessus de Georget, mais il était souple comme une anguille et leste comme un chevreuil. Il prit son élan, saisit le premier échelon, s’enleva à la force du poignet pour attraper le suivant et continua ainsi jusqu’à ce que ses pieds eussent trouvé un point d’appui.

Le reste n’était plus qu’un jeu pour un garçon qui apprenait la gymnastique depuis l’âge de quatre ans. Seulement, la fumée qui se répandait par tout le souterrain avait gagné le puits et, attirée par l’air extérieur, montait en gros tourbillons qui enveloppaient le malheureux Georget. Il n’y voyait plus clair, quoique le soleil brillât dans un ciel pur. Mais il grimpait toujours et il calculait que cette pénible ascension devait toucher à son terme.

Tout à coup, sa tête heurta un obstacle. L’orifice du puits était fermé par une grille en fer.

Georget, cette fois, crut bien qu’il était perdu. Autour de lui, la fumée s’épaississait de plus en plus; elle devenait brûlante, et le pauvre petit se trouvait dans la situation d’un homme assis sur le haut d’une cheminée dans laquelle on fait du feu.

Il poussa de toutes ses forces avec sa tête, et même, en se courbant, avec ses épaules. Il lui sembla que la grille cédait un peu.

Au moment où il tentait un suprême effort, il entendit de nouveau l’aboiement qui l’avait déjà effrayé; mais cette fois, le chien avait le museau collé sur la grille.

Georget sentait son souffle à travers les barreaux.

– C’est Vigoureux! murmura-t-il; je suis perdu!

Périr étranglé par les dents d’un dogue furieux ou périr étouffé dans le souterrain, c’était tout un.

Il allait lâcher les échelons, lorsqu’il fut poussé par une force inconnue et assourdi par le fracas d’une épouvantable explosion.

Georget, à ce coup, perdit le sentiment de l’existence, et fut jeté hors du puits par une impulsion irrésistible.

Tout sauta en même temps: lui, la grille et le chien. L’éruption d’un volcan n’aurait pas produit des effets plus surprenants que cette poussée, partie du caveau, où huit pièces d’eau-de-vie venaient d’éclater à la fois.

Le tuyau par lequel l’enfant était monté, vomissait maintenant des flammes et des torrents de fumée noire. La terre avait tremblé et un pan de mur de la maison rouge s’était écroulé.

Le soleil qui se levait éclairait une scène de désolation et on voyait accourir des gens attirés par le bruit.

Lorsque Georget reprit ses sens, il y avait déjà autour de lui cinq ou six individus qui ne paraissaient pas faire partie de ce qu’on appelle les classes dirigeantes: deux chiffonniers, deux rôdeurs de barrière et deux employés de l’octroi qui s’en allaient prendre leur service à la porte de Saint-Ouen.

Dans le lointain, le chien fuyait à toutes jambes et personne ne courait après lui.

Georget ne se préoccupait plus de savoir s’il avait eu affaire à Vigoureux. Son premier mot aux gens qui l’entouraient fut:

– Mon père! sauvez mon père!

– Et où s’ qu’il est, ton père? demanda un vieux chiffonnier.

– Là, dans le souterrain…

– Tiens! ricana un des voyous; il y a un souterrain! C’est comme à l’Ambigu.

– Et qu’est-ce qu’il fait là-dedans, ton père? reprirent en chœur les douaniers.

– Il y est tombé avec moi.

– À quoi donc que vous avez mis le feu? interrogea le chiffonnier. T’es roussi comme un cochon de lait qu’on vient de flamber.

– À des barriques d’eau-de-vie. Mais laissez-moi aller à son secours, je vous en prie.

– Tiens! tiens! murmura un des employés qui portait les galons de brigadier. Des spiritueux!… faudra voir…

Et il parla tout bas à son camarade qui s’achemina au pas accéléré vers la caserne de gendarmerie qu’on a construite sur le boulevard Bessières, tout près du poste de l’octroi.

Pendant ce colloque, d’autres curieux arrivèrent, et parmi eux, le patron de l’établissement intitulé: Le Tombeau des Lapins, le père Villard en personne, qui, à peine mis au courant de l’événement, s’écria:

– Il y a huit jours que ça se mijote, cette affaire-là. Toutes les nuits, on voyait de la lumière dans la maison rouge; et ce n’était pas pour des prunes. Mais la v’là par terre. C’est bien fait; ils ne recommenceront pas. Et dire que vous autres, gabelous, vous n’avez pas eu le nez de pincer l’entrepôt de ces chenapans-là, à cinq cents mètres de la barrière.

– Il est encore temps, grommela le douanier.

Et, secouant Georget qui pleurait à chaudes larmes:

– Allons, mauvais gueux, conduis-moi à l’entrée de la cave où tu as laissé ton père.

– Oh! je veux bien, sanglota l’enfant.

C’était plus facile à dire qu’à faire. Le puits qui fumait toujours s’ouvrait tout près du tas de pierres où Camille et ses amis s’étaient arrêtés pour délibérer, avant de pénétrer dans la maison. Par conséquent, le souterrain s’étendait du côté de la route de la Révolte, et il ne s’étendait pas très loin, mais le pan de mur que l’explosion avait renversé obstruait précisément l’entrée du corridor où Courapied et son fils étaient tombés dans une trappe.

– C’était là, murmura Georget, en montrant du doigt cet amas de décombres.

– Bon! tu fais le malin… tu ne veux rien dire… il faudra bien que tu parles, quand tu seras en prison.

– En prison!… moi! Mais je n’ai rien fait de mal…

– On te lâchera quand tu auras dit où est le reste de la bande… Tu ne vas pas me soutenir que tu n’en étais pas.

– C’est lui qui servait de mouche aux fraudeurs, affirma le propriétaire du Tombeau des Lapins.

– Oui…, oui, menez-le au poste, crièrent les autres.

– Eh bien, dit Georget exaspéré, je vais vous suivre, mais je veux qu’on porte secours à mon père. On n’abandonne pas un homme sans essayer de le sauver.

– S’il est au fond du trou, il y a longtemps qu’il est fumé, reprit un des rôdeurs.

– J’y descendrais bien, ajouta un chiffonnier, mais il n’y à pas mèche.

Il s’approcha du puits et il recula, chassé par les vapeurs brûlantes et nauséabondes qui en sortaient.

– Encore, si ça ne sentait que l’eau-de-vie! mais c’est comme une odeur de côtelette brûlée. Tout est cuit.

Georget fondit en larmes. Il comprenait que son père était mort. Peu lui importait maintenant ce qu’on ferait de lui.

– Comment t’appelles-tu? lui demanda brusquement l’employé de l’octroi.

– Georges Courapied.

– Drôle de nom, tout de même. Quel métier fais-tu?

– Il est larbin, dit un des voyous. Ça se voit bien à sa veste qu’a trente-six boutons.

– Non, murmura Georget. J’étais dans une troupe.

– Une troupe de quoi? Tu ne nous feras pas gober que tu étais figurant dans un théâtre.

– Mon père et moi, nous faisions les foires.

– Ça se peut bien tout de même. J’ai dans l’idée que je l’ai vu cette année à la celle au pain d’épices.

– C’est vrai, nous y étions.

– Il ne s’agit pas de tout ça, dit le douanier. Où demeures-tu?

– Nous logions dans la baraque du patron.

– Et maintenant?

– Nulle part. Le patron a fait faillite… et nous ne savions pas ce que nous allions devenir quand nous sommes tombés dans la cave.

– Tu te fiches de moi, mauvais crapaud, mais ton compte est bon. Je vas commencer par te coller au poste. On verra si quelqu’un vient t’y réclamer.

Georget avait sur les lèvres le nom de Camille Monistrol, mais, dans sa sagesse précoce, il jugea que la bonne demoiselle qui l’avait recueilli, lui saurait mauvais gré de la mêler à une vilaine affaire, et il se tut.

Deux gendarmes s’avançaient, guidés par l’autre douanier. Georget se résigna à aller en prison, plutôt que de nommer mademoiselle Monistrol.

IX. Chacun sait que les obstacles ne font que surexciter les amoureux…

Chacun sait que les obstacles ne font que surexciter les amoureux. Or, Julien Gémozac était amoureux fou. Plus Camille Monistrol lui marquait de froideur, plus il l’adorait. Et il en était venu à l’adorer bêtement. Ce charmant garçon, qui avait eu de nombreux succès dans tous les mondes et qui aurait dû connaître les femmes, s’obstinait à persécuter de ses assiduités une jeune fille qui ne lui témoignait que de l’indifférence et qui avait fini par refuser nettement de l’admettre chez elle.

Il savait qu’elle recevait un M. de Menestreau, et il n’avait pas l’énergie de lui demander l’adresse de ce monsieur, d’aller le trouver et de lui chercher querelle, lui qui avait déjà eu trois duels et qui ne craignait personne au monde.

Camille l’avait ensorcelé, sans le vouloir, et justement parce qu’elle ne tenait pas du tout à le séduire.

Et rien n’y faisait, ni les conseils de son ami Fresnay, conseils assaisonnés de railleries qui auraient dû le piquer au vif, ni les reproches de sa mère désolée de ne plus le voir qu’à de rares intervalles, et très montée contre l’orpheline du boulevard Voltaire, ni les sages observations du père Gémozac, qui envisageait avec plus de sang-froid que sa femme cette situation nouvelle.

Homme d’affaires avant tout, ce grand industriel se disait que l’héritière de son associé aurait certainement, et avant peu, une grosse fortune, car les produits de l’invention Monistrol ne pouvaient que s’accroître, et donnaient déjà de superbes revenus. Et cette fortune, son fils unique, en épousant Camille, l’aurait tout entière après lui, au lieu d’être obligé de la partager avec une étrangère.

À d’autres points de vue, ce mariage ne lui déplaisait pas. M. Gémozac avait commencé par être ouvrier, et il ne tenait pas à voir Julien entrer dans une famille aristocratique. Il ne comprenait que les alliances entre égaux.

Mais, ce qu’il redoutait par dessus tout, c’était que Julien, exaspéré par les refus de Camille, ne se jetât à corps perdu dans des débordements de toute espèce. Il le soupçonnait même d’avoir déjà commencé, car le crédit qu’il lui avait ouvert était tellement dépassé, que le caissier s’était cru obligé d’avertir son patron.

La veille encore, Julien s’était fait remettre une somme de dix mille francs et il devait l’avoir perdue au jeu, car, épris comme il l’était, il ne l’avait certainement pas dissipée avec des drôlesses.

Il ne paraissait presque plus au déjeuner de midi, soit qu’il dormît après une nuit passée au baccarat, soit qu’il fût sorti de grand matin pour aller rôder autour de la maisonnette habitée par mademoiselle Monistrol.

Tant qu’à la fin, M. Gémozac jugea qu’il devait intervenir.

Il lui répugnait de traiter Julien comme un enfant qu’on met au pain sec, c’est-à-dire de lui couper les vivres en lui fermant sa caisse, et il comprenait que des sermons paternels ne toucheraient pas cet affolé. Mieux valait s’en prendre à la cause du mal et s’adresser à mademoiselle Monistrol, elle-même.

Elle ne venait plus chez lui, depuis qu’elle avait échangé des mots aigres avec sa femme; il résolut d’aller chez elle et de la confesser à fond.

Il ne voulait pas croire qu’elle se conduisît mal, et il lui paraissait impossible qu’elle eût conçu de l’antipathie contre un garçon si bien partagé, sous tous les rapports. Il ne voyait, dans la sauvagerie qu’elle affichait, qu’un caprice de jeune fille. Il avait pu déjà juger son caractère de jeune fille. Il avait pu déjà juger son caractère original et indépendant. Peut-être aussi madame Gémozac l’avait-elle blessée dans son amour-propre. Il se faisait fort de la ramener par la douceur et de lui faire entendre raison.

Et d’ailleurs, pour d’autres motifs, il lui tardait d’avoir une explication avec elle.

Camille n’était pas majeure et il ne lui restait plus aucun parent. Il fallait donc de toute nécessité lui faire nommer un tuteur ou la faire émanciper et M. Gémozac pensait que l’émancipation était préférable. Mademoiselle Monistrol avait, dès à présent, d’importants intérêts à régler avec l’associé de son père, des actes à signer. Mieux valait la mettre en mesure d’administrer elle-même sa fortune. M. Gémozac voulait lui conseiller de prendre ce parti et lui offrir de se charger des démarches nécessaires.

N’était-ce pas d’ailleurs la meilleure manière de lui montrer qu’il ne prétendait point peser sur ses résolutions futures, ni influer sur le choix qu’elle ferait d’un mari? Et comme le père Gémozac était avant tout un honnête homme, il tenait essentiellement à passer pour tel aux yeux de mademoiselle Monistrol.

Donc, un beau jour, sans consulter sa femme et sans rien dire à son fils, à l’heure où d’habitude il entrait dans son cabinet pour s’occuper de ses affaires, il prévint son principal employé qu’il allait sortir, et il fit, dire d’atteler son coupé.

Il n’avait jamais mis les pieds chez feu Monistrol. Les gros financiers ne se dérangent pas pour les gens qu’ils commanditent, et c’était le pauvre diable d’inventeur qui se déplaçait pour conférer avec le maître de la grande usine du quai de Jemmapes.

Mais Gémozac connaissait, sans l’avoir vue, la maison où son associé était mort si tragiquement. Sa femme et son fils la lui avaient assez souvent décrite, depuis la catastrophe, et il n’était pas fâché de la visiter, car il n’avait jamais pu s’expliquer comment le crime avait été commis. De plus, il doutait très fort que mademoiselle Monistrol fût en sûreté dans cette baraque isolée, et il se proposait d’insister encore pour la décider à déménager le plus tôt possible.

Il partit donc, et dix minutes après, son cocher, qui avait déjà conduit madame Gémozac au boulevard Voltaire, arrêta son cheval devant la clôture en planches qui protégeait très imparfaitement la cour.

Il descendit de voiture, chercha inutilement une sonnette pour s’annoncer, et finit par pousser la barrière à claire-voie qui tenait lieu de porte.

Une fois dans la cour, il examina la maison et il fit la grimace en reconnaissant qu’elle était tout au plus bonne à loger un portier. Du reste, il ne paraissait pas qu’elle fût habitée, car, à tous les étages, les volets étaient fermés.

Il avança, pensant que le bruit de ses pas attirerait la servante, mais personne ne vint.

– Ah! ça, murmura-t-il, c’est donc le château de la Belle au bois dormant!

La petite est peut-être sortie. Mais cette fameuse bonne qui la garde si bien, à ce qu’elle dit… où diable est-elle? Sa jeune maîtresse l’a peut-être emmenée et elle a bien fait, car, jolie comme elle l’est, cette enfant aurait grand tort de circuler dans Paris toute seule.

Il avança encore, et ne sachant par où entrer dans cette maison close, il résolut d’en faire le tour pour trouver la porte.

Instinctivement, il prit à droite et il la découvrit. Mais il fut tout étonné de voir qu’elle n’était pas fermée.

– Diable! murmura-t-il, il faut que mademoiselle Monistrol soit bien peu soigneuse… laisser son logis à la discrétion du premier venu… après le malheur qui lui est arrivé… c’est vraiment trop fort…

À ce moment, il lui sembla qu’on parlait au premier étage. Il prêta l’oreille et il finit par entendre distinctement deux voix dont une d’homme.

– Oh! oh! se dit-il, il paraît que je tombe mal. Le monsieur qui cause là-haut doit être le rival de Julien… le rival préféré… celui que ma femme a failli rencontrer le jour où elle s’est brouillée avec la petite et que mon fils n’a jamais pu apercevoir. Les choses sont plus avancées que je ne pensais puisqu’elle le reçoit en tête-à-tête et je commence à croire que ce pauvre Julien fera bien de se retirer.

Mais je ne serais pas fâché de savoir comment est fait ce prétendant et d’où il sort.

Et il s’engagea bravement dans l’escalier, en ayant soin de heurter les marches avec ses bottes et de tousser très fort.

On l’entendit, car les causeurs se turent immédiatement, et un bruit de fauteuils roulés sur le parquet annonça qu’ils se levaient.

Presque aussitôt mademoiselle Monistrol se montra, habillée comme une femme qui vient de rentrer et qui n’a pas pris le temps d’ôter son chapeau.

– C’est moi, ma chère enfant, cria le père Gémozac. Vous n’attendiez pas ma visite, hein?

– Non, monsieur, répondit Camille, sans laisser percer aucun embarras, mais vous êtes et vous serez toujours le bienvenu ici.

– Alors, je ne vous dérange pas?… Il me semble pourtant que vous n’êtes pas seule.

– C’est vrai, mais je serai très heureuse de vous présenter quelqu’un qui vient d’arriver.

Entrez, monsieur, je vous prie.

Gémozac ne se fit pas répéter l’invitation. Il suivit mademoiselle Monistrol dans le salon et il se trouva face à face avec un monsieur qui se tenait debout, le chapeau à la main, et qui lui parut fort bien de sa personne.

La maison n’était pas double; toutes les pièces avaient des fenêtres sur les deux façades, et du côté opposé au boulevard Voltaire, les persiennes étaient ouvertes, de sorte qu’on y voyait très clair.

– M. Georges de Menestreau, dit Camille en désignant le visiteur arrivé avant M. Gémozac.

À ce nom, le père de Julien fit un haut-le-corps et se mit à regarder ce monsieur avec une attention presque impolie. Son fils lui avait bien dit que mademoiselle Monistrol recevait un jeune homme, mais il ne lui avait pas dit comment ce jeune homme s’appelait, quoiqu’il le sût parfaitement, Camille ne le lui ayant pas caché.

– Excusez-moi, monsieur, dit-il sans laisser à la jeune fille le temps de compléter la présentation; n’êtes-vous pas de l’Aveyron?

– Oui, monsieur… à qui ai-je l’honneur de parler?

– Je suis Pierre Gémozac, et j’ai beaucoup connu votre père. Il était propriétaire de forges dans ce pays-là, et il me vendait du fer excellent. C’était un homme des plus honorables. Il est mort, m’a-t-on dit?

– Il y a plusieurs années.

– J’avais su qu’il avait un fils, et je me suis toujours demandé pourquoi ce fils n’avait pas continué les affaires.

– La vocation me manquait complètement, tandis que j’avais un goût très vif pour les voyages. Ce goût, j’avais assez de fortune pour le satisfaire. Je suis parti pour l’Amérique où j’ai séjourné longtemps. Puis, j’ai été en Chine, au Japon. Et je ne suis rentré en France, tout récemment, qu’après avoir fait le tour du monde.

– Vous ne m’aviez jamais dit que vous étiez allé si loin, murmura Camille.

– Et moi j’étais bien mal renseigné, reprit M. Gémozac. Je croyais… pardonnez-moi ma franchise… je croyais que ce brave Menestreau s’était ruiné… et que son fils avait disparu.

– Mon père a en effet subi des revers, mais j’ai hérité de ma mère… et voyager n’est pas disparaître, répliqua sèchement Georges. Je suis, du reste, monsieur, très heureux de vous rencontrer… d’autant plus heureux que je me proposais d’aller très prochainement vous voir chez vous.

– Puis-je savoir pourquoi?

– Pour vous demander non pas de m’accorder la main de mademoiselle Monistrol, puisque vous n’êtes ni son parent ni son tuteur, mais d’approuver notre mariage. Je dois bien cet acte de déférence à l’homme généreux qui a commandité son père et qui est resté son ami, son protecteur…

Gémozac interrogea des yeux Camille qui lui dit aussitôt:

– C’est moi, monsieur, qui ai conseillé à M. de Menestreau de faire auprès de vous une démarche respectueuse, et puisque le hasard nous rassemble ici, permettez-moi d’aborder un sujet délicat. Monsieur votre fils vous a parlé, sans doute, d’un projet qu’il avait formé et qui m’honore infiniment.

– Oui, parbleu! et je n’y ai pas fait la moindre objection. Sa mère s’en est un peu effarouchée, mais elle s’y serait ralliée… et je ne vous cacherai pas qu’en épousant M. de Menestreau vous mettrez mon fils au désespoir.

Mais vous êtes libre, ma chère Camille, et je n’ai pas le droit de vous blâmer de suivre votre inclination. Je suis même venu aujourd’hui tout exprès pour vous offrir de vous faire émanciper, et je vais m’occuper de régler nos intérêts communs, de telle sorte que vous pourrez disposer de vos revenus comme vous l’entendrez. Votre compte dans ma maison sera arrêté tous les ans ou tous les six mois, comme vous voudrez, et vous n’aurez avec moi et les miens que les relations qu’il vous plaira d’avoir.

– Les plus affectueuses, après comme avant, s’écria la jeune fille, et puisque vous approuvez le choix que j’ai fait…

– Je n’ai pas à l’approuver. M. de Menestreau est le fils d’un brave homme, et je ne doute pas que son père lui ait transmis ses sentiments. Mais il ne trouvera pas mauvais, je l’espère, que je demande des renseignements sur lui dans le département où il a passé sa première jeunesse.

À cette déclaration qui ressemblait un peu à une menace, Georges de Menestreau pinça les lèvres, mais il répondit avec un calme parfait:

– Vous ferez fort bien, monsieur, de vous renseigner. Je crois qu’on m’a un peu oublié dans mon pays, mais je me flatte de n’y avoir pas laissé de mauvais souvenirs.

– J’en suis persuadé, dit M. Gémozac qui pensait tout le contraire et qui se promettait bien d’écrire le jour même à ses correspondants de l’Aveyron.

Il se rappelait vaguement que Menestreau le père avait été ruiné par son fils et que ce fils avait fort mal tourné; mais il s’était écoulé des années depuis la déconfiture du maître de forges, et M. Gémozac n’était pas sûr de la fidélité de sa mémoire.

Il avait le temps de s’informer avant que Camille prît un engagement irrévocable. On ne se marie pas sans se faire afficher à la mairie. Les formalités prennent au minimum une quinzaine de jours, et il n’en faut pas plus de quatre pour recevoir une réponse de Rodez ou de Decazeville.

– J’ai bien mal reconnu vos bontés, monsieur, reprit Camille, mais, je vous le jure, je suis profondément touchée de ce que vous faites pour moi. Dites bien à monsieur votre fils que si mon cœur eût été libre…

– Malheureusement il ne l’est pas, interrompit le père Gémozac, d’un ton légèrement ironique. Il faudra bien que Julien s’en console. Ce sera peut-être mieux ainsi.

Mais… il me semblait que vous aviez juré de n’épouser que l’homme qui retrouverait l’assassin de votre père?… Je sais bien que Julien n’a pas rempli les conditions du programme… M. de Menestreau a sans doute été plus heureux?… L’assassin est arrêté, ou va l’être?

– Hélas! non. Je crains même qu’il ne le soit jamais; M. de Menestreau a fait tout ce qu’il a pu… il n’a pas réussi… mais il m’a sauvé la vie…

– En vérité?… oh! alors! je comprends que vous teniez à le récompenser… Quoi! votre vie a couru des dangers? Est-ce que l’homme qui a tué votre père a essayé de vous tuer aussi?…

– Pas comme vous l’entendez. J’ai appris qu’il se cachait dans une maison en ruines… en pleine campagne, au delà de la porte de Saint-Ouen.

– C’est sans doute M. de Menestreau qui vous a fourni ce précieux renseignement?

– Non; c’est un pauvre saltimbanque… de la même troupe que Zig-Zag… l’histoire serait très longue à vous raconter en détail… Je suis partie la nuit avec ce saltimbanque et son fils… Ils ne sont pas revenus, eux…

– Quoi! Zig-Zag les a exterminés? Quel tueur d’hommes!

– Je ne sais… ils ont disparu, ils sont tombés dans une trappe ouverte au milieu du corridor de cette maison… et j’ai failli partager leur sort… j’ai pu l’éviter et m’enfuir, mais au milieu de cette plaine déserte, j’ai été attaquée par deux de ces misérables qui rôdent près des barrières de Paris… ils me tenaient, et Dieu sait ce qu’ils auraient fait de moi, si M. de Menestreau n’était pas venu à mon secours, au péril de sa vie… il m’a arrachée de leurs mains.

– C’est fort heureux et le hasard qui a amené là tout à point M. de Menestreau est véritablement providentiel. Quel roman on ferait avec votre aventure!

– Elle n’est que trop réelle, murmura Camille.

– Je n’en doute pas, mais il y manque un dénouement. Vous n’êtes donc pas revenue, en plein jour, visiter ce repaire de brigands…, cette maison machinée comme un théâtre de féerie?

– Je n’y ai pas manqué, monsieur. J’y ai conduit M. de Menestreau. Il a bien voulu descendre dans la cave où sont tombés les malheureux qui m’avaient servi de guides… leurs corps n’y étaient pas…

– Donc, ils ne sont pas morts. À votre place, mademoiselle, j’aurais prié M. de Menestreau de signaler au préfet de police la maison où il se passe de si étranges choses. Comment donc est-elle faite, cette tour de Nesle?

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
310 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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