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Читать книгу: «Le crime de l'Opéra 2», страница 5

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»Tiens! on frappe. Est-ce que ce serait lui qui revient par les petites entrées?

Le docteur tressaillit, et courut à la porte intérieure, probablement dans l’intention de la fermer au verrou.

On venait d’y frapper trois coups espacés d’une certaine façon.

Il arriva trop tard. La porte s’ouvrit et le général Simancas entra d’un pas discret dans le cabinet de son ami.

Saint-Galmier aurait donné toute sa clientèle pour sortir de la pénible situation où il se trouvait, et en toute autre circonstance, l’arrivée d’un auxiliaire lui eût été fort agréable, mais précisément Simancas venait d’être mis en cause par Nointel, et sa présence ne pouvait que compliquer les choses. Aussi le malheureux docteur fit-il triste mine au Péruvien.

Cette apparition imprévue comblait, au contraire, les vœux de Nointel. Tenir les deux coquins en tête-à-tête, et en même temps, c’était une bonne fortune qu’il n’espérait pas et dont il s’apprêta aussitôt à profiter. Le moment était venu d’en finir avec eux d’un seul coup, mais il lui fallait opter entre un des deux partis qui s’étaient déjà présentés à son esprit: ou les forcer à confesser ce qu’ils savaient sur les faits et gestes de la marquise pendant la nuit du bal de l’Opéra, ou se borner à leur interdire de remettre les pieds chez elle. Le sage capitaine pensa qu’avant de se décider il fallait leur prouver qu’ils étaient à sa merci. Avec Saint-Galmier, la chose était déjà à peu près faite. Il s’agissait maintenant d’attaquer vigoureusement Simancas qui paraissait assez déconcerté. Le drôle ne s’attendait guère à rencontrer chez son complice l’homme dont il cherchait depuis deux jours à se défaire d’une façon radicale.

– Bonjour, général, lui dit Nointel sans lui tendre la main, je suis fort aise de vous voir. Vous avez eu l’obligeance de m’écrire pour m’éviter une course inutile. Je tiens à vous remercier de cette délicate attention.

– Je n’ai fait que m’acquitter d’un devoir, répondit Simancas avec un embarras visible. C’est la marquise de Barancos qui m’a prié expressément de vous prévenir qu’elle ne recevait pas.

– Et vous vous êtes empressé de lui obéir. Rien de plus naturel. Alors, elle est très souffrante, cette chère marquise?

– Oui, très souffrante. Je viens chercher de sa part Saint-Galmier, qui n’a pas son pareil pour traiter…

– Les névroses, c’est connu. Quand j’en aurai une, je m’adresserai à lui. Vous croyez peut-être que vous m’avez surpris au moment où je lui demandais une consultation. Non, nous causions tout bonnement d’une visite qu’il a faite la semaine dernière à cette pauvre Julia. Et vous arrivez à propos, car vous y êtes allé aussi, chez Julia; vous y êtes allé le même jour que le docteur.

– Moi? je vous jure que…

– Ne jurez pas. J’ai vu la femme de chambre qui vous a introduits tous les deux, l’un après l’autre. Il paraît que ce cher Saint-Galmier venait offrir ses services à madame d’Orcival, et que vous veniez, vous, lui demander certains renseignements sur votre ami Golymine.

– Mais, capitaine, je proteste, je…

– Encore! C’est tout à fait inutile. Je suis parfaitement informé, et nous reviendrons tout à l’heure sur ce sujet, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit en ce moment.

– De quoi s’agit-il donc? dit Simancas en tâchant de prendre un air digne. On croirait que vous vous préparez à me faire subir un interrogatoire.

– On ne se tromperait pas.

– Monsieur! permettez-moi de vous dire que le ton que vous prenez avec moi est inexplicable.

– Je vais vous l’expliquer. Connaissez-vous un homme qui commande un navire baleinier du Havre… un homme qui s’appelle Jacques Crozon?

Simancas recula comme s’il eût été frappé d’un coup de poing dans la poitrine, et n’eut pas la force d’articuler une dénégation.

– Jacques Crozon est marié, reprit Nointel; il vient de rentrer à Paris après une campagne de deux ans, et pendant qu’il était en mer, sa femme est devenue la maîtresse de ce Golymine. Il paraît même qu’elle a eu un enfant de lui.

– Je ne sais pas pourquoi vous me racontez cette histoire.

– Vraiment? Vous m’étonnez. Eh bien, apprenez qu’il s’est trouvé un misérable pour dénoncer à Jacques Crozon la conduite de sa femme, et que ce misérable était intimement lié avec Golymine. C’est ignoble, n’est-ce pas, général?

Le Péruvien ne répondit que par un grognement étouffé, et Nointel continua tranquillement:

– Pourquoi ce coquin trahissait-il ainsi son ami? Je l’ignore, et cela m’importe fort peu. Mais ce qui me touche davantage, c’est que Golymine étant mort, l’auteur des lettres anonymes a imaginé d’écrire au mari que j’avais été aussi l’amant de la femme, que j’avais succédé au Polonais. Bien entendu, c’était un mensonge infâme, et le résultat de ce mensonge devait être un duel à mort entre Jacques Crozon et votre serviteur. Une manière comme une autre de se débarrasser de moi, Crozon passant pour être un tireur de première force.

– Que pensez-vous, général, de cette combinaison?

– Je pense, grommela Simancas, je pense qu’elle n’a jamais existé que dans votre imagination.

– Vous vous trompez. J’ai des preuves. Le dénonciateur ne se doutait pas que je connaissais Crozon depuis douze ans… Qu’avez-vous donc, général? Cela vous surprend. Vous ne supposiez pas qu’un ex-officier de hussards eût jamais rencontré un capitaine de la marine marchande. Rien n’est plus vrai pourtant, et mon vieil ami Crozon est venu me montrer la lettre qu’il a reçue. Nous nous sommes expliqués, et je n’ai eu aucune peine à lui démontrer qu’on m’avait odieusement calomnié. Il m’a chargé de découvrir le calomniateur, et il se propose de le tuer dès que je l’aurai découvert. Il ne plaisante pas, ce brave baleinier, et il a la main dure. Il ne s’est jamais battu sans tuer son homme. Et si, par hasard, il manquait cet indigne adversaire, je suis là pour le reprendre, et je vous réponds qu’il n’en reviendra pas.

– Ce sera bien fait, dit le général en cherchant à prendre un air indifférent.

– C’est votre avis? Alors, vous ne m’en voudrez pas si je procure à mon ami Crozon la satisfaction de vous envoyer dans l’autre monde.

– Comment! que signifie…

– Cela signifie que le dénonciateur, c’est vous, dit Nointel en regardant Simancas entre les deux yeux.

– Capitaine! cette plaisanterie…

– Voulez-vous que je vous montre votre dernière lettre? Je l’ai dans une de mes poches, et dans l’autre il y a un revolver chargé. Je ne vous conseille pas d’essayer à vous deux de me la reprendre de force. Et je vous engage aussi à ne plus nier, car j’ai la preuve que cette lettre est de votre écriture, puisque vous avez commis la sottise de m’envoyer une pièce de comparaison.

– Fort bien, monsieur. Je suis à vos ordres, dit le Péruvien qui sentait la nécessité de payer d’audace.

– Bon! vous avouez alors?

– Je n’avoue rien, mais…

– Ne jouons pas sur les mots, je vous prie. Vous consentez à nous rendre raison, parce que vous ne pouvez pas faire autrement. Mais je suppose que, s’il nous plaisait de ne pas user de notre droit, vous ne réclameriez pas contre notre décision.

– Il est certain qu’il me serait pénible de me battre contre un homme que j’estime.

– Et qui ne vous estime pas. Eh bien, il dépend de vous d’éviter cette dure nécessité, et d’éviter en même temps des mésaventures d’un autre genre, des mésaventures que votre ami Saint-Galmier redoute énormément.

Les deux associés échangèrent un regard rapide, et Simancas lut dans les yeux du docteur qu’il fallait saisir avec empressement l’occasion qui s’offrait de capituler.

– Vous avez un arrangement à me proposer? demanda le général.

– Une trêve. Veuillez m’écouter. Je suis certain que vous avez eu tous les deux avec Golymine des complicités dont je ne tiens pas essentiellement à connaître l’objet. Vous saviez qu’il était l’amant de madame Crozon, et vous vouliez le faire tuer par le mari, parce que vous craigniez qu’il ne vous trahît.

– Et quand cela serait? s’écria imprudemment Simancas. Nous avions conspiré ensemble au Pérou, et Golymine aurait vendu nos secrets à nos ennemis politiques.

– Je crois que la politique n’a rien à faire ici, mais peu m’importe, et, quoi qu’il en soit, ce n’était pas pour la même raison que vous vouliez vous débarrasser de moi. La raison, la voici. Vous venez de vous introduire chez madame de Barancos. Par quel moyen? Je ne m’en inquiète pas, mais je vois très bien que vous vous proposez d’exploiter la marquise. Elle est fort riche, sa maison est bonne, et vous tenez à y régner sans partage. Or, vous avez appris que madame de Barancos avait l’intention de me recevoir et même de me recevoir souvent. Vous vous êtes dit que je vous gênerais beaucoup, et vous avez imaginé de me livrer au terrible Crozon qui devait m’expédier dans les vingt-quatre heures.

– Je vous assure, monsieur, que vous vous méprenez. Madame de Barancos m’a favorablement accueilli, c’est vrai, mais je n’ai pas la prétention de…

– Assez! je suis sûr de ce que je dis, et voici les conditions auxquelles je consens à ne vous dénoncer ni à Crozon, ni… à d’autres. Si vous les acceptez, je tairai tout ce que je sais, et, en apparence, je vivrai avec vous sur le même pied que par le passé. Je veux d’abord avoir mes entrées chez la marquise. Le congé que j’ai reçu aujourd’hui de sa part venait de vous, j’en suis certain, et je le tiens pour non avenu. Je prétends même être invité par elle, et cela d’ici à deux jours, être invité à un dîner, à un bal, à une chasse, en un mot, prendre pied dans son intimité. Rassurez-vous. Ce n’est pas son argent que je vise, et je ne chercherai pas à vous faire chasser de son hôtel.

– Madame de Barancos ne demande pas mieux que de vous voir souvent, monsieur, et je n’aurai pas besoin d’user de l’influence que vous m’attribuez pour…

– Premier point, reprit le capitaine, sans daigner répondre à cette protestation. Second point: j’entends qu’à dater de ce jour vous cessiez de dénoncer la femme de Jacques Crozon. À la première lettre anonyme que son mari recevrait, j’en finirais avec vous, et vous savez que j’ai plusieurs manières d’en finir. Ainsi, pas une ligne, pas un mot, pas une démarche. Je veux que mon ami Crozon croie qu’il a été victime d’une odieuse mystification.

– Ç’en était une sans doute, murmura timidement Simancas.

– Non, ce n’en était pas une, vous le savez fort bien, et j’arrive à ma dernière condition. Il y a un enfant. Où est-il?

– Sur mon honneur, je n’en sais rien.

– Laissez votre honneur en repos, et répondez-moi catégoriquement. Où madame Crozon est-elle accouchée?

– Chez une sage-femme qui demeure tout en haut de la butte Montmartre, rue des Rosiers, je crois.

– À qui l’enfant a-t-il été remis?

– À une nourrice qu’on a cherchée longtemps et dont on a perdu la trace au moment où on allait la découvrir.

– Samedi dernier, n’est-ce pas?

– Non, dimanche… on avait appris enfin qu’elle habitait rue de Maubeuge, tout en haut de la rue… au numéro 219… on s’y est présenté… elle avait déménagé la veille avec son nourrisson… elle était en garni… elle n’a pas dit où elle allait… et on ne l’a pas retrouvée.

– Son nom?

– La femme Monnier… un faux nom, très probablement.

– Cela me suffit, dit Nointel, qui voyait bien à la netteté des réponses de Simancas que le coquin n’en savait pas plus long et qu’il ne mentait pas. Maintenant, le marché est conclu, je suppose. Comme arrhes, j’attends une lettre d’invitation de madame de Barancos. Quand elle me recevra, je ne lui parlerai pas de celle qu’il vous a plus de m’écrire pour me fermer sa porte, et je ne m’occuperai pas plus de vous que si vous n’existiez pas… à moins que vous ne violiez nos conventions, auquel cas je serais sans pitié. La marquise me plaît infiniment, mais elle ne me tournera pas la tête au point de me faire perdre la mémoire. J’ai tout dit. Par où sort-on d’ici, docteur?

Saint-Galmier s’empressa d’ouvrir la porte du salon, et le capitaine s’en alla en lui jetant cet adieu:

– À propos, je vous recommande de soigner votre alcoolisé. C’est un brutal et un bavard qui pourrait bien vous jouer un mauvais tour.

Le docteur ne souffla mot. Il reconduisit Nointel jusqu’à l’antichambre où le nègre en livrée attendait les clients, et il revint en toute hâte trouver Simancas pour conférer sur les événements.

Nointel ne se sentait pas de joie, et quand il se retrouva dans la rue, il prit un plaisir extrême à allumer un cigare, un plaisir que connaissent seuls les travailleurs qui entendent sonner l’heure du repos après une journée laborieuse. Il s’achemina vers la rue d’Anjou d’un pas allègre, le cœur léger et l’esprit dispos, ravi du début de sa campagne et tout prêt à poursuivre ses premiers succès.

– Voilà de bonne besogne, se disait-il, et si Darcy n’est pas content, c’est qu’il sera trop difficile. Je tiens la clef de la position, puisque je tiens les deux gredins qui tiennent la marquise. Et je ne leur ai pas livré mon secret, je ne leur ai pas dit un mot du crime de l’Opéra. Ils croient que je suis amoureux de la Barancos, peut-être que je veux l’épouser, et que j’ai profité de ce que j’avais barre sur eux, pour me faire ouvrir à deux battants les portes de son hôtel. Ils me feront une guerre sourde, je le sais, mais ils n’oseront pas m’attaquer en face. Si j’avais cassé les vitres, si je les avais forcés à dénoncer la marquise, ou si j’avais forcé la marquise à les chasser, j’aurais gâté les affaires de Berthe. C’eût été frapper le grand coup trop tôt. Je n’ai pas encore assez de preuves. J’en aurai dans huit jours ou dans un mois, mais j’en aurai, et, en attendant, j’ai assuré la tranquillité du ménage Crozon, je sais ce que l’innocente Lestérel a fait de sa nuit de bal, je suis sur la trace de la nourrice, et un de ces jours, je pourrai apprendre à la mère que l’enfant se porte bien. Ma parole d’honneur, on donne le prix Monthyon à des gens qui le méritent moins que moi.

Oui, mais il faut cultiver notre jardin, disait Candide, et notre jardin, c’est la marquise.

II. Huit jours se sont passés, un siècle pour ceux qui espèrent et pour ceux qui souffrent

Huit jours se sont passés, un siècle pour ceux qui espèrent et pour ceux qui souffrent.

Gaston Darcy espère; Berthe Lestérel souffre.

Berthe est toujours au secret, dans sa prison. Elle prie, elle pleure, elle regarde le lambeau de ciel qu’elle peut à peine apercevoir à travers les grilles de sa fenêtre, et elle songe à sa douce vie d’autrefois, sa vie de jeune fille, violemment bouleversée. Elle pense à sa sœur qui mourra de douleur, si son mari ne la tue pas; elle pense à madame Cambry, à sa protectrice, qu’elle aimait tant et qui maintenant la renie peut-être parce qu’elle la croit coupable; elle pense à Gaston qui lui a juré un amour éternel et sans doute l’a déjà oubliée. Les heures s’écoulent, lentes, monotones, sans apporter à la pauvre recluse un souvenir amical, un souhait bienveillant, rien, pas même une nouvelle de ce monde où elle ne rentrera plus. Cette cellule aux murs blanchis, c’est la tombe. Pas un bruit du dehors n’y pénètre, pas un rayon de soleil. Quand la porte s’ouvre, Berthe ne voit apparaître au fond du corridor sombre que les sœurs de Marie-Joseph, en long vêtements de laine, voilées de noir et de bleu, marchant du pas silencieux des fantômes. Trois fois on est venu l’appeler pour la conduire au Palais de justice, et l’horrible voyage en voiture cellulaire ne lui a pas été épargné; trois fois elle s’est assise dans le cabinet du juge, toujours grave, toujours impassible. Elle a été interrogée poliment, froidement, et elle n’a répondu que par des larmes. Trois fois elle est revenue désespérée. Elle se sent perdue, et elle n’attend plus rien de la justice des hommes. Elle n’a plus foi qu’en Dieu qui lit dans les cœurs.

Gaston Darcy endure un autre supplice, le supplice de l’attente, les angoisses de l’incertitude. Il a rompu avec son existence habituelle, il a pris le monde en horreur, il fuit les distractions, il se complait dans les joies amères de l’isolement. Il ne voit que son oncle, madame Cambry et Nointel.

Son oncle l’accueille, le plaint, et reste impénétrable.

Madame Cambry prend part à ses peines, elle se désole avec lui, elle jure que Berthe n’est pas coupable et qu’elle ne se lassera jamais de la défendre; elle a été jusqu’à proclamer qu’elle ne se marierait pas tant que sa jeune amie serait sous le coup de cette affreuse accusation. Cependant, son mariage avec M.  Roger Darcy est décidé, et M.  Roger Darcy la presse de conclure, car le sévère magistrat a fini par s’éprendre très vivement de la charmante veuve, et il n’en est plus à souhaiter que son neveu se charge seul de perpétuer le nom de la famille. Mais madame Cambry ne peut rien contre les convictions du juge, madame Cambry n’obtiendra pas de son futur mari qu’il décide contre sa conscience en signant l’ordre de remettre en liberté mademoiselle Lestérel.

Reste Nointel. Nointel est plus dévoué, plus ardent que jamais; il affirme à son ami qu’il ne perd pas un instant, qu’il poursuit lentement et sûrement son enquête, qu’il recueille chaque jour des informations nouvelles, que toutes ces informations sont favorables à Berthe, qu’il réunit ces preuves éparses ou plutôt ces commencements de preuves, et qu’il sera bientôt en mesure de démontrer l’innocence complète de la jeune fille; mais il a déclaré nettement que, pour réussir, il fallait qu’il agît seul. Et, comme Gaston se récriait contre l’inaction à laquelle Nointel voulait le condamner, Nointel l’a supplié de le laisser faire à sa guise, sans s’abstenir pour cela de travailler, lui aussi, à l’œuvre difficile de la réhabilitation de mademoiselle Lestérel.

Pressé de s’expliquer sur les résultats acquis, le capitaine s’est obstiné à répondre que tout allait bien, et que, pour le moment, il lui était impossible d’en dire davantage.

De sa rencontre avec le baleinier, de sa visite à madame Crozon, de ses conventions avec les deux coquins d’outre-mer, il n’a pas soufflé mot. Il redoutait les entraînements irréfléchis qui emportent les amoureux au-delà des limites de la prudence. Ses batteries étaient dressées, et il craignait que Gaston ne vînt gêner son tir. Et Gaston, qui n’appréciait pas les causes de cette extrême réserve, avait fini par lui savoir mauvais gré de sa discrétion. Gaston en était presque venu à croire que Nointel l’abandonnait, que Nointel colorait d’un prétexte plus ou moins plausible une défection impardonnable. Depuis quelques jours, Gaston vivait solitaire et sombre, maudissant les hommes, broyant du noir, doutant de tout, même de l’amitié, n’attendant plus rien de l’avenir.

Et cependant, ce soir-là, un mercredi, vers onze heures, Gaston s’habillait pour aller au bal.

Il avait reçu, à la fin de la semaine précédente, une invitation de madame la marquise de Barancos à une grande soirée dansante, et certes le carton armorié qui figurait à la glace de son cabinet de toilette n’aurait pas suffi à lui persuader d’assister à une fête pendant que Berthe Lestérel pleurait au fond d’une prison. Mais, le matin même, deux lettres lui étaient arrivées par la poste, deux lettres qui l’avaient immédiatement tiré de sa torpeur.

L’une était de Nointel, et elle ne contenait que ces trois lignes:

«Viens ce soir au bal de madame de Barancos. Tu m’y trouveras. J’ai pris pied dans la place. Tout va très bien. Nous touchons au but. Viens. Il le faut.»

Gaston n’avait pas trouvé ce billet beaucoup plus clair que les récentes conversations du capitaine. Mais il ne pouvait guère négliger une recommandation aussi formelle, et il était à peu près décidé à se rendre à l’invitation de la marquise, lorsqu’il décacheta l’autre lettre, qui était de son oncle et qui disait ceci:

«Mon cher Gaston, j’accompagne ce soir madame Cambry au bal que donne la marquise de Barancos. C’est la première fois que madame Cambry consent à sortir, depuis qu’il est survenu un malheur qui te touche vivement et qui l’a beaucoup affectée. Tu sais que mon mariage avec elle est décidé. Sa rentrée dans le monde sera presque un événement. Viens à cette fête. Je serai d’autant plus aise de t’y rencontrer que toute ma journée sera occupée au Palais par l’affaire que j’instruis, et que je n’aurai pas le loisir de passer chez toi. Il vaut mieux, d’ailleurs, que madame Cambry te dise elle-même une nouvelle que j’aurais eu grand plaisir à t’apporter si j’étais libre de mon temps. Je compte que nous te verrons cette nuit, et je suis certain que tu ne regretteras pas d’être sorti de la retraite où tu te confines au grand chagrin de ton oncle affectionné.»

La lecture de cette lettre avait réveillé dans le cœur de l’amoureux Gaston des espérances endormies. Cette nouvelle, que madame Cambry tenait à lui apprendre, concernait certainement Berthe, et, si elle eût été mauvaise, l’oncle Roger n’aurait pas eu hâte d’en faire part à son neveu. Avait-il enfin reconnu l’innocence de la pauvre prisonnière, ou bien s’agissait-il seulement d’une découverte heureuse, d’un indice tout récemment recueilli, qui permettrait de croire à la possibilité d’un acquittement?

Il y avait une phrase inquiétante:

«L’affaire que j’instruis», écrivait le magistrat, qui savait la valeur des mots et qui ne se serait pas servi de l’indicatif présent, si l’instruction eût été abandonnée. Et pourtant Gaston ne pouvait guère admettre que M.  Roger Darcy attachât tant d’importance à l’informer d’un fait relativement insignifiant. Le billet de Nointel, d’autre part, était pressant. Aussi Gaston avait-il accepté l’invitation de la marquise, quoiqu’il lui semblât bien dur d’aller au bal avec la mort dans l’âme. Et, à force de réfléchir aux chances que lui offrait cette soirée, il en était arrivé à se dire qu’il ne fallait pas faire les choses à demi, que le mieux était d’apporter à la fête un visage riant, de danser avec madame Cambry, de valser avec madame de Barancos; en un mot, d’accepter toutes les conséquences de la corvée qu’il se résignait à subir.

Pour se préparer, il avait passé la journée au coin de son feu, il avait dîné légèrement, il s’était endormi après son dîner, il s’était réveillé plus frais et plus lucide après une sieste de deux heures, et il avait procédé à sa toilette avec un soin tout particulier. Les deuils du cœur ne sont pas de mise au bal, et le meilleur moyen de servir la cause de Berthe, c’était de ne pas laisser voir que les infortunes de Berthe le désespéraient.

Il venait de chausser les souliers vernis découverts, de passer le gilet à deux boutons et la cravate blanche dégageant le cou, d’endosser l’habit noir à grands revers, fleuri d’une rose thé à la boutonnière; il s’était muni des deux paires de gants et des deux mouchoirs de rigueur, et il tenait déjà à la main le claque doublé de satin. Son valet de chambre l’aida à revêtir le vaste ulster, indispensable préservatif contre le froid de la sortie. Le coupé était attelé. Gaston y monta un peu après minuit, et dix minutes après, son cocher prenait la file à trois cents pas de l’hôtel de Barancos.

La fête de la marquise était de celles qui occupent pendant toute une semaine les journaux du high life et dont la description fait, comme on dit, le tour de la presse. Les gens les plus haut placés dans toutes les hiérarchies parisiennes tenaient à s’y montrer, et beaucoup de personnages d’une moindre importance n’en étaient pas exclus, madame de Barancos, en sa qualité d’étrangère, ayant cru devoir étendre ses invitations un peu plus qu’il n’est d’usage dans le très grand monde. Aussi, à l’heure où il est de bon ton d’arriver, la queue des équipages commençait-elle à l’angle de la rue de Courcelles.

Il gelait. Un tapis de neige durcie recouvrait les chemins de la grande ville et les roues glissaient sans bruit sur les pavés capitonnés par l’hiver. Les heureux du monde passaient entre deux haies de pauvres diables accourus là pour se réchauffer au spectacle de ce luxe ambulant, pour regarder à travers les glaces des voitures armoriées les femmes blotties sur des coussins de soie, pour contempler de loin la façade étincelante de l’hôtel, pour oublier un instant la faim, le froid, la mansarde sans lumière et sans feu. Et plus d’un enviait le sort de ce jeune, beau et riche garçon qui avait nom Gaston Darcy, et qui n’appréciait guère en ce moment ce bonheur d’aller au bal dans un coupé bien chaud, traîné par un beau cheval.

La princière habitation de la marquise touchait au parc Monceau. Les fenêtres resplendissaient des feux de mille bougies, et les harmonies de l’orchestre, amorties par les tentures, passaient dans l’air sec de la nuit comme les vibrations lointaines d’une harpe éolienne. Après avoir franchi la grille dorée, les équipages tournaient au trot cadencé de leurs attelages de hautes allures, et venaient s’arrêter devant un majestueux perron chargé de plantes exotiques. Les invités pouvaient croire qu’ils débarquaient à la Havane, car toutes les fleurs tropicales brillaient dans le vestibule, spacieux comme une serre. À l’entrée de ce jardin d’hiver, se dressaient deux statues en onyx – des esclaves nubiens portant des torchères d’argent – et d’un buisson de camélias, surgissait un ours colossal, un ours empaillé en Russie où il avait dû dévorer beaucoup de moujiks.

Darcy mit pied à terre au milieu d’une armée de valets de pied, en livrée amarante et or, donna un coup d’œil à une magnifique glace de Venise pour s’assurer que sa tenue n’avait souffert aucun dérangement pendant le court trajet de la rue Montaigne à l’avenue Ruysdaël, et fit, avec l’aisance d’un homme du monde, son entrée dans un premier salon où se tenait debout, pour recevoir ses invités, l’incomparable marquise de Barancos.

Elle portait une ravissante toilette: robe de satin blanc, couverte de grappes de fleurs rouges, agrafée aux manches avec de gros nœuds de saphirs, trois rangs de perles au cou, un bandeau de diamant au front, boucles de brillants aux souliers mignons qui chaussaient ses pieds, les plus jolis du monde. Et ce soir-là, elle était en beauté. Ses yeux rayonnaient, sa bouche s’épanouissait, sa peau veloutée avait cette coloration chaude qui double d’éclat aux lumières. À l’expression inquiète qui assombrissait par instants son visage, le soir de la représentation du Prophète, avait succédé un air joyeux et fier. On devinait que cette créole était heureuse de vivre, d’être riche, d’être belle. Les femmes qui aiment ont souvent ces airs-là.

Darcy, en la voyant si triomphante, eut un serrement de cœur. Il lui semblait impossible que la main qu’elle lui tendait gracieusement eût frappé Julia d’Orcival, que le franc sourire qui éclairait ses traits charmants cachât un remords. Et il savait que, pour que Berthe fût innocente, il fallait que madame de Barancos fût coupable.

Il la salua pourtant aussi correctement que possible, mais il eu à peine le courage de bourdonner une de ces phrases inintelligibles qui forment l’accompagnement obligé du salut d’arrivée. Elle ne lui laissa pas le temps d’achever ses banalités.

– Vous êtes mille fois aimable d’être venu, lui dit-elle avec grâce, car je sais que vous vous êtes cloîtré depuis notre rencontre à l’Opéra. Et puisque votre neuvaine est finie, j’espère que vous ne vous ennuierez pas chez moi. Votre ami, M.  Nointel, est ici.

Gaston s’inclina et céda la place à deux Américaines éblouissantes qui s’avançaient avec un frou-frou de soie et un cliquetis de pierreries. Il passa, et il entra dans la salle de bal où on dansait déjà.

C’était un ravissant assemblage de tentures brochées, de meubles dorés, de plantes rares et de femmes élégantes, un bouquet de beautés, un feu d’artifice de couleur. Mais Darcy ne prit pas grand plaisir à admirer ce délicieux tableau. Il cherchait Nointel, et il l’aperçut causant au milieu d’un petit groupe où figurait l’inévitable Lolif. Le joindre n’était pas facile, car les quadrilles lui barraient le passage. Il y parvint cependant, et Nointel, en le voyant, s’empressa de planter là les indifférents pour s’accrocher au bras de son ami et pour l’entraîner dans un coin.

– Mon cher, dit joyeusement le capitaine, tu as bien fait de venir. Je te ménage une surprise à la fin de la soirée.

– Quelle surprise? demanda vivement Darcy.

– Cher ami, répondit Nointel en riant, si je te le disais maintenant, ce ne serait plus une surprise quand le moment sera venu de m’expliquer. Tu ne perdras rien pour attendre, et afin de t’aider à prendre patience, je vais te raconter une foule de choses qui t’intéresseront.

– Il n’y en a qu’une qui m’intéresse.

– C’est bien de celle-là que je vais te parler… indirectement. Mais avoue que tu m’en veux de ne pas être venu te voir depuis quelques jours.

– Oh! je sais que ma compagnie n’est pas gaie.

– C’est cela; tu es vexé. Parions que tu m’accuses de légèreté et même d’indifférence. Eh bien, je te jure que tu as tort. Je n’ai été occupé que de toi, c’est-à-dire de mademoiselle Lestérel. Et j’ai plus fait pour elle en une semaine que je n’aurais fait en un mois, si nous avions travaillé de concert.

– Qu’as-tu donc fait?

– D’abord, j’ai acquis la certitude qu’elle est innocente; ah! mais là! complètement innocente. Non seulement ce n’est pas elle qui a tué Julia, mais ce n’est pas elle qui a écrit les lettres compromettantes qu’elle est allée chercher au bal de l’Opéra.

– Elle y est donc allée?

– Oui, c’est un fait acquis. Mais elle y est allée, comme nous le supposions, par dévouement… un dévouement sublime, mon cher. Les lettres étaient de sa sœur; pour les ravoir, elle a risqué sa réputation; et maintenant qu’elle est accusée d’un crime qu’elle n’a pas commis, elle aime mieux passer en Cour d’assises que de confesser la vérité. Elle se laissera condamner plutôt que de trahir le secret de madame Crozon. Elle n’aurait qu’un mot à dire pour se justifier, mais ce mot coûterait la vie à une femme qui lui a servi de mère, et ce mot, elle ne le dira pas.

– Dis-le donc pour elle! Si tu peux prouver cela, qu’attends-tu pour la sauver? Pourquoi ne cours-tu pas chez son juge? Il va venir ici. Refuseras-tu de lui apprendre ce que tu prétends savoir?

– Absolument. Ce serait une fausse démarche, et les fausses démarches sont toujours nuisibles. Il se pourrait qu’il désapprouvât ce que je fais pour contrecarrer l’accusation et qu’il me priât poliment de me tenir en repos. Je ne veux pas me brouiller avec lui, et je tiens à conserver ma liberté d’action.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
460 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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