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Читать книгу: «Le crime de l'Opéra 2», страница 21

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– Je veux qu’il n’attelle pas du tout. Je ne sortirai pas.

Et la veuve reprit en s’adressant à Nointel:

– M.  Darcy va nous apprendre ce que vous désirez tant savoir. Si je puis vous servir, comptez que je n’y manquerai pas.

Elle était tout à fait radoucie. Plus de mouvements nerveux, plus d’éclairs dans le regard. Sa parole était calme et son attitude correcte. On aurait juré qu’elle venait de s’entretenir de choses indifférentes. Le capitaine paraissait plus ému qu’elle, et il l’était en effet, car il se demandait avec une assez vive anxiété quelles nouvelles apportait le juge d’instruction. Avait-il entendu madame de Barancos? Et comment avait tourné l’interrogatoire?

M.  Roger Darcy ne tarda guère à paraître. Il laissa voir quelque surprise en apercevant Nointel, mais il ne lui fit pas mauvais visage; il le salua même avec beaucoup de politesse, après avoir baisé la main de madame Cambry.

Ce début était de bon augure.

– Monsieur vient de m’annoncer la mort de la sœur de Berthe, commença la veuve.

– J’ai été informé de très bonne heure de ce qui s’est passé cette nuit rue Caumartin, dit le magistrat. Gaston est venu chez moi de grand matin pour m’apprendre ce triste dénouement d’une triste histoire. Il a bien fait de se presser, car j’ai été appelé dès neuf heures au Palais pour une affaire qui se rattache à celle de mademoiselle Lestérel.

– L’ordonnance de non-lieu est rendue, n’est-ce pas?

– Je viens de la signer, chère madame. J’aurais voulu annoncer moi-même à mademoiselle Lestérel la décision que j’ai prise en parfaite connaissance de cause et lui dire toute l’estime que j’ai pour elle. Mais elle était retenue près du lit de mort de madame Crozon. J’ai chargé mon neveu de la voir.

– L’avez-vous autorisé à apprendre à Berthe que vous ne désapprouviez plus leur mariage?

– Pourquoi le désapprouverais-je? Ne le souhaitez-vous pas de tout votre cœur? dit le juge en souriant.

– Mon ami, vous me rendez bien heureuse. Ainsi, vous ne doutez plus de ma chère protégée… Ainsi, tout s’est éclairci, et il ne sera plus question de cette horrible affaire… elle est finie.

– Elle est, au contraire, à peine commencée, ou du moins elle vient d’entrer dans une phase toute nouvelle. C’est précisément ce que je viens vous apprendre, et je suis fort aise de rencontrer chez vous M.  Nointel, car il a pris une part très active à cette transformation, et je puis lui donner l’assurance que tout s’est passé aussi bien qu’il le pouvait espérer.

– Monsieur, dit le capitaine, très touché de ce langage simple et digne, je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance.

– Vous ne me devez pas de reconnaissance. J’ai jugé selon ma conscience, et j’ai acquis la certitude que madame de Barancos a dit la vérité sur tous les points.

– Vous l’avez vue!

– Vue et entendue pendant une demi-journée. Elle est entrée dans mon cabinet à neuf heures, ce matin. Elle vient d’en sortir, et l’ouvreuse de la loge 27 en est sortie un peu après elle. Vous vous étonnez que j’aie pu procéder si vite. Voici ce qui est arrivé.

»Hier, en rentrant chez moi après le théâtre, j’ai trouvé une lettre qu’un exprès avait apportée du château de Sandouville. La marquise m’écrivait que je devais être déjà prévenu par vous de sa prochaine visite, qu’elle reviendrait à Paris dans la nuit, et qu’elle se présenterait au Palais à la première heure. Ce matin, j’étais debout avant l’aube, et j’ai envoyé aussitôt une citation à la femme Majoré. Vous m’aviez indiqué le service qu’elle pouvait rendre à l’instruction, et je tenais à l’avoir sous la main au moment décisif. Elle ne s’est pas résignée sans peine à obéir. Elle s’imaginait qu’on venait la prendre pour la mener en prison. Et, en vérité, elle avait un peu mérité d’y aller. Mais je lui pardonne son ineptie et ses tergiversations, à cause de la bonne volonté qu’elle a montrée aujourd’hui quand je l’ai interrogée. D’ailleurs, sa nouvelle déposition a éclairci beaucoup de points restés obscurs, et si, comme je n’en doute pas, je découvre bientôt la coupable, c’est à madame de Barancos et à cette ouvreuse que je devrai ce succès.

– L’épreuve a donc eu lieu? demanda avec empressement le capitaine.

– Vous avez, je suppose, mis madame Cambry au courant de la situation?

– J’ai eu l’honneur de dire à madame Cambry que la marquise ne cachait ni son ancienne liaison avec Golymine ni sa visite à Julia d’Orcival au bal de l’Opéra, mais qu’elle se faisait fort de se justifier du meurtre, de se justifier d’une façon éclatante, en prouvant que trois femmes étaient entrées dans la loge, et qu’elle n’y était pas entrée la dernière.

– Cela suffit pour que madame Cambry comprenne le très bref récit que je vais vous faire. Madame de Barancos a commencé par m’exposer avec une netteté parfaite la situation où l’avait placée une faute amèrement regrettée. J’avais, je l’avoue, des préventions contre elle, et ces préventions se sont dissipées. Puis elle m’a expliqué tout aussi clairement ce qu’elle avait fait et ce qu’elle avait vu au bal de l’Opéra. Enfin, elle m’a offert de se présenter à l’ouvreuse, de se présenter en domino et voilée comme elle l’était à ce bal. J’ai accepté.

»J’avais préalablement fait enfermer la Majoré dans une pièce voisine de mon cabinet. La marquise est allée s’habiller et se masquer dans le cabinet inoccupé d’un de mes collègues. Pendant ce temps-là on m’amenait la Majoré. J’ai commencé par la gronder doucement. Je ne voulais pas l’effrayer, de peur qu’elle ne perdît la tête. Puis je l’ai amenée peu à peu à me raconter de nouveau les incidents de la nuit du bal. Et la mémoire lui est revenue progressivement. Il m’a fallu beaucoup de patience pour la ramener quand elle se perdait dans des digressions étrangères au sujet. Enfin, j’ai réussi à démêler la vérité au milieu d’un chaos de paroles inutiles; j’ai pu établir avec certitude qu’elle avait introduit successivement trois femmes, elle disait même quatre, vous devinez pourquoi. La première, très simplement affublée d’un domino de louage et d’un loup. Les deux autres, beaucoup mieux mises et portant, selon la mode du jour, un voile de dentelles. Finalement, elle en est arrivée à déclarer que l’avant-dernière ne lui avait pas paru être de même taille que la dernière, qu’il y avait certaines différences entre elles, des différences qu’elle ne pouvait pas très bien préciser, mais qui lui sauteraient aux yeux si on lui montrait les deux femmes. Cela n’était pas en mon pouvoir, puisque l’une des deux manquait. Mais je lui ai annoncé l’épreuve. J’ai bien vu qu’elle s’y attendait.

– J’étais entré à l’Opéra avant de venir au Théâtre-Français; je l’avais rencontrée dans les coulisses; il y avait examen de danse, et ses deux filles font partie du corps de ballet.

– Et vous l’aviez avertie. C’était au moins inutile, mais les choses n’en ont pas moins marché à souhait. J’ai eu cependant quelque peine à me faire comprendre; sa cervelle de linotte ne concevait pas du premier coup ce que j’attendais d’elle. Enfin, elle a compris. Je l’ai placée comme elle devait l’être dans le couloir des premières. La porte d’une armoire où mon greffier serre son habit et son chapeau figurait la porte de la loge 27. Un tabouret sur lequel il grimpe pour atteindre ses dossiers quand ils sont casés trop haut a servi de siège à madame Majoré, qui s’est aussitôt recueillie en fermant les yeux. J’ai cru un instant qu’elle dormait, mais j’ai constaté que c’était sa manière de méditer. J’ai donné alors à haute voix l’ordre d’amener un des dominos… je voulais que l’ouvreuse crût que les deux dominos étaient là… et madame de Barancos est entrée.

On peut croire que madame Cambry et Nointel écoutaient avec une attention fiévreuse, madame Cambry surtout, qui n’était pas, comme le capitaine, au courant de la scène arrangée pour découvrir la vérité.

– Jamais mon greffier ne s’était trouvé à pareille fête, reprit M.  Darcy. Madame de Barancos, en domino, avait une tournure de reine, et j’ai senti aussitôt qu’il devait être impossible, même à une ouvreuse stupide, de la confondre avec une autre. Elle est allée droit à la Majoré, qui s’est aussitôt levée comme si elle eût été poussée par un ressort, et elle lui a dit d’un ton délibéré, en touchant de son index finement ganté la porte de l’armoire: «Veuillez m’ouvrir cette loge.»Et comme la Majoré, hébétée, ne lui répondait pas, elle, supposant la réponse, a repris sur le mode impérieux: «Décidément, vous ne voulez pas m’ouvrir? Fort bien. Je m’en vais, et je ne reviendrai pas, prévenez-en cette dame.»C’est alors seulement que j’ai remarqué le léger accent qui trahit par moments la nationalité de la grande dame espagnole. Elle n’a cet accent que lorsqu’elle est émue ou irritée.

– Oui, j’ai fait la même remarque. C’est un accent intermittent.

– Mais très marqué cependant, car l’ouvreuse l’a reconnu tout de suite, et la situation était si bien reproduite, que cette créature bornée a répondu absolument comme elle avait répondu la nuit du bal: «Mais, madame, puisque je vous dis que j’ai ordre de ne laisser entrer qu’une personne à la fois. Et tenez! ce n’est pas la peine de vous fâcher. Voilà l’autre qui s’en va.»

»Il y a des cas où l’esprit vient aux plus sottes.

»J’étais déjà à peu près fixé, car, avant d’avoir revu madame Majoré, la marquise m’avait textuellement cité la réponse qu’elle en avait obtenue à l’Opéra. Mais à partir de ce moment, la lumière s’est faite avec une rapidité prodigieuse. La Majoré s’est tout rappelé, la sortie de la femme qui avait de l’accent, la rentrée de l’autre qui avait déjà été reçue une fois et qui guettait dans le corridor. Elle a précisé les moindres détails des deux scènes. Il avait suffi d’appuyer sur un ressort pour remettre en mouvement les rouages de cette mémoire détraquée.

»L’ânesse de Balaam parlait. J’étais tenté de crier au miracle. Enfin, elle a juré, en levant ses deux mains et en des termes bizarres, où j’ai cru démêler des formules maçonniques, elle a juré qu’il était matériellement impossible que la personne qui était devant ses yeux eût assassiné Julia d’Orcival, attendu que Julia d’Orcival vivait encore lorsque cette personne était sortie de la loge pour n’y plus remettre les pieds. J’en étais bien persuadé. J’ai fait minuter l’interrogatoire… il sera, j’en réponds, soigneusement conservé comme pièce curieuse… on le montrera plus tard aux jeunes magistrats qui compulseront les archives.

– Et madame de Barancos? interrompit Nointel, emporté par son émotion.

– Madame de Barancos est parfaitement innocente. Elle ne figurera au procès-verbal de cette unique séance qu’en qualité de témoin. Sa conduite sociale ne me regarde pas, et je n’aurai plus à m’occuper d’elle jusqu’au jour où je pourrai lui présenter la coupable que je ferai mettre aussi en domino, afin que la marquise et l’ouvreuse soient à même de la reconnaître.

– La coupable! Vous espérez donc encore la trouver? demanda madame Cambry avec une pointe d’ironie.

– Ce ne sera pas très facile, mais j’y parviendrai. Je ne sais si M.  Nointel vous a appris qu’il m’avait remis… un peu tard… un bijou ramassé dans la loge.

– Oui, un bijou qui porte l’initiale de mon nom de baptême.

– Ma chère Barbe, dit en riant M.  Darcy, vous n’êtes pas accusée, et sainte Barbe, votre patronne, est une grande sainte. Je compte donner un grand dîner le jour de votre fête, le 4 décembre prochain. Nous inviterons M.  Nointel, quoiqu’il n’ait jamais servi dans l’artillerie.

»Maintenant, pour parler plus sérieusement, je puis vous apprendre que les recherches sont déjà commencées. On interrogera tous les bijoutiers, principalement ceux dont le commerce ne date pas d’hier, car le bijou est ancien. Et il doit appartenir à une femme riche, élégante et intelligente, car il a une valeur artistique. Croiriez-vous que je me suis imaginé un instant que j’avais déjà rencontré ce bijou dans le monde? Voilà ce que c’est que de passer sa vie à pâlir sur des problèmes judiciaires. On finit par avoir des visions biscornues. Mais n’importe… il faudra que je le fasse présenter un de ces jours à votre gouvernante. Elle se connaît en toutes choses, et elle est d’âge à se rappeler les bijoutiers qui avaient la vogue du temps du roi Louis-Philippe.

La gaieté du juge d’instruction ne gagna point la belle veuve; mais Nointel qui nageait dans la joie et qui mourait d’envie de courir chez la marquise, Nointel pensa que le moment était venu de laisser le magistrat en tête-à-tête avec sa future.

Il prit congé, après avoir chaleureusement remercié M.  Darcy qui lui fit promettre de venir le voir; et madame Cambry ne chercha point à le retenir.

VIII. En sortant de l’hôtel de madame Cambry…

En sortant de l’hôtel de madame Cambry, Nointel était si content qu’il ne touchait pas la terre, comme on dit vulgairement. Il arriva au pied de l’Arc de triomphe sans s’apercevoir du chemin qu’il avait fait, et la vue de ce monument ne calma point son exaltation. Il lui prit comme une envie de passer dessous pour célébrer les victoires qu’il venait de remporter; et, en vérité, il pouvait bien être fier d’avoir sauvé deux femmes innocentes. On décerne des médailles à des gens qui ont beaucoup moins fait.

La grande avenue des Champs-Élysées s’étendait devant lui, et, comme il faisait un temps passable, elle regorgeait de promeneurs, de cavaliers et d’équipages. Paris fêtait le printemps, mais Nointel n’était pas très éloigné de se figurer que Paris fêtait la délivrance de mademoiselle Lestérel et la justification de madame de Barancos.

Une idée qui lui vint tout à coup à l’esprit jeta un froid sur son enthousiasme. Il se rappela qu’en lui racontant son entrevue avec la marquise, M.  Roger Darcy n’avait pas prononcé le nom de Simancas, et il en conclut que la marquise n’avait pas parlé au juge d’instruction de ses relations avec le prétendu général péruvien. Il était assez naturel qu’elle eût passé sous silence cette fâcheuse histoire, mais il était malheureusement probable que Simancas et Saint-Galmier n’imiteraient pas sa discrétion. Les deux coquins avaient tout intérêt à provoquer un scandale, puisqu’ils n’attendaient plus rien de madame de Barancos qui venait de les chasser. Et Nointel se disait que la mort du brigand qu’ils soudoyaient pour attaquer dans la rue les joueurs heureux lui enlevait son principal moyen d’action. Comment les convaincre maintenant d’avoir organisé et exploité les attaques nocturnes? Où trouver les autres bandits qu’ils avaient dû salarier, puisqu’ils n’opéraient pas eux-mêmes? La marquise, il est vrai, pouvait se moquer de leurs dénonciations en ce qui concernait l’affaire de l’Opéra. L’épreuve qui avait fait éclater son innocence répondait à tout. Mais la marquise n’était pas à l’abri de leurs médisances intéressées. Rien ne les empêchait de répandre partout qu’elle avait été la maîtresse de Golymine. Simancas jouait de la lettre anonyme comme les braves jouent de l’épée. Il était très capable d’employer cette arme des lâches pour perdre de réputation madame de Barancos.

Et ce danger n’était pas le seul qu’elle courût. L’accident qui avait troublé la fin de la battue aux chevreuils ne paraissait pas avoir éveillé les soupçons des chasseurs, et il se pouvait que les autorités du pays ne songeassent point à ouvrir une enquête sur ce tragique événement; mais Simancas devait soupçonner que la balle qui avait percé le crâne de son acolyte ne sortait pas du fusil de ce scélérat. Et il pouvait accuser de meurtre la marquise ou le capitaine, à son choix. Il était même probable qu’il allait profiter de la circonstance pour recommencer ses tentatives de chantage.

Il faut absolument que j’en finisse avec ce drôle, se dit Nointel. Madame de Barancos m’avait annoncé qu’elle raconterait au juge d’instruction l’histoire des trois coups de fusil. Il me paraît qu’elle n’en a rien fait, et m’est avis qu’elle a eu raison. Elle aurait compliqué inutilement la situation qui était déjà très tendue, et je ne sais pas trop comment M.  Darcy aurait pris l’affaire. On a beau être en état de légitime défense, on se met toujours dans un mauvais cas quand on casse la tête à un homme. Je vais engager la marquise à persister dans sa nouvelle résolution de se taire. Et je me charge de tenir en respect le Péruvien. Crozon me débarrassera de lui d’une façon ou d’une autre. Si le général consent à se battre, ce dont je doute fort, Crozon le tuera. S’il refuse, Crozon le pourchassera si vigoureusement qu’il le forcera de quitter la France.

Reste Saint-Galmier. Mais celui-là ne m’inquiète guère. J’irai lui toucher deux mots qui lui donneront une névrose plus corsée que toutes celles qu’il prétend guérir. Je le menacerai de raconter au commissaire de police l’histoire de son client alcoolisé et d’appeler en témoignage son domestique nègre qui a entendu le gredin parler d’un voyage à Nouméa en compagnie du docteur. Seulement, il est urgent que je m’abouche avec ces deux chenapans. La marquise est de retour. Naturellement, ses invités ne sont pas restés à Sandouville. Simancas et son digne associé doivent être à Paris. Je crois que je ferai bien de les voir avant de me présenter chez madame de Barancos. Elle me saura gré de lui apprendre qu’elle n’a plus à se préoccuper d’eux.

Le capitaine se parlait ainsi à lui-même, en descendant à pied l’avenue des Champs-Élysées, et dès qu’il eût formé le projet d’attaquer sans retard les deux ennemis de la marquise, il songea au moyen de les rencontrer le plus tôt possible. À deux heures, il avait peu de chances de les trouver à domicile. Les consultations de Saint-Galmier commençaient beaucoup plus tard; Simancas avait coutume d’aller déjeuner vers midi et demi au café de la Paix et de monter ensuite au cercle pour y faire sa sieste. Nointel résolut de commencer par Simancas.

Au moment où il appelait un fiacre, il vit passer Claudine Rissler, conduisant elle-même une jolie victoria, attelée d’un cheval fringant, qu’elle avait beaucoup de peine à diriger. Le domestique, perché à l’arrière de sa voiture, était visiblement inquiet, et les cochers qui venaient en sens inverse se garaient de très loin pour éviter un accroc. Mais l’amie de Wladimir se moquait d’écraser les passants et même de verser. Penchée en avant, les deux mains crispées sur les rênes, elle prenait des attitudes d’écuyère de l’hippodrome menant un quadrige dans la course des chars romains, et son sourire semblait dire aux gens: «Regardez-moi donc.»Elle aperçut le capitaine arrêté sur la contre-allée, et elle le favorisa d’un salut qu’il ne jugea pas à propos de lui rendre.

– Elle va se casser le cou, murmura-t-il, et ce sera bien fait. C’est une grue enragée, mais c’est une grue. A-t-on idée d’une stupidité pareille? Aller prendre madame Cambry pour la femme qu’elle a vue au Père-Lachaise! Si elle la rencontre au Bois, elle est capable de couper sa calèche, et de lui demander des explications. Heureusement, la future tante de mon ami est au-dessus du soupçon, et, au surplus, elle a assez d’esprit et de sang-froid pour remettre Claudine à sa place, si Claudine se permettait une incartade.

Nointel, sans plus s’occuper de cette folle, monta en voiture et débarqua, vingt minutes après, au coin de la place de l’Opéra et du boulevard des Capucines. Il n’eut pas besoin d’entrer au café de la Paix, car, en mettant pied à terre, il aperçut le dos du général Simancas qui traversait la place et qui venait de s’arrêter sur un des refuges pour laisser passer un omnibus. Nointel le rejoignit en trois enjambées et lui frappa sur l’épaule, en lui disant:

– Puisque je vous rencontre, je vous arrête.

Simancas fit un bond prodigieux et, en se retournant, il montra au capitaine un visage bouleversé. Il avait ses raisons pour éprouver une sensation désagréable quand on l’interpellait de la sorte, et sans doute il n’aimait pas qu’on lui mît la main si près du collet, car il s’écria d’un ton courroucé:

– Monsieur, vous avez une étrange façon d’aborder les gens.

– C’est la mienne, répondit tranquillement Nointel. Je n’en changerai pas. J’ai à vous parler. Voulez-vous monter au cercle avec moi?

– Impossible en ce moment. J’ai affaire.

– Eh bien, nous pouvons causer en marchant. De quel côté allez-vous?

– Par là, répondit Simancas en étendant la main dans la direction du boulevard des Italiens. Et je suis très pressé.

– Pas moi. Je vous accompagnerai.

– Pardon! mais je vais prendre une voiture.

– Bon! J’y monterai avec vous. Je vous répète que j’ai à vous parler sur-le-champ. Ne cherchez pas à vous dérober. Je vous tiens. Je ne vous lâche plus.

– C’est de la persécution, alors.

– Peut-être. Décidez-vous. Il me faut mon audience. Préférez-vous me la donner en fiacre? Qu’à cela ne tienne.

– Non, décidément, j’aime mieux aller à pied.

– À pied, soit! J’ai de bonnes jambes, quoique j’aie servie dans la cavalerie. Je vous suivrai, s’il le faut, jusqu’à la Bastille.

– Je ne vais pas si loin… je vais même tout près d’ici. C’est pourquoi, puisque vous tenez absolument à me parler, je vous prie de me dire en peu de mots ce que vous avez à me dire.

– Vous vous en doutez bien un peu. Mais traversons d’abord ce carrefour des écrasés. Je commencerai dès que nous aurons abordé sur l’asphalte.

Simancas se lança, et il n’aurait sans doute pas été fâché de perdre au milieu des voitures qui s’entre-croisaient le compagnon que lui imposait le malencontreux hasard d’une rencontre, mais il n’était pas de force à le distancer, et ils arrivèrent côte à côte au large trottoir du boulevard.

– Je vous écoute, monsieur, demanda le Péruvien, tout en prenant le pas accéléré.

Nointel se mit à la même allure et dit:

– La marquise vous a donné congé, n’est-ce pas?

– Monsieur, si c’est pour m’insulter que vous me suivez, je vous préviens que je ne vous répondrai pas.

– Je n’ai que faire de vos réponses. Je veux seulement vous apprendre que madame de Barancos a vu le juge d’instruction, qu’elle lui a raconté sa liaison avec Golymine et sa visite à la d’Orcival au bal de l’Opéra, que l’ouvreuse a été interrogée, et qu’il est absolument prouvé que madame de Barancos était sortie de la loge quand le coup a été fait par une autre femme. Ainsi, vous ferez bien de ne plus songer aux deux millions.

– C’est ce que nous verrons, grommela Simancas, en franchissant d’un saut la rue de la Chaussée-d’Antin. La marquise n’a pas raconté au juge qu’un rabatteur avait été tué à vingt pas d’elle.

– Non, riposta Nointel qui le serrait de près. Mais je me propose de raconter à ce même juge que j’ai reconnu le rabatteur dont vous déplorez sans doute la triste fin.

– Moi! je ne le connais pas.

– Vous le connaissez si bien que vous l’aviez payé pour m’assassiner. Il ne tire pas trop mal. La balle qu’il m’a envoyée a passé à deux pouces de mon crâne.

»Prenez-vous la rue du Helder? non, vous continuez par le boulevard. Ça m’est égal.

»Je vous disais donc que votre honorable ami m’a manqué. C’était un maladroit. La preuve, c’est qu’en prenant son fusil pour me tirer le second coup, il a fait partir la détente et il s’est tué… sans le vouloir.

– Je prouverai que c’est la marquise ou vous qui l’avez tué.

– La marquise ou moi! Comment! vous n’êtes pas mieux fixé! Je vous conseille de vous décider avant de voir le juge.

»Peste! quel jarret vous avez! décidément les Espagnols sont les premiers fantassins du monde. Nous voici à la rue Taitbout. Tournez-vous par là? Ah! j’y suis, M.  Darcy demeure rue Rougemont. Vous allez peut-être chez lui. Eh bien, je vous engage à réfléchir encore. C’est une démarche très délicate.

– Monsieur, dit le général, je vois que vous vous moquez de moi. Rira bien qui rira le dernier.

– Le dernier, cher monsieur, ce sera M.  Crozon, capitaine au long cours, M.  Crozon qui sait que vous êtes l’auteur de certaines lettres anonymes, et qui se propose de vous planter son épée dans le ventre après vous avoir souffleté publiquement.

– Vous m’avez dénoncé à lui!

– Dénoncé est un vilain mot qui ne peut s’appliquer qu’à un personnage de votre espèce. Vous avez dénoncé madame Crozon à son mari; M.  Crozon, qui est mon ami, m’a demandé si je connaissais l’auteur de ces infamies. Je lui ai répondu que c’était vous.

»Prenez garde, vous commencez à vous essouffler. Moi, j’entre en haleine, et si vous continuez ce train, vous tomberez fourbu.

Cette promenade avait pris, en effet, une allure extravagante. On ne marchait plus, on courait. Les deux causeurs avaient déjà dépassé la rue le Peletier, et ils n’étaient pas loin de la rue Drouot.

Simancas n’en pouvait plus. Il s’arrêta, et, tirant sa montre:

– Monsieur, balbutia-t-il, j’ai un rendez-vous auquel je ne puis manquer, et je suis déjà en retard. Vous abusez de ma situation. Il vaudrait mieux me dire ce que vous voulez de moi.

– Ce que je veux, c’est que vous quittiez Paris d’ici à quarante-huit heures, et la France d’ici à cinq jours. Remarquez, je vous prie, que vous avez tout intérêt à mettre l’océan Atlantique entre vous et M.  Crozon.

– Eh! monsieur, que ne parliez-vous plus tôt! J’en ai assez de ce pays où la justice ne commet que des erreurs, et je pars pour les États-Unis samedi prochain.

– Vous emmenez, j’espère, cet excellent docteur?

– Oui; Saint-Galmier retourne au Canada.

– Très bien. Alors, je puis à peu près vous promettre que vous sauverez votre peau. Crozon vient de perdre sa femme. C’est vous qui êtes la cause de la mort de cette personne qui avait eu le tort d’aimer votre canaille d’ami, votre complice Golymine. Crozon a donc bien raison de vouloir vous éventrer. Mais Crozon a pour le moment d’autres soucis. Vous avez quelques jours de répit… deux ou trois, pas plus… le temps d’enterrer madame Crozon. Profitez-en.

– C’est ce que je vais faire. Vous avez tout dit. Souffrez maintenant que je vous quitte.

– Je ne vous retiens plus. Souvenez-vous seulement que je vous surveillerai jusqu’à ce que vous ayez décampé, et qu’au moindre écart de conduite…

Simancas s’était déjà remis en marche, et Nointel jugea inutile de lui donner la chasse. Il pensait avoir suffisamment effrayé le drôle pour que la marquise n’eût plus rien à craindre de lui.

– Où diable court-il? se demanda le capitaine en le suivant des yeux. Il faut qu’il ait une affaire bien urgente à conclure, car c’est à peine s’il a cherché à se défendre.

»Tiens! il tourne par la rue Drouot. Parbleu! je suis curieux de voir où il va.

»Oui; mais si je m’avisais de lui emboîter le pas, il s’apercevrait bientôt que je marche sur ses talons, et il s’arrangerait de façon à me dépister. Comment faire? Ma foi! je vais risquer le coup. En le filant de très loin, je n’attirerai peut-être pas son attention, d’autant plus qu’il est très préoccupé. Il a les allures d’un homme qu’on attend à heure fixe et qui, pour ne pas manquer au rendez-vous, passerait par-dessus n’importe quelle considération.

Et comme Nointel se hâtait, tout en réfléchissant, il arriva bientôt à l’angle de la rue Drouot. Il arriva juste au moment où Simancas, qui avait de l’avance, entrait à l’hôtel des Ventes, et il le vit entrer.

– Comment! murmura-t-il, c’était pour aller faire une visite aux commissaires-priseurs qu’il courait si fort. Je ne savais pas qu’il aimât tant les bibelots. Évidemment, il y a anguille sous roche. Est-ce que par hasard on vendrait aujourd’hui le mobilier de Julia? Tout s’expliquerait. Simancas est bien homme à supposer que la d’Orcival a caché dans le tiroir secret de quelque meuble des lettres supplémentaires écrites par les victimes de Golymine… une poire qu’elle aurait gardée pour la soif… et il est aussi très capable d’avoir combiné une petite opération qui consisterait à acheter le susdit meuble, et à se servir des billets doux qu’il y trouverait. Maintenant qu’il n’espère plus rien tirer de la marquise, il doit méditer de pratiquer un chantage sur l’inconnue… la visiteuse numéro trois… celle qui a joué du couteau. Et si mon drôle pouvait mettre la main sur elle, la spéculation ne serait pas mauvaise. Cette femme doit avoir une situation dans le monde, et il est probable qu’elle donnerait gros pour acheter le silence du Péruvien. Donc, il est possible que Simancas aille à l’hôtel Drouot, pour… Eh! non, c’est, au contraire, tout à fait impossible. Je me rappelle que la vente de Julia est fixée au 19 avril… et qu’elle se fera au domicile de la défunte, boulevard Malesherbes… les journaux l’ont annoncé… trois jours d’exposition… tout Paris y viendra… dans six semaines. Mais alors quel motif attire ce drôle aux criées de ce jour? Je ne suppose pas qu’il vienne acheter des objets d’art, et il n’en est pas encore, je pense, à vendre ses meubles. Parbleu! j’en aurai le cœur net.

Le capitaine, qui avait arpenté rapidement la rue Drouot, s’arrêta un instant pour examiner les affiches dont le mur de l’hôtel était couvert. Vente, pour cause de départ, d’un beau et riche mobilier; vente de diamants, argenterie, linge de corps et de table, appartenant à mademoiselle X…, artiste dramatique; vente d’une très importante collection de tableaux anciens, provenant de la succession de M.  Van K…, célèbre amateur de Rotterdam; rien n’y manquait. Après avoir parcouru toutes ces pancartes, Nointel, ne se trouvant pas mieux renseigné, poussa la porte mobile et entra.

Il s’agissait de retrouver Simancas dans une des salles de cet édifice assez compliqué et de le surveiller pour savoir ce qu’il venait y faire. Nointel avait beaucoup fréquenté l’hôtel, au temps où il s’installait dans son entresol de la rue d’Anjou, et il hantait encore de temps à autre les expositions d’objets d’art. Sa figure n’était pas inconnue des commissaires-priseurs qui lui avaient assez souvent adjugé des porcelaines et des bronzes japonais. Il connaissait fort bien la topographie et les usages de l’endroit. Il savait que les ventes importantes se font toutes au premier étage, et il pensa que le Péruvien avait dû se diriger de ce côté-là.

C’était précisément l’heure où commencent les opérations, et on entendait de toutes parts les vociférations des crieurs ponctuées par les coups de marteau des commissaires. Il y avait foule dans les escaliers et les corridors, une foule bigarrée, où les belles dames coudoyaient les revendeurs en habit râpé.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
460 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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