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Читать книгу: «Le Bossu Volume 2», страница 4

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La princesse, plus pâle qu'une morte et oppressée, répondit:

– J'ai fait ce que je ferais en réalité… Je l'ai chassée!

Elle fut plus triste et plus morne depuis ce moment, cette idée la poursuivait sans cesse.

Elle n'avait jamais cessé, cependant, de faire les plus actives recherches en France et à l'étranger. Gonzague avait toujours caisse ouverte pour les désirs de sa femme. Seulement, il s'arrangeait de manière que tout le monde fût dans le secret de ses générosités.

Au commencement, la princesse avait cédé plus d'une fois au besoin de s'épancher. On n'arrive pas tout de suite à cet austère courage qu'il faut pour pratiquer l'isolement complet. La princesse était trahie. Gonzague achetait à prix d'argent tout ce qui l'entourait.

Depuis des années, elle n'avait plus confiance qu'en Dieu.

Au commencement de la saison, son confesseur avait pourtant placé près d'elle une femme de son âge, veuve comme elle, qui lui inspirait de l'intérêt. Cette femme se nommait Madeleine Giraud. Elle était douce et dévouée.

La princesse avait fait choix d'elle pour l'attacher plus particulièrement à sa personne.

C'était Madeleine Giraud qui répondait maintenant à M. de Peyrolles, chargé deux fois par jour de venir chercher des nouvelles de la princesse, demander pour Gonzague la faveur de présenter ses hommages et annoncer que le couvert de madame la princesse était mis.

Nous connaissons la réponse quotidienne et uniforme de Madeleine:

– Madame la princesse remercie M. de Gonzague; elle ne reçoit pas; elle est trop souffrante pour se mettre à table.

Ce matin, Madeleine avait eu beaucoup d'ouvrage. Contre l'ordinaire, de nombreux visiteurs s'étaient présentés, demandant à être introduits auprès de la princesse. C'étaient tous gens graves et considérables: M. de Lamoignon, le chancelier d'Aguesseau, le cardinal de Lorraine, – MM. les ducs de Poix et de Montmorency Luxembourg, ses cousins, le prince de Monaco avec Valentinois son fils et bien d'autres.

Ils venaient tous la voir à l'occasion de ce solennel conseil de famille qui devait avoir lieu aujourd'hui même et dont ils étaient membres.

Sans s'être donné le mot, ils désiraient s'éclairer sur la situation présente de madame la princesse et savoir si elle n'avait point quelque grief secret contre le prince son époux.

La princesse refusa de les recevoir.

Un seul fut introduit, ce fut le vieux cardinal de Lorraine qui venait de la part du régent.

Philippe d'Orléans faisait dire à sa noble cousine que le souvenir de Nevers vivait toujours en lui. Tout ce qui pourrait être fait en faveur de la veuve de Nevers serait fait.

– Parlez, madame, acheva le cardinal; – M. le régent vous appartient… Que voulez-vous?

– Je ne veux rien, répondit Aurore de Caylus.

Le cardinal essaya de la sonder. Il provoqua ses confidences ou même ses plaintes. – Elle garda le silence obstinément.

Le cardinal sortit avec cette impression qu'il venait de voir une pauvre femme à demi folle.

Certes, ce Gonzague avait bien du mérite!

Le cardinal venait de prendre congé au moment où nous entrons dans l'oratoire de la princesse. Elle était immobile et morne, suivant son habitude. Ses yeux fixes n'avaient point de pensée. Vous eussiez dit une image de marbre.

Madeleine Giraud traversa la chambre sans qu'elle y prît garde.

Madeleine s'approcha du prie-Dieu qui était auprès de la princesse et y déposa un livre d'heures qu'elle tenait caché sous sa mante.

Puis elle vint se mettre devant sa maîtresse, les bras croisés sur sa poitrine, attendant une parole ou un ordre.

La princesse leva sur elle son regard et dit:

– D'où venez-vous, Madeleine?

– De ma chambre, répondit celle-ci.

Les yeux de la princesse se baissèrent. – Elle s'était levée tout à l'heure pour saluer le cardinal. Par la fenêtre, elle avait vu Madeleine dans le jardin de l'hôtel, au milieu de la foule des agioteurs.

Madeleine, cependant, avait quelque chose à dire et n'osait point. C'était une bonne âme qui s'était prise d'une sincère et respectueuse pitié pour cette grande douleur.

– Madame la princesse, murmura-t-elle, – veut-elle me permettre de lui parler?

Aurore de Caylus eut un souvenir amer et pensa:

– Encore une qu'on a payée pour me mentir!

Elle avait été trompée, si souvent!

– Parlez, ajouta-t-elle tout haut.

– Madame la princesse, reprit Madeleine; – j'ai un enfant… c'est ma vie… je donnerais tout ce que je possède au monde, excepté mon fils, pour que vous soyez une heureuse mère comme moi.

La veuve de Nevers ne répondit point.

– Je suis bien pauvre, poursuivit Madeleine, – et avant les bontés de madame la princesse, mon petit Charles manquait souvent du nécessaire… Ah! si je pouvais payer madame la princesse de tout ce qu'elle a fait pour moi!..

– Avez-vous besoin de quelque chose, Madeleine?

– Non! oh! non! s'écria celle-ci; – il s'agit de vous, madame… rien que de vous!.. Ce tribunal de famille…

– Je vous défends de me parler de cela, Madeleine.

– Madame! s'écria celle-ci; – ma chère maîtresse… quand vous devriez me chasser…

– Je vous chasserais, Madeleine!

– J'aurais fait mon devoir, madame… je vous aurais dit: – Ne voulez-vous point retrouver votre enfant?

La princesse, tremblante et plus pâle, mit ses deux mains sur les bras de son fauteuil.

Elle se leva à demi. – Dans ce mouvement, son mouchoir tomba.

Madeleine se baissa rapidement pour le lui rendre. – La poche de son tablier rendit un son argentin.

La princesse fixa sur elle son regard froid et dur.

– Vous avez de l'or! murmura-t-elle.

Puis, d'un geste qui n'appartenait ni à sa haute naissance, ni à la fierté réelle de son caractère, un geste de femme soupçonneuse qui veut savoir, elle plongea sa main vivement dans la poche de Madeleine.

Celle-ci joignit les mains en pleurant.

La princesse retira une poignée d'or: dix ou douze quadruples d'Espagne.

– M. de Gonzague arrive d'Espagne! murmura-t-elle encore.

Madeleine se jeta à genoux.

– Madame! madame! s'écria-t-elle en pleurant; – mon petit Charles étudiera grâce à cet or… celui qui me l'a donné vient aussi d'Espagne… Au nom de Dieu! madame, ne me renvoyez qu'après m'avoir écoutée!

– Sortez! ordonna la princesse.

Madeleine voulut supplier encore.

La princesse lui montra la porte d'un geste impérieux et répéta:

– Sortez!

Quand elle eut obéi, la princesse se laissa tomber sur son fauteuil. Ses deux mains blanches et maigres couvrirent son visage.

– J'allais aimer cette femme! murmura-t-elle avec un frémissement d'effroi.

– Oh!.. se reprit-elle, tandis que son visage exprimait l'angoisse profonde de l'isolement – personne!.. personne!.. faites, ô mon Dieu, que je ne me fie à personne!

Elle resta un instant ainsi, la figure couverte de ses mains, puis un sanglot souleva sa poitrine.

– Ma fille! ma fille! dit-elle d'un accent déchirant; – sainte Vierge, je souhaite qu'elle soit morte… Au moins, près de vous, je la retrouverai.

Les accès violents étaient rares chez cette nature éteinte. Quand ils venaient, la pauvre femme restait longtemps brisée. Elle fut quelques minutes avant de pouvoir modérer ses sanglots.

Quand elle recouvra la voix, ce fut pour dire:

– La mort, mon Sauveur, donnez-moi la mort.

Puis, regardant le crucifix sur son autel:

– Seigneur Dieu! n'ai-je pas assez souffert!.. Combien de temps durera encore ce martyre?..

Elle étendit les bras et de toute l'aspiration de son âme torturée:

– La mort! Seigneur Jésus! répéta-t-elle; Christ saint, par vos plaies et par votre passion sur la croix… Vierge mère, par vos larmes!.. La mort! la mort! la mort!

Ses bras lui tombèrent: ses paupières se fermèrent et elle tomba renversée sur le dossier de son fauteuil.

Un instant, on eût pu croire que le ciel clément l'avait exaucée, mais bientôt des tressaillements faibles agitèrent tout son corps. Ses mains crispées remuèrent.

Elle rouvrit les yeux et regarda le portrait de Nevers. Ses yeux restèrent secs et reprirent cette immobile fixité qui avait quelque chose d'effrayant.

Il y avait dans ce livre d'heures que Madeleine Giraud venait de poser sur le coin du prie-Dieu, une page où le volume s'ouvrait tout seul, tant l'habitude avait fatigué la reliure.

Cette page contenait la traduction française du psaume: Miserere mei, Domine. – La princesse de Gonzague le récitait plusieurs fois chaque jour.

Au bout d'un quart d'heure, elle étendit la main pour prendre le livre d'heures.

Le livre s'ouvrit à la page qui contenait le psaume.

Durant un instant, les yeux fatigués de la princesse regardèrent sans voir. – Mais tout à coup, elle tressaillit et poussa un cri.

Elle se frotta les yeux. – Elle promena son regard tout autour d'elle pour se bien convaincre qu'elle ne rêvait point.

– Le livre n'a pas bougé de là! murmura-t-elle.

Si elle l'avait vu entre les mains de Madeleine, elle aurait cessé de croire au miracle.

Là elle crut à un miracle. – Sa riche taille se redressa de toute sa hauteur. L'éclair de ses yeux se ralluma. Elle fut belle comme aux jours de sa jeunesse.

Belle et fière, et forte!

Elle se mit à genoux devant le prie-Dieu.

Le livre ouvert était sous ses yeux. – Elle lut, pour la dixième fois, en marge du psaume, ces lignes tracées par une main inconnue, et faisant une sorte de réponse au premier verset qui dit:

«Ayez pitié de moi, Seigneur…»

L'écriture inconnue répondait:

«Dieu aura pitié, si vous avez foi… Ayez du courage pour défendre votre fille… Rendez-vous au tribunal de famille, fussiez-vous malade et mourante… et souvenez-vous du signal convenu autrefois entre vous et Nevers!»

– Sa devise!.. balbutia Aurore de Caylus; j'y suis.

– Mon enfant! reprit-elle, les larmes aux yeux; – ma fille!..

Puis avec éclat.

– Du courage!.. pour la défendre… J'ai du courage… et je la défendrai!

IX
– Le plaidoyer. —

Cette grande salle de l'hôtel de Lorraine, qui avait été déshonorée le matin par l'ignoble enchère, qui, demain, devait être polluée par le troupeau des brocanteurs adjudicataires, semblait jeter à cette heure son dernier et plus brillant éclat.

Jamais, assurément, fût-ce au temps des grands ducs de Guise, assemblée plus illustre n'avait siégé sous sa voûte.

Gonzague était le plus intime favori du régent de France, Gonzague avait eu des raisons pour vouloir que rien ne manquât à l'imposante solennité de cette cérémonie.

Les préparatifs s'en étaient faits secrètement, les lettres de convocation, lancées au nom du roi, dataient de la veille au soir.

On eût dit, en vérité, une affaire d'Etat, – un de ces fameux lits de justice où s'agitaient en famille les destins d'une grande nation.

Outre le président de Lamoignon, le maréchal de Villeroy et le vice-chancelier d'Argenson, qui étaient là pour le régent, on voyait aux gradins d'honneur le cardinal de Lorraine, entre le prince de Conti et l'ambassadeur d'Espagne, – le vieux duc de Beaumont-Montmorency auprès de son cousin Montmorency-Luxembourg; – Grimaldi, prince de Monaco, les deux Larochechouart, dont l'un duc de Mortemart, l'autre prince de Tonnay-Charente; Cossé-Brissac, Grammont, Harcourt, Croy, Clermont-Tonnerre.

Nous ne citons ici que les princes et les ducs.

Quant aux marquis et aux comtes, ils étaient par douzaines.

Les simples gentilshommes et les fondés de pouvoir avaient leur siége au bas de l'estrade. Il y en avait beaucoup.

Cette vénérable assemblée se divisait tout naturellement en deux partis: ceux que Gonzague avait achetés et ceux qui étaient hors de prix.

Parmi les premiers, on comptait un duc et un prince, plusieurs marquis, bon nombre de comtes et presque tout le fretin menu titré. – Gonzague espérait en sa parole et en son bon droit pour conquérir les autres.

Avant l'ouverture de la séance on causa familièrement. Personne ne savait bien au juste pourquoi la convocation avait eu lieu. Beaucoup pensaient que c'était un arbitrage entre le prince et la princesse au sujet des biens de Nevers.

Gonzague avait ses chauds partisans; madame de Gonzague était défendue par quelques vieux honnêtes seigneurs et par quelques jeunes chevaliers errants.

Une autre opinion se fit jour après l'arrivée du cardinal. Le rapport que fit ce prélat, touchant la situation d'esprit actuelle de madame la princesse, engendra l'idée qu'il s'agissait d'une interdiction.

Le cardinal, qui ne ménageait point ses expressions, avait dit:

– La bonne dame est aux trois quarts folle!

La croyance générale était d'après cela qu'elle ne se présenterait point devant le tribunal.

On l'attendit pourtant, comme cela était convenable. Gonzague, lui-même, exigea ce délai avec une sorte de hauteur, dont on lui sut très-bon gré. – A deux heures et demie, M. le président de Lamoignon prit place au fauteuil. Ses assesseurs furent le cardinal, le vice-chancelier, M. de Villeroy et M. de Clermont-Tonnerre.

Le greffier en chef du parlement de Paris prit la plume en qualité de secrétaire; quatre notaires royaux l'assistèrent comme contrôleurs-greffiers.

Tous les cinq prêtèrent serment en cette qualité.

Jacques Thellemens, le greffier en chef, fut requis de donner lecture de l'acte de convocation.

L'acte portait en substance que Philippe de France, duc d'Orléans, régent, avait compté présider de sa personne cette assemblée de famille, tant pour l'amitié qu'il portait à M. le prince de Gonzague, que pour la fraternelle affection qui l'avait lié jadis à feu M. le duc de Nevers, – mais que les soins de l'administration, dont il ne pouvait abandonner les rênes, ne fût-ce que pendant un jour, au profit d'un intérêt particulier, l'avaient retenu au Palais-Royal.

En place de Son Altesse Royale, étaient institués commissaires et juges royaux, MM. de Lamoignon, de Villeroy et d'Argenson; – M. le cardinal devant servir de curateur royal à madame la princesse.

Le conseil était constitué en cour souveraine, devant décider, arbitralement en dernier ressort et sans appel, de toutes les questions relatives à la succession du feu duc de Nevers, – pouvant trancher notamment toutes questions d'état, – pouvant même au besoin ordonner, au profit de qui de droit, l'envoi en possession définitive des biens de Nevers.

Gonzague lui-même eût rédigé de sa main le protocole, que la lettre n'en eût pu lui être plus complètement favorable.

On écouta la lecture avec un religieux silence, puis M. le cardinal demanda au président de Lamoignon:

– Madame la princesse de Gonzague a-t-elle un procureur?

Le président répéta la question à haute voix:

Comme Gonzague allait répondre lui-même pour demander qu'on en nommât un d'office et qu'il fût passé outre, la grande porte s'ouvrit à deux battants et les huissiers de service entrèrent sans annoncer.

Chacun se leva. Il n'y avait que Gonzague ou sa femme qui pût faire ainsi son entrée.

Madame la princesse de Gonzague se montra en effet sur le seuil, habillée de deuil comme à l'ordinaire, mais si fière et si belle qu'un long murmure d'admiration courut de rang en rang à sa vue.

Personne ne s'attendait à la voir, – personne surtout ne s'attendait à la voir ainsi.

– Que disiez-vous donc, mon cousin? dit Mortemart à l'oreille du cardinal de Lorraine.

– Sur ma foi! répondit le prélat; – que je sois lapidé!.. J'ai blasphémé!.. Il y a là-dessous du miracle.

Du seuil, la princesse dit d'une voix calme et distincte:

– Messieurs, point n'est besoin de procureur; me voici.

Gonzague quitta précipitamment son siége et s'élança au devant de sa femme. Il lui offrit la main avec une galanterie pleine de respect. Madame la princesse ne refusa point, mais on la vit tressaillir au contact de la main du prince, et ses joues pâles changèrent de couleur.

Au bas de l'estrade se trouvaient Navailles, Gironne, Montaubert, Nocé, Oriol, etc.; ils furent les premiers à se ranger pour faire un large passage aux deux époux.

– Bon petit ménage! dit Nocé, pendant qu'ils montaient les degrés de l'estrade.

– Chut! fit Oriol, – je ne sais si le patron est content ou fâché de cette apparition!

Le patron, c'était Gonzague. – Gonzague, lui-même ne le savait peut-être pas.

Il y avait un fauteuil préparé d'avance pour la princesse. Ce siége était à l'extrême droite de l'estrade, auprès de la stalle occupée par M. le cardinal.

A droite de la princesse, se trouvait immédiatement la draperie couvrant la porte de l'hémicycle.

La porte était fermée et la draperie tombait.

L'agitation produite par l'arrivée de madame de Gonzague fut du temps à se calmer. – Gonzague avait sans doute quelque changement à faire dans son plan de bataille, car il semblait plongé dans un recueillement profond.

Le président fit donner une seconde fois lecture de l'acte de convocation, puis il dit:

– M. le prince de Gonzague ayant à nous exposer ce qu'il veut, de fait et de droit, nous attendons son bon plaisir.

Gonzague se leva aussitôt. Il salua profondément sa femme d'abord, puis les juges pour le roi, puis le reste de l'assistance.

La princesse avait baissé les yeux après un rapide regard jeté à la ronde. Elle reprenait son immobilité de statue.

C'était un bel orateur que ce Gonzague: tête haut portée, traits largement sculptés, teint brillant, œil de feu.

Il commença d'une voix retenue et presque timide:

– Personne ici ne pense que j'aie pu réunir une pareille assemblée pour une communication d'un intérêt ordinaire, et cependant, avant d'entamer un sujet bien grave, je sens le besoin d'exprimer une crainte qui est en moi, une crainte presque puérile. Quand je pense que je suis obligé de prendre la parole devant tant de beaux et illustres esprits, ma faiblesse m'effraye, et il n'y a pas jusqu'à cette habitude de langage, cette façon de prononcer les mots dont un fils de l'Italie ne peut jamais se défaire, il n'y a pas jusqu'à mon accent qui ne me soit obstacle… Je reculerais en vérité devant ma tâche, si je ne réfléchissais que la force est indulgente, et que votre supériorité même me sera une assurée sauvegarde.

A ce début hyper académique, il y eut des sourires sur les gradins d'élite. Gonzague ne faisait rien à l'étourdie.

– Qu'on me permette d'abord, reprit-il, – de remercier tous ceux qui, en cette occasion, ont honoré notre famille de leur bienveillante sollicitude; M. le régent le premier, M. le régent dont on peut parler à cœur ouvert, puisqu'il n'est pas au milieu de nous, ce noble, cet excellent prince, toujours en tête quand il s'agit d'une action digne et bonne…

Des marques d'approbation non équivoques se firent jour. Oriol et consorts applaudirent chaleureusement du bonnet.

– Quel avocat eût fait notre cher cousin! dit Chaverny à Choisy, qui était près de lui.

– En second lieu, poursuivit Gonzague, – madame la princesse, qui, malgré sa santé languissante et son arrivée de la retraite, a bien voulu se faire violence à elle-même et redescendre des hauteurs où elle vit jusqu'au niveau de nos pauvres intérêts humains, – en troisième lieu, ces grands dignitaires de la plus belle couronne du monde: les deux chefs de ce tribunal auguste, qui rend la justice et règle en même temps les destinées de l'État, un glorieux capitaine, un de ces soldats géants, dont les victoires serviront de thème au Plutarque à venir, un prince de l'église et tous ces pairs du royaume, si bien dignes de s'associer sur les marches du trône… Enfin, vous tous, messieurs, quel que soit le rang que vous occupez… Je suis pénétré de reconnaissance, et mes actions de grâce, mal exprimées, partent au moins du fond du cœur.

Tout ceci fut prononcé avec une mesure parfaite, de cette voix chaleureuse et sonore qui est le privilége des Italiens du Nord.

C'était l'exorde. Gonzague sembla se recueillir. Son front s'inclina et ses yeux se baissèrent.

– Philippe de Lorraine, duc de Nevers, continua-t-il d'un accent plus sourd, était mon cousin par le sang, mon frère par le cœur… Nous avons mis en commun les jours de notre jeunesse… Je puis dire que nos deux âmes n'en faisaient qu'une, tant nous partagions étroitement nos peines comme nos joies… C'était un généreux prince, et Dieu seul sait quelle gloire était réservée à son âge mûr… Celui qui tient dans sa main puissante la destinée des grands de la terre voulut arrêter le jeune aigle à l'heure même où il prenait son vol… Nevers mourut avant que son cinquième lustre ne fût achevé… Dans ma vie, souvent et durement éprouvée, je ne me souviens pas d'avoir reçu de coup plus cruel… Je puis parler ici pour tout le monde: dix-huit ans écoulés depuis la nuit fatale n'ont point adouci l'amertume de nos regrets… Sa mémoire est là! s'interrompit-il en posant la main sur son cœur et en faisant trembler sa voix; – sa mémoire vivante, éternelle, – comme le deuil de la noble femme qui n'a pas dédaigné de porter mon nom après le nom de Nevers…

Tous les yeux se dirigèrent vers la princesse.

Celle-ci avait le rouge au front. Une émotion terrible décomposait son visage.

– Ne parle pas de cela! fit-elle entre ses dents serrées; – voilà dix-huit ans que je passe dans la retraite et dans les larmes…

Les juges sérieux, les magistrats, princes et pairs de France, tendirent l'oreille à ce mot.

Les clients, ceux que nous avons vus réunis dans l'appartement de Gonzague, firent entendre un long murmure. – Cette chose obscène qu'on nomme la claque dans le langage usuel n'a pas été inventée par les théâtres.

Oriol, Nocé, Gironne, Montaubert, Taranne et compagnie faisaient leur métier en conscience.

M. le cardinal de Lorraine se leva:

– Je requiers, dit-il, M. le président, de réclamer le silence. Les dires de madame la princesse doivent être écoutés ici au même titre que ceux de M. de Gonzague.

Et, se rasséyant, il glissa dans l'oreille de son voisin Mortemart, avec toute la joie d'une vieille commère qui se sent sur la piste d'un monstrueux cancan:

– M. le duc, j'ai idée que nous allons en apprendre de belles…

– Silence! ordonna M. de Lamoignon, dont le regard sévère fit baisser les yeux à tous les amis imprudents de Gonzague.

Celui-ci reprit, répondant à l'observation du cardinal:

– Non pas au même titre, Votre Éminence, s'il m'est permis de vous contredire, mais à titre supérieur, puisque madame la princesse est femme et veuve de Nevers… je m'étonne qu'il se soit trouvé parmi nous quelqu'un pour oublier, ne fût-ce qu'un instant, le respect profond qui est dû à madame la princesse de Gonzague.

Chaverny se mit à rire dans sa barbe.

– Si le diable avait des saints, pensa-t-il, – je plaiderais en cour de Rome pour que mon cousin fût canonisé!

Le silence se rétablit.

L'escarmouche effrontée que Gonzague venait de tenter sur un terrain brûlant avait réussi. Non-seulement sa femme ne l'avait point accusé d'une manière précise, mais il avait pu se parer lui-même d'un semblant de générosité chevaleresque.

C'était un point de marqué.

Il releva la tête et reprit d'un ton affermi.

– Philippe de Nevers mourut victime d'une vengeance ou d'une trahison… Je dois glisser très-légèrement sur les mystères de cette nuit tragique… M. de Caylus, père de madame la princesse, est mort depuis longtemps et le respect me ferme la bouche…

Comme il vit que madame de Gonzague s'agitait sur son siége, prête à se trouver mal, il devina qu'un nouveau défi resterait sans réponse.

Il s'interrompit donc pour dire avec un ton d'exquise et bienveillante courtoisie:

– Si madame la princesse avait quelque communication à nous faire, je m'empresserais de lui céder la parole.

Aurore de Caylus fit effort pour parler, mais sa gorge, convulsivement serrée, ne put donner passage à aucun son.

Gonzague attendit quelques secondes, puis il poursuivit:

– La mort de M. le marquis de Caylus, qui sans nul doute aurait pu fournir de précieux témoignages, la situation isolée du lieu où le crime fut commis, la fuite des assassins et d'autres raisons que la plupart d'entre vous connaissent ne permirent pas à l'instruction criminelle d'éclairer complétement cette sanglante affaire… Il y a eu des doutes… Un soupçon plana… Enfin, justice ne put être faite… Et pourtant, messieurs, Philippe de Nevers avait un autre ami que moi, un autre frère… un ami, un frère plus puissant… Cet ami, ai-je besoin de le nommer? ce frère vous le connaissez tous: il a nom Philippe d'Orléans; il est régent de France… qui oserait dire que Nevers assassiné a manqué de vengeurs!

Il y eut un silence. Les clients du dernier banc échangeaient entre eux diverses pantomimes. On entendait partout ces mots, répétés à voix basse:

– C'est plus clair que le jour!

Aurore de Caylus collait son mouchoir à ses lèvres où le sang venait, tant l'indignation lui serrait la poitrine.

– Messieurs, reprit Gonzague, j'arrive aux faits qui ont motivé votre convocation. Ce fut en m'épousant que madame la princesse déclara son mariage secret, mais légitime avec le feu duc de Nevers… Ce fut en m'épousant qu'elle constata également l'existence d'une fille, issue de cette union… les preuves écrites manquaient; le registre paroissial, lacéré en deux endroits, ne portait aucune constatation, et je suis forcé de dire encore que M. de Caylus seul au monde aurait pu nous donner quelques éclaircissements à cet égard. Mais M. de Caylus, vivant, garda toujours le silence; à l'heure qu'il est, nul ne peut interroger sa tombe… La constatation dut se faire au moyen du témoignage sacramentel de dom Bernard, chapelain de Caylus, qui inscrivit mention du premier mariage et de la naissance de mademoiselle de Nevers en marge de l'acte qui donna mon nom à la veuve de Nevers… Je voudrais que madame la princesse voulût bien donner à mes paroles l'autorité de son adhésion.

Tout ce qu'il venait de dire était d'une exactitude rigoureuse.

Aurore de Caylus resta muette. – Mais le cardinal de Lorraine s'étant penché vers elle, se releva et dit:

– Madame la princesse ne conteste point.

Gonzague s'inclina et poursuivit:

– L'enfant disparut la nuit même du meurtre… Vous savez, messieurs, quel inépuisable trésor de patience et de tendresse renferme le cœur d'une mère… Depuis dix-huit ans, l'unique soin de madame la princesse, le travail de chacun de ses jours, de chacune de ses heures, est de chercher sa fille… Je dois le dire: les recherches de madame la princesse ont été jusqu'à présent complètement inutiles… Pas une trace, pas un indice… Madame la princesse n'est pas plus avancée qu'au premier jour.

Ici, Gonzague jeta encore un regard vers sa femme. – Aurore de Caylus avait les yeux au ciel.

Dans sa prunelle humide, Gonzague chercha en vain ce désespoir que devaient provoquer ses dernières paroles.

Le coup n'avait pas porté. Pourquoi? – Gonzague eut peur.

– Il faut maintenant, reprit-il en faisant appel à tout son sang-froid, – il faut, messieurs, malgré ma vive répugnance, que je vous parle de moi… Après mon mariage, sous le règne du feu roi, le parlement de Paris, à l'instigation de feu M. le duc d'Elbeuf, oncle paternel de notre malheureux parent, rendit, toutes chambres assemblées, un arrêt qui suspendait indéfiniment (sauf les limites posées par la loi) mes droits à l'héritage de Nevers. C'était sauvegarder les intérêts de la jeune Aurore de Nevers, en cas qu'elle fût encore de ce monde: je fus bien loin de m'en plaindre. Mais cet arrêt, messieurs, n'en a pas moins été la cause de mon profond et incurable malheur…

Tout le monde redoubla d'attention.

– Écoutez! écoutez! fit-on sur les petits bancs.

Un coup d'œil de Gonzague venait d'apprendre à Oriol, Gironne et compagnie, que c'était là l'instant critique.

– J'étais jeune encore, continua Gonzague, – assez bien en cour… riche, très-riche déjà… ma noblesse était de celle qu'on ne conteste point… j'avais pour femme un trésor de beauté, d'esprit et de vertus… Comment échapper, je vous le demande, aux sourdes et lâches attaques de l'envie? Sur un point j'étais vulnérable: le talon d'Achille? – L'arrêt du parlement avait fait ma position fausse, en ce sens que, pour certaines âmes basses, pour ces cœurs vils dont l'intérêt est le seul maître, il semblait que je devais désirer la mort de la jeune fille de Nevers…

On se récria, surtout au banc Oriol.

– Eh! messieurs! fit Gonzague avant que M. de Lamoignon eût imposé silence aux interrupteurs, – le monde est fait ainsi… nous ne changerons pas le monde… j'avais intérêt… intérêt matériel… donc je devais avoir une arrière-pensée… La calomnie avait beau jeu contre moi… la calomnie ne se fit pas faute d'exploiter le filon!.. un seul obstacle me séparait d'un immense héritage… Périsse l'obstacle!.. Qu'importe le long témoignage de toute une vie pure!.. On me soupçonna des intentions les plus perverses… les plus infâmes!.. on mit (je dois tout dire au conseil) on mit la froideur, la défiance, presque la haine entre madame la princesse et moi… on prit à témoin cette image en deuil qui orne la retraite d'une sainte femme… on opposa au mari vivant l'époux mort… et pour employer un mot trivial, messieurs, un pauvre mot qui est l'expression du bonheur des humbles, – hélas! ce qui ne semble pas fait pour nous autres qu'on appelle grands, on troubla, on empoisonna, on perdit mon ménage…

Il appuya fortement sur ce mot.

– Mon ménage, entendez-vous bien? mon intérieur, mon repos, ma famille, mon cœur… Oh! si vous saviez quelles tortures les méchants peuvent infliger aux bons!.. si vous saviez les larmes de sang qu'on pleure en invoquant la sourde providence… si vous saviez!.. je vous affirme ceci sur mon honneur et sur mon salut… je vous le jure!.. j'aurais donné mes titres… j'aurais donné mon nom… j'aurais donné ma fortune pour être heureux à la façon des petites gens qui ont un ménage!.. c'est-à-dire une femme dévouée… un cœur ami et toujours prêt à recevoir le saint épanchement… des enfants qui vous aiment et qu'on adore… la famille… enfin la famille, cette parcelle de félicité céleste que Dieu bon laisse tomber parmi nous!

Vous eussiez dit qu'il avait mis son âme tout entière dans son débit… ces dernières paroles furent prononcées avec un entraînement tel qu'il y eut dans l'assemblée comme une grande commotion.

L'assemblée était touchée au cœur.

Il y avait plus que de l'intérêt, il y avait une respectueuse compassion pour cet homme, tout à l'heure si hautain, pour ce grand de la terre, – pour ce prince qui venait mettre à nu, avec des larmes dans la voix et dans les yeux, la plaie terrible de son existence.

Ces juges étaient, pour bon nombre, des gens de famille. La fibre du père et de l'époux remua en eux violemment.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
130 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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