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Читать книгу: «La coucaratcha. II», страница 2

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§ IV.
ÉPISODE

Le lendemain matin j'étais couché et je m'amusais à tresser les cheveux de Loretta, qu'elle avait fort longs et fort beaux; – lorsque sa camériste vint me prévenir que mon valet de chambre qui savait où me trouver – voulait absolument me parler. – Je me levai, – et il me remit un billet ainsi conçu.

– Je vous attends sur le rempart, en face le palais des Grands-Maîtres, il faut absolument que je vous parle, soyez assez bon pour y venir,

WOLF.

– Qui t'a remis cela, – demandai-je à mon laquais?

– Capitaine, c'est un officier anglais, – un beau, grand jeune homme brun. —

– C'est bien, va m'attendre à bord.

J'embrassai Loretta, et je gagnai le rempart. – Mon ami Wolf s'y trouvait déjà. – Il était un peu pâle, mais il souriait; et sa figure avait même une expression de douceur que je n'avais pas remarqué la veille. —

Il vint à moi, et, me tendant la main: – J'étais sûr de vous voir, me dit-il… tant je comptais sur votre obligeance et sur les effets d'une sympathie que je n'avais ressentie pour personne, je vous jure…

Je lui secouai cordialement la main, et lui demandai à quoi je pouvais lui être utile.

– Mon cher ami, – puisque vous me permettez de vous donner ce nom, – répondit-il, – j'ai d'abord mille excuses à vous faire d'avoir abusé hier de vos moments, pour vous raconter une bien misérable histoire.

– Ma foi, – lui dis-je (et c'était vrai) – que le diable m'emporte si j'y pensais… mais bah… le Madère et le Xérès vous auront poussé au roman, mon cher Wolf… et vous vous serez vanté, – ne parlons plus de cela… encore une fois je l'avais oublié.

– Oh non, ajouta-t-il avec un sourire triste, je ne me suis pas vanté; – tout cela s'est passé comme je vous l'ai dit, – et vous êtes le seul, – ajouta-t-il en attachant sur moi ses grands yeux bleus mélancoliques, – vous êtes le seul qui sachiez cette aventure fatale.

– Et vous pouvez compter sur ma discrétion, répondis-je. – Fausse ou vraie, cette histoire est à jamais perdue dans le plus profond oubli.

– Cela ne peut pas être ainsi, répéta-t-il toujours avec sa voix douce et sonore. – Vous savez qu'hier je vous avais prévenu; désormais ce secret ne peut être possédé que par vous – ou par moi, – par tous deux c'est impossible.

– Mon cher Wolf, est-ce bien sérieusement que vous me dites cela?

– Très sérieusement…

– C'est une plaisanterie.

– Non, mon ami…

– Mais c'est absurde…

– Non ce n'est pas absurde; vous avez un secret qui, divulgué, peut me faire passer pour ce que je suis: —Un meurtrier, – ajouta Wolf péniblement, – puisque je n'ai pu le garder, moi, qu'il intéresse au point que vous devez croire… pourriez-vous le garder, vous, à qui il est indifférent;… ce doute serait trop affreux, or il faut en finir, et il en sera ainsi.

– Voilà qui est fort… – il en sera ainsi parce que vous le voulez, Wolf.

– Sans doute; – puis, me pressant les deux mains, il dit avec tendresse: Ne me refusez pas cela, – ne me forcez pas, je vous en supplie, à un éclat qui vous obligerait bien à m'accorder ce que je vous demande; vous me l'accorderiez pour un autre motif, il est vrai, mais cela serait toujours, n'est-ce pas.

– Allons, il faut nous brûler la cervelle, – parce qu'il vous a plu de me gratifier de votre diable d'aventure… J'y consens, mais c'est désagréable, vous l'avouerez au moins… – dis-je avec humeur, sans pouvoir pourtant me fâcher tout-à-fait.

– Je le conçois, mais c'est comme cela… Pardonnez-moi… mon ami, dit Wolf.

– Pardieu, non; ce sera bien assez de vous pardonner si vous me cassez la tête… car, pour que la plaisanterie soit complète, c'est toujours à cinq pas, et à pair ou non, – j'imagine.

– Toujours… – répéta le damné Wolf, avec sa voix de jeune fille.

– Vos témoins, lui demandai-je…

– Votre voisin de gauche d'hier, me dit-il.

– Aurez-vous vos armes… Wolf?

– Oui, j'aurai les miennes; – ainsi n'apportez pas les vôtres, c'est inutile… à moins pourtant que vous vous défiez…

– Capitaine… lui dis-je très-sérieusement cette fois…

– Pardon, mon ami; mais dites bien à votre témoin que c'est une affaire à mort, inarrangeable, qu'il y a eu des voies de fait.

– Il le faut pardieu bien, m'écriai-je… et à quand cette belle équipée?.. car en vérité, mon ami Wolf, il faut l'avouer, nous sommes aussi fous, tranchons le mot, aussi bêtes que deux aspirants sortant de l'école de marine; mais enfin, à quand?

– Mais, mon Dieu, dans une heure… trouvons-nous aux ruines du vieux port…

– Va pour les ruines du vieux port.

– Votre main, me dit Wolf.

– La voici.

– Vous ne m'en voulez pas au moins, me demanda-t-il encore.

– Parbleu si, je vous en veux, et beaucoup.

Il sourit, me salua de la tête, et nous nous séparâmes.

§ V.
MON AMI WOLF

J'étais revenu à bord pour faire quelques préparatifs, écrire quelques lettres, car en vérité je croyais rêver. – Un capitaine de frégate de mes amis consentit avec peine à me servir de témoin quand il sut quelles étaient les conditions de ce duel meurtrier. – A cinq pas, un pistolet chargé et l'autre non. —

Ce qui me désespérait surtout, c'étaient les véhémentes sorties de mon digne témoin sur ce qu'il appelait ma crânerie. – Vous aurez cherché l'affaire, me disait-il, – comme cette fois à la Martinique. – Vous avez aussi la main trop légère, mon cher ami… il vous arrivera malheur… Quel dommage, un jeune officier d'une si belle espérance… et tutti quanti.

– J'avais beau dire et redire que je n'étais pas l'agresseur, – il me répondait à cela: – Le capitaine Wolf, m'a-t-on dit, ne boit ordinairement que de l'eau; – il est connu pour sa douceur, son humeur triste et solitaire. – Comment diable voulez-vous qu'il se soit grisé et vous ait insulté le premier;… c'est impossible.

– Mais cordieu, Monsieur, m'écriai-je…

– Bon, bon, faites-moi une autre querelle à moi, me répondit l'imperturbable, pour me prouver que vous n'êtes pas querelleur…

– C'était à devenir fou, aussi je me tus. – Je fermai mes lettres, – donnai quelques commissions à mon valet de chambre, – demandai un canot et me dirigeai vers le vieux fort avec mon témoin.

– Quand nous débarquâmes, Wolf y était déjà;… Il vint au-devant de moi; – il n'était plus pâle, ses joues étaient légèrement rosées, ses cheveux soigneusement bouclés, ses yeux brillants, j'avais peu vu d'hommes d'une beauté aussi remarquable.

– Allons donc, paresseux, me dit-il, d'un ton d'amical reproche…

– Chose bizarre, pendant la traversée, j'avais fait tout au monde pour me monter comme on dit, – pour me mettre au niveau de cet horrible combat: – impossible: – j'allais là me brûler la cervelle sans colère, sans haine, sans fiel, sans prétexte, et seulement par point d'honneur, – car je connaissais assez Wolf pour être certain que, si j'eusse refusé le combat, il m'eût contraint à l'accepter par une insulte irréparable. – Aussi j'aimais encore mieux me battre presque sans savoir pourquoi; – sans lui en vouloir; – car malgré son crime je ne le haïssais pas, il s'en faut.

– Oui, je l'avoue, cet être bizarre exerçait sur moi une singulière influence. – Son air triste, sa voix douce, son calme, une inconcevable sympathie de pensées qui s'étaient développées entre nous avant sa maudite confidence; – et puis, enfin, un amour inné chez moi pour tout ce qui est extraordinaire. – Tout cela faisait que je ne pensai pas un instant à la mort qui allait peut-être m'atteindre, occupé que j'étais à m'étonner de tant de choses inconcevables.

– Messieurs, dit mon témoin, – toute représentation est sans doute inutile…

– Inutile! répéta Wolf.

– Vous savez que c'est un assassinat que l'un de vous deux va commettre, dit le témoin de Wolf.

– Nous le savons, – répéta Wolf.

– Allez donc, messieurs, et que Dieu vous pardonne, dit le bon capitaine d'une voix grave.

– Ce témoin de Wolf – mesura cinq pas…

– Mon témoin prit les pistolets que Wolf avait apportés et voulut les visiter.

– Je m'y oppose formellement, Monsieur, – m'écriai-je en l'arrêtant…

– Wolf me prit la main, la serra fortement et me dit: – Capitaine, – bien, – mais j'ai à vous faire une demande: – Vous confiez-vous assez à ma loyauté pour me laisser choisir – quoique ce soient mes armes?

– Avant que nos témoins aient pu rien empêcher – j'avais pris les pistolets et je les présentais à Wolf, – Il en prit un.

– Je pris l'autre.

– Le cœur me battait horriblement.

– Quoique la conduite singulière de Wolf me fît penser que peut-être tout ce duel n'était-il qu'une bizarre et mauvaise plaisanterie, – pourtant je me plaçai en face de Wolf.

– De ma vie je n'oublierai son attitude calme, souriante, je dirai presque heureuse. – Il passa ses doigts dans sa belle chevelure noire, et appuya un instant son front dans sa main comme pour se recueillir, puis levant les yeux au ciel, il y eut dans son regard une expression de reconnaissance ineffable… puis il abaissa les yeux sur moi, – leva son pistolet et m'ajusta.

– Je l'ajustai à mon tour; – les canons des deux pistolets se touchaient presque.

– Êtes-vous prêts, Messieurs, dirent les témoins.

– Oui…

– Mon Dieu, pardonnez-leur, – dit en anglais le vieil officier taciturne, en frappant dans ses mains.

– Nos deux coups partirent ensemble.

– J'eus un moment d'éblouissement, – causé par la flamme et l'explosion du coup de Wolf, – et quand au bout d'une seconde je revins à moi, – je vis nos deux témoins courbés près de Wolf… qui s'appuyait sur son coude…

– Mon Dieu, mon Dieu… Vous l'avez voulu, lui dis-je avec désespoir… car le malheureux était tout sanglant. Vous savez que ce n'est pas moi… Pardon, mon ami… – pardon… pardon… —

– J'ai été l'agresseur, et je suis justement puni, – je vous pardonne ma mort, dit-il d'une voix faible… – Puis s'approchant du mon oreille, – ses derniers mots, que seul j'entendis, furent ceux-ci: – Mes mesures étaient prises pour mourir de votre main… Merci… – oh Pépa!..

– Et puis il mourut.

– Ma balle lui avait traversé la poitrine.

– Je compris alors pourquoi Wolf avait voulu choisir entre les deux pistolets…

RELATION VÉRITABLE

ET
VOYAGES DE CLAUDE BELISSAN,
Clerc de Procureur

CHAPITRE PREMIER.
Pourquoi Claude Belissan devint philosophe, philanthrope, matérialiste, athée, négrophile et républicain

C'était le 15 mai – 1789.

Vers le milieu de la rue Saint-Honoré il y avait une haute et obscure maison de six étages, au sixième étage une petite chambre, dans cette petite chambre une fenêtre étroite, et à cette fenêtre un jeune homme d'une taille moyenne et assez laid. Ce jeune homme était Claude Belissan, clerc de procureur, légèrement atteint de l'épidémie philosophique qui régnait alors.

L'eau tombait à torrents d'un ciel gris sombre, menaçant, et de fortes raffales de vent faisaient fouetter les ondes contre les carreaux qui ruisselaient de pluie.

Pour la première fois, Claude Belissan blasphémait Dieu d'une épouvantable façon, car jusque-là il avait été élevé par sa mère dans de saintes et religieuses croyances.

– Tombe… disait-il, tombe… donc, averse maudite! change les rues en rivières, les places en lacs, la plaine en océan… Bien… allons, le déluge… un nouveau déluge… et un dimanche encore! un dimanche!.. quand on a travaillé toute la semaine… Bah!.. les philosophes ont bien raison; il n'y a pas de Dieu… il n'y a qu'un destin, un hasard… et encore!!!

Et voilà, comme de croyant qu'il était, Belissan devint furieusement fataliste et incrédule.

Et la pluie redoublant, cinglait, pétillait sur les vitres, et Belissan trépignait et se damnait en regardant avec douleur et rage sa culotte luisante de gourgouran, ses bas de coton blanc, sa chemise à jabot et à manchettes.

Et Belissan se damnait encore en jetant un coup-d'œil de profond et amer regret sur sa veste de bazin à fleurs et son habit de ratine bleue soigneusement étendus sur son lit virginal… car le lit de Belissan était virginal.

A une nouvelle ondulation de l'averse, Belissan fit un tel bond de fureur qu'un nuage de poudre blanche et parfumée s'échappa de sa tête, et flotta indécis dans sa chambre… On eût dit el signor Campanona dans toute la fougue de son exaltation musicale.

– Enfer, malédiction… s'écria-t-il! et Catherine… Catherine qui m'attend… Une promenade, un rendez-vous calculé, combiné depuis cinq semaines… le voir manquer, j'en deviendrai fou… fou… à lier… Dieu me le paiera!!

Et après avoir montré le poing au ciel, en manière d'Ajax, Belissan cacha sa tête dans ses mains…

Au bout de quelques minutes d'une cruelle rêverie, où il ne vit que ruisseaux débordés, gouttières gonflées, boue et parapluies, le jeune clerc suspendit sa respiration, puis son cœur palpita, bondit… Il dressa la tête, prêta l'oreille… mais sans ouvrir les yeux, tant il craignait une amère déception… Figurez-vous que le malheureux croyait ne plus entendre la pluie tomber que goutte à goutte et rebondir sur le toit!!!

Et ce ne fut pas une illusion.

Le ciel s'éclaircit; bientôt une légère brise de nord-est s'éleva, grandit, souffla, et après une demi-heure d'attente et d'angoisse inexprimable, les nuages chassèrent, se refoulèrent à l'horizon, le soleil étincela sur les toits humides, le ciel devint bleu, l'air tiède et chaud, enfin jamais journée de printemps commencée sous d'aussi funèbres auspices ne parut se devoir terminer plus riante et plus pure.

Belissan, au lieu de remercier Dieu, ne pensa qu'à sa culotte de gourgouran, à son habit de ratine, prit son chapeau sous son bras, rajusta sa coiffure, et en sept minutes fut au bas de son escalier, fringant, pimpant, lustré, pomponné, éblouissant à voir.

– Mais hélas! quel horrible spectacle! les pavés étaient fangeux, les gouttières filtraient l'eau, et une foule d'équipages se croisaient dans la rue.

Alors Belissan prit résolument le parti de marcher sur ses pointes et entreprit la périlleuse tournée qui devait le réunir à sa Catherine. Il n'était plus qu'à quelques pas de la boutique de cette jolie fille, lorsque les piétons se refoulent à la hâte, se pressent, se heurtent, avertis par un piqueur à livrée verte et orange qui précédait un bel équipage à quatre chevaux. – Mais quatre magnifiques chevaux bai-bruns, les deux de volées surtout étaient du plus pur sang danois, circonstance qui ne pouvait échapper à la vue de Belissan, car le malheureux, par une incroyable fatalité, fut placé au premier rang des piétons, et les chevaux danois, qui piaffaient beaucoup, ayant un pas fort relevé, couvrirent le pauvre clerc d'une pluie de boue, mais si noire, mais si épaisse, mais si grasse, qu'elle tacha affreusement l'habit de ratine et la culotte de gourgouran.

Ce seigneur qui venait de passer était M. le marquis de Beaumont; il revenait de Versailles, et allait visiter M. le duc de Luynes.

Belissan resta stupéfait et moucheté comme un tigre, mais comme un tigre aussi il se prit à rugir en montrant le poing au brillant équipage, comme naguère il l'avait montré à Dieu, le montrant surtout à un grand coureur tout chamarré d'or et de soie qui, perché derrière la voiture, se pâmait de rire insolemment.

De ce moment, de cette minute, de cette seconde, Belissan jura haine éternelle à Dieu, aux marquis, aux voitures, aux coureurs, aux chevaux danois, et se proclama l'égal de tout le monde, grand seigneur, laquais ou cheval danois.

Il allait peut-être se livrer à une longue et fougueuse méditation sur l'inégalité des positions sociales, lorsqu'il se souvint de Catherine; il remit donc sa colère à plus tard, jeta un triste coup-d'œil sur ses mouchetures, et dit en soupirant:

– Après tout, il vaut peut-être mieux laisser sécher la boue que de l'étendre; d'ailleurs, Catherine me plaindra…

Et il continua sa route, la tête bouleversée, exaspérée par ses idées d'amour et d'égalité, de bonheur et de haine. C'était alors une fournaise que le cerveau de Claude Belissan, et, quand il entra dans la rue où demeurait sa maîtresse, sa tête devait certainement fumer, tant ses pensées étaient brûlantes et effervescentes…

Mais, hélas! plaignez Belissan… figurez-vous ce que devint, ce qu'éprouva, ce que ressentit Belissan… mettez-vous à la place de Belissan quand il vit arrêté, presqu'en face la porte de Catherine, l'équipage maudit qui l'avait si curieusement tigré!

Or, le père de Catherine était parfumeur-gantier, à la Bonne-Foi, et sa boutique se trouvait toute proche de l'hôtel de Luynes.

Belissan respira pourtant lorsqu'il ne vit plus le grand coureur. Il s'approcha de la porte de la boutique, jeta un dernier regard de désespoir sur sa toilette souillée, et entra…

Mais en entrant il passa par toutes les nuances du prisme, à partir du blanc jusqu'au violet; ses yeux se troublèrent, il vit des flammes bleues, la tête lui tourna, il ne put que s'asseoir convulsivement sur le comptoir, et sur la main du gantier, qui s'écria: Prenez donc garde, monsieur Belissan.

Mais Belissan ne prenait pas garde. Belissan avait vu en entrant la jolie gantière essayer des gants au grand coureur, fort bel homme en vérité, Belissan avait encore vu le grand coureur serrer les mains de Catherine, qui avait souri en rougissant…

Et puis il n'avait plus rien vu.

Mais il avait pensé…

Le clerc fit alors un mouvement désordonné, comme si un fer rouge lui eût traversé la cervelle, et frappa un grand coup de poing sur le comptoir.

A ce bruit, Catherine leva la tête.

Le beau coureur leva la tête.

Et tous deux, voyant Belissan si tigré, si moucheté, si colère, si pâle, si singulier, si effaré, partirent d'un éclat de rire prolongé, dans lequel le timbre pur et frais de la jolie Catherine se mêlait à la basse sonore et retentissante du coureur.

Belissan fit une grimace colérique et un geste de possédé.

Et le duo de rire recommença de plus belle; seulement, le rire sec et cassé du mercier, vint gâter l'harmonie.

Belissan ne se possédant plus, s'avança contre le coureur en levant une aune; mais au même instant ses deux poignets furent emprisonnés de la large main du coureur et il entendit l'honnête gantier s'écrier: Comment! vous osez porter la main sur un des gens de M. le marquis de Beaumont, dont nous espérons avoir la pratique! pour un ami, c'est mal à vous, monsieur Belissan.

Et Catherine aussi lui dit aigrement:

– Eh! quand on est fait de la sorte, on ne vient pas chez les gens.

Et le beau coureur reprit:

– Mon petit monsieur, sans les beaux yeux de cette jolie demoiselle, vous passiez par la porte, vrai comme je m'appelle Almanzor, vrai comme j'ai l'honneur d'être au service de M. le marquis de Beaumont.

– Pardonnez-lui pour cette fois, monsieur Almanzor, dit Catherine d'un air caressant, en lorgnant le beau coureur.

– Allez vous changer… vous nous faites peur, monsieur Belissan, dit le gantier en contraignant à peine un éclat de rire.

– Il y a un baigneur étuviste, là-bas au numéro 15, dit enfin Almanzor en conduisant Belissan à la porte de la boutique avec une politesse moqueuse…

Le clerc se croyait sous l'obsession d'un affreux cauchemar… il ne répondit pas un mot, n'entendit rien, ne vit rien, partit comme un trait, et ne s'arrêta qu'aux Champs-Elysées.

Et encore il ne s'arrêta que parce qu'il se heurta avec un homme qui s'écria: Tiens, c'est Belissan!

Belissan rappela ses esprits…

– Qui me parle? où suis-je? que me veut-on?.. soupira-t-il.

– C'est moi, Lucien, qui te parle; tu es aux Champs-Elysées, crotté jusqu'à l'échine. Je veux te dire adieu, car je vais au Hâvre.

– Tu vas au Hâvre? Je pars avec toi!

– Mais je pars aujourd'hui, à l'instant!

– Je pars aujourd'hui, à l'instant!

– Je prends le coche; je vais par eau…

– J'irai par eau, par le coche, par le diable; mais je veux quitter cet infâme Paris; je veux aller vivre dans un désert, dans une île où tout me soit égal et où je sois égal à tout… Comprends-tu, Lucien?..

– Non, mais l'heure presse… Viens-tu?.. Mais enfin du linge… des vêtements?

– Tu m'en prêteras, Lucien, répondit Belissan avec une touchante mélancolie, tu m'en donneras des vêtements; les hommes sont frères.

– De l'argent.

– Je partagerai avec toi, bon Lucien; les hommes sont égaux, va.

– A la bonne heure! dit Lucien;

Il est malade ou fou, pensa-t-il; ce petit voyage ne peut que lui faire du bien, je l'emmène.

– Adieu, vil égout, vil Paris, dit dédaigneusement le clerc en se jetant sur le coche.

Et voilà comment Claude Belissan quitta Paris.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 сентября 2017
Объем:
140 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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