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Читать книгу: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P)», страница 31

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Toute architecture établie sur des principes logiques et sur des méthodes dérivées de ces principes, ne saurait s'arrêter en chemin; il faut nécessairement qu'elle procède par une suite de déductions. Ce phénomène s'observe chez les Grecs, comme chez nous pendant le moyen âge.

Toute découverte découlant de l'application méthodique d'un principe est le point de départ de nouvelles formes.

Il semble que l'art de l'architecture, qui est une création du second ordre, procède comme la nature elle-même, qui, sans se départir jamais du principe primitif, développe les conséquences en conservant toujours une trace de son point de départ. Si nous avons été saisis d'un profond sentiment de curiosité et d'intérêt philosophique en étudiant peu à peu l'architecture du moyen âge en France, c'est que nous avons reconnu, dans les développements de cet art, un système créateur qui nous reporte à ces tâtonnements logiques de la nature en travail de ses oeuvres. Cet art, si étrangement méconnu, et dont le premier tort est de s'être développé chez nous, le second d'exiger, pour être compris, une tension de l'esprit, ne procède point, comme de nos jours, par une succession de modes; mais par une filiation non interrompue dans l'application des principes admis. Si bien qu'en décomposant un édifice du XVe siècle, on peut y retrouver le développement de ce que ceux du XIIe siècle donnent en germe, et que, en présentant une suite d'exemples choisis entre ces deux époques extrêmes, on ne saurait, en aucun point, marquer une interruption. De même, dans l'ordre de la création, l'anatomie comparée présente, dans la succession des êtres organisés, une échelle dont les degrés sont à peine sensibles, et qui nous conduit, sans soubresauts, du reptile à l'homme. C'est pour cela que nous donnons réellement à cette architecture, comme à celle de la Grèce, le nom d'art, c'est-à-dire que nous la considérons comme une véritable création, non comme un accident.

Ne perdons pas de vue les exemples précédents. Dans ces exemples, la même méthode de tracé est adoptée; l'expérience, le besoin auquel il faut satisfaire, le sentiment d'un mieux, d'une perfection absolue, guident évidemment l'artiste. Il s'agit de soumettre la matière à une forme appropriée à l'objet, en la dégageant de tout le superflu, en lui donnant l'apparence qui indique le mieux sa fonction. Les architectes ne se contentent pas encore des résultats obtenus, car l'hiératisme est l'opposé de cet art, toujours en quête de nouvelles applications, toujours cherchant, mais sans abandonner le principe créateur. Dans ces derniers exemples, la matière a été réduite déjà à son minimum de force; amoindrir encore les résistances, c'était se soumettre aux éventualités les plus désastreuses. Mais le minimum de force obtenu, il s'agit de donner à ces membres une apparence plus légère, sans inquiéter le regard. Les architectes ont observé que les nerfs saillants ajoutés aux boudins, donnent à ceux-ci une apparence de fermeté, de résistance qui, loin de détruire l'effet de légèreté, l'augmente encore. Ils observent que les corps soumis à une pression, comme les arcs de pierre, résistent en raison, non de leur surface réelle, mais de la figure donnée à cette surface. Le principe que nos ingénieurs modernes ont appliqué avec l'exacte connaissance des lois de résistance des corps, à la fonte de fer, par exemple, les architectes du moyen âge cherchent à l'appliquer à la pierre, mais en tenant compte des qualités propres à cette matière, qui est loin d'avoir la force de cohésion du métal.


En effet, si une colonne de fonte dont la section horizontale (fig. 24) est A résiste à une pression beaucoup plus considérable que celle dont la section est B (ces deux sections ayant d'ailleurs la même surface), il est évident qu'on ne peut donner à une colonne de pierre la section A, parce qu'il y aurait rupture sous la charge en a. Mais si une pile de pierre, au lieu d'être taillée suivant la section horizontale C, est taillée sur le panneau D (à surfaces égales d'ailleurs), la pile D devra résister à une pression plus forte que celle C, les évidements n'étant pas assez prononcés pour qu'on ait à redouter des ruptures en b. À l'oeil, la pile D paraîtra et plus légère et plus résistante que celle C. Ajoutons encore que la pierre à bâtir, étant extraite en parallélipipèdes, à surfaces égales de lits, le morceau D est plus voisin, taillé, de l'équarrissement du bloc que le morceau C. Le panneau D profite mieux de la forme naturelle de la pierre que le panneau C. Mais pourquoi la pile D résistera-t-elle mieux à une charge, à une pression, que la pile C, puisque, après tout, le développement de la paroi externe ne donne pas pour les pierres, comme pour le métal, une croûte d'autant plus résistante qu'elle est plus étendue, les sections étant égales? C'est que la section D, présentant plus d'assiette, est moins sujette à subir une déviation, et, par suite, un surcroît de charge sur un point. De même, dans le tracé des arcs, la résistance à la pression étant exactement résolue par la section def (voy. en E), nous augmenterons, non pas tant cette force de résistance par les appendices ghi, que nous empêcherons la déviation des claveaux de l'arc, déviation qui, en portant un surcroît de pression sur un point, pourrait causer une rupture.

Nous avons fait assez ressortir ailleurs 364 comment les architectes de l'école laïque avaient adopté un principe de structure basé sur l'équilibre, et, par suite, comment ils avaient admis l'élasticité des bâtisses comme un moyen de stabilité. Admettant l'élasticité dans la structure, il fallait nécessairement en admettre les conséquences dans les détails; c'est-à-dire, dans le tracé des arcs, un système d'étrésillonnements, de butées latérales. Les boudins des arcs n'ont pas d'autre fonction. Nous avons vu (fig. 19) comment, lorsque ces architectes se défiaient de la qualité des pierres, lorsqu'ils les trouvaient fières, les évidements étaient engraissés et même remplacés par des baguettes formant, par la multiplicité des noirs et des membres grêles, une opposition avec les boudins, afin de laisser à ceux-ci toute leur valeur. Mais ces boudins, souvent très-détachés, comme dans les exemples (fig. 20 et 23), si les matériaux n'avaient pas une force de cohésion et de résistance considérable 365, se fêlaient dans la gorge par l'effet d'une pression inégale. Les architectes, vers la fin du XIVe siècle, ayant eu l'occasion de remarquer ces ruptures, prétendirent y remédier, sans toutefois diminuer l'apparence légère des profils d'arcs, et même en appuyant sur cette apparence de légèreté.



Aussi les voyons-nous (fig. 25) adopter des profils d'arcs dans lesquels les membres, moins détachés de la masse, acquièrent cependant une apparence d'extrême délicatesse. La méthode pour tracer ces arcs est la même que celle admise dans les exemples derniers. La surface aa', bc (voy. le profil d'arc-doubleau A) est la surface de résistance minimum, les deux lignes ac, a'b étant à 60º. Aucun évidement ne vient entamer cette surface, mais les membres supplémentaires, les boudins nervés, donnent du roide au claveau et s'opposent à sa déviation. Bien que larges, les cavets laissent de fortes attaches aux boudins, et ceux-ci prennent une apparence à la fois plus légère et plus ferme par l'adjonction des nerfs saillants très-prononcés. Le tracé A, après toutes nos définitions précédentes, n'a pas besoin d'être décrit.

C'est toujours par des sections de lignes à 60º, 45º et 30º que les centres sont obtenus. On voudra bien jeter les yeux sur le tracé B d'un boudin inférieur et sur la manière de trouver les centres des contre-courbes du nerf, les lignes ef étant à 60º. Mais les boudins inférieurs, d'un diamètre plus fort que les autres, présentent latéralement des surfaces molles en regard des autres boudins nervés d'un diamètre plus faible. Alors on prétend aussi nerver latéralement ces gros boudins inférieurs (voy. en C); on leur donne ainsi plus de résistance, et on les fait paraître plus détachés et plus légers; cependant la courbe originaire se voit encore en ij, comme pour ne pas laisser périr le principe de tracé. Ces nerfs latéraux donnent une apparence trop prismatique à ces boudins inférieurs: on y renonce promptement, et on relève le nerf latéral sur un axe à 30º (voy. l'exemple D en k). Alors la forme génératrice du boudin inférieur reparaît moins altérée, et c'est à ce parti que les architectes s'arrêtent au commencement du XVe siècle.

Les constructeurs avaient reconnu encore que la force de résistance des claveaux réside en contre-bas de l'extrados, c'est-à-dire en m (voy. le profil D). D'autre part, si nous nous enquérons du moyen de construire les triangles de remplissage des voûtes gothiques, nous voyons que ces triangles sont construits non point à l'aide de couchis et de formes, mais. au moyen de courbes mobiles de bois (voy. CONSTRUCTION, fig. 57, 58, 59 et 60); que ces courbes de bois étaient calées sur l'extrados des arcs-doubleaux, des arcs ogives et des formerets, et qu'il était nécessaire dès lors, soit de pratiquer des entailles biaises sur l'arête des extrados de ces arcs, soit de laisser un petit intervalle entre ces extrados et les remplissages. Les architectes du XVe siècle prennent cette nécessité de construction comme prétexte pour modifier le profil des arcs à leur point de contact avec les remplissages des voûtes; ils pratiquent l'évidement indiqué en o (voy. le profil D) pour recevoir l'about des courbes de bois et cela contribue à donner encore une apparence de légèreté extrême à leurs arcs en les détachant des remplissages et en donnant plus d'importance aux membres latéraux nervés p.



Nous atteignons les dernières expressions de la méthode adoptée pour le tracé des profils d'arcs, pendant la première moitié du XVe siècle. Soit (fig. 26 366) en A un arc-doubleau, composé de deux claveaux superposés. Le boudin inférieur a est tracé d'abord au moyen de deux cercles; abc étant un triangle équilatéral, c'est-à-dire les lignes ab, ac, étant à 60º; le rayon de la contre-courbe du filet eb étant égal au diamètre ae. En f, est posé le centre de la courbe du nerf latéral, plus ou moins éloigné suivant que l'on veut avoir ce nerf plus ou moins accentué. Du centre g est élevée la ligne gh à 30º; de ce même centre g, la ligne gi à 60º. Sur cette ligne gh est placé le centre h du grand cavet, de telle sorte que son arc soit tangent à la ligne gi, pour ne pas affamer le triangle de résistance. Du point h est élevée la verticale hk. La demi-largeur du claveau lm étant fixée, le second boudin aura pour diamètre l'intervalle entre les deux verticales kh, ln.

Le nerf de ce boudin sera sur l'axe op à 60º; de telle sorte que la saillie du nerf ne déborde pas l'épannelage donné par la ligne ln prolongée. Du centre p une ligne pq est élevée à 60º. Sur cette ligne est posé le centre r du petit cavet dont le rayon est égal à celui du boudin p. La verticale ln donne le filet supérieur. Le centre du boudin du deuxième claveau est posé sur la ligne pq à 60º; le nerf de ce boudin sur un axe à 60º partant de ce centre; le centre du cavet inférieur sur une ligne à 30º, et le centre du congé supérieur sur la ligne pq, le chanfrein s restant pour poser les courbes de bois. Le mode de tracé se simplifie; on renonce décidément à laisser voir la courbe originaire du gros boudin inférieur (voy. le tracé B); on ne laisse plus voir de la courbe originaire des boudins secondaires que celle externe. On pose les nerfs de ces boudins sur des axes verticaux, et on les trace comme l'indique le détail C, en n'employant pour placer les centres que les lignes à 30º et 60º. Notre figure s'explique d'ailleurs d'elle-même. Il faut remarquer que si, dans ce dernier exemple, le triangle de résistance a été affamé en t par la courbe du grand cavet dont le centre est en v, on a augmenté la résistance du boudin inférieur devenu un prisme concave. Ainsi a-t-on donné du champ à la résistance. L'effet de légèreté et de fermeté en même temps est accusé par les boudins à nerfs verticaux et par les cavets qui suppriment la partie interne de la courbe des boudins. La taille est moins compliquée et la forme plus compréhensible.

Ainsi sommes-nous arrivés, par une suite de transitions presque insensibles et toutes dérivées d'une méthode uniforme, des exemples donnés figures 18 et 19 à celui-ci; et cependant, si l'on ne tenait compte des intermédiaires, il serait difficile d'admettre que le dernier de ces profils n'est qu'une déduction des premiers.

Peut-être pensera-t-on que nous nous sommes trop étendu sur ces détails de l'architecture du moyen âge; mais nous trouvions là une occasion de faire ressortir l'esprit de méthode, le sens logique qui guident les architectes de l'école laïque naissant au XIIe siècle.

Le travail d'analyse auquel nous nous sommes livrés à propos des profils d'arcs pourrait être fait sur toutes les parties qui constituent l'architecture de ces temps; on suivrait ainsi pas à pas, par province, les tâtonnements, l'établissement des méthodes et les perfectionnements incessants de cette architecture française, qu'il est permis de ne point admirer (c'est là une affaire de goût), mais à laquelle on ne saurait refuser l'unité, la science, la profondeur logique, des principes arrêtés et bien définis, la souplesse et des éléments de perfectibilité.

En fait d'architecture, les fantaisistes de notre temps n'ont pas toujours été heureux dans leurs essais, nos monuments récents trahissent leurs efforts; ce qui tendrait à prouver que l'art de l'architecture ne peut se passer d'une méthode jointe aux qualités que nous venons d'énumérer; et qu'au lieu de repousser l'étude de l'art du moyen âge, il y aurait de fortes raisons de la cultiver, ne serait-ce que pour connaître par quels moyens les maîtres de ces temps sont arrivés à produire de si grands effets, et aussi pour ne pas rester au-dessous de leurs oeuvres. Cela, nous en convenons, exigerait du travail, beaucoup de travail; et il est si facile de nier l'utilité d'une chose qu'on ne veut pas se donner la peine d'apprendre!

Certaines personnes ne pouvant parvenir à faire une équation, prétendent bien que l'algèbre n'est qu'un grimoire! Pourquoi serions-nous surpris d'entendre nier le sens logique, la cohésion et l'utilité pratique de cet art que nous avons laissé perdre et dont nous ne savons comprendre ni utiliser les ressources!

Les méthodes suivies pour le tracé des profils d'arcs sont invariables, parce qu'un arc est toujours vu suivant tous les angles possibles. Quelle que soit la hauteur à laquelle il est placé, sa courbure présente à l'oeil, ses côtés, son intrados sous tous les aspects; mais il n'en est pas ainsi d'un bandeau, d'une base, d'un tailloir, d'un profil horizontal en un mot, dont la position peut, par l'effet de la perspective, masquer, ou tout au moins diminuer une partie des membres. Les Grecs avaient évidemment tenu compte de la place dans le tracé des profils; mais leurs édifices étant relativement de petite dimension, les déformations perspectives ne pouvaient avoir une grande importance. Les Romains ne paraissent pas s'être préoccupés de l'influence de la perspective sur les profils. Ceux-ci sont tracés d'une manière absolue, suivant un mode admis, sans tenir compte de la position qu'ils occupent au-dessus de l'oeil. Il ne paraît pas que pendant la période romane on ait modifié le tracé des profils en raison de leur place; mais à dater du commencement du XIIIe siècle, l'étude des effets de la perspective sur les profils apparaît clairement. Nous en trouvons un exemple remarquable dans la cathédrale d'Amiens élevée de 1225 à 1230. Les bandeaux intérieurs, les bases et tailloirs du triforium sont tracés en raison du point de vue pris du pavé de l'église (voy. TRIFORIUM).



Voici comment a procédé l'architecte de la nef de Notre-Dame d'Amiens pour le tracé des tailloirs et des bases des colonnettes de la galerie (fig. 27). L'angle visuel le plus fermé, perpendiculaire à la nef, permettant d'apercevoir les tailloirs, est de 60º. Le profil a été tracé suivant la méthode indiquée en A, méthode qui n'a pas besoin d'être décrite après les démonstrations précédentes.

D'après cet angle visuel, le tailloir se trouve réduit, par la perspective, au profil A'. En s'éloignant dans le sens longitudinal, c'est-à-dire en regardant les chapiteaux des travées au delà de celle en face de laquelle on se trouve, il est évident que l'on voit le profil se développer sans qu'il prenne jamais cependant l'importance en hauteur, par rapport aux saillies, que lui donne le géométral. Pour les bases, le profil est celui indiqué en B. Les regardant suivant l'angle de 60º qui a servi à les tracer, on ne peut voir que les membres indiqués en B'; mais en prenant un peu plus de champ, de manière à les voir suivant un angle de 45º, le profil donné par la perspective est celui B", qui est satisfaisant et en rapport de proportions avec les colonnettes.

En général, dans les édifices gothiques, l'inclinaison de l'angle visuel influe sur le tracé des profils; il est donc important, lorsqu'on relève ceux-ci, de mentionner leur place. Nous ne saurions trop insister sur les différences de tracé des profils intérieurs et des profils extérieurs dans l'architecture gothique. Sur la façade de la cathédrale de Paris, les profils se développent en hauteur par rapport à leur saillie, en raison de l'élévation à laquelle ils sont placés; si bien que les tailloirs des chapiteaux de la grande galerie à jour sont pris dans une assise égale à celle du chapiteau. De la place du parvis, cependant, ces tailloirs ne paraissent pas avoir plus du quart de la hauteur du chapiteau.

Dans les intérieurs, les profils horizontaux, afin de ne pas perdre de leur importance, et de ne point interrompre les lignes verticales qui dominent, n'ont qu'une faible saillie. Mais à l'extérieur, force était autant pour abriter les parements que pour obtenir de grands effets d'ombres de donner aux profils une saillie prononcée; on observera dans ce cas qu'ils sont toujours amortis à leur partie supérieure par le glacis, plus ou moins incliné au-dessus de 45º, qui les relie aux nus supérieurs, en évitant ainsi l'effet toujours fâcheux des saillies horizontales qui masquent une portion des élévations et diminuent d'autant la hauteur des édifices. Il est clair, par exemple, que si l'on décore une façade de profils tels que ceux indiqués en A (fig. 28), les rayons visuels étant suivant les lignes ab, les parties verticales cd sont entièrement perdues pour l'oeil, qui ne peut les deviner; le monument paraît s'abaisser d'autant.



Mais si les profils sont tracés suivant le dessin B, les rayons visuels suivant et découvrant les glacis, ceux-ci ne masquent aucune portion des parements, qui conservent leur élévation réelle, et par conséquent leurs rapports de proportions.

Cela est élémentaire, et il semblerait qu'il fût inutile de le démontrer; cependant on ne semble pas se préoccuper dans notre architecture moderne de ces lois si simples, et chaque jour nous voyons les artistes eux-mêmes être fort surpris qu'une élévation bien mise en proportion en géométral, ne produise plus, à l'exécution, l'effet auquel on s'attendait.

Dans le cours de cet ouvrage, nous avons eu maintes occasions de présenter des tracés de profils, nous ne croyons donc pas nécessaire de nous étendre plus longtemps sur cet objet. Ce que nous tenions à démontrer ici, c'est que le hasard ou la fantaisie n'ont été pour rien dans le tracé des profils de l'architecture du moyen âge, que ceux-ci sont soumis à des lois établies par les nécessités de la structure et sur une entente judicieuse des effets.

PROPORTION, s. f. Les Grecs avaient un mot pour désigner ce que nous entendons par proportion: [Grec: summetria], d'où nous avons fait symétrie, qui ne veut nullement dire proportion; car un édifice peut être symétrique et n'être point établi suivant des proportions convenables ou heureuses. Rien n'indique mieux la confusion des idées que la fausse acception des mots; aussi ne s'est-on pas fait faute de confondre dans l'art de l'architecture, depuis le XVIe siècle, la symétrie, ou ce qu'on entend par la symétrie, avec les rapports de proportions; ou plutôt a-t-on pensé souvent satisfaire aux lois des proportions en ne se contentant que des règles de la symétrie.

L'artiste le plus vulgaire peut adopter facilement un mode symétrique; il lui suffit pour cela de répéter à gauche ce qu'il a fait à droite, tandis qu'il faut une étude très-délicate pour établir un système de proportions dans un édifice, quel qu'il soit. On doit entendre par proportions, les rapports entre le tout et les parties, rapports logiques, nécessaires, et tels qu'ils satisfassent en même temps la raison et les yeux. À plus forte raison, doit-on établir une distinction entre les proportions et les dimensions. Les dimensions indiquent simplement des hauteurs, largeurs et surfaces, tandis que les proportions sont les rapports relatifs entre ces parties suivant une loi. «L'idée de proportion, dit M. Quatremère de Quincy dans son Dictionnaire d'Architecture, renferme celle de rapports fixes, nécessaires, et constamment les mêmes, et réciproques entre des parties qui ont une fin déterminée.» Le célèbre académicien nous paraît ne pas saisir ici complétement la valeur du mot proportion. Les proportions, en architecture, n'impliquent nullement des rapports fixes, constamment les mêmes entre des parties qui auraient une fin déterminée, mais au contraire des rapports variables, en vue d'obtenir une échelle harmonique. M. Quatremère de Quincy nous semble encore émettre une idée erronée, s'il s'agit des proportions, lorsqu'il ajoute:

«Ainsi il est sensible que toutes les créations de la nature ont leurs dimensions, mais toutes n'ont pas des proportions. Une multitude de plantes nous montrent de telles disparates de mesures, de si nombreuses et de si évidentes, qu'il serait, par exemple, impossible de déterminer avec précision la mesure réciproque de la branche de tel arbre avec l'arbre lui même.» L'auteur du Dictionnaire confond ainsi les dimensions avec les proportions; et s'il eût consulté un botaniste, celui-ci lui aurait démontré facilement qu'il existe au contraire, dans tous les végétaux, des rapports de proportions établis d'après une loi constante entre le tout et les parties. M. Quatremère de Quincy méconnaît encore la loi véritable des proportions en architecture, lorsqu'il dit: «C'est qu'un vrai système de proportions repose, non pas seulement sur des mesures de rapports générales, comme seraient ceux, par exemple, de la hauteur du corps avec sa grosseur, de la longueur de la main avec celle du bras, mais sur une liaison réciproque et immuable des parties principales, des parties subordonnées et des moindres parties entre elles. Or, cette liaison est telle que chacune, consultée en particulier, soit propre à enseigner, par sa seule mesure, quelle est la mesure, non-seulement de chacune des autres parties, mais encore du tout, et que ce tout puisse réciproquement, par sa mesure, faire connaître quelle est celle de chaque partie.» Si nous comprenons bien ce passage, il résulterait de l'application d'un système de proportions en architecture, qu'il suffirait d'admettre une sorte de canon, de module, pour mettre sûrement un monument en proportion, et qu'alors les proportions se réduiraient à une formule invariable, d'une application banale. «Voilà, ajoute encore M. Quatremère de Quincy, ce qui n'existe point et ne saurait se montrer dans l'art de bâtir des Égyptiens, ni dans celui des gothiques; plus inutilement, encore le chercherait-on dans quelque autre architecture. Et voilà quelle est la prérogative incontestable du système de l'architecture grecque.» Il faut convenir que ce serait bien malheureux pour l'art grec s'il en était ainsi, et que si cet art se réduisait, lorsqu'il s'agit de proportions, à l'application rigoureuse d'un canon, le mérite des artistes grecs se bornerait à bien peu de choses, et les lois des proportions à une formule.

Les proportions en architecture dérivent de lois plus étendues, plus délicates et qui s'exercent sur un champ bien autrement libre. Que les architectes grecs aient admis un système de proportions, une échelle harmonique, cela n'est pas contesté ni contestable; mais de ce que les Grecs ont établi un système harmonique qui leur appartient, il ne s'en suit pas que les Égyptiens et les gothiques n'en aient pas aussi adopté un chacun de leur côté. Autant vaudrait dire que les Grecs, ayant possédé un système harmonique musical, on ne saurait trouver dans les opéras de Rossini et dans les symphonies de Beethowen que désordre et confusion, parce que ces auteurs ont procédé tout autrement que les Grecs. Quoi qu'en ait dit M. Quatremère de Quincy, les proportions en architecture ne sont pas un canon immuable, mais une échelle harmonique, une corrélation de rapports variables, suivant le mode admis. Les Grecs eux-mêmes n'ont pas procédé comme le suppose l'auteur du Dictionnaire, et cela est à leur louange, car il existe dans leurs ordres mêmes des écarts notables de proportions; les proportions sont chez eux relatives à l'objet ou au monument, et non pas seulement aux ordres employés. Nous avons expliqué ailleurs 367 comment certaines lois dérivées de la géométrie avaient été admises par les Égyptiens, par les Grecs, les Romains, les architectes byzantins et gothiques, lorsqu'il s'agissait d'établir un système de proportions applicable à des monuments très-divers; comment ces lois n'étaient point un obstacle à l'introduction de formes nouvelles; comment, étant supérieures à ces formes, elles ont pu en gouverner les rapports de manière à présenter un tout harmonique à Thèbes aussi bien qu'à Athènes, à Rome aussi bien qu'à Amiens ou à Paris; comment les proportions dérivent, non point d'une méthode aveugle, d'une formule inexpliquée et inexplicable, mais de rapports entre les pleins et les vides, les hauteurs et les largeurs, les surfaces et les élévations, rapports dont la géométrie rend compte, dont l'étude demande une grande attention, variable d'ailleurs, suivant la place et l'objet; comment, enfin, l'architecture n'est pas l'esclave d'un système hiératique de proportions, mais au contraire peut se modifier sans cesse et trouver des applications toujours nouvelles, des rapports proportionnels, aussi bien qu'elle trouve des applications variées à l'infini, des lois de la géométrie; et c'est qu'en effet les proportions sont filles de la géométrie aussi bien en architecture que dans l'ordre de la nature inorganique et organique.

Les proportions en architecture s'établissent d'abord sur les lois de la stabilité, et les lois de la stabilité dérivent de la géométrie. Un triangle est une figure entièrement satisfaisante, parfaite, en ce qu'elle donne l'idée la plus exacte de la stabilité. Les Égyptiens, les Grecs, sont partis de là, et plus tard les architectes du moyen âge n'ont pas fait autre chose. C'est au moyen des triangles qu'ils ont d'abord établi leurs règles de proportions, parce qu'ainsi ces proportions étaient soumises aux lois de la stabilité. Ce premier principe admis, les effets de la perspective ont été appréciés et sont venus modifier les rapports des proportions géométrales; puis ont été établis les rapports de saillies, des pleins et des vides, qui, pendant le moyen âge du moins, sont dérivés des triangles. Nous avons indiqué même comment dans les menus détails de l'architecture les lignes inclinées à 45º à 60º et à 30º ont été admises comme génératrices des tracés de profils. Les triangles acceptés par les architectes du moyen âge comme générateurs de proportions sont: 1º le triangle isocèle rectangle; 2º le triangle que nous appelons isocèle égyptien. c'est-à-dire dont la base se divise en quatres parties et la verticale tirée du milieu de la base au sommet en deux parties et demie 368; 3º le triangle équilatéral.



Il est évident (fig. 1) que tout édifice inscrit dans l'un de ces trois triangles accusera tout d'abord une stabilité parfaite; que toutes les fois que l'on pourra rappeler, par des points sensibles à l'oeil, l'inclinaison des lignes de ces triangles, on soumettra le tracé d'un édifice aux conditions apparentes de stabilité. Si des portions de cercle inscrivent ces triangles, les courbes données auront également une apparence de stabilité. Ansi le triangle isocèle rectangle A donnera un demi-cercle; le triangle isocèle B et le triangle équilatéral C donneront des arcs brisés, improprement appelés ogives: courbes qui rappelleront les proportions générales des édifices engendrés par chacun de ces triangles. Ce sont là des principes très-généraux, bien entendu, et qui s'étendent à l'application, ainsi que nous allons le voir.

Mais, d'abord, il convient d'indiquer sommairement les découvertes récemment faites par un savant ingénieur des ponts et chaussées, M. Aurès, relatives aux proportions admises chez les Grecs. M. Aurès a démontré dans plusieurs mémoires 369, que pour rendre compte du système de proportions admis par les Grecs, il fallait partir des mesures qu'ils possédaient, c'est-à-dire du pied grec et du pied italique, et en ce qui concerne les ordres, chercher les rapports de mesures, non pas au pied de la colonne, mais à son milieu, entre le soubassement et le chapiteau; c'est-à-dire par une section prise au milieu de la hauteur du fût. Les fûts des colonnes des ordres grecs étant coniques, il est clair que les rapports entre le diamètre de ces colonnes, leur hauteur et leurs entre-colonnements, différeront sensiblement si l'on mesure l'ordre à la base de la colonne au milieu du fût. Or, prenant les mesures au milieu du fût, et comptant en pieds grecs, si l'on est en Grèce, en pieds italiques, si l'on est dans la Grande Grèce, on trouve des rapports de mesure tels, par exemple, que 5 pieds pour les colonnes, 10 pieds pour les entre-colonnements, c'est-à-dire des rapports exacts et conformes aux proportions indiquées par Vitruve. Ce n'est point ici l'occasion d'insister sur ces rapports, il nous suffit de les indiquer, afin qu'il soit établi que les architectes de l'antiquité ont suivi les formules arithmétiques dans la composition de leurs ordres, des rapports de nombres, tandis que les architectes du moyen âge se sont servis des triangles pour obtenir des rapports harmoniques.

364
   Voyez l'article CONSTRUCTION.


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365
   Observons que les arcs tracés dans la figure 23 sont taillés dans un grès très-compacte, de même que ceux tracés dans la figure 20 sont en pierre de Pouillenay, qui est presque aussi résistante que du granit.


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366
   Du choeur de l'église d'Eu.


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367
   Voyez le neuvième entretien sur l'architecture.


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368
   Voyez ce que nous disons à propos de l'emploi de ce triangle à l'article OGIVE, et dans le neuvième entretien sur l'architecture.


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369
   Voyez Théorie du module déduite du texte de Vitruve. Nîmes, 1862.--Étude des dimensions de la Maison carrée de Nîmes, 1864--Étude des dimensions de la colonne Trajane, 1863.--Mémoire à propos des scamilli impares de Vitruve.--Mémoire sur le Parthénon.--Étude des dimensions du monument choragique de Lysicrate.


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