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Читать книгу: «Les esclaves de Paris», страница 56

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XXXI

Après cette promesse qui empruntait aux circonstances une étrange solennité, M. de Mussidan sortit, et André s'affaissa sur le large divan de l'atelier.

Ce courageux artiste, si fort contre l'adversité, succombait dans l'excès de son bonheur. En présence du comte, il avait pu, grâce à des efforts surhumains, maîtriser ses terribles émotions, rester calme quand il était affreusement bouleversé, paraître froid alors qu'il avait comme un brasier dans la tête et dans le cœur.

Seul, il s'abandonnait sans vergogne aux transports de la passion.

Elle est à moi!.. s'écriait-il dans son délire, Sabine est à moi!..

Mais cet accès d'enchantement et d'optimisme dura peu.

Le mirage s'évanouit faisant place au vif sentiment de la réalité.

Oui, Sabine serait à lui… mais quand il aurait su la conquérir. Entre elle et lui se dressaient Croisenois et ses associés. Il se sentait de force à se mesurer seul avec eux tous, mais encore fallait-il les atteindre et les combattre.

– A l'œuvre!.. s'écria-t-il en se levant, à l'œuvre!..

Mais il s'arrêta, prêtant l'oreille.

Il entendait dans son escalier, presque sur son palier, des éclats de rire immodérés. Au-dessus de ce rire qui était celui d'une femme, une voix d'homme grêle et aigre s'élevait, qui paraissait gronder.

André n'eût pas le temps de se demander ce que ce pouvait être, sa porte fut comme enfoncée, et un tourbillon de soie, de velours et de dentelles fit irruption dans l'atelier.

En ce tourbillon, le jeune peintre reconnut, non sans stupeur, la belle Rose-Zora de Chantemille.

Derrière elle venait le jeune M. Gaston, et ce fut lui qui prit la parole.

– C'est nous!.. s'écria-t-il, en personnes naturelles. Hein!.. elle est bonne, celle-là?.. Nous attendiez-vous?

– Pas du tout, je l'avoue.

– C'est une surprise de papa. Pauvre bonhomme!.. Parole d'honneur, je veux embellir sa vieillesse, comme dit Léonce. Ce matin il entre dans ma chambre et me dit: «J'ai fait hier toutes les démarches pour qu'une personne que tu adores soit mise en liberté. Cours donc la chercher.» Hein! c'est gentil, cela. Je cours, Zora joue la fille de l'air, et nous voilà.

André n'écoutait que d'une oreille distraite. Il surveillait Zora-Rose qui tournait autour de l'atelier, en poussant toutes sortes d'exclamations. Elle allait arriver au portrait de Sabine, elle voudrait écarter le rideau, il serait difficile de l'en empêcher.

– Pardon, dit-il, j'ai un tableau à faire sécher…

Et comme le portrait était posé sur un chevalet mobile, il le roula dans sa chambre.

– Maintenant, reprit M. Gandelu fils, il s'agit de célébrer la délivrance et je viens vous chercher pour déjeuner…

– Merci de l'intention, mais j'ai à travailler…

– Ah!.. je la trouve bien bonne, mais vous savez, on ne me la fait plus, vite habillez-vous…

– Véritablement, je ne puis sortir.

Le jeune M. Gaston réfléchit dix secondes, puis tout à coup se frappant le front:

– Vous ne voulez pas venir au déjeuner, s'écria-t-il, eh bien!.. le déjeuner viendra à vous. Ah!.. fameux!.. Je descends le commander.

André s'élança après lui, sur le palier, le rappela, cria, mais en vain, et il rentra aussi contrarié que possible.

Cette contrariété, Rose la remarqua.

– Voilà comment il est, fit-elle, en haussant les épaules. Et il se croit très drôle. Cocodès, va!

Le ton de la jeune femme trahissait un si profond mépris pour M. Gandelu fils, que le jeune peintre la regarda d'un air surpris.

– Cela vous étonne, reprit-elle, ce que je vous dis là!.. On voit bien que vous ne le connaissez pas. Quelle scie!.. Et tous ses amis lui ressemblent. Si vous les écoutiez une heure, vous auriez des nausées. Tenez, rien qu'à me rappeler les soirées passées en leur compagnie, je bâille.

Elle bâilla en effet.

– Si encore il m'aimait, soupira-t-elle.

– Lui!.. mais il vous adore, répondit André qui ne pouvait s'empêcher de trouver Rose pleine de bon sens; il a failli devenir fou pendant que vous étiez là-bas.

Zora-Rose eut un geste que lui eût envié Toto-Chupin.

– Et vous croyez cela!.. s'écria-t-elle. Gaston fou d'une femme!.. Il est trop bête. De moi, savez-vous ce qu'il aime? Les robes qu'il me paie et les diamants qu'il m'achète. Quand les passants me regardent, et qu'ils disent: «Mâtin!.. quel chic!..» mon idiot se dresse sur ses ergots, et il répète comme s'il avait de la bouillie plein la bouche «Ah! mais oui!.. pour du chic nous avons du chic!..» Si j'avais un peignoir d'indienne, il ne me regarderait pas, et cependant… j'en vaux la peine.

Le fait est que l'air de Saint-Lazare n'avait point été défavorable à Rose. Son impudente beauté n'avait jamais eu un tel éclat; elle resplendissait de jeunesse, de vie, de passion et d'insolence…

– Cocodès, poursuivait-elle, gandin, petit crevé!.. Mon nom de Rose écorchait sa vilaine bouche, il m'appelle Zora, un nom de chien. Et je ne le camperais pas là!.. Nous verrons bien. Il a de l'argent, mais je me moque de l'argent, moi. Mon petit Paul n'avait pas le sou, lui, et cependant je l'aimais bien. Dieu!.. m'a-t-il fait rire quelquefois!.. Avec lui je n'avais pas à manger tous les jours, j'étais bien malheureuse… C'est égal, c'était le bon temps.

– Pourquoi l'avez-vous abandonné ce pauvre Paul?..

– Dites-moi, vous, pourquoi il y a du velours à 45 francs le mètre. Je voulais savoir quelle sensation on éprouve quand on se met sur les épaules un cachemire des Indes… Et un beau jour j'ai filé. Mais qui sait?.. Paul allait peut-être me quitter. Il y avait quelqu'un qui cherchait à nous séparer, notre voisin de l'hôtel du Pérou, rue de la Huchette, un vieux singe qu'on appelait le père Tantaine, et qui était clerc d'huissier…

A ce nom, André, positivement, faillit tomber à la renverse. Tantaine!.. un vieux… clerc d'huissier… C'était bien le sien.

Cependant, si vive que fut son impression, il parvint à la cacher.

– Bast!.. fit-il d'un ton léger, quel intérêt pouvait avoir ce bonhomme à vous séparer?

– Je ne sais, répondit Rose, devenue sérieuse, mais à coup sûr il en avait un. On ne donne pas pour rien des billets de banque aux gens, et je lui ai vu donner un billet de 500 francs à Paul. Bien plus, il lui avait promis de lui faire gagner beaucoup d'argent, par l'entremise d'un de ses amis, un placeur nommé Mascarot…

Cette fois, André ne fut pas pris à l'improviste. Il pressentait qu'il allait être question de l'honorable placeur.

Mais son esprit s'épouvantait des proportions que prenait l'intrigue qu'il avait à déjouer. Car il n'en doutait pas: toutes ces manœuvres qu'il découvrait une à une, devaient tendre à un but commun.

André se souvenait, à cette heure, de cette visite que lui avait fait Paul, un jour, sous prétexte de lui remettre vingt francs, et de l'air singulier qu'il avait. Il se rappelait que Paul s'était vanté de gagner un millier de francs par mois, et qu'il n'avait pas su dire où ni à quoi.

– Paul m'a peut-être oubliée, reprit Rose, je le crains. Une fois je l'ai rencontré chez Van Klopen, et il ne m'a rien dit. Il est vrai qu'il était avec ce Mascarot. Mais n'importe, je suis décidée à le chercher, et à lui demander pardon, et il me pardonnera…

De tout ceci, une conclusion très nette ressortait.

Paul était protégé par l'association… donc il lui était utile, il la servait. Rose était persécutée, donc elle gênait.

Voilà ce que pensait André.

– Et même, ajoutait-il, si Catenac a fait enfermer Rose, c'est que les misérables ont quelque chose à craindre d'elle. S'ils ont essayé de la faire disparaître, c'est que sa seule présence peut déranger leurs combinaisons…

Mais il n'eût pas le temps de poursuivre sa déduction. Le fausset du jeune M. Gaston grinçait dans l'escalier. Bientôt il apparut criant:

– Place au festin!.. Que la fête commence!..

Deux garçons de restaurant, en effet, suivaient M. Gandelu fils, chargés de mannes immenses, pleines de provisions.

En tout autre circonstance, André eût été furieux de cette invasion de victuailles, de cette perspective d'un déjeuner qui allait durer au moins deux heures, et mettre tout sens dessus dessous dans son atelier.

Mais, en ce moment, il en était à bénir l'inspiration du jeune M. Gaston; il le trouvait beau, aimable, spirituel, et c'est de la meilleure grâce du monde qu'avec l'aide de Zora-Rose il débarrassait sa grande table, pour qu'on y dressât le couvert.

Seul, le jeune M. Gaston ne faisait rien, il pérorait.

– Ah!.. mes chers bons, disait-il, vite il faut que je vous en conte une forte!.. Imaginez-vous que le marquis de Croisenois, Henri, un de mes intimes amis, fonde une société industrielle.

André faillit lâcher une carafe qu'il tenait.

– Qui vous l'a dit? demanda-t-il vivement.

– Parbleu?.. une grande affiche jaune qui le crie à tous les passants. Mines de Tifila, société en commandite! Non, j'en ferai une maladie. Capital: quatre millions! Pas dégoûté, le marquis. Farceur! Et du pain?

La figure du jeune peintre trahissait un si complet ébahissement, que M. Gandelu fils éclata de rire.

– Pas vrai, qu'elle est drôle?.. reprit-il. On dirait que vous attendez l'omnibus de Chaillot. Voilà juste comment je suis resté devant cette diablesse d'affiche, le bec grand ouvert. Croisenois directeur d'une compagnie!.. Ah!.. il va me la payer! J'aurais lu dans un journal que vous étiez nommé pape, que je n'aurais pas été plus ébaubi. Mines de Tifila! As-tu fini! Tifila!.. On ne nous la fait plus, ah! mais non! Les actions sont de 500 francs. C'est pour rien, parole d'honneur! mais je n'ai pas de monnaie sur moi, vous passerez après le demi-terme…

Cependant le déjeuner était servi, les garçons du restaurant s'étaient retirés, le jeune M. Gaston, de sa voix la plus aigre, criait: «A table! A table!!..»

Mais, hélas! ce déjeuner qui commençait le plus gaiement du monde devait mal finir.

M. Gandelu fils qui n'avait pas la tête bien solide, eut le tort de boire outre mesure. Bientôt les vapeurs du vin se mêlant dans son étroite cervelle, aux fumées de la vanité, le peu de bon sens qu'il avait disparut, et il commença à accabler Zora-Rose de reproches amers, ne comprenant pas, disait-il, comment un homme tel que lui, sérieux et destiné à jouer un grand rôle dans la société, avait pu se laisser séduire par une femme comme elle.

Certes, le jeune M. Gaston possédait un joli répertoire d'invectives, mais Rose, sur ce chapitre était encore plus forte que lui. On l'attaquait, elle se défendit, et si vivement, que M. Gandelu fils, se sentant écrasé, se leva furieux, prit son chapeau et sortit en déclarant qu'il ne reverrait Zora de sa vie, qu'il lui abandonnait de bon cœur tout ce qu'elle tenait de sa générosité, mobilier et toilettes, trop heureux s'il pouvait, à ce prix, être débarrassé d'elle à tout jamais.

Ce départ ne contraria pas trop André. Restant en tête à tête avec la jeune femme, il se flattait d'obtenir d'elle, avec un peu d'adresse, une biographie exacte de ce Paul, qu'il comptait maintenant parmi ses adversaires.

Vain espoir! Zora-Rose, elle aussi était exaspérée, on l'eût été à moins, et elle ne voulut rien entendre.

Elle reprit en toute hâte son grand manteau de velours, noua son chapeau au hasard, et sans même donner un coup d'œil à la glace, elle s'envola, non sans avoir affirmé qu'elle allait se mettre en quête de Paul, qu'elle le retrouverait, et qu'elle saurait bien le décider à demander raison à Gaston de ses insultes.

Tout cela s'était passé si rapidement, que le jeune peintre en était comme ébloui.

C'était à croire que la Providence, se déclarant décidément pour lui, n'avait envoyé ces intéressants amoureux que pour lui fournir des renseignements nouveaux, positifs et de la plus haute importance.

Et dans le fait, les déclarations de Rose, si incomplètes qu'elles fussent, éclairaient toute une partie de l'intrigue, enveloppée jusqu'alors d'épaisses ténèbres.

Les relations de Paul avec le père Tantaine expliquaient la peine que s'était donné Catenac pour faire enfermer Rose, et par contre les fausses signatures arrachées à l'inepte confiance du jeune M. Gaston.

Mais, d'un autre côté, que signifiait cette société industrielle lancée par le marquis de Croisenois en même temps qu'il sollicitait la main de Mlle de Mussidan?

André pensa qu'il devait, avant tout, s'occuper de ce détail, et sans même songer à échanger sa vareuse rouge contre un paletot, il descendit et courut au coin de la rue des Martyrs où M. Gandelu fils lui avait dit avoir vu l'affiche.

Elle était toujours à sa place, éblouissante, tirant l'œil à vingt pas, séduisante assez pour faire tressaillir les écus du plus timide capitaliste.

Rien n'y manquait, pas même une vue de TIFILA (Algérie), une superbe vignette, qui représentait quantité de travailleurs roulant sur des brouettes le précieux minerai.

Tout en haut, le nom de Croisenois resplendissait en lettres d'un demi-pied.

Il y avait bien cinq minutes qu'André contemplait ce chef-d'œuvre, quand un éclair de prudence traversa son esprit.

– Malheureux!.. se dit-il, que fais-je ici? Qui sait combien de coquins épient sur ma physionomie la trace de mes sensations et de mes projets!..

A cette pensée, il regarda vivement autour de lui; mais dans un rayon de plus de cent pas il n'aperçut aucune figure suspecte.

– Ah!.. n'importe, murmura-t-il, n'importe, il faut rentrer et chercher et imaginer un expédient pour faire perdre mes traces.

Dépister ses surveillants!.. le succès était à ce prix, il ne le comprenait que trop. Comment atteindre et frapper les misérables, si informés de ses moindres démarches, ils avaient toujours le loisir de se mettre en garde?..

Aussi, lorsqu'il eût regagné son logis, il ne s'occupa plus que du moyen de glisser entre les mains de ses espions. Bientôt il crut l'avoir découvert.

Sous ses fenêtres s'étendait un grand jardin qui dépendait d'une institution dont la façade se trouvait dans la rue de Laval prolongée. Un mur qui n'avait pas sept pieds de haut séparait seul la cour de sa maison de ce jardin.

Pourquoi ne s'évaderait-il pas par là?

– Je puis, se disait-il, me déguiser de façon à me rendre méconnaissable et demain, au petit jour, franchir le mur et m'esquiver par la rue du Laval, pendant que mes espions feront le pied de grue rue de la Tour d'Auvergne, devant ma porte. Ai-je besoin de loger ici plutôt qu'ailleurs? Non. Eh bien! tant que durera ma campagne, je demanderai l'hospitalité à Vignol, qui m'aidera au besoin.

Ce Vignol était un ami d'André, un brave et loyal garçon, qui, en son absence dirigeait les travaux de la maison de M. Gandelu.

– De cette façon, pensait-il, j'échappe si complétement à Croisenois et à sa bande, que je pourrai presque me mêler à leur jeu sans qu'ils me devinent. Il me faudra aussi cesser de voir tous ceux qui ont consenti à m'aider, M. de Breulh, M. de Mussidan, ce brave père Gandelu, mais la poste est là. Pour les cas pressants j'aurai le télégraphe, et il sera discret, car je vais choisir des termes de convention et en aviser mes correspondants.

Sa résolution était prise; il écrivit à ces trois personnages qui s'intéressaient à lui, une longue lettre où il expliquait son plan.

La nuit tombait lorsqu'il eut fini: il ne pouvait rien entreprendre à cette heure: il alla dîner dans les environs, puis ayant mis ses lettres à la poste, il rentra afin de préparer son travestissement, de le «répéter,» pour ainsi dire.

Après s'être demandé quelle situation sociale serait le plus favorable à ses desseins, il avait décidé qu'il tâcherait de se donner l'apparence de ces malfaisants gredins qu'on rencontre le jour dans les estaminets borgnes de l'ancienne banlieu, autour des billards crasseux, et le soir à la porte des théâtres et des bals publics.

Le costume, il l'avait sous la main, parmi ses vieilles hardes de travail. Une blouse bleu, un vieux pantalon à larges carreaux, de mauvaises chaussures et une casquette au rebut depuis des années, faisaient l'affaire.

Restait à changer le visage, et c'est à cette tâche que André s'appliqua.

Il commença par couper sa barbe, très peu forte, mais qu'il portait entière, puis il tailla ses cheveux sur le devant, de façon à ménager deux mèches qu'il lissa et colla sur ses tempes, avec force cosmétique.

Cela fait, il chercha quelques pains de couleur pour l'aquarelle, et armé d'un pinceau il commença son œuvre de «maquillage,» œuvre bien plus difficile qu'on ne croit.

Se barbouiller n'est rien, il faut pour se déguiser modifier le mouvement général de la physionomie. On n'arrive à ce résultat qu'en altérant la bouche et les yeux sièges principaux de l'expression.

André, quoique peintre, ignorait cela. Aussi n'est-ce qu'après de long tâtonnements qu'il obtint un résultat passable. Il s'habilla alors, il tortilla autour de son cou une vieille cravate, et sut placer sa casquette selon le genre, de côté, la coiffe aplatie en arrière, la visière cachant l'œil droit.

Quand, ainsi équipé, il se regarda dans la glace, il se jugea hideux. En artiste consciencieux cependant, il cherchait les défauts de son œuvre pour les corriger, lorsqu'on frappa à sa porte.

Il était neuf heures, il n'attendait personne, les garçons du restaurant étaient venus rechercher leur vaisselle; quel visiteur lui arrivait donc? Ce ne pouvait être que sa concierge, et il était bien décidé à ne pas se laisser voir par elle, n'ayant en la discrétion de Mme Poileveu qu'une confiance très limitée.

Qui est là? demanda-t-il.

– Moi!.. répondit une voix plaintive, moi, Gaston.

Fallait-il se défier de ce garçon? Le jeune peintre jugea que non; il alla ouvrir.

Oui, c'était bien M. Gandelu fils, mais en quel état!.. Pâle, chancelant, la figure absolument décomposée.

Il se laissa tomber plutôt qu'il ne s'assit sur un fauteuil.

– Est-ce que M. André est sorti? balbutia-t-il, je croyais avoir entendu sa voix.

Ainsi il était dupe du travestissement. Ce triomphe ravit André, et lui apprit en même temps qu'il devait surveiller sa voix comme tout le reste.

– Quoi!.. dit-il, vous ne me reconnaissez pas!.. Regardez-moi donc.

Il fallut encore au jeune M. Gaston dix minutes d'examen.

– Ah! c'est vous, murmura-t-il enfin, avec un triste sourire, elle est mauvaise, c'est-à-dire non, elle est bien bonne! mais je ne sais plus ce que je dis.

Il était clair qu'une catastrophe avait dû fondre sur M. Gandelu fils. Ce ne pouvait être sa griserie du matin, qui le réduisait à cet excès de prostration.

– Mais vous-même, demanda André, qu'avez-vous, qu'y a-t-il…

– Il y a, mon cher bon, que je viens vous faire mes adieux!.. En sortant de chez vous, j'irai me brûler la cervelle, n'importe où…

– Êtes-vous fou!..

Le jeune M. Gaston se frappa le front d'un air funèbre.

– Pas la moindre fêlure, répondit-il, seulement l'échéance des faux billets est arrivée… Chanter ou mourir… Je ne veux pas chanter. Ce soir, comme je sortais de table, ayant dîné avec papa, le valet de chambre vint me dire à l'oreille qu'un vieux monsieur m'attend dans la rue. J'y cours, et je trouve un espèce de mendiant en redingote crasseuse, sale, repoussant, ignoble…

– Le père Tantaine!.. s'écria André.

– Ah!.. je ne sais pas son nom!.. Il m'a déclaré d'un ton doucereux que le porteur de mes billets est décidé à les adresser au procureur impérial demain avant midi, mais qu'il me reste cependant un moyen de salut.

– Et ce moyen est de partir avec Rose pour l'Italie.

La surprise de M. Gandelu fils fut si forte, qu'il se redressa d'un bond.

– Qui vous l'a dit?.. s'écria-t-il.

– Personne… je devine. C'est afin de pouvoir, à un moment donné, vous imposer ce départ précipité, qu'on vous a fait imiter la signature de M. Martin-Rigal. Et qu'avez-vous répondu?..

– Que je la trouvais mauvaise et que je ne partirais pas. C'est niais, absurde, idiot, je le sais, mais, je suis comme cela, coulé d'un bloc, en acier. D'ailleurs, je vois le plan: le lendemain de ma fuite on irait trouver papa pour l'engager à chanter et il chanterait. Ah!.. mais non!.. Pauvre bonhomme! Mieux vaudrait lui donner un coup de couteau dans le dos, que de lui dire que son fils est un faussaire. C'est pourquoi je suis allé acheter le coquet petit revolver que voici, et dans une heure tout sera fini…

André n'écoutait plus, il arpentait d'un pas fiévreux son atelier. Évidemment il tenait entre ses mains la vie de ce malheureux garçon. Quel parti prendre?..

Lui conseiller de partir, c'était éloigner Rose, se priver d'une chance considérable de succès.. Le laisser faire… il ne le pouvait pas; il ne pouvait oublier ce que le père de Gaston avait fait pour lui.

– Écoutez-moi, Gaston, dit-il enfin, j'ai une idée du salut, et je vous la soumettrai quand nous serons hors d'ici. Seulement pour des raisons qu'il serait trop long de vous expliquer, il faut que je gagne la rue sans passer par la porte de ma maison… je le peux si vous voulez m'aider. Vous allez sortir, et à minuit précis vous irez sonner rue de Laval prolongée, à la porte de la maison qui porte le Nº… On vous ouvrira et vous demanderez au concierge un renseignement quelconque. Vous aurez soin de laisser la porte entrebâillée, et comme je serai dans le jardin de cette maison, guettant l'instant favorable, je m'esquiverai…

M. Gandelu fils eut du moins le mérite de se conformer exactement aux instructions qui lui étaient données; le plan réussit, et à minuit dix minutes, André et lui gagnaient le boulevard extérieur.

Le jeune peintre était alors plein d'espoir. D'abord il était persuadé qu'il venait de dépister ses espions, puis il entrevoyait, grâce à Gaston, le moyen de se ménager une diversion puissante, pendant qu'il s'acharnerait après Croisenois et ses honorables associés.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
1080 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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