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Читать книгу: «La vie infernale», страница 8

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– Que puis-je faire! balbutia-t-il. Comment démêler une trame ourdie avec une si infernale habileté?.. Sur le moment, si j’avais eu mon sang-froid, je pouvais peut-être me défendre et me justifier. Maintenant le mal est irréparable… Comment démasquer le traître, et quelles preuves de son infamie lui jeter à la face…

– Encore faudrait-il lutter avant de s’avouer vaincu, interrompit sévèrement Mme Férailleur… On ne déserte pas une tâche parce qu’elle est trop rude: on l’accepte, et si on meurt à la peine, on meurt du moins avec la conscience d’avoir fait son devoir.

– Ma mère!..

– Je te dois la vérité, mon fils!.. Manquerais-tu donc d’énergie!.. Allons, debout, et redresse la tête… Me laisseras-tu combattre seule!.. car je combattrai, moi!

Sans mot dire, Pascal saisit les mains de Mme Férailleur et les porta à ses lèvres. Son visage était inondé de larmes. Ses nerfs tendus outre mesure se détendaient sous ces effluves de la tendresse et du dévouement maternels. La raison, d’ailleurs, reprenait son empire, et les généreux accents de sa mère trouvaient leur écho en lui. Il eût, à cette heure, repoussé le suicide comme un acte de démence ou une lâcheté…

Désormais, Mme Férailleur était sûre de la victoire; mais cette certitude ne lui suffisait pas, elle voulait engager Pascal.

– Il est évident, poursuivit-elle, que M. de Coralth est l’artisan de ce crime abominable… Mais quel intérêt y avait-il?.. Voyons, Pascal, avait-il quelque raison de te craindre?.. T’avait-il confié ou avait-il surpris un secret qui l’eût perdu si tu l’avais divulgué?..

– Non, ma mère.

– Alors il n’aura été que le vil instrument d’un autre aussi misérable que lui!.. Rappelle bien tes souvenirs, mon fils, n’as-tu blessé aucun de ses amis? Es-tu sûr de ne faire obstacle à personne de son monde?.. Réfléchis… Votre profession a ses périls et on s’y prépare des ennemis cruels. Il est de ces causes scandaleuses où un avocat est forcé de déchirer cruellement la vanité de ses adversaires…

Pascal tressaillit.

Il lui semblait qu’une lueur s’allumait au milieu des ténèbres, chétive et confuse, il est vrai, mais enfin une lueur.

– Qui sait!.. murmura-t-il, qui sait!..

Mme Férailleur réfléchissait, et l’effort de ses réflexions ou leur nature faisait monter le rouge à son front.

– Il est des circonstances, reprit-elle, où une mère doit savoir franchir les bornes de… l’austère pudeur… Si tu avais une maîtresse, mon fils…

– Je n’en ai pas, interrompit-il.

Il était devenu pourpre, et après une courte hésitation il ajouta:

– Mais j’aime du plus profond et du plus saint amour une jeune fille, la plus belle et la plus chaste qui soit au monde… et qui par l’intelligence et par le cœur est digne de toi, ma mère…

Elle hochait gravement la tête, comme si elle se fût attendue à trouver une femme au fond de ce mystère d’iniquité. Elle demanda:

– Et qui est cette jeune fille? Comment s’appelle-t-elle?

– Marguerite…

– Marguerite qui?

L’embarras de Pascal redoubla.

– Elle n’a pas d’autre nom, répondit-il très-vite, et elle ne connaît pas ses parents… Elle demeurait dans notre rue, autrefois, avec sa gouvernante, Mme Léon, et une vieille domestique… C’est là que je l’ai aperçue pour la première fois… Elle habite maintenant l’hôtel du comte de Chalusse, rue de Courcelles…

– A quel titre?

– C’est le comte qui a pris soin d’elle… c’est à lui qu’elle doit son éducation… Il est comme son tuteur… et sans que jamais elle m’ait rien dit à ce sujet, je suppose que M. de Chalusse est son père…

– Et cette jeune fille t’aime, Pascal?..

– Je le crois, ma mère… Elle m’a juré qu’elle n’aurait jamais d’autre mari que moi.

– Et le comte?..

– Il ne sait, il ne soupçonne rien… De jour en jour je remettais à tout te dire et à te prier d’aller trouver M. de Chalusse… Ma position est si modeste encore… Le comte est immensément riche, il a l’intention de donner à Marguerite une dot énorme, deux millions, je crois…

Mme Férailleur l’interrompit d’un geste.

– Ne cherche plus, prononça-t-elle, voilà d’où part le coup.

Pascal se dressa en pied, les joues pourpres, l’œil en feu, la lèvre frémissante.

Il lui semblait qu’un éclair déchirant les ténèbres venait d’illuminer les profondeurs du gouffre où on l’avait précipité.

– Si cela était, cependant, s’écria-t-il, si cela était!.. Cette fortune immense du comte de Chalusse peut avoir tenté quelque misérable… Qui me dit qu’on n’a pas épié Marguerite et qu’on n’a pas découvert que je suis un obstacle!.. Ne sais-je pas quelles convoitises terribles allument les reflets des millions…

Mieux que personne, en effet, il pouvait connaître les effroyables expédients de la cupidité. Sa vie avait toujours été calme et unie, mais on n’est pas impunément quatre ans maître-clerc d’avoué. La triste expérience du monde chasse vite les illusions, en ces études où affluent fatalement, comme le linge sale aux lavoirs publics, les infamies de détail, les bassesses des intérêts en conflit, toutes les iniquités et les scélératesses de la vie intime, qui échappent à la cour d’assises et à la police correctionnelle.

– Crois-moi, insista Mme Férailleur, quelque chose en moi-même me dit que je ne me trompe pas… Je n’ai aucune preuve, et cependant je suis sûre…

Lui, réfléchissait.

– Et, avec cela, reprit-il, quelle coïncidence étrange!.. Sais-tu ce qui est arrivé la dernière fois que je lui ai parlé, à ma chère Marguerite… il y a eu hier huit jours. Elle était si triste et si visiblement agitée que j’en ai été effrayé… Je l’ai interrogée, elle n’a pas voulu, tout d’abord, répondre à mes questions, puis comme j’insistais: «Eh bien!.. m’a-t-elle dit, je tremble qu’il n’y ait quelque projet de mariage pour moi… M. de Chalusse ne m’en a pas touché un mot, mais depuis quelque temps il s’enferme souvent et reste de longues heures en conférence avec un jeune homme, dont le père lui a rendu un grand service autrefois… Et ce jeune homme, toutes les fois que je me trouve avec lui, me regarde d’un air singulier!..»

– Son nom?..

– Je l’ignore… Elle ne l’a pas prononcé, et moi, dans le trouble où m’avait jeté ce qu’elle m’apprenait, je ne lui ai pas demandé… Mais elle me le dira… Ce soir même, si je ne puis arriver jusqu’à elle, je lui ferai parvenir une lettre… Si ce que nous soupçonnons est vrai, le secret est aux mains de trois personnes… Dès lors, ce n’est plus un secret…

Il s’interrompit, prêtant l’oreille; on entendait, dans l’antichambre, comme une altercation entre la femme de ménage et quelque visiteur.

– Je vous dis qu’il y est, morbleu!.. disait une grosse voix essoufflée, et il faut que je le voie et que je lui parle! Il s’agit d’une affaire si urgente que j’ai campé là une partie de bouillotte au moment le plus vif…

– Je vous assure, monsieur, que monsieur est sorti.

– Eh bien! j’attendrai… Conduisez-moi à une pièce où je puisse m’asseoir.

Pascal avait pâli. Il reconnaissait la voix du joueur qui, chez Mme d’Argelès, avait conseillé de le fouiller.

N’importe, il ouvrit, et un gros homme à face plus large qu’un mascaron, soufflant comme une locomotive, s’avança avec ce sans-gêne des gens qui se croient tout permis parce qu’ils ont beaucoup d’argent.

– Parbleu!.. s’écria-t-il, je savais bien qu’il y était!.. Vous me reconnaissez, n’est-ce pas, cher monsieur… le baron Trigault. Je venais pour…

Les mots expirèrent sur ses lèvres, et il parut aussi embarrassé que s’il n’eût pas eu huit cent mille livres de rente… Il venait d’apercevoir Mme Férailleur.

Il la salua, et adressant un geste d’intelligence à Pascal:

– Je voudrais vous entretenir en particulier, dit-il… pour ce que vous savez.

Si grand que fût l’étonnement de Pascal, il n’en avait rien paru sur sa physionomie.

– Vous pouvez parler devant ma mère, monsieur, répondit-il d’un ton froid et même hostile… elle sait tout.

La surprise du baron se traduisit par une grimace qui, chez lui, était un tic.

– Ah!.. fit-il sur trois tons différents, ah!.. ah!..

Et comme on ne lui offrait pas de siége, il s’avança un fauteuil et s’y laissa tomber lourdement en disant:

– Vous permettez, n’est-ce pas… Ces diables d’escaliers me mettent dans un état!

Sous ses massives apparences, cet opulent et corpulent personnage dissimulait une clairvoyance très-exercée et l’esprit le plus délié.

D’un coup d’œil alerte, tout en semblant reprendre haleine, il étudiait le cabinet et ses hôtes.

A terre étaient un revolver et une lettre froissée, et des larmes brillaient encore dans les yeux de Mme Férailleur et de son fils. Il n’en fallait pas plus à un observateur…

– Je ne vous cacherai pas, cher monsieur, commença-t-il, que je suis amené chez vous par un scrupule de conscience…

Et se méprenant à un geste de Pascal:

– Je dis bien: scrupule, insista-t-il… j’en ai quelquefois. Votre sortie, ce matin, après la scène… déplorable, a fait naître en moi toutes sortes de doutes taquins… Doucement, me suis-je dit, nous avons été peut-être un peu prompts… Ce jeune homme pourrait bien n’être pas coupable.

– Monsieur! interrompit Pascal d’un ton menaçant.

– Pardon… laissez-moi finir. La réflexion, je dois l’avouer, n’a fait que confirmer ma première impression et augmenter mes doutes… Diable! me suis-je dit encore, si ce jeune homme est innocent, le coupable est un des habitués de Mme d’Argelès, c’est-à-dire un homme avec qui je joue deux fois par semaine, avec qui je jouerai lundi prochain… c’est grave cela. Et là-dessus l’inquiétude m’a pris et me voici…

La raison saugrenue que le baron donnait de sa visite était-elle la vraie? C’est ce qu’il était assez difficile de discerner.

– Je suis venu, continuait-il, en me disant que bien certainement l’inspection seule de votre intérieur m’apprendrait quelque chose… Et maintenant que j’ai vu, je jurerais que vous êtes tombé dans un abominable guet-apens.

Il se moucha là-dessus, bruyamment, ce qui ne l’empêcha nullement d’observer le jeu muet de Pascal et de sa mère.

Ils étaient stupéfaits; heureux intérieurement de cette déclaration, mais en même temps pleins de défiance. Il n’est pas naturel qu’on s’intéresse ainsi à un malheureux, si on n’y a pas un intérêt quelconque. Quel pouvait être celui de ce singulier visiteur?

Mais lui ne paraissait aucunement déconcerté de la réserve glaciale qui l’accueillait.

– Il est clair, reprit-il, que vous gênez quelqu’un, et que ce quelqu’un a imaginé ce moyen de se défaire de vous. C’est plus sûr qu’un coup de couteau. L’intention m’a sauté aux yeux en lisant dans le journal le paragraphe qui vous concerne. L’avez-vous lu?.. Oui. Eh bien! que vous en semble? Moi, je jurerais que l’article a été rédigé sur une note fournie par votre ennemi… Il y a plus, les détails sont inexacts. Et comme en définitive c’est assez de signer ses méfaits sans endosser les mauvaises actions des autres, je vais écrire un mot de rectification, que je porterai moi-même…

Il dit, et transportant son énorme personne devant le bureau de Paul, il écrivit:

«Monsieur le directeur,

«Témoin de la scène de l’autre soir à l’hôtel d’A… permettez-moi une importante rectification. Il n’est que trop vrai que des portées ont été glissées parmi les cartes, mais qu’elles l’aient été par M. X… c’est ce qui n’est pas prouvé, car on ne l’a pas VU.

«Je sais que les apparences sont contre lui; je ne lui en garde pas moins toute mon estime.

«BARON TRIGAULT.»

Pendant ce temps, Mme Férailleur et son fils se consultaient du regard. Leur impression était la même. Celui-là ne pouvait être un ennemi.

Lors donc que le baron eut lu à haute voix sa lettre:

– Je ne saurais vous exprimer toute ma reconnaissance monsieur, prononça Pascal, mais puisque vraiment vous voulez me servir, de grâce n’envoyez pas cette note… Elle vous attirerait peut-être des ennuis, et je n’en serais pas moins obligé de renoncer à l’exercice de ma profession… et je voudrais surtout être oublié…

– Soit… je vous comprends… vous espérez atteindre le traître et vous craignez de lui donner l’éveil… j’approuve votre prudence. Mais gardez toujours ma déclaration. Et si jamais il vous faut un coup d’épaule venez sonner à ma porte. Et rappelez-vous que le jour où vous aurez des preuves, je vous fournirai le moyen de rendre votre justification plus éclatante que l’affront…

Il s’apprêtait à se retirer, mais avant de passer la porte:

– A l’avenir, ajouta-t-il, je surveillerai les doigts du joueur placé à ma gauche… Et à votre place, je tâcherais de me procurer la note qui a servi pour l’article… On ne sait pas tout le parti qu’on peut tirer, à un moment donné, d’une page d’écriture…

Le baron sorti, Mme Férailleur se leva.

– Pascal, s’écria-t-elle, cet homme sait quelque chose et tes ennemis sont les siens, je l’ai lu dans ses yeux… Il t’a clairement dénoncé M. de Coralth…

– J’ai entendu, ma mère, et mon parti est pris… Je dois disparaître… De ce moment, Pascal Férailleur n’existe plus…

Le soir même, deux grandes voitures de déménagement stationnaient devant la maison où demeurait Mme Férailleur.

Elle venait de vendre son mobilier en bloc à un marchand de meubles, afin de rejoindre son fils, parti, disait-elle, pour l’Amérique.

VI

– On m’attend… Je repasserai vers minuit… J’ai encore à faire quantité de visites urgentes…

Voilà ce qu’avait dit à Mlle Marguerite le docteur Jodon.

Le fait est qu’en sortant de l’hôtel de Chalusse, après s’être assuré que M. Casimir faisait répandre de la paille sur la chaussée, le docteur reprit tout bonnement le chemin de son logis.

C’est que s’il était dans son rôle de paraître accablé de malades, ces fameuses visites n’existaient encore que dans le lointain de ses espérances.

Son seul et unique client, depuis le commencement de la semaine, était un vieux portier de la rue de la Pépinière, qu’il visitait deux fois par jour, faute de mieux.

Le reste de son temps, il le passait à attendre la clientèle qui ne venait pas, et à maudire la médecine, une profession perdue, déclarait-il, ruinée par la concurrence, et, pour comble, embarrassée par la sotte obligation d’un décorum qui paralyse l’initiative individuelle.

S’il eût consacré à l’étude la moitié seulement des heures qu’il consumait en malédictions et en combinaisons également stériles, le docteur Jodon eût peut-être haussé son mérite, qui était médiocre, au niveau de ses ambitions, qui étaient immenses.

Mais, ni le travail, ni la patience, n’entraient dans son système.

Il était de son époque et prétendait arriver très-vite, très-haut et sans peine. Une certaine tenue, de l’aplomb, quelque chance et beaucoup de réclames devaient, paraît-il, suffire.

C’est avec cette conviction qu’il était venu se fixer rue de Courcelles, au centre d’un quartier opulent, dont les malades pauvres ont la ressource des consultations gratuites de l’hôpital Beaujon.

Mais les événements avaient trompé son attente.

Peu à peu, en dépit d’atroces privations héroïquement dissimulées, il voyait s’épuiser le petit capital qui constituait toute sa fortune, une vingtaine de mille francs, faible mise pour des prétentions si hautes.

Il avait encore payé son terme le matin même, mais il pouvait déjà calculer l’époque prochaine où il n’aurait plus de quoi le payer…

Que ferait-il alors?

Quand il songeait à cela, et c’était presque son unique pensée, il sentait s’allumer en lui des colères et des haines furibondes…

C’est qu’il ne s’en prenait pas à lui de ses mécomptes.

A l’exemple des ambitieux déçus, il accusait les hommes et les choses, les événements, des envieux et des ennemis que certes il n’avait pas.

Par certains jours, il eût été capable de tout pour arriver à l’assouvissement de ses ambitions. Car il avait tout souhaité, tout envié, tout espéré, et les privations, à la longue, avaient été comme de l’huile jetée sur la flamme des convoitises qui incendiaient son cerveau.

Plus calme, à d’autres moments, il se demandait à quelle porte de la fortune frapper, pour qu’elle ouvrit plus vite à son impatience fiévreuse.

Il avait songé à s’improviser dentiste, ou à chercher un bailleur de fonds pour la vente de quelqu’un de ces spécifiques dont le brevet assure cent mille livres de rentes.

Il avait rêvé l’établissement d’une pharmacie monstre, la création d’une maison de santé ou encore l’exploitation lucrative de quelque remède nouveau.

Mais pour tout cela il fallait de l’argent, beaucoup d’argent, et il n’en avait plus. L’heure venait de prendre un parti, il ne pouvait plus tenir…

Sa troisième année d’exercice, rue de Courcelles, lui avait à peine rapporté de quoi payer son domestique… Car il avait un domestique, cela pose.

Il avait un valet de chambre par la même raison qu’il avait un appartement, c’est-à-dire l’apparence d’un appartement somptueux.

Fidèle à son système – celui de son maître – il y avait tout sacrifié aux dehors, à l’étalage, à la montre, à ce qui se voit et reluit…

Un luxe criard et de mauvais goût y faisait cligner les yeux. Ce n’était que tapis et tentures, dorures au plafond, objets d’art et consoles chargées d’ornements.

Il est sûr qu’un paysan arrivant de son village eût été ébloui.

Mais il fallait se garder d’examiner de trop près.

Il y avait plus de coton que de soie dans le velours des meubles, et qui eût été toucher certaines statues, haut huchées sur leur socle, eût reconnu du plâtre, sous une couche de peinture verte frottée de limaille de cuivre.

Ce plâtre, jouant le bronze, c’était tout l’homme, son système… et notre siècle…

Quand il rentra chez lui, la première question du docteur Jodon à son domestique fut comme toujours:

– Il n’est venu personne?

– Personne.

Le docteur soupira et, traversant son superbe salon d’attente, il alla s’asseoir dans son cabinet de consultations, au coin d’un feu plus que modeste.

Il était plus préoccupé encore que de coutume. La scène dont il avait été témoin chez le comte de Chalusse se représentait à sa mémoire avec une vivacité singulière, et il la tournait et retournait dans sa pensée, cherchant s’il n’y aurait pas quelque parti à tirer du mystère qu’il soupçonnait.

Car plus que jamais il croyait à un mystère, porté à imaginer l’impossible, comme tous les gens à qui les événements ordinaires réussissent mal…

Il se torturait l’esprit depuis une heure, quand le timbre de la porte d’entrée l’arracha à ses méditations.

A cette heure, qui pouvait venir?..

Bientôt son domestique parut, lui annonçant qu’il y avait dans le salon d’attente une dame qui se disait très-pressée…

– C’est bien, fit-il… qu’elle attende un moment.

Car il avait du moins ce mérite de ne jamais se départir de son programme. En aucune circonstance il n’admettait un client immédiatement; il voulait qu’on attendît, qu’on eût le temps de réfléchir aux avantages qu’il y a de s’adresser à un docteur très-occupé et qui a la vogue…

Au bout de dix minutes seulement il ouvrit, et une grosse dame s’avança vivement en relevant le voile qui cachait son visage.

Elle devait avoir dépassé quarante-cinq ans, et si elle avait été belle autrefois, il n’y paraissait plus guère. Elle avait des cheveux bruns grisonnants, rudes et épais, plantés très-bas sur le front, le nez épaté, de grosses lèvres bonasses et des yeux ternes sans expression.

De toute sa personne s’exhalait comme un parfum de mansuétude et de tristesse, avec une nuance de dévotion.

Mais, en ce moment, elle paraissait fort troublée.

Elle s’assit sur l’invitation du docteur, et sans attendre ses questions:

– Je dois vous dire tout d’abord, monsieur, commença-t-elle, que je suis la… dame de confiance de M. de comte de Chalusse…

Si maître qu’il fût du secret de ses impressions, le docteur bondit.

– Mme Léon?.. fit-il d’un ton d’immense surprise.

Elle s’inclina en pinçant ses grosses lèvres.

– C’est ainsi qu’on m’appelle, oui, monsieur… Mais ce n’est là qu’un prénom… Le nom que je porte jurerait trop avec ma condition présente… Les revers de fortune ne sont pas rares à notre époque… et il en est de tels que sans la religion qui console, on n’aurait pas la force de les supporter…

Le médecin concentrait sur cette visiteuse toute sa pénétration.

– Que peut-elle me vouloir? pensait-il.

Elle, cependant, poursuivait:

– J’allais me trouver sans ressources, quand M. de Chalusse, un ami de ma famille, me supplia de surveiller l’éducation d’une jeune personne à laquelle il s’intéressait, Mlle Marguerite… J’acceptai et j’en remercie Dieu tous les jours, car si j’ai pour cette chère enfant l’affection d’une mère, elle a pour moi les tendresses d’une fille…

Et à l’appui de son dire, elle sortit un mouchoir de sa poche et réussit à se tirer une larme des yeux.

– Après cela, docteur, continua-t-elle, vous devez comprendre que l’intérêt de ma bien-aimée Marguerite m’amène près de vous… J’étais enfermée dans ma chambre quand on a rapporté M. de Chalusse, et je n’ai été prévenue du malheur qu’après votre départ. J’aurais pu, penserez-vous, attendre votre prochaine visite, mais je n’ai pas eu cette patience… Ou ne sait pas se résigner aux tourments de l’incertitude, quand il s’agit de l’avenir d’une fille chérie!.. Et me voici.

Elle reprit haleine et ajouta:

– Je suis venue, monsieur, vous demander l’exacte vérité sur la situation de M. le comte de Chalusse.

Véritablement le docteur s’attendait à autre chose. C’est cependant de son ton le plus doctoral qu’il répondit:

– A vous, madame, je dirai qu’il laisse peu d’espoir, et que je crois à une terminaison fatale avant vingt-quatre heures, sans que le malade reprenne connaissance.

La femme de confiance pâlit.

– Alors, c’est fini, balbutia-t-elle, tout est fini!..

Et incapable d’articuler une syllabe de plus, elle salua le docteur de la tête, et brusquement se retira…

Debout devant sa cheminée, l’œil fixe, la bouche entr’ouverte, le bras arrondi pour un geste interrompu, le docteur demeurait immobile, décontenancé, pantois…

Il fallut pour le remettre le claquement de la porte extérieure se refermant sur la dame de confiance.

A ce bruit, il bondit.

– Ah ça! s’écria-t-il en jurant, elle se moque de moi, cette vieille!..

Et aussitôt, emporté par un mouvement irréfléchi, il sauta sur son chapeau, l’enfonça sur sa tête et s’élança sur les traces de Mme Léon.

Mais elle avait de l’avance, et une fois dans la rue c’est à peine si le docteur la reconnut à la lueur d’un bec de gaz, cinquante pas plus loin, sur le trottoir désert.

Elle marchait très-vite, mais en forçant le pas il eût pu la rejoindre.

Il s’en garda, cependant, ayant eu le loisir de songer qu’il ne saurait sous quel prétexte honnête colorer une démarche si insolite, et il se contenta de la suivre à distance avec précaution.

Tout à coup, elle s’arrêta court.

C’était devant la boutique d’un épicier où il y avait une boîte aux lettres. La boutique était fermée mais on avait ménagé dans le volet une ouverture par où passait le conduit en zinc de la boîte.

Mme Léon hésitait visiblement… Elle balançait, comme on fait toujours, au moment de hasarder un acte décisif dont on est maître encore, et sur lequel il n’y aura plus à revenir quelles qu’en puissent être les conséquences.

Un observateur ne restera jamais vingt minutes devant un bureau de poste sans être témoin de cette pantomime expressive de l’irrésolution…

Enfin, la femme de confiance eut un mouvement d’épaules qui traduisait éloquemment le résultat de ses délibérations intérieures: «Advienne que pourra!..»

Et tirant vivement une lettre de son corsage, elle la jeta dans la boîte et poursuivit son chemin avec plus de hâte encore.

– Pas de doute possible, pensa le docteur, c’est ma réponse qui détermine l’envoi de cette missive préparée à l’avance.

Il n’était pas riche, il tenait aux maigres ressources qui lui restaient comme le joueur décavé à son dernier louis, – ce louis qui peut et qui doit faire sauter la ban, que, – et cependant il eût donné de bon cœur un billet de cent francs pour connaître le contenu de cette lettre, ou seulement le nom du destinataire.

Mais il touchait au terme de sa poursuite. Mme Léon arrivait à l’hôtel de Chalusse, elle y entra…

Devait-il l’y suivre?.. La curiosité poignait le docteur à ce point qu’il en eut l’idée, et qu’il eut besoin d’un héroïque effort de volonté pour y résister.

Une lueur de sens commun qui veillait encore dans sa cervelle bouleversée lui démontra que se représenter avant l’heure qu’il avait indiquée serait une insigne maladresse. Déjà, dans cette soirée, sa conduite n’avait été que trop extraordinaire, et bien plus celle d’un juge que celle d’un médecin. Il comprenait que ce n’est pas un bon moyen d’être choisi pour confident que de s’immiscer presque de force dans les affaires des gens.

Il rebroussa donc chemin, tout pensif et aussi mécontent de lui que possible.

– Quel imbécile je suis! grommelait-il. Si j’avais tenu cette vieille en suspens au lieu de lui dire brutalement la vérité, je saurais maintenant le but réel de sa visite… Car elle avait un but… Mais lequel?..

C’est à le chercher que le docteur consuma les deux heures qui le séparaient du moment de la seconde visite.

Mais il avait beau parcourir le champ sans limites des probabilités même improbables, il n’imaginait rien qui le satisfît.

Une seule circonstance lui semblait indiscutable: c’est que Mme Léon et Mlle Marguerite attachaient une importance égale à cette question de savoir si, oui ou non, le comte reprendrait connaissance.

Quant à l’intérêt des deux femmes sur ce point, le docteur estimait qu’il n’était pas le même, qu’un secret désaccord existait entre elles, et que même la femme de confiance avait dû venir le trouver en cachette.

Car il n’était dupe qu’à demi de Mme Léon et de ses protestations de tendresse à l’endroit de Mlle Marguerite.

L’entrée de cette respectable personne, ses façons onctueuses, son accent de résignation dévote, cette allusion à un grand nom qu’elle aurait le droit de porter, tout cela était bien calculé pour en imposer; mais elle s’était trop découverte sur la fin pour qu’on ne se défiât pas.

Le docteur Jodon ne s’était pas senti le courage de regagner son superbe appartement, et c’est dans un petit café qu’il réfléchissait ainsi, tout en buvant dans un verre fabriqué en Bavière, d’exécrable bière brassée à Paris…

Enfin, minuit sonna… c’était l’heure.

Cependant, le docteur ne se leva pas. S’étant résigné à attendre, il voulait, en revanche, qu’on l’attendît…

C’est donc seulement quand le café fut fermé qu’il remonta la rue de Courcelles…

Mme Léon, sans doute, avait laissé la porte de l’hôtel de Chalusse entre-bâillée, le docteur n’eut qu’à la pousser et il se trouva dans la cour…

Comme au commencement de la soirée, les domestiques étaient réunis chez le concierge. Mais la jubilation de la médisance qui s’en donne à cœur joie avait fait place, sur leur physionomie, à l’inquiétude de l’avenir compromis.

On les apercevait, à travers les vitres, debout dans la loge, absorbés par l’intérêt d’une discussion qui s’agitait entre les deux hommes les plus importants de la réunion: M. Bourigeau, le concierge, et M. Casimir, le valet de chambre.

Et si le docteur eût prêté l’oreille, ses illusions singulières eussent été quelque peu entamées, car à chaque moment revenaient les mots de gages et de legs particuliers, de rémunération de loyaux services et de rentes viagères…

Mais M. Jodon n’écouta pas.

Pensant qu’il rencontrerait quelque valet à l’intérieur il entra dans l’hôtel.

Mais rien ne pouvait annoncer sa présence, les portes se refermaient sans bruit, l’épais tapis qui couvrait le marbre de l’escalier étouffait le bruit de ses pas, et il arriva au palier du premier étage sans avoir aperçu personne…

La porte de la chambre de M. de Chalusse était ouverte et elle se trouvait assez vivement éclairée par un grand feu clair et par une grosse lampe posée sur le coin de la cheminée…

Instinctivement le docteur s’arrêta, regardant…

Nul changement n’était survenu depuis sa visite. Le comte gisait toujours immobile, très-haussé sur ses oreillers, la face tuméfiée, les paupières fermées, respirant encore pourtant, ainsi que l’indiquait le mouvement inégal du drap sur sa poitrine.

Seules, Mme Léon et Mlle Marguerite le veillaient.

La femme de charge, un peu dans l’ombre, était affaissée sur un fauteuil, et, les mains croisées sur le ventre, les lèvres crispées, elle semblait suivre de l’œil, dans le vide, quelque difficile combinaison.

Pâle, mais calme maintenant, plus imposante et plus belle avec ses cheveux en désordre, Mlle Marguerite s’appuyait aux montants du lit, épiant sur le visage de M. de Chalusse le réveil de la vie et de l’intelligence.

Un peu honteux de son indiscrétion, le docteur redescendit à reculons sept ou huit marches, qu’il remonta en toussant, pour s’annoncer…

Il fut entendu, car Mlle Marguerite vint au-devant de lui jusqu’à la porte.

– Eh bien? demanda-t-il.

– Hélas!

Il s’avança vers le lit; mais, sans lui laisser le temps d’examiner le moribond, Mlle Marguerite lui tendit une feuille de papier.

– Le médecin ordinaire de M. de Chalusse est venu en votre absence, monsieur, dit-elle, et voici son ordonnance… C’est une potion qu’il a prescrite, dont on a fait glisser quelques gouttes entre les lèvres de M. de Chalusse.

L’autre, qui s’attendait à ce coup, s’inclina froidement.

– Je dois ajouter, poursuivit Mlle Marguerite, que le docteur a approuvé tout ce qui avait été fait, et qu’il vous prie, et que je vous prie de lui continuer le secours de vos lumières…

Malheureusement toutes les lumières de la Faculté n’y pouvaient rien.

Et après un nouvel examen, le docteur Jodon se borna à dire qu’il fallait laisser agir la nature, mais qu’on vînt le prévenir au moindre mouvement du malade…

– Et même, ajouta-t-il, je préviendrai mon valet de chambre pour qu’il n’hésite pas à m’éveiller…

Il prenait congé lorsque Mme Léon lui barra presque le passage.

– N’est-il pas vrai, monsieur le docteur, demanda-t-elle, qu’une seule personne attentive suffit pour veiller M. le comte?..

– Assurément…

La femme de charge se retourna vers Mlle Marguerite.

– Eh bien!.. chère demoiselle, que vous disais-je!.. Croyez-moi, consentez à prendre un peu de repos… Veiller, voyez-vous, n’est pas de votre âge…

– Il est inutile d’insister, interrompit résolûment la jeune fille… Je veillerai.

L’autre se tut, mais il sembla au docteur qu’elles avaient échangé de singuliers regards.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
880 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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