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Читать книгу: «La vie infernale», страница 48

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Elle sentait arrêté sur elle, tenace et pénétrant, le regard de Mme Férailleur… Elle eut l’intuition de ce qui se passait dans l’âme de la rigide bourgeoise et comprit que son avenir et le bonheur de son mariage se décidaient en ce moment.

Aussi, vivement, comme si elle eût espéré se dévoiler tout entière:

– Ma conduite n’a peut-être pas été celle d’une jeune fille, Pascal, prononça-t-elle. Timide, inexpérimentée, saintement ignorante de la vie et du mal, une jeune fille pieusement gardée par sa mère se fût abîmée sous la honte et n’eût trouvé que des larmes et des prières… J’ai pleuré aussi, moi, j’ai prié, mais je me suis débattue, j’ai agi… A l’heure du danger, il m’est venu quelque chose de la vaillance et de l’énergie des pauvres femmes du peuple parmi lesquelles j’ai autrefois gagné mon pain… Les misères du passé n’ont pas été perdues…

Et simplement, sans emphase, comme si elle eût conté la chose la plus naturelle du monde, elle dit quelle lutte elle avait acceptée et soutenue, seule contre tous, forte de sa foi en Pascal et de son amour…

– Ah!.. tu es une bonne et courageuse fille, toi!.. s’écria Mme Férailleur. Tu es digne de mon fils, et tu porteras fièrement notre nom d’honnêtes gens!..

Déjà, depuis un moment, l’obstinée bourgeoise luttait en vain contre l’attendrissement qui la gagnait, et de grosses larmes silencieuses roulaient le long de ses joues ridées…

N’y tenant plus, elle jeta ses deux bras autour du cou de Mlle Marguerite, et l’attirant contre sa poitrine, elle la tint longtemps embrassée, en murmurant:

– Marguerite! ma fille!.. Ah! combien elles étaient injustes, mes préventions!

Pascal eût dû être transporté de joie. Non, cependant. Son front de plus en plus se plissait, et c’est d’une voix sourde qu’il dit:

– Voilà donc le bonheur qui est là, là!.. Pourquoi faut-il qu’une dernière épreuve, qu’une dernière humiliation nous en sépare!

Mais Mlle Marguerite se sentait des forces à affronter en souriant le martyre…

– Parlez, Pascal, dit-elle, ne voyez-vous pas qu’il va être dix heures!..

Lui hésitait, ses yeux se troublaient, sa respiration haletait, et c’est avec l’empressement du désespoir qu’il reprit:

– Il fallait vaincre, n’est-ce pas, pour vous, pour moi, à tout prix!.. Voilà l’excuse de l’horrible expédient que j’ai adopté… M. de Valorsay, vous l’avez vu, se vante à Mme Léon d’avoir un moyen de briser vos résistances… et il croit en effet l’avoir… Comment je ne l’ai pas tué de mes mains, quand il me l’a exposé… c’est que je veux une vengeance bruyante comme l’outrage, plus sûre, plus terrible, plus lente surtout… Ce moyen, un scélérat tel que lui pouvait le concevoir. Par son âme damnée, Coralth, il a attiré chez lui le fils de la sœur du comte de Chalusse, son unique héritier en ce moment… C’est un malheureux, sans cœur, sans intelligence, sans esprit, tout vanité stupide et ridicules prétentions, ni meilleur ni pire que bien d’autres qui font figure… il a nom Wilkie Gordon. Sans peine le marquis s’est emparé de ce pauvre idiot, et lui a persuadé qu’il était de son devoir de vous dénoncer au procureur impérial comme ayant détourné de la succession de M. de Chalusse une somme de deux millions, et comme ayant aussi vous, vous, Marguerite, empoisonné le comte.

La jeune fille haussa les épaules.

– Pour ce qui est du vol, fit-elle, nous avons une réponse… Quant à l’empoisonnement… en vérité l’accusation est trop stupide!..

Mais Pascal restait sombre.

– Pas si stupide… fit-il. Un médecin s’est rencontré, un indigne, un lâche et vil gredin, qui pour de l’argent consent à appuyer la dénonciation…

– Le docteur Jodon, n’est-ce, pas?..

– Oui… Et ce n’est pas tout. Sous les scellés, dans le secrétaire du comte, est le flacon dont il a bu deux gorgées le jour de sa mort… Eh bien!.. dans la nuit de demain, Mme Léon doit ouvrir la porte du jardin de l’hôtel de Chalusse à un immonde scélérat qui, sans que les scellés en gardent trace, se charge de faire disparaître le flacon…

La jeune fille frissonna; elle comprenait l’infernale combinaison.

– Je pouvais être perdue!.. murmura-t-elle.

Affirmativement, Pascal hocha la tête.

– M. de Valorsay voulait que vous vous vissiez perdue, prononça-t-il, avant de vous proposer de l’épouser s’il vous sauvait… Je dois dire que M. Wilkie ignore quels atroces projets il sert… Il n’y a dans le secret entier du marquis que M. de Coralth, et c’est moi qui, sous le nom de Mauméjan, suis leur conseiller… C’est donc à moi que, sur l’avis de M. de Valorsay, M. Wilkie est venu demander un projet de dénonciation… Je le lui ai rédigé, Marguerite, tel que le souhaitait notre ennemi, terrible, accablant en apparence, groupant avec un art perfide les rapports des valets et les soupçons du médecin, établissant la connexité du meurtre et du vol, demandant une enquête… Et ce projet de dénonciation, M. Wilkie l’a recopié de sa main, signé, mis sous enveloppe… et il a dû le porter lui-même au parquet…

Mlle Marguerite s’affaissa sur un fauteuil.

– Vous avez fait cela! balbutia-t-elle.

– Il le fallait, ma fille! déclara Mme Férailleur.

– Oui, il le fallait, reprit Pascal, indispensablement et vous allez le comprendre… Institution humaine, bornée en ses moyens, la Justice ne saurait sonder les âmes, scruter les pensées, ni poursuivre des projets, si abominables qu’ils soient et si près qu’on les suppose de la réalisation… Pour qu’elle intervienne, la Justice, il lui faut un fait matériel, tangible, tombant sous le sens, ce qu’on appelle un commencement d’exécution… Vous arrêtée, les crimes de M. de Valorsay et des misérables qu’il emploie tombent sous le coup de la loi… Vous arrêtée, je cours prendre votre vieil ami le juge de paix, et ensemble nous nous rendons chez le juge d’instruction à qui nous expliquerons tout… Votre innocence démontrée, et l’infamie des autres, que pensez-vous que fasse la justice?.. Prudemment elle attendra que nos ennemis se déclarent, afin de les prendre tous d’un seul coup de filet, et que pas un n’échappe… Dans la nuit de demain des agents habiles surveilleront l’hôtel de Chalusse… et, au moment où Mme Léon et le misérable qu’elle doit guider se croiront sûrs du succès, ils seront pris sur le fait et arrêtés… Interrogés par un magistrat instruit de tout, pourront-ils nier?.. Non, évidemment… Leurs aveux détermineront l’action de la justice, et pénétrant à l’improviste chez M. de Valorsay, elle y saisira le testament de votre père, le reçu de M. de Fondège, en un mot toutes les preuves du crime… Et à l’heure de cette perquisition, tous nos ennemis, rassurés par votre arrestation, se trouveront à une grande soirée de jeu que donne le baron Trigault… J’y serai aussi!..

La défaillance de Mlle Marguerite avait peu duré.

Elle se leva, et d’une voix ferme:

– Vous avez agi comme vous deviez, prononça-t-elle.

– Ah!.. c’est qu’il n’était pas d’autre expédient… Et encore, si celui-là vous répugnait trop… C’est pour cela que j’ai voulu vous voir…

Du geste elle l’interrompit.

– Quand dois-je être arrêtée? demanda-t-elle.

– Ce soir ou demain…

– Bien… Je n’ai plus qu’une prière à vous adresser… Les Fondège ont un fils qui n’est pas coupable, lui, et qui cependant sera plus cruellement puni qu’eux si nous ne les épargnons. Ne pourriez-vous pas…

– Je ne puis plus rien, Marguerite…

Tout était décidé. Mlle Marguerite tendit son front à Pascal, et sortit suivie de Mme Férailleur qui voulut absolument la reconduire au coin de la rue Boursault.

Le «général» et sa femme étaient enfin rentrés quand rentra Mlle Marguerite. Elle les trouva dans le salon, le visage décomposé et si tremblants que leurs dents claquaient.

Avec eux était un homme à moustache qui, dès qu’elle parut, dit:

– Vous êtes Mlle Marguerite, n’est-ce pas?.. Au nom de la loi, je vous arrête… Voici le mandat…

Et il l’emmena.

XIX

Du soir au lendemain, le tout-puissant Génie qui a remplacé les bonnes fées du vieux temps, l’Argent, avait comblé les convoitises de M. Wilkie.

Sans transition, et comme dans un rêve, il passa de ce qu’il appelait sa situation gênée aux splendeurs d’une fortune princière.

La renonciation de Mme Lia d’Argelès était si bien en règle, que sur la seule production de ses titres, l’intelligent jeune homme fut envoyé en possession de l’héritage du comte de Chalusse.

Quelques difficultés pourtant se présentèrent.

Le vieux juge de paix qui avait apposé les scellés refusa de lever ceux de certains meubles, ceux du secrétaire notamment, sans une ordonnance du tribunal, ce qui devait demander plusieurs jours…

Mais qu’importait à M. Wilkie! L’hôtel de Chalusse était libre, avec son mobilier splendide, ses appartements de réception, ses tableaux, ses statues, ses jardins… Il s’y installa. Vingt chevaux piaffaient dans les écuries, dix voitures dormaient sous les remises. Il s’appliqua chevaux et voitures. Même, sur le conseil de M. Casimir, devenu son valet de chambre et son oracle, il garda toute la maison du comte, depuis M. et Mme Bourigeau, les concierges, jusqu’au dernier marmiton.

Le tout provisoirement, bien entendu, un homme tel que lui, de son siècle, et «en plein dans le mouvement,» ne pouvait se contenter de ce qui avait satisfait le comte de Chalusse.

– Car j’ai mes idées, disait-il à M. Casimir… Paris n’a qu’à bien se tenir!..

Ses anciens amis, il les répudia… Un Costard, un Serpillon, si vicomtes qu’ils se prétendissent, étaient de trop petits sires pour un Gordon-Chalusse, ainsi qu’il était dit sur ses cartes de visites.

Seulement, il leur racheta leurs parts de Pompier de Nanterre, sûr qu’il était, dit-il à M. Casimir, de l’avenir de ce remarquable «steeple-chaser.»

De sa mère, il ne s’inquiéta aucunement. Il sut, comme tout Paris, que la d’Argelès avait disparu – rien de plus. Mais l’idée de son père, le terrible chevalier d’industrie, demeura suspendue comme un crêpe funèbre au-dessus de sa joie.

Quand du fond de son appartement il entendait tinter la grosse cloche d’entrée de l’hôtel, il tressaillait, devenait tout pâle et murmurait:

– C’est peut-être lui!..

Pour cette dernière raison, surtout, il s’accrochait obstinément au marquis de Valorsay… Effaré de ses prospérités nouvelles, il se sentait plus solide, appuyé sur cette haute amitié… Par tempérament, d’ailleurs, il était invinciblement attiré vers les gens à bruyante renommée, et il lui semblait grandir de plusieurs coudées, quand, dans un endroit public, dans la rue ou au restaurant, il criait à pleine voix:

« – Dites donc, Valorsay, mon excellent bon…» ou «Par ma foi! mon très-cher marquis!..»

L’autre, complaisamment, se prêtait à ces effusions, encore qu’il fût terriblement agacé de la platitude et des ridicules du personnage… Il se faisait une fête de l’envoyer aux cinq cents diables plus tard, mais en ce moment il sentait trop l’utilité de M. Wilkie pour souffrir seulement qu’il s’écartât de lui.

Sans se faire tirer l’oreille, il l’avait présenté à son cercle et conduit chez ses amis. Il se montrait avec lui partout; au bois, au restaurant, au théâtre…

D’aucuns demandaient parfois:

– Qui donc est ce drôle de petit bonhomme?..

Mais quand le marquis avait répondu négligemment:

– C’est un pauvre diable qui vient de recueillir une succession de vingt millions!..

Peste!.. On devenait sérieux, et c’était à qui aurait le plaisir, l’avantage, l’honneur… de serrer la main d’un garçon de tant de revenus.

C’est ainsi que M. de Valorsay avait offert à M. Wilkie de Gordon-Chalusse, de le présenter à la fête, annoncée chez le baron Trigault.

Ce ne devait être qu’une soirée d’hommes, une séance monstre de jeu, mais on savait le baron magnifique et pour irriter la curiosité, sans doute, il avait dit et le Figaro avait répété qu’il réservait une surprise à ses invités… Oh! mais une surprise!..

C’était le lendemain de l’arrestation de Mlle Marguerite que devait avoir lieu cette fête, et le soir, entre neuf et dix heures, M. de Valorsay et M. de Coralth, habillés et prêts l’un et l’autre, attendaient que M. Wilkie vînt les prendre, ainsi qu’il était convenu.

Ils étaient fort gais l’un et l’autre, les appréhensions du vicomte s’étaient dissipées, le marquis oubliait les douleurs de sa jambe cassée à la Marche.

– Marguerite ne sortira de prison que pour m’épouser, disait M. de Valorsay triomphant.

Ou encore:

– Quel merveilleux instrument que ce Wilkie? Sur un mot en l’air, il a donné congé à tous ses domestiques, l’hôtel de Chalusse va être désert, Mme Léon et Vantrasson pourront opérer à loisir.

Dix heures sonnèrent, M. Wilkie parut.

– Venez-vous, excellents bons, dit-il, mon huit-ressorts est en bas.

Ils partirent, et cinq minutes plus tard, on les annonçait chez le baron Trigault, lequel accueillit M. Wilkie comme s’il ne l’eût jamais vu ailleurs.

Il y avait beaucoup de monde déjà, trois ou quatre cents personnes, la fine fleur de la «haute vie,» du sport et de la table de jeu. Tous les anciens habitués de Mme d’Argelès étaient là, M. de Fondège y retroussait ses moustaches, Kami-Bey s’y étalait, reconnaissable à son ventre piriforme et à son éternel fez rouge.

Puis, parmi tous ces hommes, d’une élégance étudiée, tous connus de M. de Valorsay, d’autres circulaient, plus graves et d’allures toutes différentes… Leur gilet était moins ouvert, leur habit tombait moins correctement, mais leur physionomie ne respirait pas seulement l’idiote satisfaction de soi, et leurs yeux trahissaient autre chose que le néant de la pensée.

– Ah ça, murmura le marquis à l’oreille de M. de Coralth, qu’est-ce que c’est que ces gens-là? On jurerait des avocats et des magistrats…

Il ne croyait pas si bien dire, et sans l’ombre d’une inquiétude, il passait de groupe en groupe, échangeant des poignées de main en présentant M. Wilkie…

Une étrange nouvelle circulait tout bas… On racontait, comment l’avait-on su?.. qu’à la suite d’une querelle avec son mari, Mme Trigault avait quitté Paris la veille. On allait jusqu’à citer ses dernières paroles au baron…

– Vous ne me reverrez jamais!.. avait-elle dit. Vous êtes bien vengé… Adieu!..

Les bien informés, gens au courant de tous les scandales malpropres, déclaraient l’histoire fausse, soutenant que si la baronne se fût enfuie, comme on le disait, on n’eût point vu le beau comte de Coralth calme et souriant…

L’histoire était vraie, cependant!.. Mais M. de Coralth se souciait bien de la baronne, en vérité!.. N’avait-il pas en poche la signature de M. Wilkie, laquelle, à cette heure, représentait pour lui plus d’un demi-million?..

Debout, près d’une des fenêtres de la grande galerie, entre le marquis de Valorsay et M. Wilkie, le brillant vicomte pérorait, non sans esprit, non sans plus de méchanceté encore, lorsqu’un valet de pied, d’une voix si éclatante que toutes les conversations en furent interrompues, annonça:

– M. Mauméjan!..

Que Mauméjan, un des hommes d’affaires du baron, fût reçu chez lui, cela parut si simple à M. de Valorsay, qu’il ne bougea pas.

Mais M. de Coralth ayant entendu le nom, voulut voir l’homme qui avait si bien aidé et conseillé le marquis.

Il tourna la tête, et alors les paroles expirèrent dans sa gorge. Il devint livide, ses pupilles s’agrandirent démesurément, et à grand’peine il balbutia:

– Lui!..

– Qui? interrogea le marquis stupéfait.

– Regardez!..

A la suite de l’homme annoncé sous le nom de Mauméjan, apparaissait Mlle Marguerite, donnant le bras au vieux juge de paix, et Mme Férailleur… puis M. Isidore Fortunat… et enfin Chupin, Victor Chupin, resplendissant, mais ne «la menant pas large,» selon son expression, dans un superbe habit noir tout battant neuf.

Le marquis de Valorsay ne pouvait plus ne pas comprendre. Il comprit qui était ce Mauméjan et de quelle audacieuse comédie il avait été dupe…

Son visage si effroyablement se décomposa, que cinq ou six personnes s’avancèrent, disant:

– Qu’avez-vous, marquis?

Il n’avait rien, sinon qu’il se sentait pris au piége, et ses regards affolés cherchaient une porte, une fenêtre, une issue, pour fuir.

Mais un mot d’ordre, évidemment, avait été donné.

Brusquement, tous les invités répandus dans les salons affluèrent dans la galerie, et les portes furent fermées…

Et alors, avec une solennité qu’on ne lui connaissait pas, le baron Trigault alla prendre la main du soi-disant Mauméjan, et le conduisant au centre de la galerie, devant la cheminée:

– Messieurs, prononça-t-il d’un accent irrésistible d’autorité, Monsieur est M. Pascal Férailleur, cet honnête homme qui, chez la d’Argelès, fut accusé d’avoir triché au jeu. Vous vous devez de l’entendre!..

Visiblement, Pascal était extraordinairement ému.

L’étrangeté de la situation, la certitude de l’éclatante réhabilitation, la joie peut-être de la vengeance, le silence, si profond qu’on entendait les respirations haleter, tous les regards obstinément rivés sur lui, le troublaient. Mais ce fut l’affaire d’une seconde.

Il se redressa l’œil plein d’éclairs, et d’une voix ferme et vibrante, il dit, mais sans prononcer le nom de ses ennemis, la ténébreuse intrigue qui s’était agitée autour des millions du comte de Chalusse, et de quelles machinations abominables Mlle Marguerite et lui avaient été victimes…

Quand il eût achevé, enflant encore la voix:

– Maintenant, ajouta-t-il, regardez… Le visage seul des coupables les dénoncera à vos mépris… L’un, est ce misérable qui se fait appeler le vicomte de Coralth, Paul Violaine de son véritable nom, un escroc, l’ex-complice de Mascarot, un lâche qui est marié et qui laisse sa femme mourir de faim…

M. de Coralth eut comme un rugissement.

– L’autre est M. le marquis de Valorsay.

Il en était au troisième, qui eût inspiré dégoût et pitié, si on l’eût remarqué dans le coin où il était affaissé, décomposé par la terreur, bégayant d’un air stupide: «Ce n’est pas moi… Ma femme l’a voulu!..»

Celui-là était le «général» de Fondège…

Pascal ne prononça pas son nom, cependant; ce n’était pas indispensable, et il se souvenait de la prière de Mlle Marguerite…

Mais pendant que parlait Pascal, le marquis avait fait appel à tout ce qu’il avait d’énergie et d’impudence… Si désespérée que fût la partie, il essaya de se débattre.

– C’est un guet-apens indigne, s’écria-t-il. Baron, vous m’en rendrez raison… Cet homme est un imposteur, il ment, tout ce qu’il dit est faux!..

– Oui, c’est faux! appuya M. de Coralth.

Une clameur s’éleva, et de tous côtés les plus injurieuses apostrophes éclatèrent.

– Quelles preuves vous faut-il donc? criait M. Fortunat.

– Il ne faut pas nous la faire, disait Chupin: Vantrasson et la Léon sont «pigés.»

– Qui donc nous a tous floués avec Domingo?..

Et, plus fort que les autres, Kami-Bey glapissait:

– Sans compter que votre vente était une pure filouterie, mon très-cher!..

Autour de Pascal, ses anciens amis, des confrères, des membres du conseil de l’ordre, des magistrats qui jadis avaient aidé ses débuts, se pressaient, lui serrant les mains, l’étreignant à l’étouffer, s’accusant d’avoir pu le soupçonner, lui, l’honneur même, s’excusant sur ce temps troublé où nous vivons, où on voit faillir ceux qu’on croyait les plus purs…

Et plus loin, un murmure de respectueuse admiration montait jusqu’à Mlle Marguerite, dont les yeux pleins de larmes de bonheur brillaient d’un éclat presque surnaturel, dont la beauté empruntait à ses sensations une expression sublimé.

Alors, Valorsay, le misérable, sentit bien que c’était fini, et qu’il était perdu…

La rage, de même qu’une ivresse furieuse, envahit son cerveau, et pareil à la bête acculée qui se retourne et fait tête aux chiens, il se redressa, la face convulsée, l’œil sanglant, la bave à la bouche, effrayant de cynisme, de haine et d’ironie…

– Eh bien! oui… s’écria-t-il… oui! tout ce que vous venez d’entendre est vrai! Je sombrais, je me suis raccroché où j’ai pu! Ce n’est pas quand on boit son dernier bouillon qu’on fait le dégoûté… J’ai joué… Si j’avais gagné, vous seriez à mes genoux… J’ai perdu, vous me repoussez du pied!.. Lâches!.. Hypocrites!.. Injuriez-moi, mais comptez-vous, et dites-moi combien entre vous tous, tant que vous êtes, il y en a d’assez purs pour avoir le droit de me cracher des mépris à la face!.. Y en a-t-il cent? Y en a-t-il seulement cinquante?

Une tempête de huées couvrit sa voix.

Dès qu’elle cessa:

– Ah! la vérité vous blesse, mes très-chers, reprit-il en ricanant… Montrez-vous, croyez-moi, d’une vertu moins farouche!.. J’étais ruiné, cela dit tout… Mais lequel de vous ne l’est pas quelque peu?.. Lequel se suffit avec ses revenus et ne mange pas au sac!.. Votre dernier louis venu, vous essaierez de faire ce que j’ai fait ou quelque chose de pis… Et ne dites pas non, car pas plus que moi vous n’avez une conscience étroite, une ferme morale, des croyances sincères ou des aspirations généreuses… Vous poursuivez ce que j’ai poursuivi, rien de plus… Vous voulez ce que j’ai voulu, la vie à outrance, courte et bonne, enragée, enfiévrée, endiablée… Vous voulez le plaisir, le jeu, les chevaux, les filles perdues, la table toujours mise et les verres toujours pleins, toutes les jouissances du luxe, toutes les satisfactions de la vanité… Au bout de tout cela, il y a l’abîme de boue… J’y suis, je vous y attends, car vous y viendrez tous, nécessairement, fatalement… et ce sera justice!.. Ah! ah!.. vous ne trouvez plus mon aventure si drôle, maintenant! Allons, faites-moi place! s’il vous plaît!

Il s’avança, le front levé, et positivement on s’écartait, quand un domestique effaré parut, qui cria:

– Monsieur… monsieur le baron… La justice!.. Elle est en bas!.. Elle monte!.. Il y a un commissaire avec son écharpe…

Du coup, l’exaltation furibonde du marquis de Valorsay tomba…

Il devint plus pâle, s’il est possible, et trembla sur ses jarrets comme le bœuf manqué par la masse du boucher.

Puis, soudainement, une résolution désespérée se lut sur ses traits, la résolution du condamné qui, sachant qu’il ne peut éviter l’échafaud y monte d’un pas ferme…

Il s’approcha de M. Trigault, et d’une voix rauque:

– Me laisserez-vous arrêter chez vous, baron, dit-il, moi… un Valorsay!..

On eût dit que le baron attendait ce reproche.

Il entraîna le marquis et M. de Coralth, les poussa dans un petit salon au fond de la galerie, et ferma la porte.

Il était temps, le commissaire de police entrait.

– Lequel de vous, messieurs, prononça-t-il, est le marquis de Valorsay? Lequel de vous est Paul Violaine, dit le vicomte…

La détonation d’une arme à feu lui coupa la parole.

On se précipita vers le petit salon.

A terre, sur le dos, gisait le marquis de Valorsay, la tête affreusement fracassée. Sa main droite serrait encore la crosse d’un revolver… Il était mort.

– Et l’autre? cria-t-on, et l’autre?

La fenêtre ouverte, un rideau arraché et attaché à la balustrade, disaient comment avait fui M. de Coralth.

Plus tard seulement on connut les précautions du baron.

Sur la table du salon, il avait placé d’avance deux revolvers et deux paquets de chacun dix billets de mille francs…

Le vicomte n’avait pas hésité!..

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
880 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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