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Читать книгу: «Le gibet», страница 10

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Pendant la nuit du 17 au 18, de nombreux renforts, accourus de Shepherdstown, sous la conduite du colonel Lee, s’étaient joints aux troupes de Charlestown, et lorsque le soleil vint éclairer joyeusement le fond de la sombre vallée, l’attaque commença. Cette poignée de braves n’hésita pas à lutter contre tout un corps d’armée; John Brown, malgré son grand âge, n’était pas le moins intrépide: appuyé à une fenêtre, il faisait pleuvoir ses coups sur la troupe régulière; Edwin, calme, au milieu du tumulte, stimulait ses compagnons; actif, intrépide, il se multipliait partout.

Coppie, en s’avançant, leva la tête, et crut apercevoir, à moitié cachée, derrière le rideau d’une fenêtre qui faisait face à la Pompe, la tête de la jeune négresse, qu’il avait déjà remarquée à Kennedy.

Un frisson parcourut son corps, mais lorsqu’il releva les yeux, l’apparition s’était évanouie.

Cependant la fusillade durait toujours, chaque coup parti de la Pompe mettait un ennemi hors de combat, les défenseurs des esclaves, abrités derrière les murs, avaient peu souffert jusqu’alors.

– Assez de sang! dit Brown. – Edwin, mon ami, prenez un drapeau parlementaire, et allez dire à ces ennemis de la liberté que je me soumets à la condition qu’on nous laissera sortir avec nos armes et nos prisonniers jusqu’à la deuxième barrière du pont, que là, je m’engage sur l’honneur à mettre les captifs en liberté et à choisir ensuite entre la fuite et le combat.

Coppie fixa aussitôt un mouchoir blanc à l’extrémité d’un bâton, se présenta bravement à l’ennemi; le feu cessa presque aussitôt, mais pas assez vite car une balle vint frapper Stevens, tandis qu’Edwin se dirigeait vers le colonel Lee.

La proposition de Brown fut repoussée et la fusillade recommença. Alors, une scène que la plume ne saurait décrire, se passa dans ce réduit sous lequel les abolitionnistes jurèrent de s’engloutir. Coppie, par un motif d’humanité qu’on ne saurait trop louer, conduisit les prisonniers dans un coin où ils étaient à l’abri des balles tombant dru comme grêle dans le bâtiment. Brown tirait toujours. Tout à coup un de ses fils s’affaissa, mortellement blessé à son côté, en poussant un cri qui fit tressaillir les entrailles du père. Brown abaissa vers lui son regard plein d’anxiété, tandis que son bras portait à l’épaule l’arme vengeresse.

– Courage, enfant, dit-il, en lâchant la détente.

Puis il se retourna vers lui.

– Sois homme et meurs en homme.

Au même instant, une nouvelle exclamation de douleur domine la fusillade, c’est un autre de ses fils qui vient de recevoir, en pleine poitrine, une balle qui l’a traversée; Edwin le soutient dans ses bras; puis comme la lutte l’appelle, il dépose un baiser sur le front du pauvre enfant, et s’élance plus ardent à la défense. – Il a un mort de plus à venger.

– Seigneur! Seigneur! dit le vieillard, que votre volonté soit faite!

Et avec le calme que donne la conscience du devoir, il se remet impassible à sa place de combat; à ses pieds son enfant râlait, en proie à des tortures atroces.

– Ô mon père, criait le mourant, je souffre! Donnez-moi la mort!… Par pitié! un revolver, que je m’achève!… Mon père!… pitié!

John Brown répondit:

– Sois homme, mon fils, et meurs en homme.

Le moribond se contint; mais son âme s’envolait dans un effort qu’il faisait pour ne pas exhaler le cri suprême.

Pendant que ces scènes lugubres se passaient à l’intérieur, les assaillants, durement traités par le feu des insurgés, enfonçaient la porte au moyen d’une poutre transformée en bélier: lorsqu’elle vola en éclats, un spectacle sublime par son horreur eût arrêté un ennemi plus généreux.

John Brown était entre ses deux fils expirants: le héros, déjà criblé de blessures, tenait son arme haute; à côté de lui, Edwin, le visage enflammé, parait les coups et les rendait; alors eut lieu une mêlée qui ne saurait être décrite; militaires et insurgés disparurent dans un seul groupe; le sang ruissela partout. Coppie, blessé, résistait avec une opiniâtreté héroïque en couvrant autant qu’il le pouvait le vieillard de son corps. Soudain un coup de sabre atteint Brown à la tête.

– Fuyez, dit le vieillard en se relevant, fuyez pour me venger!

– Oui, vous serez vengé, je le jure par mon sang! dit son troisième fils.

Et, profitant du tumulte, il se fraye un passage au milieu des ennemis, en entraînant Hazlett et Moreau.

À peine sont-ils sortis qu’Edwin reçoit une blessure.

Sous l’étreinte de la douleur, il chancelle.

Soudain, un cri déchirant, qui fait bondir Edwin, perce le bruit de la bataille. Coppie aperçoit la jeune négresse, les bras tendus vers lui: mais un nuage lui voile la vue et le jeune homme s’affaisse sur lui-même en murmurant:

– Étrange! ô mon Dieu! étrange!

En ce moment, John Brown, labouré par six blessures, dont deux sillonnent son noble front, tomba près d’Edwin, entre les corps de ses pauvres enfants.

Le combat avait cessé.

Et les valeureux Virginiens triomphants, criaient:

– Hourra! John Brown est pris!

Dans la nuit qui suivit ce drame, la prison de Charlestown recevait les captifs. C’étaient John Brown, Edwin Coppie, Coppeland, Shield Green, Stevens et Cook.

XVIII. Le procès

– Ils vont venir, les brigands!

– Quelle heure est-il?

– Onze heures.

– Encore une heure, une heure moins un quart.

– Combien sont-ils?

– Ils sont sept ou huit, les gueux! Ils voulaient nous tuer, nous faire assassiner par ces brutes de nègres.

– On les gibettera.

– Et l’on fera bien.

– Qu’en pensez-vous, monsieur Williams?

– Je pense qu’ils ne valent pas la corde pour les pendre.

Tous ces propos, et mille autres que nous ne saurions rapporter, étaient échangés dans la foule qui, huit jours après l’affaire d’Harper’s Ferry, le 26 octobre, attendait impatiemment, devant le tribunal de Charlestown, l’arrivée des six accusés, John Brown, Edwin Coppie, Stevens, Cook, Green et Coppeland.

Les soldats avaient peine à maintenir cette multitude cherchant à franchir la haie, qui traçait un étroit sentier au travers de la place: deux canons chargés à mitraille, – car on craignait une tentative d’enlèvement, – étaient en batterie dans la cour, devant la salle d’audience.

Soudain une clameur sortit du sein de cette foule, et l’on vit déboucher, par une des extrémités de la place, une escouade de militaires, au milieu desquels on apercevait deux hommes portés sur une civière, et quatre autres prisonniers marchant péniblement derrière eux.

Les deux premiers étaient Brown et Stevens; des linges et des mouchoirs maculés de sang enveloppaient leurs têtes; puis, venait Coppie, se traînant fièrement, la tête haute, malgré sa blessure; puis Coppeland et ses deux compagnons.

La vue de ces hommes vaincus, blessés, à l’aspect souffrant, ne souleva aucune pitié dans le cœur de la cohue, qui les accueillit par des cris insultants.

– Les lâches! murmurait Edwin.

Au fur et à mesure qu’ils avançaient vers le péristyle, la haie se fermait, et la foule, affamée du spectacle, se précipitait tumultueuse sur leurs pas.

La porte du tribunal s’ouvrit devant eux et se ferma, puis se rouvrit quelques instants après pour donner accès aux curieux, qui envahirent confusément l’enceinte du prétoire réservée au public.

À midi précis, les douze jurés, suivis bientôt des trois juges, firent leur entrée dans la salle.

Les premiers se rangèrent sur une estrade à droite du tribunal, les juges prirent place sur des fauteuils élevés, faisant face aux accusés.

Devant eux, des tables à pupitres étaient couvertes de papiers.

Au-dessous, et vis-à-vis des juges, se tenaient les attorneys ou procureurs, chargés de soutenir l’accusation, le grand schérif et plusieurs avocats.

Les inculpés avaient été placés derrière, Brown et Stevens, sur des lits de sangle, les quatre autres, dans la box affectée aux prévenus.

Des agents de police se tenaient près d’eux.

– Au-delà, sur un banc, les rapporteurs-sténographes des journaux, les dessinateurs de revues, préparaient leurs plumes ou leurs crayons.

Au-delà, enfin, une masse de gens avides de voir les bandits de Harper’s Ferry, avides de savourer leurs tortures morales, d’entendre leur condamnation.

Dans cette assemblée, cependant, on eût pu remarquer quelques visages attristés, certaines personnes qui promenaient sur les accusés des regards timidement sympathiques, ou jetaient sur leur entourage grondeur des yeux irrités.

Parmi ces personnes se trouvaient deux femmes assises aux deux extrémités de la salle. Elles étaient belles toutes deux, et toutes deux elles captivaient l’attention de plus d’un spectateur.

L’une était miss Rebecca Sherrington; l’autre, Elisabeth Coppeland.

Un moment avant l’ouverture des débats, la première reconnut la négresse.

Elle tressaillit, ses traits se contractèrent, sa physionomie s’arma d’une expression dure, menaçante, et elle dit à un officier qui l’accompagnait:

– Comment se fait-il, monsieur Harvey, qu’on laisse pénétrer les nègres jusqu’ici?

– Des nègres, répondit-il, mais à l’exception de deux des accusés, je n’en vois aucun.

– Tenez!

Et Rebecca, du bout d’un éventail qu’elle tenait à la main, désigna Elisabeth.

– Ça, dit-il, c’est une femme de chambre!

– Une esclave marronne, monsieur Harvey.

– Je ne crois pas, miss.

– Comment, monsieur, vous ne le croyez pas, quand je vous fais l’honneur de vous l’assurer! répondit sèchement Rebecca.

– Je me serais bien gardé d’en douter, si cette fille ne servait comme femme de chambre chez un de mes parents.

– Depuis combien de temps?

– Je ne sais au juste, miss, mais la dame qui lui parle à présent est justement la femme de mon parent.

– C’est différent; alors, je me serai trompée, dit Rebecca en reportant ses yeux sur les prisonniers.

Coppie échangeait alors un coup d’œil mélancolique avec Bess.

Rebecca saisit au passage ce signe d’intelligence. Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang pour ne pas éclater.

L’arrivée du jury mit fin aux conversations particulières.

Un silence solennel remplaça les murmures qui bourdonnaient dans la salle, et le greffier du tribunal donna lecture de l’acte d’accusation.

Cet acte renfermait trois chefs principaux.

Les détenus étaient inculpés de:

1° Tentative de soulèvement des nègres;

2° Haute trahison;

3° Meurtre.

Quand le greffier se fut rassis, Brown se souleva avec difficulté sur son matelas, s’appuya sur les coudes, et dit d’une voix faible mais claire:

Virginiens,

Je veux vous éviter des peines inutiles. Aussi, avant d’aller plus loin, écoutez-moi. Vous savez que je n’ai pas demandé grâce. Votre gouverneur m’a assuré qu’on ferait mon procès d’une façon convenable, régulière, je ne le crois pas; cela me paraît impossible. Si vous avez soif de mon sang, prenez-le.

À quoi bon un simulacre de procès? Comment des ennemis pourraient-ils juger loyalement un ennemi? Je vous le répète, si vous voulez mon sang, prenez-le à l’instant même.

Je n’ai pas d’avocat, et n’ai personne à qui j’aie pu demander conseil. Séparé de mes compagnons, j’ignore s’ils veulent se défendre, et si telle est leur intention, j’ignore sur quoi ils baseront leur défense. Je ne suis donc pas en état de me défendre.

D’ailleurs, les blessures que j’ai reçues à la tête ont gravement altéré ma mémoire et m’ont rendu presque sourd. Ma santé est bien mauvaise.

Il y a bien des circonstances atténuantes que je pourrais invoquer dans un procès régulier, mais comme je sais que tel ne sera ni le mien, ni celui de mes compagnons, et que tout annonce qu’on le fera forcément aboutir à des condamnations à mort, je vous engage à couper court et à en finir tout de suite.

Je ne crains point la mort, et suis prêt à mourir. Je ne vous demande point de me faire un procès; mais je ne veux point non plus être insulté. À quoi bon tous ces interrogatoires? En quoi peuvent-ils profiter à la société? Je ne vous demande donc qu’une chose, c’est d’en finir et de ne point m’insulter comme des barbares insultent les victimes tombées en leur pouvoir».

Après ces mots, l’Apôtre de l’Émancipation des noirs retomba épuisé sur son lit de douleur. Ses coaccusés témoignaient, par leur attitude, qu’ils partageaient entièrement la manière de voir de leur capitaine.

Coppie, surtout, rayonnait de fierté.

Il ne pouvait apercevoir Rebecca Sherrington. Mais celle-ci lisait distinctement sur sa figure les émotions qui agitaient le beau jeune homme. Et la jalousie lui brûlait le cœur, car les yeux d’Edwin ne quittaient le jury que pour s’abaisser tendrement sur Bess Coppeland, dont la physionomie tout entière révélait un profond amour pour Coppie.

La cour nomma d’office des avocats aux accusés.

Puis l’audition des témoins commença. Elle dura jusqu’au soir.

Pendant la séance, Stevens s’était évanoui et la faiblesse de Brown était si grande qu’il fallait le soutenir quand il avait à répondre.

Coppie et le reste des inculpés se montrèrent vigoureux au moral comme au physique.

Le lendemain la foule était plus grande encore dans la salle d’audience.

Rebecca Sherrington y vint aussi comme la veille. Mais vainement chercha-t-elle la négresse. Elisabeth Coppeland ne parut pas.

Il sembla à Rebecca qu’Edwin avait l’air soucieux, et elle attribua généreusement cette disposition à l’absence de l’esclave.

– Oh! pensait-elle, il l’aime! mais comme je me suis vengée! quel châtiment!

Cette réflexion la fit frémir. Elle pâlit: elle eut peur d’elle-même; elle aurait voulu sortir, elle ne le pouvait. Le supplice pour elle allait commencer.

Brown souffrait moins que les jours précédents.

Il adressa ces mots aux juges:

«Mon état m’empêche complètement de suivre les différentes phases d’un procès régulier. Je me sens extrêmement faible, par suite de mes blessures aux reins. Pourtant je suis moins mal qu’hier, et ne demande qu’un court délai; après lequel je pourrai, ce me semble, suivre les débats, je ne demande rien de plus. «Au diable même on laisse son droit», dit un vieux proverbe. Mes blessures à la tête m’empêchent d’entendre distinctement, et je n’ai pu comprendre les paroles que vient de dire le président de la cour. Je ne demande donc qu’un petit délai, qu’en toute justice la cour ne peut me refuser».

À cette requête, la cour ne voulut point accéder.

Les esclavagistes tremblaient depuis l’échauffourée de Harper’s Ferry. Ils appréhendaient une tentative nouvelle. L’effroi, leur inoculant ses lâchetés, ils craignaient de ne pas dormir tant que vivraient Brown et ses complices.

Le procès continua.

Brown fut admirablement soutenu par ses avocats, dont l’un, M. Hogt, lui avait été envoyé par ses amis de Boston. Mais à quoi bon cette défense? Sa condamnation n’était-elle pas décidée depuis l’heure de son arrestation?

Il le sentait si bien que, demandant la parole, il s’écria:

«Malgré les assurances les plus formelles qui m’avaient été données, je vois que mon procès n’est qu’une ignoble comédie. Je remercie les deux défenseurs que vous venez d’entendre, et je n’attendais rien moins de leur loyauté. Mais quand on m’a arrêté j’avais 260 dollars en argent, qu’on m’a enlevés; il m’est impossible, sans cet argent, de faire assigner mes témoins et d’obliger les schérifs à les amener aux pieds de la cour. Au surplus, le nouvel avocat que Boston m’a fourni, et que je n’ai jamais vu, a besoin de s’entendre avec moi sur quelques points de ma défense. Je demande donc comme une faveur spéciale que la cause soit renvoyée à demain à midi».

Après de nouvelles discussions, la cour prononça l’ajournement de la cause au lendemain. Mais, afin de rassurer les esclavagistes, le président donna l’ordre aux policemen et aux geôliers de tuer sans pitié tous les prisonniers si on faisait la moindre tentative pour leur délivrance.

À l’audience suivante, Brown parvint encore à obtenir un sursis, et le 30, à neuf heures du matin, les débats furent repris.

La salle était trop étroite pour la marée humaine qui l’avait envahie.

Ce jour-là, Elisabeth Coppeland parut au milieu des spectateurs.

L’aspect de la négresse était bien changé! – si changé que Rebecca eut quelque peine à la reconnaître.

Serrée dans un coin de la salle, la pauvre Bess considérait, tour à tour, son frère John Coppeland et Edwin Coppie.

Les yeux de l’esclave étaient secs; mais leur éclat disait assez quelles angoisses déchiraient son âme.

Par ses regards doux et suppliants, Edwin tâchait de verser des consolations dans le sein de la désolée créature.

Les autres accusés gardaient leur sang-froid habituel.

La défense de Brown ayant été présentée avec éloquence par MM. Chilton et Griswoold, M. Hunter, le procureur du district, répondit au nom de l’accusation. Son réquisitoire fut très court:

«Le crime était flagrant, la société attendait un exemple salutaire qui la préservât des nouvelles utopies sanglantes; le jury virginien ferait son devoir».

On attendait le résumé du président du tribunal. Il dédaigna de le faire.

À quatre heures les jurés se retirèrent pour délibérer.

À cinq, ils rentrèrent dans la salle d’audience, au milieu d’un silence lugubre.

Les accusés se levèrent.

Deux agents de police aidèrent John Brown à se tenir debout.

Le juge en chef se tourna alors vers le foreman ou président du jury:

– John Brown est-il coupable ou non coupable?

Le foreman répondit:

– Coupable de trahison, de complot contre la sûreté de l’État, de conspiration, de tentative d’insurrection parmi les nègres, de meurtre au premier degré.

Le juge s’adressant alors à Brown:

– Accusé, avez-vous quelque chose à dire contre la condamnation à la peine de mort?

Le vieux Brown, malgré les vives douleurs que lui causaient ses blessures, répliqua d’un ton lent mais assuré:

«Oui; si la cour me le permet, j’ai quelques mots à dire. D’abord, je nie toutes les accusations portées contre moi, excepté un dessein très prononcé de ma part d’affranchir les esclaves. J’avais l’intention de faire en Virginie ce que j’ai fait l’hiver dernier au Missouri, où j’enlevai des esclaves, sans qu’il fût brûlé un grain de poudre de part ou d’autre et d’où je parvins à les conduire au Canada. Je voulais opérer les mêmes actes de libération, mais sur une échelle plus vaste. Voilà quels étaient mes projets. Je n’ai jamais eu l’intention de commettre de trahison ou de meurtre, de détruire les propriétés, d’exciter les esclaves à la révolte.

Il est injuste que je sois condamné à la peine capitale. Si ce que vous me reprochez, et qui a été loyalement prouvé par tous les témoignages, sans exception, qui ont ainsi rendu justice à ma conduite telle que je vous en ai exposé le motif, je l’eusse fait dans l’intérêt des gens riches, intelligents, puissants, ou dans celui de leurs amis ou parents, ou en faveur d’un membre quelconque de cette classe; si j’avais souffert pour eux les sacrifices que j’ai acceptés en cette circonstance, tout aurait été pour le mieux, et chacun des membres de ce tribunal m’eût jugé digne de récompense, et non pas de châtiment.

Cette cour reconnaît, je le suppose du moins, la validité des lois de Dieu. Je vois baiser un livre que je crois être la Bible, ou du moins le Nouveau Testament, et qui m’enseigne que tout ce que je voudrais qu’il me fût fait, je dois le faire aux autres. Il m’enseigne de plus que je ne dois pas plus oublier ceux qui sont dans les chaînes que si j’y étais avec eux. J’ai agi de mon mieux conformément à ce précepte. Je me déclare trop jeune pour comprendre que Dieu respecte spécialement quelques individus et crée des catégories de privilégiés. Intervenir, comme je l’ai fait, en faveur de ces pauvres méprisés et malheureux, n’est pas mal; tout au contraire, c’est bien. Mais si vous jugez nécessaire que je fasse le sacrifice de ma vie pour hâter les fins de la justice, s’il est utile que mon sang se mêle à celui de mes enfants et de millions d’individus dont les droits sont méconnus dans les pays à esclaves, par les actes législatifs les plus cruels et les plus injustes, je vous le dis et déclare: Qu’il en soit comme vous l’entendez.

Je n’ai plus qu’un mot à ajouter. Je suis satisfait de la façon dont mon procès a été conduit. Tout bien considéré, vous avez été encore plus généreux que je ne m’y attendais. Mais je ne me sens pas coupable, et je n’éprouve aucun remords. Je n’ai voulu attenter à la liberté de personne; je n’ai conseillé aucune trahison; je n’ai provoqué aucune insurrection générale, et même j’ai tout fait pour que des gens qui avaient conçu ce dernier projet y renonçassent. On a prétendu que j’avais engagé quelques individus à se joindre à moi; c’est tout le contraire qui a eu lieu. Ils sont venus de leur propre mouvement, par faiblesse peut-être, et à leurs frais. Il en est même que je n’avais jamais vus et auxquels je n’ai adressé la parole que le jour où ils sont venus me prêter main-forte».

Ce discours produisit peu d’impression sur l’auditoire, composé en majeure partie d’esclavagistes.

Le lendemain, 1er novembre, Brown comparut encore devant ses bourreaux.

Le juge se couvrit du bonnet noir et prononça ces paroles funèbres:

«La cour ordonne que vous, John Brown, soyez, le deux décembre prochain, tiré de votre prison, pour de là être conduit sur le lieu ordinaire des exécutions à Charlestown, et y être pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive. Que Dieu ait pitié de votre âme!»

À cet instant, un cri étouffé jaillit du milieu de la foule.

– Oh! dit un Virginien, ce n’est qu’une chienne de négresse qui se donne le genre d’avoir des nerfs.

Le mot souleva un éclat de rire que ne couvrit pas entièrement la voix grave de Brown.

Il disait:

«Que la volonté de Dieu soit faite! Si ma mort peut servir à quelque chose, je l’accepte avec joie. Ce que j’ai fait, je le ferais encore. En agissant comme je l’ai fait, j’ai obéi aux inspirations de l’Évangile. Le Christ a enseigné l’amour de ses semblables. Je n’ai donc fait que suivre à la lettre ce qu’il a dit, et je suis convaincu d’avoir accompli un devoir humain, religieux et chrétien, en cherchant à arracher à l’oppression mes malheureux frères tenus en esclavage, et à faire rentrer dans ses droits une race victime du plus odieux abus de la force».

Dès qu’il eut fini, on le reporta dans son cachot, à travers une foule qui s’écoulait lentement en proférant des imprécations contre les abolitionnistes.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 августа 2016
Объем:
220 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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