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Читать книгу: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 8», страница 13

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Chant Quatrième

1. Le dernier rayon d'espoir dans l'homme réduit aux abois ressemble à la blanche voile livrée à une mer orageuse, lorsque la moitié de l'horizon est obscurcie de nuages et que l'autre moitié en est dégagée. Flottante entre le ciel et la sombre vague, son ancre l'a abandonnée, mais sa voile de neige, au milieu de la violence des vents, continue d'attirer nos yeux, et quoique chaque flot qu'elle surmonte l'éloigne de plus en plus de nous, le cœur se plaît à la suivre des plus lointains rivages.

2. Non loin de l'île de Toobonaï un noir rocher élève son sein au-dessus des flots. Sauvage demeure des oiseaux désertée par les hommes, c'est là que le veau marin farouche se met à l'abri du vent, et repose sa masse pesante dans son obscure caverne, ou qu'il gambade lourdement aux brûlans rayons du soleil. C'est là que la barque à son passage entend l'écho répéter le cri perçant de l'oiseau de l'océan qui élève sur cette cime nue sa jeune couvée, destinée à devenir à son tour les pêcheurs ailés de cette solitude. Une étroite portion de sable jaune, s'avançant dans la mer en demi-cercle, forme d'un côté le contour d'une espèce de plage. Ici la jeune tortue, rampant hors de sa coquille, se traîne vers les flots, demeure de ceux qui lui donnèrent la vie; nourrisson d'un jour, un rayon vivifiant du soleil la fit éclore pour la rendre à l'océan. Tout le reste n'était qu'un précipice affreux, le plus affreux où les matelots aient jamais trouvé un asile et le désespoir; lieu capable de faire regretter aux échappés du naufrage le vaisseau qu'ils ont vu s'engloutir, et de leur faire envier le sort des victimes de la tempête. Tel était le triste refuge que Neuah avait choisi pour son amant. Mais tous ses secrets n'étaient pas révélés, et elle y connaissait un trésor caché à tous les yeux.

3. Avant que les canots se séparassent dans ce même endroit, les hommes qui dirigeaient celui auquel était confié le sort de son cher Torquil furent envoyés par ses ordres dans la barque de Christian, afin de réunir leurs forces pour presser sa fuite. – Vainement ce dernier tenta de s'y opposer. – Elle lui montra en souriant et d'un air calme l'île rocailleuse et lui dit: «Hâtez-vous et soyez sauvé!» Quant à elle, elle répondait du reste, pour l'amour de Torquil. Le canot partit avec ce renfort de bras, s'élança comme une étoile qui file, et fut bientôt loin de l'ennemi qui se dirigeait alors tout droit sur le rocher dont s'approchaient Neuah et Torquil. Ils firent force de rames. Le bras de la jeune sauvage, quoique délicat, était agile et vigoureux à lutter contre la mer, et le cédait à peine à la force masculine de Torquil; leur canot n'était plus qu'à la distance de sa longueur du front escarpé, impraticable, du rocher qui n'avait à sa base que des eaux sans fond; l'ennemi n'était plus séparé d'eux que par la longueur d'une centaine de barques, et maintenant quel refuge était offert à leur fragile canot? Ce fut la question que Torquil adressa à Neuah avec un regard qui exprimait presque un reproche et semblait dire: «Neuah m'a-t-elle amené ici pour y mourir? Est-ce ici un lieu d'asile ou un tombeau, et cet immense rocher est-il le sépulcre des victimes des vagues?»

4. Ils étaient appuyés sur leurs pagaïes. Neuah se lève, et lui montrant l'ennemi qui s'approchait, s'écrie: «Suis-moi, Torquil, et suis-moi sans crainte!» Soudain elle se plonge dans les profondeurs de l'océan. Il n'y avait pas une minute à perdre; – les ennemis étaient proches, offrant des chaînes à ses yeux et exhalant des menaces à ses oreilles. Ils ramaient avec vigueur, et, en s'approchant, lui criaient de se rendre au nom de son honneur perdu. Torquil se précipite dans les flots. – L'art du nageur lui était familier dès l'enfance, et c'était de lui maintenant qu'allait dépendre tout son espoir. – Mais où va-t-il? – Il s'enfonce et ne reparaît plus? L'équipage de la chaloupe regarde avec consternation la mer et le rivage. Il n'y avait pas d'endroit où l'on pût débarquer sur ce précipice escarpé, nu et glissant comme une montagne de glace. Ils regardèrent quelque tems, s'attendant à le voir flotter au-dessus des flots; mais nulle trace ne sillonna la mer. La vague continua de s'écouler après qu'ils se furent plongés dans son sein, sans qu'aucun bouillonnement en rappelât le moindre indice. Le faible reflux de l'eau; la légère écume qui, semblable à un blanc sépulcre, s'était élevée sur l'endroit qui semblait le dernier gîte de ce jeune couple, qui ne laissait pas après lui de monument fastueusement triste comme un héritier; la barque paisible ballottée par les flots: voilà tout ce qui parlait encore de Torquil et de son épouse; et, sans cette petite barque, tout ceci aurait pu passer pour le fantôme évanoui du rêve d'un marin. Ils s'arrêtèrent, et cherchèrent en vain; puis se remirent à ramer pour s'en retourner, la superstition même leur défendant de s'arrêter là plus long-tems. Quelques-uns dirent qu'il ne s'était pas plongé dans les vagues, mais qu'il s'était évanoui comme un esprit follet; d'autres que quelque chose de surnaturel les avait frappés dans sa figure et dans sa taille au-dessus de l'humaine; tandis que tous convenaient que ses joues et ses yeux offraient la teinte cadavéreuse de la mort. Cependant, tout en s'éloignant du rocher, ils s'arrêtaient auprès de chaque plante marine, s'attendant à trouver quelque trace de leur proie. – Mais non, elle s'était dissipée à leurs yeux comme l'écume marine.

5. Et où était-il ce pèlerin de l'océan? Suivait-il sa Néréide? Tous deux avaient-ils cessé pour jamais de souffrir, ou, reçus dans des grottes de corail, avaient-ils arraché quelque pitié aux vagues attendries, et en avaient-ils obtenu la vie? Habitaient-ils parmi les mystérieux souverains de l'océan? faisaient-ils résonner avec Mermen le coquillage fantastique? Neuah, au milieu des sirènes, peignait-elle ses longs cheveux alors flottans sur l'océan comme ils l'avaient jadis été dans l'air? Ou bien avaient-ils péri, et dormaient-ils du sommeil de la mort sous ce gouffre dans lequel ils s'étaient élancés avec tant d'intrépidité?

6. La jeune Neuah s'était plongée dans les flots, et il l'avait suivie. À la manière dont elle traversait les profondeurs de sa mer natale, on l'eût cru née au sein de cet élément, tant elle avait d'aisance, de grâce et de fermeté! Une trace lumineuse marquait son passage; on eût dit qu'il sortait des étincelles de ses pieds, comme d'un acier amphibie. Ne la perdant pas de vue, et presque aussi habile qu'elle à explorer les abîmes où les plongeurs vont à la recherche des perles, Torquil, le nourrisson des mers du Nord, suivait ses pas liquides avec adresse et facilité. Pendant un moment, Neuah s'enfonça plus bas; puis se relevant, elle reparut, étendit les bras, secoua sa noire chevelure pleine d'écume, et fit résonner les rochers d'un rire joyeux. Ils avaient de nouveau atteint un royaume central de la terre, mais c'est en vain qu'on y aurait cherché un arbre, des champs et un ciel. – Elle indiqua du doigt à son époux une grotte spacieuse52, dont la vague mobile était le seul portique; cavité profonde, que le soleil ne voit jamais, si ce n'est à travers le voile verdâtre des flots, dans ces jours de fête de l'océan où son onde est claire et transparente, et où tout le peuple poisson se livre à de folâtres jeux. Avec ses cheveux, Neuah essuya l'eau qui découlait des yeux de Torquil, puis elle frappa dans ses mains de joie en voyant son étonnement. Elle le conduisit dans un endroit où le roc paraissait s'avancer en saillie et former une espèce de hutte semblable à celle d'un triton. Du moins à ce qu'il leur parut, car pendant quelque tems ils se trouvèrent dans les ténèbres, jusqu'à ce que le jour, pénétrant par les fentes du rocher, y eût répandu une faible clarté, telle que celle qui luit dans l'aile d'une vieille cathédrale où d'antiques monumens poudreux fuient l'éclat de la lumière: de même la voûte de leur grotte marine ne laissait entrer qu'une lueur mélancolique.

7. La jeune sauvage tira de son sein une torche de pin, entourée de gnatoo, et recouverte d'une feuille de plantain, afin de mieux préserver de l'humidité des flots sa dernière étincelle. Cette enveloppe l'avait tenue sèche; puis, tirant de la même feuille de plantain une pierre et quelques petits branchages de bois sec, elle en fit jaillir du feu avec la lame du couteau de Torquil, et allumant sa torche, elle en éclaira la grotte. Cette dernière apparut alors vaste et élevée; c'était une voûte gothique qui s'était créée elle-même. La nature était l'architecte qui avait élevé ses arceaux; les architraves étaient peut-être dus à quelque tremblement de terre. Les arcs-boutans avaient pu être précipités du sein de quelque montagne, alors que les pôles craquaient, et que le monde était couvert d'eau; ou peut-être calcinés par un feu concentré dans les entrailles de la terre, tandis qu'à peine échappé de son bûcher funèbre, les débris du globe fumaient encore. Rien n'y manquait, ni le faîte orné de ciselures et de reliefs, ni les ailes 53, ni la nef. Là, tout semblait avoir été creusé des mains de l'obscurité pour y faire son temple. Là, aussi, en se livrant quelque peu aux fantaisies de l'imagination, on croyait voir la voûte peuplée de figures bizarres, tristes ou grimaçantes. Une mitre, une châsse attiraient l'œil qui se reportait bientôt sur l'image d'un crucifix. C'est ainsi que la nature, se jouant avec les stalactites, s'était élevé une chapelle au sein des mers.

8. Neuah prit alors son Torquil par la main; et agitant le long de la voûte sa torche allumée-elle le conduisit dans chaque enfoncement, et lui montra tous les endroits secrets de leur nouvelle demeure. Elle n'en resta pas là; tout avait été dès long-tems préparé par elle pour adoucir le sort qu'elle devait partager avec son amant. Il y trouva une natte pour se livrer au repos; le frais gnatoo pour lui servir de vêtement, et l'huile de sandale pour se garantir de la rosée. Pour aliment, la noix de coco, l'igname et le pain produit de l'arbre. Pour table, le plantain étendant ses larges feuilles, et l'écaille de la tortue qui offre un banquet délicieux dans la chair qu'elle renferme. La gourde remplie d'eau fraîchement puisée à la source, la mûre banane cueillie sur la fertile montagne, une pile de branches de pin, pour entretenir sous ces voûtes une clarté perpétuelle; enfin, Neuah elle-même, belle comme la nuit, venait animer de son ame tout ce qui les entourait, et répandre la sérénité et la lumière dans ce monde souterrain. Depuis que l'étranger avait débarqué pour la première fois dans son île, elle avait prévu que la force ou la fuite pouvait les trahir. Alors elle avait formé un asile de cet antre rocailleux où Torquil put être en sûreté contre ses compatriotes. Chaque aurore, la brise matinale avait transporté vers ces lieux son léger canot chargé de tous les fruits dorés qui mûrissent dans ces beaux climats. Chaque soir l'avait vue s'y diriger encore avec tout ce qui pouvait embellir et égayer leur grotte de spath. Et maintenant elle étalait à ses yeux ses petits trésors avec un sourire qui indiquait assez que Neuah était la plus heureuse des filles de ces îles hospitalières.

9. Tandis qu'il la regardait avec admiration et reconnaissance, elle, pressant sur son cœur passionné l'amant qu'elle venait de sauver, accompagnait ses douces caresses d'un ancien conte d'amour; car l'amour est vieux, vieux comme l'éternité, quoiqu'il ne soit pas usé par tous les êtres qui furent, sont, ou seront un jour 54. Elle lui raconta comment il y avait bien mille lunes, un jeune chef, s'étant plongé dans ces profondeurs à la recherche de la tortue, en suivant les traces de sa proie, s'était trouvé dans la grotte qui leur servait d'asile; comment, quelque tems après, à la suite d'un combat sanglant, il y avait caché une fille du sol, qui devait la naissance à ses ennemis, ennemie trop chère, sauvée par sa tribu pour subir le sort des captifs; comment, lorsque les orages de la guerre furent calmés, il avait conduit sa tribu insulaire à l'endroit où les ondes étendent leur ombre épaisse et verdâtre sur l'entrée rocailleuse de la grotte, puis s'était enfoncé dans les flots comme pour n'en ressortir jamais, tandis que ses compagnons consternés, dans leurs barques, le croyaient fou, et tremblaient de le voir la proie du bleu requin. Plongés dans l'affliction, ils ramèrent tristement autour du rocher qu'entourait la mer, puis se reposèrent sur leurs pagaies avec abattement, lorsque tout-à-coup ils voient surgir des flots une fraîche déesse, telle elle leur apparut, du moins, dans la surprise et l'admiration dont ils furent frappés. Leur chef était à ses côtés, relevant la tête avec orgueil, heureux et fier de sa jeune sirène, de sa belle épouse, et comment, lorsque ses compatriotes reconnurent leur erreur, ils portèrent les deux époux sur le rivage, au son des conques marines, et de mille acclamations joyeuses; enfin, comment ils vécurent heureux et moururent en paix. Et pourquoi n'en serait-il pas de même de Torquil et de son épouse? Il ne m'appartient pas de décrire les caresses impétueuses, passionnées, qui suivirent ce récit, et qui firent de cet asile sauvage un séjour d'ivresse. Il suffit de dire que tout était amour, dans cette grotte aussi souterraine, aussi éloignée des regards des humains, que la tombe où Abailard, vingt ans après sa mort, ouvrit encore les bras pour recevoir le corps d'Héloïse descendu sous la voûte nuptiale, et presser contre son cœur ranimé ses restes de nouveau palpitans 55. Les vagues avaient beau murmurer autour de leur couche, leur mugissement n'était pas plus entendu que si la vie les eût abandonnés. Au-dedans d'eux, leurs cœurs formaient une délicieuse harmonie qui s'exhalait dans le murmure et les soupirs entrecoupés de l'amour.

10. Et ceux qui avaient causé et partagé ce désastre; ceux qui les livraient à l'exil dans la cavité d'un roc, qu'étaient-ils devenus à leur tour? Ramant comme lorsqu'il y va de la vie, ils demandaient au ciel l'asile que les hommes leur refusaient. Libres de leur choix, ils eussent suivi une autre route; mais où se diriger! le flot qui les portait portait aussi leurs ennemis! Ceux-ci, trompés dans leurs premiers efforts, s'étaient remis de nouveau à la poursuite; enflammés de colère, comme des vautours privés de leur proie, leurs bras vigoureux fendaient les flots. Bientôt ils gagnèrent de l'avantage sur ceux qui ne pouvaient plus trouver de salut que sur quelque roc aride ou dans quelque baie enfoncée et inconnue: – nulle autre chance, nul autre espoir ne leur restait. – Ils se dirigèrent donc vers le premier rocher qui frappa leurs regards, pour prendre leur dernier congé de la terre, et céder comme des victimes ou mourir le glaive à la main. Là, Christian renvoya les sauvages et leur canot, quoique ceux-ci eussent encore voulu se battre pour ce petit nombre d'hommes; mais il leur commanda de retourner dans leur île, et de ne pas ajouter à tout ce qu'ils avaient déjà fait un sacrifice inutile: car que pouvaient l'arc et la lance grossière contre les armes qui allaient être employées?

11. Ils débarquèrent sur une plage étroite et sauvage, où l'on avait rarement vu d'autres traces que celles de la nature, et avec ce regard sombre, fixe et farouche de l'homme parvenu aux dernières extrémités du malheur, alors que tout espoir est perdu, que la gloire elle-même ne lui reste pas pour animer sa résistance contre la mort ou les fers, ils attendirent tous trois, comme attendirent jadis les trois cents braves qui teignirent les Thermopyles de leur sang héroïque. – Mais quelle différence entre eux! c'est la cause qui fait tout; c'est elle qui dégrade ou consacre le courage qui succombe. Sur ces trois hommes, aucun rayon de gloire, aucune promesse d'immortalité ne brillait à travers les nuages épais de la mort. Une patrie reconnaissante, souriant à travers ses larmes, n'entonnait pas pour eux cet hymne de louanges répété pendant plus de mille ans. Les yeux d'aucune nation ne devaient se fixer sur leur tombe; – aucun monument funèbre, élevé à leur mémoire, ne devait exciter l'envie des héros. Avec quelqu'intrépidité qu'ils répandissent les derniers flots de leur sang, leur vie était un opprobre, – leur épitaphe devait contenir un crime. Et tout ceci, ils le savaient et le comprenaient, du moins le chef de la troupe qu'il avait entraînée à sa perte, lui qui, né peut-être pour quelque chose de mieux, avait placé sa vie sur une chance long-tems incertaine; mais le dé allait être jeté, et toutes les probabilités se réunissaient pour annoncer sa chute. Et quelle chute! Toutefois, il envisageait la catastrophe d'un cœur aussi endurci que le rocher sur lequel il se tenait, et où il avait pointé son fusil, sombre lui-même comme le nuage épais qui se montre à côté du soleil.

12. La chaloupe s'approchait: elle était bien armée, elle avait un équipage ferme et prêt à faire ce que le devoir lui commanderait, indifférent aux dangers comme le vent d'automne l'est à la chute des feuilles qu'il fait tomber. Et cependant ces hommes auraient peut-être préféré marcher contre une nation étrangère que contre un ennemi natal, et sentaient que cette malheureuse victime de ses passions, pour avoir cessé d'être Anglais, n'en avait pas moins été un enfant de l'Angleterre. Ils lui crient de se rendre; – pas de réponse; leurs armes sont pointées, elles étincellent aux rayons du jour. Le même cri est répété, – pas de réponse; et cependant, une troisième fois, et plus haut que les deux premières, – on lui offre encore quartier. – L'écho résonnant du rocher répéta seul les sons mourans de leurs voix. – Alors une lueur jaillit, et l'on vit briller la décharge meurtrière: un nuage de fumée s'éleva entre les deux partis, tandis que le roc retentissait du bruit des balles qui sifflaient en vain et allaient s'aplatir en tombant. Ce fut alors que partit la seule réponse qui pût être faite par ceux qui avaient perdu tout espoir sur la terre ou dans le ciel. Après la première décharge, s'étant approchés de plus près, les Anglais entendirent la voix de Christian crier: – Maintenant feu! et avant que l'écho eût achevé de redire ces mots, deux hommes étaient tombés. Les autres assaillirent les âpres flancs du rocher, et, furieux de la démence de leur ennemi, dédaignèrent toute autre tentative pour en venir aux mains. Mais le roc était escarpé, et ne présentait aucun sentier frayé. À chaque pas, un nouveau rempart s'opposait à leur fureur; tandis que, debout au milieu des sommités les plus inaccessibles que l'œil de Christian était bien habitué à distinguer, nos trois rebelles soutenaient un combat à mort aux lieux que l'aigle a choisis pour construire son nid. Chacun de leurs coups portait, tandis que les assaillans tombaient brisés comme le coquillage rampant qui s'attache aux flancs du rocher. Cependant il en survivait encore assez qui ne se lassaient pas d'escalader et de se disperser çà et là, jusqu'à ce qu'enfin cerné et environné de toutes parts, non d'assez près pour être pris, mais assez pour y périr, le trio désespéré, comme des requins qui se sont gorgés de leur proie, vit que son sort ne tenait plus qu'à un fil. Quoi qu'il en soit, jusqu'au dernier moment ils se battirent bien, et aucun gémissement n'apprit à l'ennemi quel était celui qui venait de tomber. Christian succomba le dernier. – Deux fois blessé, on lui offrit encore merci en voyant son sang couler. Mais il était trop tard pour vivre et non pour mourir avec une main ennemie pour lui fermer les yeux. Un de ses membres était rompu et tomba le long du rocher comme un faucon privé de ses petits. Ce bruit le ranima et parut réveiller en lui quelque sentiment exprimé dans son faible geste. Il fit signe aux plus avancés, qui s'approchèrent en ce moment: il éleva son arme, sa dernière balle avait été tirée; mais, arrachant le premier bouton de sa veste 56, il l'enfonça dans le canon, ajusta, fit feu et sourit en voyant son ennemi tomber; puis, repliant comme un serpent son corps mutilé et épuisé, il se mit à ramper vers l'endroit où le précipice, s'élevant à pic au-dessus des flots, offrait comme lui l'image du désespoir. – Là, jetant un dernier regard derrière lui, il serra convulsivement le poing, déchargea pour la dernière fois sa rage contre cette terre qu'il allait quitter, et se laissa rouler dans l'abîme. Le rocher reçut en bas son corps brisé comme du verre, et ne formant plus qu'une masse sanglante dont il restait à peine un fragment qui parût avoir appartenu à une forme humaine, et qui pût servir de proie à l'oiseau marin où au ver. Un crâne à cheveux blonds souillé de sang et d'herbes de mer fumait encore. C'était tout ce qui restait de cet homme et de ses actions. On vit briller un instant encore dans le lointain quelques débris de ses armes que sa main avait tenues serrées jusqu'au dernier moment; mais bientôt, entraînés dans les flots, ils allèrent se couvrir de rouille sous les ondes écumeuses qui les engloutissaient: voilà toutes les traces qu'il laissa de lui, si l'on en excepte une vie mal employée, et une ame; – mais qui osera dire où elle alla? C'est à nous de pardonner et non de juger les morts, et ceux qui les condamnent si légèrement à l'enfer, en sont eux-mêmes sur la route, à moins que ces espèces de fanfarons, qui se plaisent à exagérer les peines éternelles, n'obtiennent grâce pour leur mauvais cœur, en faveur de leur plus mauvaise tête.

13. L'action était terminée! tout était pris ou détruit, fugitif, captif ou mort. Le peu de malheureux qui avaient survécu à l'escarmouche de l'île étaient enchaînés sur ce vaisseau, après avoir fait autrefois honorablement partie de son brave équipage. Mais le dernier rocher n'avait pas vu de dépouilles vivantes. Couchés à l'endroit où ils étaient tombés, froids, nageant dans leur sang, le vorace oiseau de mer agitait sur eux son aile humide, et quelquefois, se rapprochant de la vague voisine avec des cris perçans et discords, entonnait l'hymne funèbre. Mais, calme et insouciante, la vague continuait de se soulever, et poursuivait son cours avec son éternelle indifférence. Les dauphins se jouaient sur sa surface et le poisson-volant s'élançait vers le soleil, jusqu'à ce que son aile desséchée le fît retomber de sa hauteur éphémère, et plonger de nouveau dans l'onde pour se préparer à prendre un nouvel essor.

14. Le matin avait paru; et Neuah, qui dès l'aurore s'était mollement plongée dans l'onde pour recueillir les rayons naissans du jour, et examiner si personne ne s'approchait de l'antre amphibie où reposait son amant, aperçut une voile en mer: elle s'agitait, se gonflait, et courbait son arc flottant sous le joug de la brise naissante. Le souffle commença à lui manquer, tant elle se sentit troublée par la crainte! – son cœur se gonfla et palpita violemment, tandis qu'elle doutait encore de quel côté se dirigeait sa course. – Mais non, le vaisseau ne s'avance pas, – il s'éloigne au contraire rapidement. Il est déjà loin, et son ombre s'efface à mesure qu'il sort de la baie. Elle regarde, elle secoue l'écume de mer qui couvre ses yeux, afin de le contempler comme elle contemple les cieux quand elle espère y voir paraître l'arc-en-ciel. Le bâtiment, parvenu au dernier point de l'horizon, diminue, et bientôt ne présente plus qu'un point noir qui bientôt s'évanouit. Tout est océan, tout est bonheur. De nouveau elle se plonge à la mer pour aller réveiller son jeune amant, lui dit ce qu'elle a vu, ce qu'elle espère, enfin tout ce que l'amour heureux peut former de rians présages, s'élançant encore une fois avec Torquil, qui suit gaîment sa Néréide, bondissante au milieu de la vaste mer, – nageant autour du rocher vers un creux qui cachait le canot que Neuah y avait laissé flottant avec la marée, sans une rame, le soir où les étrangers les avaient chassés du rivage. Mais ceux-ci ont disparu; elle va à la recherche de sa pagaie, la retrouve, en reprend possession, et jamais, jamais, jamais barque fragile ne porta tant d'amour et de bonheur que celle-ci n'en contient en ce moment.

15. Leur rivage chéri paraît encore une fois à leurs yeux, non plus souillé par des couleurs hostiles; plus de vaisseau menaçant, de prison flottante fièrement arrêtée sur ses bords: tout est espoir et patrie! Mille embarcations s'élancent dans la baie, en sonnant dans des conques marines, et annoncent leur retour. Les chefs s'assemblèrent, le peuple se répandit en flots; tous accueillirent Torquil comme un fils qui leur était rendu. Les femmes se pressèrent en foule pour embrasser Neuah, qui les embrassait à son tour; lui demandèrent comment ils avaient été poursuivis, et comment ils s'étaient échappés? Le récit en fut fait, et une seule acclamation retentit jusqu'au ciel; et depuis ce moment, une nouvelle tradition donna à leur asile le nom de Grotte de Neuah. Mille feux flamboyant sur les hauteurs éclairèrent les réjouissances générales de cette nuit, et la fête donnée en l'honneur de l'hôte rendu au repos et à des plaisirs gagnés au prix de tant de dangers; et à cette nuit succédèrent ces jours de bonheur, tels que peut seul en offrir un monde encore enfant.

FIN DE L'ILE.

52.La description de cette cave (qui n'est pas une fiction) se trouvera dans le neuvième chapitre du Rapport fait sur les îles de Tonga, par Mariner. J'ai pris la liberté poétique de la transplanter à Toobonaï, le dernier endroit où l'on ait eu quelque nouvelle certaine de Christian et de ses camarades.
53.Ces détails peuvent paraître trop minutieux par rapport à la description générale d'où ils sont puisés (dans Mariner); mais il y a peu d'hommes qui aient voyagé sans voir quelque chose de semblable, sur terre c'est-à-dire, et sans parler d'Ellora, dont il est question dans le dernier journal de Mungo-Park (si ma mémoire ne me trompe pas, car il y a huit ans que j'ai lu cet ouvrage) Il dit aussi avoir rencontré un rocher, ou une montagne, dont l'intérieur ressemblait tellement à une cathédrale gothique, qu'il fallut le plus minutieux examen pour le convaincre qu'elle était l'œuvre de la nature.
54.Le lecteur se rappellera ici l'épigramme de l'anthologie grecque, ou sa traduction dans la plupart des langues modernes:
  Qui que tu sois, voici ton maître;
  Il le fut, il l'est, ou doit l'être.
55.La tradition attachée à l'histoire d'Héloïse rapporte que, lorsque l'on descendit son corps dans le tombeau d'Abailard (enterré vingt ans auparavant) ses bras s'ouvrirent pour la recevoir.
56.Dans l'ouvrage de Thibault, sur Frédéric II de Prusse, il y a une singulière histoire d'un jeune Français et de sa maîtresse, qui paraissaient être de quelque distinction. Il s'était engagé, et avait déserté à Sweidnitz, et fut pris après une résistance désespérée; il avait tué un officier qui avait essayé de le saisir, étant déjà blessé lui-même par la décharge de son fusil, dans lequel il avait mis un bouton de son uniforme en guise de balle. Quelques circonstances de son procès, devant la cour martiale, excitèrent un grand intérêt parmi ses juges, qui désirèrent connaître sa véritable situation. Il offrit de la révéler, mais au roi seulement, auquel il demandait permission d'écrire. Cette permission lui fut refusée, et Frédéric fut rempli de la plus grande indignation, soit de voir sa curiosité trompée, ou par quelqu'autre motif, quand il apprit qu'on avait rejeté sa requête. (Voyez l'ouvrage de Thibault, vol. II. – Je cite de mémoire.)(Note de Lord Byron.)
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
22 октября 2017
Объем:
280 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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