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Читать книгу: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 6», страница 16

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TROISIÈME PARTIE

SCÈNE PREMIÈRE
(Un château dans les Apennins, environné d'une campagne aride, mais agréable à l'œil. Chœur de paysans devant les portes.)
CHOEUR
I

La guerre est passée; le printems est venu: la fiancée et son amant ont gagné leur demeure. Réjouissons-nous, ils sont heureux; que chaque voix trouve un écho dans leurs cœurs.

II

Le printems est venu, et la violette, fille aînée du soleil, commence à se faner: pour nous elle n'est qu'une fleur d'hiver; la neige des montagnes ne peut la flétrir et l'empêcher de lever ses yeux d'un azur humide, vers un firmament azuré comme elle.

III

Mais quand le printems revient avec son cortège de fleurs, celle-ci, la mieux aimée, s'échappe de la foule qui ternirait ses couleurs virginales, et gâterait son parfum céleste.

IV

Cueillons les autres, mais souvenons-nous du héraut qui nous l'annonce dans le froid décembre, de l'astre matinal de toutes les fleurs, du gage des longues heures de soleil radieux; au milieu des roses, n'oubliez pas la vierge, la vierge violette.

Entre CÉSAR; il chante

Le tems des guerres est passé, nos épées sont oisives, le coursier ronge son frein, le casque étincelle sur la muraille, l'aventurier repose; mais son armure est rouillée. Le vétéran murmure en vain; en bâillant dans les salles pacifiques; il boit, – mais qu'est-ce que boire, si ce n'est un repos pour la pensée? Le cor ne l'éveille plus en lui faisant entendre un signal de vie et de mort.

LE CHŒUR

Mais la meute aboie au loin; le sanglier est dans les bois, et le faucon attend avec impatience le moment de quitter son chaperon sur le poing du gentilhomme; il se tient comme un cimier, et cependant l'air est troublé par la multitude des oiseaux qui s'échappent de leurs nids.

CÉSAR

Vain fantôme de gloire! froide image de la guerre! quel chasseur inspira un historien? Quel héros de la chasse eut sa destinée depuis Nemrod, le fondateur des royaumes et de la chasse? Nemrod qui, le premier, fit trembler les habitans des forets, alors que le lion était jeune et dans tout l'orgueil de sa force imposante. Alors c'était le jeu des forts que d'oser le combattre, que de s'avancer, armé d'un pin au lieu de lance, contre le Mamoth, ou de frapper dans un ravin le Beehemoth écumant; alors l'homme avait la taille des tours de notre tems: c'était le fils aîné de la nature, et comme elle il était sublime.

CHŒUR

Mais la guerre est passée; le printems est venu; la fiancée et son amant ont gagné leur demeure. Réjouissons-nous, ils sont heureux; que chaque voix trouve un écho dans leurs cœurs.

(Les paysans s'éloignent en chantant.)
ICI S'ARRÊTE LE MANUSCRIT

CIEL ET TERRE

MYSTÈRE
FONDÉ SUR LE PASSAGE SUIVANT DE LA GENÈSE (Chap. VI):

«Et il advint… que les fils de Dieu virent les filles des hommes qui étaient belles; et ils en choisirent parmi elles qu'ils prirent pour femmes.»

«Et la femme pleurant le démon qu'elle aimait.» (Coleridge.)

PERSONNAGES DU DRAME

ANGES.

SAMIASA.

AZAZIEL.

RAPHAEL, l'archange.

HOMMES.

NOÉ et ses fils.

IRAD.

FEMMES.

ANAH.

AHOLIBAMAH.

Chœur des Esprits de la terre.Chœur des Mortels.

CIEL ET TERRE

PREMIÈRE PARTIE

SCÈNE PREMIÈRE
(Région de forêts et de montagnes, près du mont Ararat. Il est minuit.)
Entrent ANAH et AHOLIBAMAH
ANAH

Notre père dort: il est l'heure où ceux qui nous aiment ont coutume de descendre à travers les épais nuages qui couvrent les rochers de l'Ararat: – comme mon cœur bat!

AHOLIBAMAH

Procédons à notre invocation.

ANAH

Mais les étoiles sont cachées. Je tremble.

AHOLIBAMAH

Et moi aussi; mais c'est de crainte qu'ils ne tardent.

ANAH

Ma sœur, quoique j'aime Azaziel beaucoup plus que. – oh! c'en est trop. – Qu'allais-je dire? Mon cœur deviendrait-il impie?

AHOLIBAMAH

Quelle impiété d'aimer des natures célestes.

ANAH

Pourtant, Aholibamah, j'aime moins notre Dieu depuis que son ange m'a aimée, et cela peut ne pas être bien. A la vérité j'ignore si je fais mal; mais je sens en moi mille craintes qui me semblent d'un mauvais augure.

AHOLIBAMAH

S'il en est ainsi, unis-toi à un fils de la terre; travaille et file le lin. Voilà Japhet qui t'aime; qui t'a aimée depuis long-tems; marie-toi avec lui, et engendre l'argile.

ANAH

Azaziel eût-il été mortel, je ne l'aurais pas moins aimé. Encore suis-je contente qu'il ne le soit pas. Je ne pourrais lui survivre; la mort me paraît moins terrible, lorsque je songe qu'un jour ses ailes immortelles s'étendront sur la sépulture de la pauvre fille de la terre, qui l'a adoré comme lui-même adore le Très-Haut; mais en même tems j'ai compassion de lui. Son chagrin sera éternel; au moins telle serait ma douleur, si j'étais le séraphin, et qu'il fût la créature périssable.

AHOLIBAMAH

Dis donc qu'il choisira quelqu'autre fille de la terre qu'il aimera comme il avait autrefois chéri son Anah.

ANAH

S'il devait en être ainsi, et qu'il fût tendrement aimé, j'y consens, plutôt que de le savoir condamné à pleurer sur moi.

AHOLIBAMAH

Et moi, si je croyais Samiasa capable de jamais oublier son amour, tout séraphin qu'il est, je le mépriserais, et le repousserais. Mais, à notre invocation, l'heure est venue.

ANAH

Séraphin, de ta sphère, entends-moi! Quelle que soit l'étoile qui contienne ta gloire; soit que, dans les éternelles profondeurs du ciel, tu veilles avec les sept archanges, soit qu'à travers l'espace infini et diaphane tu secoues tes ailes brillantes au milieu des mondes emportés; entends-moi! Oh! pense à celle qui t'adore, et quoiqu'elle ne soit rien au regard de toi, n'oublie pas que tu es tout pour elle. Tu ne sais pas, – et puissé-je être seule à le savoir, – combien les larmes sont amères. L'éternité est dans ta vie; la beauté, sans commencement ni fin, brille dans tes regards; rien ne te peut faire sympathiser avec moi, – rien que l'amour; mais aussi, dis-moi, vis-tu jamais pleurer sous les cieux créature plus aimante que ton Anah? Tu marches à travers des milliers de mondes; tu contemples face à face celui qui t'a fait grand; comme il m'a faite, moi, de la plus chétive race d'entre ceux qu'il a chassés des jardins d'Éden. Et pourtant, séraphin chéri! ah! écoute-moi, car tu m'as aimée, et je ne voudrais pas apprendre avant de mourir ce qui ne doit m'être révélé qu'après ma mort; que toi, immortelle essence, tu as oublié, dans ton éternité, celle dont le cœur t'est demeuré attaché en dépit de la mort.

Grand est l'amour de ceux qui aiment dans la crainte et dans le péché, et je sens mon cœur agité, déchiré par ces indignes sentimens. Séraphin, pardonne de semblables pensées à une fille d'Adam. La peine, tel est notre élément; le plaisir est un Éden où notre vue ne peut atteindre, bien que parfois nous rêvions sa présence embaumée: – mais l'heure approche, qui me dit que nous ne sommes pas entièrement délaissées ici bas. – Parais, parais, séraphin! Mon Azaziel, accours ici, et abandonne tes planètes à leur propre lumière.

AHOLIBAMAH

Samiasa! en quelque lieu que tu commandes dans les sphères célestes, – guerroyant les esprits qui peuvent oser disputer l'empire de celui qui fit tous les empires, ou suivant la trace de l'étoile dont les écarts touchent le bord de l'abîme, tandis que ses habitans, entraînés dans la perte de leur monde, vont ainsi partager la triste destinée de l'espèce humaine; soit enfin que, t'abaissant jusqu'aux plus humbles séraphins, tu daignes en ce moment partager leur hymne de reconnaissance; Samiasa! je t'appelle, je te désire et je t'aime. Plusieurs te vénèrent, je ne les imiterai pas. Si tu peux songer à unir ton esprit supérieur avec le mien, descends, viens ici partager mon sort. Je le sais, je suis un enfant d'argile, et tu es formé de rayons plus brillans que ceux du jour qui nuançait les eaux de l'Éden; mais ton immortalité ne sera jamais embrasée d'un amour plus brûlant que le mien. Il est en moi une trace de lumière qui, malgré la contrainte que lui oppose mon corps, fut allumée au même flambeau que la tienne et celle de Dieu lui-même. Long-tems elle peut rester cachée: la mort et la corruption nous ont été léguées par notre mère Ève; mais mon cœur les désire; et, bien que cette vie doive passer, est-ce un motif pour toi et pour moi de ne pas être unis? Tu es éternel, – et je le sens, moi aussi; je sens que mon immortalité plane sur toutes peines, toutes larmes, toutes craintes, sur tous les tems enfin. Semblable aux éternels tonnerres de l'abîme, elle fait retentir cette vérité dans mes oreilles: Tu vivras à jamais. Vivrai-je heureuse? c'est ce que j'ignore et ne veux pas savoir; que le secret en reste au créateur tout-puissant qui cache dans les nuages la source des biens et des maux. Mais, quoi qu'il fasse, il ne pourra détruire ni toi ni moi; il pourra nous changer, mais non nous exterminer. Nous sommes éternels comme lui, et nous pourrions soutenir contre lui la guerre, s'il songeait à nous la déclarer. Oui, je puis avec toi tout souffrir, même l'immortelle souffrance. Pourrais-je, en effet, reculer devant ton éternité, quand tu n'as pas craint de partager avec moi la vie? Non, quand le dard du serpent viendrait me percer, quand tu serais toi-même le serpent, viens cependant encore! je sourirai à ta vue, et je ne te maudirai pas, je ne saurai que te prodiguer mes brûlantes étreintes; – seulement, descends, viens voir quel amour ressent une mortelle pour un immortel, ou bien reste, hélas! si les cieux t'offrent plus de délices que tu n'en peux donner et recevoir.

ANAH

Ma sœur, ma sœur, je découvre la trace brillante de leurs ailes à travers la nuit.

AHOLIBAMAH

A leur approche, les nuages se dissipent comme à l'approche de l'aube du jour.

ANAH

Mais si notre père les entrevoyait!

AHOLIBAMAH

Il croirait que c'est la lune qui, à la voix de quelques magiciens, se lève une heure trop tôt.

ANAH

Ils viennent! il vient! Azariel!

AHOLIBAMAH

Quel bonheur de les revoir! Oh! que mon esprit n'a-t-il des ailes pour me transporter aussitôt dans le sein de Samiasa!

ANAH

Vois! ils ont illuminé tout le couchant comme le soleil à son déclin: – vois sur le sommet le plus élevé d'Ararat un arc d'opale, souvenir de leur brillante traversée. Quel éclat en ce moment! puis le voilà rentré dans la nuit; semblable à l'écume étincelante que fait jaillir le Léviathan de ses immenses et caverneuses entrailles, quand, après avoir joué sur la surface des flots tranquilles, il s'agite en se replongeant au lieu où reposent les sources de l'Océan.

AHOLIBAMAH

Ils ont touché la terre! Samiasa!

ANAH

Mon Azaziel! (Elles sortent.)

SCÈNE II
IRAD et JAPHET
IRAD

Ne te désole pas; pourquoi t'éloigner ainsi, ajoutant ton silence à celui de la nuit, et fixant tes regards humides de larmes vers les astres? Ils ne viendront pas à ton aide.

JAPHET

Mais ils calment mes soucis. – Peut-être maintenant Anah les contemple comme moi. Il semble qu'un être doué de beauté a plus de charmes encore en contemplant la beauté éternelle des êtres qui ne meurent pas. Oh! Anah!

IRAD

Mais elle ne t'aime pas.

JAPHET

Hélas!

IRAD

L'orgueilleuse Aholibamah me méprise également.

JAPHET

Je m'afflige aussi pour toi.

IRAD

Qu'elle garde son orgueil, le mien me rend capable de supporter ses dédains; le tems peut-être m'en vengera.

JAPHET

Peux-tu trouver quelque plaisir dans une telle pensée?

IRAD

Ni plaisir, ni douleur. Je l'ai beaucoup aimée; j'aurais voulu l'aimer davantage, si ses vœux avaient été conformes aux miens: telle qu'elle est, je l'abandonne à de plus brillantes destinées, s'il s'en pressente pour elle.

JAPHET

Quelles destinées?

IRAD

J'ai quelque sujet de croire qu'elle en aime un autre.

JAPHET

Anah!

IRAD

Non; sa sœur.

JAPHET

Et quel est cet autre?

IRAD

Je l'ignore; mais son air, sinon ses paroles, me dit qu'elle en aime un autre.

JAPHET

Oui, mais non pas Anah: elle n'aime que son Dieu.

IRAD

Et qu'importe qui elle aime, si ce n'est pas toi?

JAPHET

Sans doute, mais enfin je l'aime.

IRAD

Et moi, je l'aimais.

JAPHET

Et maintenant que tu ne l'aimes pas, ou du moins que tu le crois, en es-tu plus heureux?

IRAD

Oui.

JAPHET

Je te plains.

IRAD

Moi! pourquoi?

JAPHET

D'être heureux, privé de ce qui fait mon malheur.

IRAD

Je prends cette raillerie comme la suite de ton égarement, et je ne voudrais pas partager tes sentimens pour plus de sicles que ne péseraient les troupeaux de notre père mis dans la balance contre cette poussière jaune, vil métal que nous offrent les enfans de Caïn; comme si cette matière, pâle et inutile rebut de la terre, pouvait être reçue en échange de lait, de laine, de viande et de fruits, en un mot, de tout ce que nous procurent nos troupeaux et nos terres. – Va, Japhet, va soupirer vers les étoiles, comme les loups grondent après la lune. – Moi, je vais reposer.

JAPHET

Je t'imiterais, s'il était en mon pouvoir.

IRAD

Ainsi, tu ne reviens pas à nos tentes?

JAPHET

Non, je vais à la caverne; on dit que le fond de sa gueule touche au monde souterrain, et permet aux esprits du centre de la terre de venir quelques fois parcourir sa surface.

IRAD

Et pourquoi? qu'y prétends-tu faire?

JAPHET

Calmer ma profonde tristesse dans une obscurité aussi triste qu'elle: c'est une retraite sans espérance; elle est comme mon cœur.

IRAD

Mais ce lieu est dangereux; des sons et des soupirs étranges l'enveloppent de terreur. Je veux aller avec toi.

JAPHET

Non, Irad, crois-moi, je n'ai pas de mauvaises pensées, et je ne crains pas le mal.

IRAD

Mais le mal s'attachera d'autant plus à toi que tu lui ressembleras moins. Tourne ailleurs tes pas, ou permets-moi de te suivre.

JAPHET

Non, non, je veux être seul.

IRAD

Que la paix soit donc avec toi. (Irad sort.)

JAPHET, seul

La paix! je l'ai cherchée où l'on pouvait la trouver, dans l'amour, – et dans l'amour d'un être qui, peut-être, le méritait; à sa place, j'ai trouvé une peine de cœur, une faiblesse d'esprit, des jours inquiets, des nuits fermées impitoyablement au sommeil. La paix! et quelle paix? le calme du désespoir, le repos de la forêt non frayée, seulement interrompu par les éclats de la tempête à travers les branches brisées; telle est l'image triste et accablante de mon ame. La terre est devenue pervertie, plusieurs signes ont proclamé hautement une révolution, et le jugement rigoureux de la nature périssable. Oh! mon Anah! quand l'heure terrible qui est annoncée entr'ouvrira les sources de l'abîme, ne viendras-tu pas te réfugier sur ce sein; ce sein qui palpite en vain pour toi, et qui, dans ce moment, pourra moins encore te secourir? Et le tien! – oh ciel! grâce, du moins, pour elle! Au milieu d'êtres déchus, elle est aussi pure qu'une étoile entourée de nuages qui peuvent bien un instant obscurcir son éclat, mais ne peuvent le détruire. Mon Anah! combien je t'aurais adorée; mais tu ne l'as pas voulu. Encore aujourd'hui, je voudrais te racheter, te voir survivre à la terre, quand l'Océan sera devenu son tombeau; quand, bravant les rochers et les sommets des montagnes, le Léviathan, maître des mers sans rivages et de l'humide univers, étendra partout son empire. (Japhet sort.)

Entrent NOÉ et SEM
NOÉ

Où est ton frère Japhet?

SEM

Il s'est éloigné, suivant son habitude, pour rejoindre, dit-il, Irad; mais plutôt, je le crains, pour diriger ses pas vers les tentes d'Anah, autour desquelles il erre chaque nuit, comme la colombe autour de son nid dérobé; ou bien il parcourt les déserts voisins de la caverne creusée sous les sommets de l'Ararat.

NOÉ

Dans quelle intention? C'est un lieu maudit sur une terre maudite elle-même; des êtres, plus méchans même que les hommes pervers, l'habitent; il aime donc encore cette fille d'une race fatale, bien qu'il ne puisse espérer de l'épouser, s'il en était aimé, bien qu'il ne le soit pas. Oh! misérable cœur des hommes! faut-il qu'un de mes fils, connaissant les crimes et le châtiment de notre siècle, sachant que l'heure est proche, puisse ainsi se laisser entraîner à de coupables vœux? Conduis-moi, il faut aller à sa recherche.

SEM

Ne y a pas plus loin, mon père: je trouverai Japhet.

NOÉ

Ne crains rien pour moi; pour l'élu de Jéhovah le mal est sans pouvoir: – avançons.

SEM

Vers la tente du père des deux sœurs?

NOÉ

Non, vers la caverne du Caucase.

(Noé et Sem sortent.)
SCÈNE III
(Une caverne. Les montagnes et les rochers du Caucase.)
JAPHET, seul

Déserts, qui paraissez éternels; toi, caverne, qui sembles te prolonger sans fin; et vous, montagnes, d'une beauté si diverse et si terrible; oui, dans la sauvage majesté de vos rochers, dans le mélange de ces pierres et de ces profondes racines d'arbres aux lieux escarpés où le pied de l'homme chancellerait s'il pouvait jamais y atteindre; oui, vous paraissez éternels. Cependant encore quelques jours, peut-être quelques heures, vous serez changés, battus, bouleversés par l'immensité des eaux; cette caverne, qui semble la porte d'un monde inférieur verra la vague furieuse pénétrer dans ses profondeurs et les dauphins se jouer dans la retraite du lion. Et les hommes, – les hommes mes semblables, oh! qui pleurera avec moi sur leur universel tombeau? qui sera conservé pour pleurer? Hélas! mes frères, en quoi suis-je meilleur que vous pour mériter de vivre après vous? où seront les aimables lieux où je songeais à Anah avant d'avoir perdu l'espérance? où seront les lieux les plus sauvages et cependant également aimés, où je pleurais en pensant à elle? En est-ce donc fait? cet orgueilleux pic dont le sommet brille comme une étoile lointaine, serat-il caché sous le bouillonnement des flots? plus de soleil: plus de matin s'élançant en triomphe et de son arc terrible dissipant les nuages en vapeurs flottantes: plus de large globe inclinant le soir sa tête radieuse et se perdant dans un cercle de mille couleurs. Le monde ne sera plus le phare qui éclairait les anges et servait de théâtre à leurs jeux comme étant le plus rapproché des étoiles. Faut-il donc que ces mots: C'en est fait! s'adressent à toi, à tous les êtres, à l'exception de nous et des êtres rampans que mon père a réservés d'après les ordres de Jéhovah? Il peut les sauver, et moi je n'ai pas le pouvoir de ravir la plus charmante des filles de la terre au jugement qu'un serpent lui-même évitera, afin que son espèce ne soit pas exterminée; il continuera à ramper et lancer son aiguillon dans le monde qui va sortir de la vase des flots, sépulcre de myriades de créatures encore vivantes aujourd'hui! Oh! combien de respirations tout d'un coup étouffées! tout ce monde si beau et si jeune, ainsi marqué pour la destruction! Cependant mon cœur, jour par jour et nuit par nuit, calcule tes journées et tes nuits comptées. Je ne puis te sauver, je ne puis même sauver celle dont l'amour te rend plus cher à mes yeux; mais comme un fragment de ta poussière, je ne puis songer au sort qui te menace sans m'en affliger au point-Oh Dieu! peux-tu donc-

(Un moment de pause. On entend dans la caverne un bruit soudain
et des éclats de rire. Ensuite passe un Esprit.)
JAPHET

Au nom du Très-Haut, qui es-tu?

ESPRIT, riant

Ah! ah! ah!

JAPHET

Par tout ce qu'il y a de plus saint sur la terre, parle!

ESPRIT, riant

Ah! ah!

JAPHET

Par le déluge qui approche! par la terre qui va s'engloutir dans l'Océan! par les abîmes qui vont ouvrir toutes leurs fontaines! par le ciel qui convertira ses nuages en mer et par le Tout-Puissant qui crée et détruit! parle, et réponds-moi, effroyable habitant des ombres, être inconnu, indistinct et terrible. Pourquoi jettes-tu ces hideux éclats de rire?

ESPRIT

Pourquoi pleures-tu?

JAPHET

Pour la terre et tous ses enfans.

ESPRIT

Ah! ah! ah! (Il s'évanouit.)

JAPHET

Comme le démon se réjouit des tortures d'un monde et de la prochaine désolation d'un globe sur lequel le soleil va cesser de répandre et d'alimenter la vie! Toute la terre sommeille, et tous ceux qui respirent sur elle sont assoupis à la veille de la mort. Pourquoi veilleraient-ils en effet pour se trouver en face d'elle? Mais qui vois-je là, regardant comme la mort vivante et prononçant des paroles faites pour accompagner les funérailles du monde? Ils viennent comme des nuages.

(Divers Esprits passent devant la caverne.)
ESPRITS

Allégresse! la race abhorrée qui ne put, dans Éden, conserver sa haute place, et qui se laissa prendre à la voix de la science sans en avoir la mission, approche de l'heure de la mort. Ni retard, ni exception; elle ne périra pas par l'épée, par désespoir, par vieillesse, par déchirement de cœur, par l'action nivelante du tems. Écoutez! Voici sa dernière matinée. La terre sera tout océan! Nul souffle, hors celui des vents sur la vague immense. Les anges déploieront leurs ailes; ils ne trouveront plus de lieu de repos, pas même un roc dont la pointe surmonte la tombe liquide, pour désigner la place où le dernier désespéré sera mort après avoir long-tems espéré le reflux qui ne sera pas venu. Tout sera net, détruit; un autre élément sera le maître de la vie, les fils abhorrés de la boue seront exterminés, et la terre ne gardera de ces mille couleurs qu'un azur sans contraste; nulle de ces nombreuses montagnes, ou de ces vastes plaines, ne conservera sa forme; le cèdre et le pin abandonneront leur séjour; tout sera englouti dans la source universelle: hommes, terre et feu, tout mourra, et l'œil éternel contemplera la mer et le firmament sans y retrouver un souvenir de vie. Qui pourrait, sur l'écume, exiger maintenant une demeure?

JAPHET, s'avançant

Ce sera mon père! La race de la terre n'expirera pas: seulement le crime disparaîtra de la face du jour. Fuyez, insultans démons de l'abîme, vous dont la joie hideuse gronde lorsque Dieu détruit ce que vous-mêmes n'oseriez détruire. Hâtez-vous de fuir, rentrez dans vos cavernes profondes, jusqu'à ce que les vagues vous poursuivent dans vos derniers asiles, et fassent ressortir votre maudite race pour la rouler sur l'aile des vents dans l'immensité de l'infini.

ESPRITS

Fils de l'élu, quand toi et les tiens auront bravé le vaste et furieux élément; quand la grande barrière de l'abîme sera refermée, seras-tu, toi et les tiens, meilleurs ou plus heureux? – Non; votre terre et votre race nouvelles seront encore un assemblage de malheurs. – Moins beaux dans leurs formes, moins surchargés d'années que les géans qui font encore en ce moment la gloire du monde, fils du ciel, nés de quelque mère mortelle, vous n'aurez hérité que des pleurs du tems passé. Et ne rougis-tu pas de leur survivre ainsi; de manger, de boire et de te marier après eux? Ton cœur est-il assez bas, assez avili pour pouvoir entendre nommer cette immense destruction sans avoir assez de chagrin ou plutôt de courage pour préférer devenir la proie des vagues, à la honte d'accepter un asile auprès de ton heureux père, et de bâtir une ville sur le sépulcre de la terre inondée? Quel autre qu'un être bas et inepte, voudrait survivre à son espèce? La mienne déteste la tienne comme étant dans l'univers d'un autre ordre; mais, parmi nous, il n'est pas un seul qui n'eût laissé dans les cieux un trône vide pour aller demeurer dans les ténèbres plutôt que de voir ses compagnons souffrir seuls. Va-t'en, malheureux! va donner une existence comme la tienne à d'autres malheureux; vis, et quand les flots destructeurs mugiront sur leur ouvrage, toi, porte envie aux patriarches géans qui ne seront plus, maudis ton père pour leur avoir survécu, et toi-même pour être son fils!

CHOEUR DES ESPRITS, s'élançant de la caverne

Allégresse! plus de voix humaine qui vienne interrompre par ses prières nos jeux dans les airs; c'en est fait, ils n'adoreront plus; et nous qui jamais n'avons adoré le Seigneur avide de prières, pour qui l'omission d'un sacrifice est un crime; nous, nous verrons les sources de l'abîme s'entr'ouvrir jusqu'à ce que tout soit rendu au chaos; jusqu'à ce que ces créatures fières de leur misérable argile soient toutes exterminées et que leurs os blanchis soient dispersés dans les cavernes, dans les trous, dans les gorges des montagnes, partout enfin où l'océan les aura déposées. Alors, dans leur désespoir, les brutes elles-mêmes cesseront de poursuivre les hommes et ceux de leur espèce, le tigre restera couché près de l'agneau comme auprès de son frère; tout redeviendra ce qu'il était jadis, silencieux et incréé, excepté le firmament. Cependant la mort accorde une légère trêve! elle épargnera un faible débris de l'ancienne création et elle lui permettra d'engendrer, mais pour son usage, des générations nouvelles; ce débris flottant sur les ondes du déluge, et jaillissant de la vase de la terre ensevelie, dès que le soleil ardent l'aura soulevé; ce débris fournira encore au tems de nouveaux êtres, des armées, des morts, des chagrins, des crimes et tout l'entourage de la haine et du malheur jusqu'à-

JAPHET, les interrompant

Jusqu'à ce que l'éternelle volonté daigne expliquer ce songe de bonheur et d'angoisse, racheter lui-même les tems et toute chose, les couvrir de ses puissantes ailes, abolir l'enfer, enfin rendre à la terre purifiée la beauté de ses premiers jours et transporter son Éden dans un paradis éternel où l'homme ne sera plus exposé à pécher, où les démons eux-mêmes contribueront à son bonheur.

ESPRITS

Et quand verra-t-on ces charmantes merveilles?

JAPHET

Quand sera venu le rédempteur; d'abord sous le manteau de la peine, ensuite dans une auréole de gloire.

ESPRITS

Débattez-vous cependant sous le poids de vos chaînes mortelles jusqu'au tems de la veillesse de la terre; combattez contre vous-même, contre l'enfer et contre les cieux, jusqu'à ce que les nuages soient colorés des flots de sang versés dans chacun de ces combats. D'autres tems, d'autres cieux, d'autres arts, d'autres hommes; mais encore les vieux pleurs, les vieux crimes, les maux plus vieux encore, se partageront votre race renouvelée; les mêmes tempêtes morales menaceront les âges futurs, semblables aux vagues qui dans quelques heures formeront les tombeaux des glorieux géans37.

CHOEUR DES ESPRITS

Allégresse! mes frères; mortels, adieu! Écoutons! écoutons! Déjà nous pouvons entendre la voix rauque de l'océan gonflé; les vents aussi déployent leurs pénétrantes ailes. Les nuages ont déjà réuni leurs immenses réservoirs; les fontaines du vaste abîme vont se rompre, les cieux vont ouvrir leurs fenêtres. Le genre humain regarde, sans rien prévoir, chaque terrible présage; il est aveugle comme à son premier jour. Nous saisissons les sons qu'ils ne peuvent entendre, les tonnerres lointains des sphères ennemies; encore quelques heures, les délais seront passés; leurs larges bannières découvertes dans l'étendue ne semblent pas encore déployées, si ce n'est pour l'œil pénétrant des esprits. Gémis, ô terre! gémis, ta mort est moins éloignée que ta naissance fraîche encore! Tremblez, montagnes! bientôt l'océan va vous cacher et vous ensevelir; les flots mugiront sur vos cimes, et les légères coquilles des plus chétifs habitans de la mer viendront s'arrêter dans l'aire où l'aigle a fait sa demeure. Comme il va pousser des cris contre la mer implacable! comme il va rappeler inutilement ses aiglons; mais tout sera sourd, sauf l'onde toujours croissante. – L'homme, de son côté, désirera posséder ses larges ailes qui ne le sauveraient cependant pas: – où pourraient-elles le conduire, quand tout ne lui offrira plus que l'abîme pour tombeau? Allégresse, mes frères! et que chacune de nos voix surhumaines se fasse bruyamment entendre. – Tout va mourir, sauf un faible reste de la race de Seth; – la race de Seth réservée pour de futurs chagrins. Mais nul des enfans de Caïn ne doit survivre: toutes ses charmantes filles seront plongées sous les désolantes eaux, ou bien leur corps, soulevé par leurs longues chevelures, flottera sur les vagues tombées des cieux, qui dans leur cruauté ne sauveront pas des créatures, même si belles de la mort: C'en est fait, tout mourra! au cri universel de l'humanité succédera l'universel silence! Fuyons, mes frères, fuyons, mais conservons notre allégresse. Nous sommes tombés! ils tomberont; ainsi périssent tous ces misérables ennemis du ciel qui se riaient de l'enfer!

(Les Esprits disparaissent; on entend encore leurs chants dans le lointain.)
JAPHET, seul

Dieu a proclamé l'arrêt de la terre, l'arche de salut de mon père l'avait annoncé; les démons eux-mêmes s'en réjouissent hors de leurs retraites: et les rouleaux d'Énoc38 l'ont prophétisé tacitement, et leur silence en a dit plus à l'esprit que la foudre aux oreilles. Cependant les hommes ne l'ont point écouté; ils n'écoutent pas encore; ils marchent, sans le savoir, à leur perte; et quoiqu'ils en approchent de si près, leur incrédulité les rend aussi sourds à tant de présages que le sera bientôt à leurs derniers cris le Tout-Puissant, ou l'océan soumis qui va exécuter ses ordres. Nul météore ne déploie encore sa bannière dans les cieux; les nuages ne sont pas nombreux, leur teinte n'a rien d'extraordinaire; le soleil se lève pour la dernière fois sur la terre aussi beau que le quatrième jour de la création, quand Dieu lui dit: éclaire! et qu'il s'élança dans l'aube qui n'éclaira pas encore le père incréé du genre humain. Mais avant les prières de l'homme s'élevèrent les ravissantes voix des oiseaux qui, dans les plaines de l'air, ont des ailes comme les anges, et, comme ces derniers, chaque jour saluent les cieux de leurs actions de grâce, avant les enfans d'Adam! Leurs concerts du matin vont commencer; l'orient s'embrase; ils vont chanter, et le jour va cesser. Si près de paraître, si près de sa fin cruelle! C'en est fait! leurs ailes ne les soutiendront plus; et le jour, après le retour de quelque riante matinée, le jour reviendra, mais sur quoi? sur le chaos, qui était avant le jour, et qui, en reparaissant, rendra le tems au néant! Car que sont les heures, quand il n'est plus de vie? elles sont à la matière ce qu'est à Jéhova l'éternité qu'il créa comme elles; sans Jéhova, l'éternité serait un vide immense: sans l'homme, le tems fait pour l'homme ne lui survivrait pas, il s'engloutirait dans un abîme sans fond, comme celui qui va dévorer ce jeune monde, et qui plus tard détruira la race humaine entière. – Que vois-je de ce côté? Des figures en même tems terrestres et divines, ou plutôt toutes célestes, tant elles sont ravissantes de beauté! Je ne puis distinguer leurs traits, mais seulement leurs formes; avec quelle grâce elles passent sur la cime de cette verte montagne, dont elles semblent dissiper l'obscurité! Après la vue de ces esprits repoussans, qui tout-à-l'heure exhalaient l'hymne impie du triomphe infernal, oh! qu'elles soient aussi bien venues que des habitans d'Éden! Peut-être s'approchent-elles pour m'annoncer que notre jeune monde est pardonné, lui pour qui j'ai tant de fois prié. – Elles viennent! Oh ciel! Anah est avec elles. -

37.(retour) «Et dans ce tems-là, et après, il y avait des géans, des hommes forts, qui jadis étaient renommés.»(Genèse.)
38.(retour) Le livre d'Énoc, conservé par les Éthiopiens, passe chez eux pour être antérieur au déluge.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
04 августа 2017
Объем:
300 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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