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Читать книгу: «La femme auteur; ou, les inconvéniens de la célébrité, tome I», страница 5

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CHAPITRE XVII

Mme. de Simiane n'avait jamais passé une après-midi plus agréable. Le temps était superbe; la route d'Aulnay à Villemonble lui parut courte; elle pensait aux heureux qu'elle venait de faire, et peut-être aussi au souhait exprimé par le vieux soldat. Elle descendit de voiture à quelque distance du château, entra dans son parc par une petite porte dont elle gardait toujours la clef sur elle, et, le cœur ému de ce désir vague, premier symptôme de l'amour, elle se préparait à entrer dans le bois de lilas et de chèvre-feuille, témoin ordinaire de ses plus douces rêveries, quand le son de deux voix qui lui étaient connues frappa son oreille. Curieuse, elle s'avance sans bruit derrière les arbres, et distingue à la clarté de la lune, Rosine et Félix, le valet-de-chambre de M. de Lamerville, qui, assis sur un banc de gazon ombragé par un acacia, paraissaient au milieu d'une conversation fort animée. Mme. de Simiane écoute. – Que vous êtes injuste, Félix, disait vivement Rosine, je vous aime plus que moi-même, je vous l'assure; mais je ne puis me résoudre à faire cet aveu à Madame, je crains qu'elle ne désapprouve notre projet de mariage, et je ne pourrais me décider à quitter son service; elle est si bonne! j'aimerais mieux la mort que de risquer de lui déplaire. – Nous pouvons nous épouser sans que cela change rien à notre situation. Mon maître chérit la marquise; il me répète chaque jour qu'il ne pourrait plus vivre loin d'elle, et tout-à-l'heure, en se couchant, il me parlait du dessein qu'il nourrit de lui faire épouser son neveu. – Bon! ils ne se connaissent pas. – Ils feront connaissance. – Il n'est pas dit qu'ils s'aimeront. – M. le duc prétend qu'il est impossible que cela n'arrive pas; moi, je pense comme lui. Ta maîtresse est belle, aimable, remplie de talens et d'esprit, elle plaira au général. – Je ne doute pas qu'elle ne lui plaise, mais je doute qu'elle l'aime. – Elle serait donc bien difficile? M. Amador est sans contredit le plus séduisant des hommes. Les femmes, vois-tu, ne lui résistent pas plus que l'ennemi. – Oh! j'ai vu des hommes charmans prêts à perdre la tête par amour pour Madame; elle ne s'en apercevait même pas. Son cœur, si tendre en amitié, est, je crois, incapable d'amour. – Bath c'est que son moment n'était pas venu; il faut enfin qu'il vienne, le général le fera naître. (Anaïs se troubla.) – Je souhaite, pour Madame, que vous disiez vrai, M. Félix, car, depuis que je vous aime, je sens qu'il n'existe de bonheur que dans l'amour. – Félix embrassa Rosine (Anaïs soupira). J'ai vu, reprit Félix, tant de femmes soi-disant insensibles, céder au premier regard du jeune de Lamerville, j'en ai vu tant d'autres qui l'ont adoré sur sa seule réputation, que je regarde comme impossible qu'il rencontre une cruelle. – De la manière dont vous parlez, le général a déjà aimé plusieurs femmes (Anaïs, tremblante, s'appuya contre un arbre). – Aimer, là, ce qu'on appelle réellement aimer, peut-être que non; mais ce serait pitié qu'un héros de trente ans se passât de maîtresse. Je sais qu'il y a environ deux ans, une Espagnole, jeune et jolie, lui a sacrifié un amant très-riche, qui l'adorait et allait lui donner sa main. – En ce cas, le général doit l'épouser. – La bonne folie! est-ce qu'on épouse comme ça toutes les femmes? – Vous parlez bien légèrement, M. Félix; Dieu veuille que vous n'ayez pas agi de même. Oh! quant à moi, les femmes ne se jettent pas à ma tête, je n'ai rien qui les attire; je ne suis pas un grand seigneur, un général; je marche terre à terre, j'aime bourgeoisement, pour la première et la dernière fois. – Vous le jurez. – Je vous le jure; mais promettez-moi, à votre tour, de parler promptement à madame de Simiane: songez que je serai malheureux jusque-là. – Eh bien! dès ce soir je parlerai, si j'en ai le courage. – Ayez-le, je vous en supplie. L'horloge du château sonna onze heures. – Déjà onze heures, s'écria Rosine! voyez comme je m'oublie avec vous. Je tremble que Madame n'ait eu besoin de moi: je n'avais pas jusqu'ici manqué à mon devoir. Voyez où l'amour nous entraîne. Adieu. – Madame de Simiane se promena encore quelques momens, afin de laisser à Rosine le temps de rentrer au château avant elle, et de se préparer à lui ouvrir son cœur. Mais dès que celle-ci aperçut sa maîtresse, elle ne se souvint plus d'un mot du discours qu'elle avait projeté de lui tenir, et balbutia seulement: Madame a-t-elle été satisfaite de sa soirée – Extrêmement, Rosine; j'ai rendu deux amans heureux. – Deux amans, Madame? – Sans doute, j'ai fait un mariage. – Madame ne trouve donc pas mauvais qu'on se marie? – Au contraire, Rosine: n'est-ce pas le vœu de la nature? – Madame a bien raison. Moi, j'aime Madame plus que je ne puis l'exprimer, je me ferais tuer pour elle; eh bien! cela n'empêche pas que… – Que Rosine ne voudrait vivre pour un mari. – Si j'osais, je dirais à Madame qu'elle m'a devinée. – Et ce mari serait? – Félix, le valet-de-chambre de M. de Lamerville; il y a dix ans qu'il sert son maître avec un zèle, une fidélité… – Digne de récompense, n'est-ce pas, Rosine, et vous vous chargeriez volontiers de la lui donner? – Si Madame le permettait? – Je fais plus, je l'ordonne, et je m'engage à fournir votre dot. – Rosine se confondit en remercîmens; madame de Simiane la congédia plutôt que de coutume, afin qu'elle pût annoncer, dès ce soir même, à Félix, la nouvelle qu'il attendait avec tant d'impatience.

Madame de Simiane, demeurée seule, ne songea point cette fois à prendre un livre, ou à composer des vers. Elle se mit au lit, en se rappelant les phrases de Félix qui regardaient le général: après y avoir long-temps réfléchi, elle espéra qu'Amador n'avait paru volage que parce qu'il n'avait pas connu la femme qui devait le fixer: elle se dit qu'il y aurait du plaisir et de la gloire à le rendre fidèle. Elle s'endormit en formant les projets les plus enchanteurs, et la foule des songes aimables rendit sa nuit paisible et fortunée.

CHAPITRE XVIII

Le mariage de Georgette fut célébré la semaine suivante. Deux jours après cette fête, les jeunes époux partirent de leur village, pour conduire Ambroise s'installer aux Invalides. Tous trois passèrent par Villemonble, pour témoigner leur gratitude à la marquise: ils reçurent de nouveaux présens, et donnèrent de nouvelles bénédictions.

Les noces de Rosine ne tardèrent pas à suivre celles de Georgette. M. de Lamerville et madame de Simiane leur firent l'honneur de leur servir de parens. Le duc, enchanté du bonheur de Félix, paraissait rajeuni. Que ne puis-je, dit-il à voix basse à la marquise, que ne puis-je vous accompagner ainsi aux autels avec mon Amador. Anaïs ne souriait qu'à demi à ce discours. L'auguste cérémonie dont elle était témoin, lui rappelait celle qui l'avait engagée, sept ans auparavant, à M. de Simiane. Son père, alors, son tendre père marchait à ses côtés, sa mère la soutenait de son regard; elle croyait trouver un protecteur, un amant, un ami dans l'époux qu'elle recevait de leur main. Cet époux n'avait été pour elle qu'un hôte poli; son père et sa mère étaient descendus, prématurément, dans la tombe. Si jeune encore, elle avait déjà vu tant mourir! Elle était sur le point d'accuser la Providence, mais ses yeux rencontrèrent ceux de Mr D., qui se fixaient sur elle avec anxiété; elle se reprocha la secrète ingratitude dont elle venait d'être coupable envers lui, et parvint à surmonter sa tristesse.

M. de Lamerville ayant fait venir son notaire à Villemonble, pour dresser le contrat de mariage de Félix, profita de cette occasion pour lui dicter ses dernières volontés: cette précaution fut prise à temps; ce vénérable vieillard mourut bientôt après, d'une attaque de goutte dans l'estomac. A l'approche de son heure dernière, il remit à madame de Simiane le portrait de son neveu, en lui disant: c'est à vous désormais qu'il doit appartenir: puis, s'adressant à Mr. D… J'ai compté sur vous, poursuivit-il, pour veiller à l'exécution de mon testament. Quoique vous ne connaissiez pas mon neveu, j'espère que vous l'aimerez par amitié pour moi; promettez-moi, au nom de notre ancien attachement, que vous travaillerez de tous vos efforts à l'accomplissement de mes vœux. Mr D… fit à son ami la promesse qu'il désirait; le duc le remercia d'une voix faible, prit la main d'Anaïs, l'approcha de ses lèvres éteintes, et rendit le dernier soupir.

M. de Lamerville avait constitué son neveu Amador de Lamerville son légataire universel, sous la condition expresse qu'il épouserait madame de Simiane. Si son neveu se refusait à ce mariage, madame de Simiane devenait, de droit, légataire universelle à sa place: Mr D… était exécuteur testamentaire.

On fit des obsèques magnifiques à M. de Lamerville; tous les habitans de Villemonble les suivirent en fondant en larmes: il n'y en avait pas un qui ne fût redevable d'un bienfait à celui qui n'était plus.

La marquise chargea Félix de faire une note exacte des indigens auxquels son maître distribuait des secours, afin de les leur continuer. Elle ordonna qu'on construisît un mausolée au duc, à peu de distance de celui qu'elle avait fait élever à ses parens: Il voulut aussi mon bonheur, pensa-t-elle, je lui dois aussi un hommage et des regrets!

La mort de M. de Lamerville avait sensiblement affligé Mr. D…; il perdait en lui la dernière personne avec laquelle il avait été intimement lié. Cet événement le livrait à de sombres réflexions; il se répétait souvent: Heureux celui qui meurt dans son adolescence! il n'eut personne à pleurer, et tout le monde le pleure!

Mr D… écrivit une lettre affectueuse au général en lui envoyant une copie du testament de son oncle. Comme la réponse ne pouvait arriver de suite, et qu'il avait reçu des nouvelles qui rendaient sa présence nécessaire à Vernon, où il avait une propriété assez considérable, il se décida d'y aller. Madame de Simiane, qui n'était pas dans une situation d'esprit assez tranquille pour ne pas être effrayée d'une solitude entière, le suivit dans ce petit voyage.

CHAPITRE XIX

Une après-midi que Mr D… était retenu chez son notaire de Vernon, il prit envie à la marquise de visiter les environs de cette ville; elle sortit seule, à pied, et prit un chemin de traverse qui lui parut agréable. Elle avait fait environ une demi-lieue quand elle entra dans un petit bois fort épais, au bout duquel elle aperçut une maison agréablement bâtie, entourée d'un beau jardin; sur l'un des côtés de ce jardin, on avait construit un pavillon charmant, dont une porte en forme de fenêtre, garnie de persiennes, donnait sur le bois. Cette maison, la seule qui existait dans cet endroit, était éloignée du plus prochain village au moins d'un quart de lieue. Anaïs entendit accorder une guitarre dans le pavillon: les persiennes étant fermées, elle s'approcha sans crainte d'être aperçue; une voix mélancolique fit entendre cette romance:

 
Compagne si chère au poëte,
O lyre, jadis mon orgueil,
Toi qui, dans les jours de mon deuil,
Loin de mes yeux restas muette!
Reviens, docile à mes désirs,
Tromper l'ennui de mes loisirs.
 
 
Long-temps vivre dans la mémoire,
Quand ma main t'enlève au repos,
N'est pas le but de mes travaux;
Je n'ose plus chercher la gloire.
Le temps n'est plus où ses plaisirs
Trompaient l'ennui de mes loisirs.
 
 
Le cœur brûlant d'une autre ivresse,
Ne crois pas non plus qu'en ce jour,
Je t'appelle à chanter l'Amour,
Divinité de ma jeunesse.
Le temps n'est plus où ses soupirs
Trompaient l'ennui de mes loisirs.
 
 
Tendre Amour, Gloire enchanteresse,
Songes divins de mes beaux jours,
Hélas! vous fuyez pour toujours
Un cœur accablé de tristesse.
Le temps n'est plus où vos désirs
Trompaient l'ennui de mes loisirs.
 
 
Beaux-arts, consolez mes alarmes,
Venez embellir mon séjour;
Mais, las! un cœur mort à l'amour
Peut-il en vous trouver des charmes?
Tais-toi, mon luth, tes vains soupirs
Doublent l'ennui de mes loisirs.
 

Ce chant émut madame de Simiane, et porta l'inquiétude dans son sein; elle fit un retour sur elle-même, et s'écria involontairement: Craignons, craignons l'amour! Oui, craignez-le, fuyez-le, répondit un jeune homme en sortant du pavillon, fuyez-le avec soin! il séduit, enchante, enivre, mais il trompe; et quand, après des siècles de tourmens, de larmes, de regrets,

 
L'amour n'est plus, l'amour est éteint pour la vie:
Il laisse un vide affreux dans notre ame affaiblie,
Et la place qu'il occupait
Ne peut jamais être remplie.
 
Parny.

Anaïs reconnut dans celui qui lui adressait la parole, Léon, comte de Saint-Elme, qu'elle avait vu souvent autrefois chez M. de Crécy. On avait donné, à cette époque, au comte, le surnom de Métromane, parce qu'il ne rêvait que poésie: les belles femmes lui plaisaient alors bien moins que les beaux vers; il avait sacrifié plus d'une fois un rendez-vous galant, au plaisir d'aller entendre une nouvelle tragédie. Le rapport de son caractère avec celui de la marquise, avait établi entr'eux une aimable familiarité. Tous deux jeunes, sensibles, enthousiastes de la nature et des arts, se promenaient souvent, au clair de la lune, dans la forêt ou dans les réduits les plus solitaires du parc de Villemonble, sans avoir d'autre tiers que les muses.

Quelquefois ravis, en extase, ils s'arrêtaient devant une pièce d'eau, d'où ils croyaient voir sortir une naïade; ils entendaient une hamadriade gémir dans le creux d'un chêne; leur imagination appelait à leur entretien toutes les divinités de l'Olympe; mais leurs cœurs, vierges à l'amour, ne voyaient en lui que le dieu de la fable.

Madame de Simiane fut aussi charmée que surprise du hasard qui lui faisait retrouver Saint-Elme, dont elle n'avait pas entendu parler depuis cinq ans. J'éprouve, lui dit-elle, beaucoup de plaisir à vous revoir, quoique vous m'ayiez entièrement oubliée. – J'ai des torts envers vous, il est vrai; j'ai été trompé, et malheureux, voilà mon excuse. – Eh bien! je vous pardonne; mais vous m'instruirez, j'espère, des causes de la mélancolie que tous paraissez nourrir, ainsi que des événemens qui vous ont conduit dans cette retraite isolée; la part que je prendrai à vos chagrins pourra les adoucir. – Des chagrins! plût à Dieu que j'en eusse encore! – Comment? – Quelques douloureux que fussent ceux dont j'ai été la victime, ils valaient mieux que la langueur qui me consume. – Ne pouvez-vous en sortir? – Impossible; j'ai essayé de tout, rien ne m'a réussi. – Le malheur que vous avez éprouvé est donc bien affreux! – Le plus affreux de tous, il m'a tué moralement. – De grace, expliquez-vous; ne craignez pas de vous ouvrir à moi. – Je ne crains que de décheoir dans votre estime, en vous montrant ma faiblesse. Je vous plaindrai, sans vous estimer moins. – Vous le voulez, je n'hésite plus.

Le comte s'assit auprès de madame de Simiane, et commença le récit suivant:

Histoire de Léon, comte de Saint-Elme

Il y a cinq ans, je fus obligé de partir tout-à-coup pour Strasbourg, afin d'y recueillir un héritage considérable, qu'un oncle de feu mon père m'avait laissé. Mon dessein était de ne rester dans cette ville que le temps nécessaire pour liquider la succession qui m'était échue. Je réglai tout en deux mois, et me préparais à revenir à Paris, lorsque le commandant de la place de Strasbourg m'engagea à une fête donnée à l'occasion du mariage de sa fille. Le commandant m'avait rendu quelques services, je ne pus me refuser à sa pressante invitation; je retardai l'époque de mon départ, et me rendis à la fête: les personnes les plus considérables de Strasbourg y étaient réunies. On nous servit un repas superbe, suivi d'un concert. Déjà plusieurs virtuoses s'étaient fait entendre, quand une jeune femme vint s'asseoir au piano: elle exécuta, d'une manière admirable, un morceau de Mozard je n'avais de ma vie entendu une musique aussi délicieuse: il semblait que l'ame de cette jeune femme fût passée dans ses doigts; chacun de ses accords venait retentir à mon cœur. J'avais une peine infinie à retenir mes applaudissemens: elle se leva du piano; je ne fus pas un des derniers à lui porter le tribut de mon admiration. Frappée de la vivacité de mes éloges, elle leva les yeux sur moi, et me jeta un de ces regards qui ne s'oublient jamais. Je demandai son nom à une personne du cercle qui me parut la connaître. Elle s'appelle Florestine de Rostange, me répondit-elle: c'est la plus intéressante et la plus infortunée des femmes. Fille d'un Espagnol et d'une Alsacienne, elle fut élevée à Madrid: elle entrait dans sa dix-huitième année, et son père venait de mourir quand le vicomte de Rostange arriva en Espagne; il vit cette jeune personne, en devint amoureux, eut le bonheur de lui plaire, et l'épousa. Quinze jours après son mariage, le vicomte fut assassiné en sortant du Prado. L'auteur de ce crime n'a point été découvert. Madame de Rostange, au désespoir de la mort d'un époux adoré, ne put supporter davantage le séjour de l'Espagne, et vint s'établir ici avec sa mère, madame de Las-Casas; leur fortune est modique, mais les talens supérieurs de la vicomtesse, le nom qu'elle porte, lui donnent accès dans les plus grandes maisons.

Ce court récit m'intéressa. Je regardai de nouveau Florestine; elle ne me parut pas jolie, mais ses traits avaient une expression sentimentale qui me toucha; je réfléchissais en moi-même au moyen que je pourrais employer pour me faire présenter chez elle, lorsqu'une cantatrice célèbre chanta cette arriette:

 
Sous les lois d'un doux hymenée,
Je goûtais le parfait bonheur.
Soudain, un coup affreux change ma destinée;
Mon époux meurt, et moi je vis pour le malheur.
 

Mes yeux s'étaient fixés sur Florestine; je la vois donner des signes de terreur. Je cours vers elle, une crise horrible de nerfs la saisit. Je la transporte hors du sallon, elle se calme par degrés. J'offre ma voiture à sa mère, elle l'accepte: je reconduis les dames chez elles, je demande la permission de venir m'informer de leur santés, on me l'accorde. Je suis au comble de la joie.

Je me présentai le lendemain chez Florestine; elle m'accueillit avec une grâce qui m'aurait gagné l'ame, si je n'eusse pas été prévenu en sa faveur: elle me raconta le triste événement dont j'étais déjà instruit; ses larmes coulèrent, je plaignis son infortune; j'avouai qu'il n'en était pas une plus affreuse: elle me sut gré de penser ainsi. Je passai la matinée entière chez elle, j'en sortis passionnément amoureux.

De ce moment je ne pensai plus à retourner à Paris; Strasbourg me parut un lieu de délices; je ne concevais pas qu'on pût se plaire ailleurs. Je ne sentis plus qu'un désir, celui de consoler madame de Rostange; tous mes jours lui étaient consacrés. Je l'accompagnais à la promenade, aux concerts, aux spectacles: je ne la quittais, chaque soir, que le plus tard possible, et cette courte séparation me paraissait si longue, que je croyais toujours que le lendemain n'arriverait pas: toutefois je me gardai de découvrir mon amour à Florestine; les regrets qu'elle donnait à la mémoire de son époux étaient encore trop vifs pour que je me flattasse de la voir répondre à mes sentimens. J'espérai tout du temps, de mes soins, et m'appliquai surtout à plaire à madame de Las-Casas: j'y réussis. Elle me confia la conduite d'un procès d'où dépendait toute sa fortune et celle de sa fille. Je l'arrangeai à leur satisfaction, en faisant secrètement quelques sacrifices d'argent. Elles me témoignèrent la plus vive reconnaissance; je leur avais rendu la tranquillité, j'étais plus heureux qu'elles.

Pendant environ un an je vécus étranger à tout ce qui n'était pas Florestine. J'étais enfin parvenu à dissiper son chagrin; elle ne parlait plus que rarement de l'accident horrible qui l'avait causé. Elle vivait avec moi dans une intimité charmante; elle ne m'appelait plus que son ami: elle répondait chaque soir au soupir que je laissais échapper en lui disant adieu. Je m'applaudissais de mon triomphe: elle m'aimera, répétai-je en moi-même avec ivresse, elle m'aimera; son cœur sera le prix du mien. Momens d'amour et d'espérance, deviez-vous sitôt vous écouler!

Madame de Las-Casas me pria d'aller traiter de l'échange d'un bien, avec un de ses parens qui demeurait à vingt lieues de Strasbourg. Je souffrais de me séparer de madame de Rostange; mais le désir d'être utile à sa mère ne me permit pas de balancer. Florestine répandit des pleurs en me quittant, et me fit promettre de lui écrire chaque courier: j'avais trop de plaisir à remplir ma promesse, pour ne pas être exact; mes lettres étaient celles de l'amant le plus tendre; cependant j'apportai le plus grand soin à ce que le mot d'amour n'y fût pas: je craignais que la magie de ce mot ne manquât de loin son effet; je ne voulais le prononcer qu'aux pieds de ma maîtresse; il me semblait que ma voix, mes gestes, mon regard lui donneraient plus de puissance.

La première réponse de Florestine me paya du sacrifice que j'avais fait en m'éloignant d'elle. Après plusieurs autres choses, elle me disait: «Terminez vos affaires promptement, et revenez; songez que Florestine ne vit plus où vous n'êtes pas. Vous êtes devenu aussi nécessaire à mon existence, que l'air que je respire; mon ami, vous me tenez lieu de tout, et rien ne pourrait me tenir lieu de vous.»

Je retournai à Strasbourg en formant mille projets de bonheur; madame de Las-Casas et sa fille me prodiguèrent les marques d'une tendresse touchante; Florestine laissa éclater une vive gaîté; elle me parut plus séduisante que jamais. Je pris sa main, la couvris de baisers, et lui dis: Me pardonnerez-vous, aimable Florestine, le tort dont je me suis rendu coupable envers vous? – Vous ne sauriez en avoir aucun. – Je vous ai trompée. – L'univers me le dirait, que je ne le croirais pas. – Je vous ai trompée, je vous l'atteste. – Vous vous calomniez. – Je parle vrai; je ne fus pas votre ami. – Et que fûtes-vous donc? demanda-t-elle en rougissant. – Votre amant: oui, votre amant le plus passionné; je ne saurais avoir plus long-temps la force de vous le taire. Florestine, acceptez ma main, ou je meurs à vos genoux. – Qui pourrai-je aimer plus que Léon, prononça l'enchanteresse avec un accent d'une douceur inexprimable? Qui pourrait me rendre aussi heureuse? Ma mère, continua-t-elle, embrassez votre fils. – J'étais si troublé de mon bonheur, que je ne savais ce que je faisais; j'allais, venais dans la chambre comme un insensé; je me précipitai aux pieds de Florestine, je les arrosai de mes larmes: j'étais dans un véritable délire. Quand mes transports furent un peu calmés, je m'assis auprès d'elle: Ma Florestine, lui dis-je, vous avez promis d'être à moi; rien ne manque plus à ma félicité que le consentement de ma mère; je partirai dès demain pour le chercher. – Bon dieu! vous voulez aller à Paris! – Il le faut. – Ne pouvez-vous écrire? – Je le pourrais sans doute, et telle est la bonté, l'indulgence de ma mère, que je ne craindrais pas qu'elle s'en offensât; mais, mon amie, je ne l'ai pas vue depuis un an: mon amour pour vous m'a retenu loin d'elle; j'ai souvent même négligé de lui écrire. Je lui dois, je me dois à moi-même, de lui montrer mon respect et mon dévouement dans cette circonstance importante; je reviendrai bientôt, et peut-être avec elle, m'engager à vous pour toujours. Madame de Las-Casas approuva ma résolution; Florestine cessa de la combattre. Notre séparation fut extrêmement touchante. Nous y rappelâmes mille fois le serment d'aimer à jamais.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
01 августа 2017
Объем:
80 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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