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Читать книгу: «Chronique de 1831 à 1862. T. 1», страница 2

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1832

Londres, 23 mai 1832.– Hier, j'ai eu une longue visite du duc de Wellington. Il m'a dit qu'il regrettait que les convenances personnelles de M. de Talleyrand le décidassent à quitter l'Angleterre, même momentanément; qu'un remplaçant, quel qu'il fût, ne pourrait jamais maintenir les choses au point où M. de Talleyrand les avait conduites; qu'ici, il avait une position première et une influence prépondérante, non seulement sur ses confrères diplomatiques, mais encore sur le Cabinet anglais; qu'il était, en général, extrêmement considéré dans le pays, où on lui savait gré de se tenir éloigné de toute intrigue; qu'il était le seul qui pût maintenir, «sous quelque ministère que ce fût», l'union de la France et de l'Angleterre; que lui, duc de Wellington, craignait que les autres membres de la Conférence ne prissent le haut ton avec le remplaçant de M. de Talleyrand, et qu'à son retour, celui-ci ne trouvât un état de choses différent, et le terrain perdu difficile à ressaisir; qu'enfin, si M. de Talleyrand ne revenait pas à Londres, on ne pouvait plus compter sur la durée de la paix.

Il a ajouté que l'aspect des deux pays était bien grave, que toutes les prévisions étaient insuffisantes, et que qui que ce soit ne pouvait dire ce qu'apporteraient et «la réforme» par ses résultats futurs, et les moyens révolutionnaires qui ont été mis en jeu pour l'obtenir, ni quelles seraient les fantaisies royales, le «Bill de réforme» une fois passé.

Le duc de Wellington a été, comme toujours, fort naturel, fort simple, de très bon sens, et, à sa façon, qui n'est pas phraseuse, très amical.

Londres, 24 mai 1832.– M. de Rémusat est ici, il a, pour M. de Talleyrand, une lettre du général Sébastiani qu'il n'a pas encore remise.

Il m'en a envoyé une du duc de Broglie qui partait pour la campagne, assez soucieux, ce me semble, de l'état de décomposition de toutes choses en France. Il me réfère à ce que M. de Rémusat me dira, mais je connais celui-ci: il a de l'esprit, mais c'est un esprit dédaigneux, dénigrant, tout emmailloté de formes doctrinaires; même dans le temps où je voyais le plus les personnes de cette société, je le trouvais, lui, singulièrement désagréable, et je n'ai pas idée qu'il me fasse aujourd'hui une autre impression.

Londres, 25 mai 1832.– M. de Rémusat, que j'avais vu hier soir, m'avait annoncé sa visite pour ce matin, pour m'apprendre Paris, m'a-t-il dit. On sait que les doctrinaires enseignent toujours quelque chose! Il sort de chez moi. C'est très long à apprendre, la France, car il me l'a enseignée pendant plus de deux heures.

Ce qui m'en reste, c'est que le voyage de M. de Rémusat ici est une sorte de mission, qui lui a été confiée par les honnêtes gens du juste milieu, tels que MM. Royer-Collard, Guizot, Broglie, Bertin de Veaux, même Sébastiani, qui est en guerre ouverte avec Rigny. Cette mission consiste à décider M. de Talleyrand à accepter la présidence du Conseil, ou, si cela ne se peut, à être le patron d'un nouveau ministère dans lequel Sébastiani serait conservé et qu'on fortifierait en y faisant entrer Guizot, Thiers, Dupin. Tel qu'il est, décomposé et désuni, le ministère ne saurait durer; mais il faut décider le Roi à choisir des hommes plus forts, résolus à suivre le système de M. Perier et capables, par leur talent, d'en imposer à la Chambre. On voudrait que M. de Talleyrand, à Paris, fît assez sentir au Roi le péril de sa situation pour le déterminer à pareille chose. Voilà ce que M. de Rémusat est chargé d'obtenir de M. de Talleyrand, et sur quoi il s'est donné la peine de m'endoctriner. M. de Talleyrand est beaucoup trop déterminé à ne faire partie d'aucune administration pour être ébranlé sur ce point. Certes, son intention a toujours été de parler au Roi selon sa conscience, mais qu'en obtiendrait-il?.. Pas grand'chose peut-être…

Londres, 29 mai 1832.– Quelle journée que celle d'hier! Le «Drawing-room» qui a duré jusqu'à plus de cinq heures! C'était l'anniversaire du jour de naissance du Roi, qui, ayant appris que la princesse de Lieven et moi ne dînions pas chez lord Palmerston, nous a choisies pour représenter le Corps diplomatique à son dîner.

Il n'y avait à ce dîner, excepté la famille légitime et illégitime, que le strict service et quelques vieux amis du Roi, comme le duc de Dorset et lord Mount-Edgecumbe.

Le Roi ne s'est pas fait faute de toasts: le premier à Mme de Lieven, sur ce qu'après les longues années pendant lesquelles elle avait représenté à Londres une Cour toujours amie de celle de la Grande-Bretagne, il la regardait comme une amie personnelle. Puis à moi: «Je vous connais depuis moins de temps, Madame, mais vous nous laissez ici des souvenirs qui nous font désirer votre retour et que vous nous reveniez avec la bonne santé que vous allez chercher aux eaux. Les circonstances délicates et difficiles dans lesquelles votre oncle s'est trouvé ici, et pendant lesquelles il a montré tant de loyauté, d'intégrité et d'habileté, me font attacher beaucoup de prix à ce qu'il nous revienne et je vous prie de le lui dire.» Puis à Mme de Woronzoff, sur ce que, par son mari, elle était aussi Anglaise que Russe.

Mme de Lieven a répondu par un mot de reconnaissance, et moi de même, mais cette pauvre Mme de Woronzoff, en voulant aussi exprimer ses remerciements, s'est embrouillée de telle sorte que le Roi a repris la parole et j'ai cru que ce dialogue ne finirait plus.

Après la santé de la Reine, le Roi a remercié pour elle en anglais, en ajoutant qu'aucune Princesse ne méritait davantage le respect et l'attachement de ceux qui la connaissaient, car personne ne savait mieux remplir les devoirs de sa position. Il a alors donné le signal de se lever, et immédiatement celui de se rasseoir, et s'adressant à la duchesse de Kent, il a porté la santé de la princesse Victoria, comme étant la seule qui, par la divine Providence et les lois du pays, devait lui succéder, et à laquelle il comptait laisser les trois Royaumes, avec leurs droits, leurs privilèges et leur constitution intacte comme il les avait lui-même recueillis. Tout cela était accompagné de tant d'assurances d'une bonne santé personnelle, de force, de volonté de vivre et de se bien porter, et de la nécessité qu'il y avait que, dans les circonstances difficiles du présent, il n'y eût pas de minorité, que tout le monde s'est demandé s'il avait voulu être agréable ou désagréable à la duchesse de Kent, qui était pâle comme la mort; ou bien si, à cause des Fitzclarence qui se mêlent d'avoir des prétentions princières, il a voulu établir qu'il ne reconnaissait d'héritier possible que la jeune Princesse. D'autres prétendent que le tout était dirigé contre le duc de Sussex, qui était absent puisqu'on lui a défendu la Cour. Il paraît que le parti populaire voudrait le porter au trône ou que du moins le Roi se l'imagine et que c'est là ce qui nous a valu ce très long speech.

Avant la fin de la soirée, le Roi est venu deux fois à moi pour me dire qu'il ne fallait pas que M. de Talleyrand s'absentât longtemps, que la paix du monde dépendait de sa présence à Londres, et sur cela force éloges et gracieusetés. On n'a pas idée de ce qu'on nous montre, de tous côtés, de regrets obligeants qui ont l'air sincères.

Londres, 30 mai 1832.– M. de Talleyrand a reçu des lettres du Roi et de Sébastiani, écrites au moment du départ pour Compiègne: ils assurent qu'ils useront de tout leur crédit sur le roi Léopold pour le déterminer à se soumettre pleinement à la Conférence, afin de laisser aux Hollandais tout l'odieux du refus; mais ils veulent que M. de Talleyrand emporte ici l'évacuation d'Anvers, à laquelle ils ne veulent entendre qu'après que toutes les autres questions seront terminées. En apparence, les entêtements hollandais ne diminuent pas et le mauvais esprit se ranime en Belgique.

M. de Talleyrand partira aussitôt après l'arrivée de M. de Mareuil, et espère, avant cela, être arrivé à établir une certaine force armée qu'on appellerait l'armée combinée anglo-française et qui serait chargée de couper le nœud gordien.

Paris, 20 juin 1832.– J'attends M. de Talleyrand après-demain soir.

Je vois bien du monde maintenant: on m'assomme, à la lettre. Que d'absurdités, de fautes, de passions! Pauvre M. de Talleyrand! Dans quel gâchis et dans combien d'intrigues ne va-t-il pas tomber!

Du reste, l'état de choses actuel, que tout le monde condamne, doit nécessairement changer, au moins ministériellement; car le tollé contre le ministère est général et l'effroi se propage. La Vendée cependant touche à sa fin et on croit la duchesse de Berry sauvée: ce serait un point essentiel. Mais l'état du Cabinet est pitoyable; sa marche saccadée, hésitante, des gaucheries sans nombre, tout assure sa dissolution. On attend M. de Talleyrand pour frapper les grands coups: pauvre homme!

La vraie difficulté est dans le caractère du chef suprême. Que tout ceci est laid! Sébastiani s'en va chaque jour davantage; il m'a fait pitié hier; il se rend compte de son état et il en est profondément malheureux. Je vais ce soir avec lui à Saint-Cloud et je tremble qu'il ne tombe mort à côté de moi dans la voiture.

Wessenberg m'écrit de Londres que le ministère y est triste, inquiet, embarrassé de son triomphe et redoutant une chute prochaine. Je vois qu'en Angleterre on est inquiet de l'état de l'Allemagne: le Corps diplomatique se plaint ici du double jeu de Sébastiani à propos de ce qui se passe sur le Rhin. Bref, personne n'est content, personne n'est tranquille; c'est une singulière époque!..

Paris, 6 septembre 1832.– On écrit à M. de Talleyrand que les coquetteries qu'on avait faites à Pétersbourg avaient pour objet de détacher l'Angleterre de notre alliance; qu'on avait été jusqu'à proposer de remettre Anvers aux Anglais. Tout cela n'a pas pris, et la froideur a succédé aux gentillesses. Toutes les difficultés de la Conférence viennent maintenant de Bruxelles, où le mariage a exalté toutes les têtes et où ils se croient en état de forcer la main à la France10.

Paris, 21 septembre 1832.– Il paraît que M. de Montrond est en espérance de Pondichéry et fort désireux d'y aller. Les amis de Sébastiani le disent entièrement rétabli depuis Bourbonne et naviguant avec adresse au milieu des écueils que rencontre sa route ministérielle.

Le Roi des Pays-Bas fait le méchant, celui des Belges n'est pas plus doux. La Conférence se fatigue, et a, dit-on, grand besoin de M. de Talleyrand pour reprendre son ensemble.

On dit tous les Cabinets fort ébouriffés de ce qui se passe entre l'Égypte et la Porte ottomane. Chacun recule, plus ou moins, devant les résultats prochains du Nord, du Midi, du Couchant et du Levant, car partout il en faut prévoir, sans que personne ait le courage d'y mettre la main.

Paris, 23 septembre 1832.– Voilà l'horizon qui se rembrunit de toutes parts: aux singuliers événements d'Orient, à l'état précaire de l'Allemagne et de l'Italie, au désaccord qui règne dans le Cabinet français, à l'approche des Chambres françaises et à celle du Parlement, aux complications portugaises, à l'obstination toujours croissante de la Hollande, voici qu'il faut joindre le coup de foudre de la mort de Ferdinand VII; guerre de succession et, par conséquent, guerre civile, entre les partisans de don Carlos et ceux de la petite Infante; peut-être intervention de l'Espagne en Portugal, et, par conséquent, apparition de la France et de l'Angleterre dans la Péninsule.

D'un autre côté, changement de ministère à Bruxelles, et départs, si précipités, du duc d'Orléans, du maréchal Gérard et de M. Le Hon pour la Belgique. Ne sommes-nous pas, plus que jamais, dans le grabuge?

M. de Talleyrand reçoit force lettres, tant de Paris que de Londres, pour presser son départ.

Paris, 27 septembre 1832.– Quelle mystification que cette résurrection de Ferdinand VII11! Au fait, c'est très heureux, car assurément les complications ne manquent point, et une de moins, c'est quelque chose!

1833

Valençay 12 , 12 octobre 1833.– M. Royer-Collard a passé une partie de la matinée ici: original et piquant, grave et animé tout à la fois, fort affectueux pour moi et aimable pour M. de Talleyrand. Le temps actuel, qu'il ne fronde cependant pas publiquement, lui déplaît au fond et il en médit dans sa solitude.

Une lettre de Vienne de M. de Saint-Aulaire dit ceci: «Mes vacances d'été, que je viens de passer à Baden, n'ont pas été troublées par les réunions de Téplitz et de Münchengraetz13, parce qu'on ne m'a rien donné à faire et que, pour ma part, je ne concevais aucune inquiétude. Voici M. de Metternich qui revient à Vienne, il faudra régler nos comptes, et mes vacances vont finir. – Les mesures qu'on juge à propos de prendre pour l'Allemagne seront apparemment très incisives; s'il n'en était pas ainsi, la tentative serait niaise. La France restera-t-elle spectatrice inerte? Oui, si l'on m'en croit; du moins tant que quelque Prince directement intéressé n'appellera pas au secours pour le maintien de son indépendance. Le Roi de Hanovre serait un bon chef de file; s'il ne veut pas se porter en avant, je ne compte guère sur le prince Lichtenstein. Je sais qu'on croit en Angleterre que M. de Metternich s'est moqué de nous et qu'il était de moitié avec la Russie pour le traité de Constantinople du 8 juillet dernier: je persiste à soutenir qu'il était dupe et non complice, et je voudrais qu'on ne s'y trompât pas, moins pour l'honneur de mon amour-propre que parce que la partie me semble différente à jouer, suivant que la bonne intelligence sera réelle ou apparente entre l'Autriche et la Russie. Frédéric Lamb m'a conté hier, en détail, la campagne du duc de Leuchtenberg en Belgique, dont je savais quelque chose par les bruits de ville; pas un mot par le ministère, car on a la mauvaise habitude de nous tenir toujours les plus mal informés, entre les diplomates de tous les pays.»

Valençay, 23 octobre 1833.– La duchesse de Montmorency est toute fraîche sur Prague, à cause de ce que sa fille aînée lui en a conté. C'est Charles X qui a été mener ses deux petits-enfants à leur mère, à Leoben, précisément pour empêcher Mme la duchesse de Berry d'aller à Prague; il paraît que, de Leoben, elle retournera en Italie. M. le Dauphin et Mme la Dauphine n'ont pas voulu être du voyage14.

On dit Charles X extrêmement cassé, Mme la Dauphine vieillie, maigrie, nerveuse, pleurant sur tout et toujours. Certes, quelque force d'âme qu'elle puisse avoir, ses infortunes ont été d'un genre à briser le cœur le plus haut et l'esprit le plus mâle: c'est, incontestablement, la personne la plus poursuivie par le sort que l'histoire puisse offrir.

M. de Blacas est le grand directeur de toute cette petite cour, et le plus opposé à ce que Mme la duchesse de Berry s'y établisse.

J'ai vu une lettre de M. Thiers, qui dit à propos de son mariage: «Mon grand moment approche; je suis agité, comme il convient, et j'aime ma jeune femme, plus qu'il ne convient, à mon âge; j'ai donc bien fait d'en finir à 35 ans plutôt qu'à 40, car j'en aurais été plus ridicule. Au surplus, peu m'importe; je sais mettre de côté les fausses hontes. Mais une chose m'est insupportable, c'est de livrer des êtres qui me sont chers aux indignités et à la malice du monde. Pour moi, je suis aguerri, mais je ne m'aguerrirai jamais et j'aurais cependant grand besoin de m'aguerrir pour les gens que j'aime. Il faut bien que le monde aille son train; il serait bien sot de vouloir qu'une si grosse machine changeât, pour soi, son éternelle marche.»

Je désire sincèrement que sa philosophie ne soit pas mise à de trop rudes épreuves, mais, comme dit le proverbe: «On est puni par où on a péché.»

Valençay, 3 novembre 1833.– Je ne suis pas peu surprise que le duc de Broglie n'ait pas écrit une seule fois à M. de Talleyrand; il m'a écrit trois fois sur des affaires privées, annonçant chaque fois une lettre pour M. de Talleyrand et cette lettre n'est jamais venue.

Mme Adélaïde a écrit deux fois, très bien, avec des désirs exprimés de voir M. de Talleyrand retourner à Londres, mais sans interpellation positive; je crois, cependant, qu'elle et le Roi le désirent bien davantage que M. de Broglie, et je crois qu'il faut s'en prendre à quelque intrigue entre lord Granville et lord Palmerston, si le désir du Roi n'est pas plus nettement exprimé jusqu'à présent.

M. de Talleyrand n'est décidé à rien; il y a tant d'inconvénients réels à entrer dans le mouvement actif de la politique, mais d'un autre côté, il y a tant d'inconvénients réels à rester en France, que, lors même que je voudrais donner un conseil, je ne saurais celui, qu'en conscience, dans l'intérêt bien entendu de M. de Talleyrand, je devrais lui offrir. Il est effrayé, et je le suis pour lui, de l'isolement, de l'ennui, de la langueur de la province ou de la campagne, mais il est convaincu aussi de l'impossibilité de Paris, où il porterait, aux yeux du public, une responsabilité politique dont il n'aurait ni l'intérêt, ni le pouvoir. Il ne se dissimule pas davantage la gravité et la complication des affaires qu'il retrouverait à Londres, augmentées par la nature des individus avec lesquels il se trouverait en rapport, des deux côtés de la Manche; enfin, il comprend à merveille qu'il peut reperdre sur une seule carte tout ce qu'il a si miraculeusement gagné depuis trois ans.

Il est fort agité de tout ceci, et je le suis pour lui encore plus que lui-même. C'est bien le cas de répéter, en nous l'appliquant, ce que disait M. Royer-Collard au mois de juin 1830, en parlant de la lutte entre le ministère Polignac et la France: «Une fin? sûrement. Une issue? Je n'en vois pas.»

Valençay, 10 novembre 1833.– M. de Talleyrand vient de recevoir des lettres de Broglie et du Roi Léopold. Le premier lui dit que le Roi des Pays-Bas fait la démarche à Francfort; que la confédération germanique et le duc de Nassau disent oui à la première sommation; qu'il est certain que Dedel recevra, d'ici à quinze jours, les instructions nécessaires pour rentrer activement dans la Conférence; que lui Broglie, ainsi que le Roi, désirent vivement que M. de Talleyrand soit à cette époque à Paris, pour y convenir de toutes choses; pour y apprendre, de plus, les détails de la Conférence de Münchengraetz sur les affaires d'Espagne, et pour retourner ensuite à Londres.

La lettre du Roi Léopold est pour dire que la Belgique ne veut rien payer à la Hollande: cette espèce de déclaration est enveloppée de gracieusetés mielleuses.

Valençay, 11 novembre 1833.– Voici le sens, à peu près, de la réponse de M. de Talleyrand au duc de Broglie: «Mon cher Duc, vous avez trop bonne opinion de ma santé, mais vous aurez toujours raison d'en avoir une excellente de mon amitié pour vous et de mon dévouement au Roi. Je ne puis vous en donner une meilleure preuve qu'en tirant, au milieu de l'hiver, mes quatre-vingt-deux ans, de mon repos et de ma paresse actuels, pour arriver à Paris le 4 décembre, ce que je vous promets. Quant à aller à Londres, je n'en vois pas trop la nécessité: je suis bien vieux, tout autre y fera maintenant aussi bien, si ce n'est mieux que moi.

Nous causerons à Paris, et ma vieille expérience, que vous faites l'honneur de consulter, vous dira franchement ce qu'elle pense sur ce que vous lui apprendrez du monde politique; je ne suis plus bon qu'à cela. Mais si, cependant, par impossible, vous parvenez à égarer assez mon amour-propre, jusqu'à lui persuader que je suis, pour quelque temps encore, indispensable, ou à peu près, à vos affaires, alors, sans doute, je croirai de mon devoir de m'y livrer, jusqu'à ce qu'elles soient accomplies, mais aussitôt après je retournerai à ma tanière, pour rentrer dans l'engourdissement qui seul me convient maintenant. Quoi qu'il en soit, d'ici à quelques semaines, rien ne périclite entre les mains de M. de Bacourt, qui, j'en suis convaincu, justifie de plus en plus, par son activité et sa sagesse, tout le bien que je vous ai dit de lui. Adieu!»

Valençay, 12 novembre 1833.– On commence à être inquiet des affaires d'Espagne: les provinces du Nord sont toutes à don Carlos; Madrid, Barcelone, Cadix et presque tout le Midi sont à la Reine à la condition que la révolution sera complète; c'est ce qui inquiète le plus le gouvernement français.

L'attente des Chambres trouble un peu; le ministère s'y présentera tel qu'il est, mais non sans crainte, car il y a bien quelques difficultés à se présenter devant une Chambre qui doit vouloir se populariser, dans l'espérance d'être réélue. Les énormes dépenses du maréchal Soult, peu ou point de diminution de dépenses dans les autres ministères, sont des difficultés qui pourront devenir de sérieux embarras.

Paris, 9 décembre 1833.– Notre retour à Londres est décidé. Je suis arrivée hier ici; j'ai trouvé, en arrivant, M. de Montrond sur le perron, M. Raullin sur l'escalier, et, dans le cabinet, Pozzo chez lequel je dois dîner demain. Celui-ci a l'air soucieux; il est fulminant contre lord Palmerston, qu'on dit n'être à la mode nulle part. M. de Talleyrand n'est pas d'avis que le duc de Broglie se laisse entraîner par lord Granville autant que celui-ci le voudrait et il s'est nettement exprimé à cet égard.

M. de Talleyrand ne croit pas à d'autres chances de guerre qu'entre l'Angleterre et la Russie, et apportera tous ses efforts à la prévenir. Il me paraît être au mieux avec Pozzo; il est aussi à merveille avec le Roi et Madame Adélaïde qui commencent a être en défiance de lord Palmerston, de lord Granville et à trouver que Broglie n'est pas assez éclairé; d'ailleurs, qu'il les traite lestement et dédaigneusement; il se montre aussi fort cachottier et défiant à l'égard de M. de Talleyrand. Il faut pourtant parler en détail de sa fortune à ceux auxquels on veut confier son argent.

Lady Jersey a été aux Tuileries; Mgr le duc d'Orléans a été tout à fait à ses ordres ici. Au Château, où, en effet, on est un peu près de ses pièces, en fait de beau monde, on a été charmé de l'arrivée de cette aristocrate d'outre-mer. Cela a fait événement.

Le faubourg Saint-Germain est plus récalcitrant que jamais. L'Empereur Napoléon avait des places à donner, des biens à rendre, des confiscations dont il pouvait menacer; rien de tout cela maintenant. Aussi boude-t-on avec une aisance et une insolence inimaginables. Le fait est que, quand on n'y est pas obligé, la Cour est trop mêlée pour être tentante. J'en suis fâchée pour la Reine que j'aime et que j'honore.

Il paraît que le baron de Werther a prodigieusement d'humeur contre lord Palmerston et le duc de Broglie; il y a certainement bien de la mauvaise humeur dans l'air, mais M. de Talleyrand dit encore qu'elle n'éclatera pas en boulets rouges.

Paris, 11 décembre 1833.– J'ai été hier dîner, avec M. de Talleyrand, chez Thiers; il n'y avait que lui, sa femme, son beau-père, sa belle-mère, Mignet, qui disait des pauvretés sur l'Espagne, et Bertin de Veaux, qui ne parlait que des combats de taureaux qu'il avait vus à Saint-Sébastien.

Mme Thiers, qui n'a que seize ans, paraît en avoir dix-neuf: elle a de belles couleurs, de beaux cheveux, de jolis membres bien attachés, de grands yeux qui ne disent rien encore, la bouche désagréable, le sourire sans grâce et le front trop saillant; elle ne parle pas, répond à peine, et semblait nous porter tous sur ses épaules. Elle n'a aucun maintien, aucun usage du monde, mais tout cela peut venir; elle ne fera peut-être que trop de frais pour d'autres que pour son petit mari, qui est très amoureux, très jaloux, mais jaloux honteux, à ce qu'il m'a avoué. Les regards de la jeune femme pour lui sont bien froids; elle n'est pas timide, mais elle a l'air boudeur, et n'a aucune prévenance.

Je croyais à Mme Dosne des restes de beauté, mais il m'a paru qu'elle n'avait jamais pu être jolie; elle a un rire déplaisant, qui a de l'ironie sans gaieté; sa conversation est spirituelle et animée. Sa toilette était d'un rose, d'un jeune, d'une simplicité affectée qui m'a étonnée.

Paris, 15 décembre 1833.– J'ai dîné hier chez le Roi. M. de Talleyrand dînait chez le Prince royal. Pendant le dîner, le Roi ne m'a parlé que de traditions, de souvenirs, de vieux châteaux; j'étais sur mon terrain. Nous avons d'abord parlé à fond de la Touraine; il a promis des vitraux de couleur et des portraits de Louis XI et de Louis XII pour Amboise, il rachètera les restes de Montrichard et empêchera la ruine du château de Langeais. S'il fait tout cela, mon dîner n'aura pas été perdu. Puis, il m'a conté les restaurations qu'il faisait faire à Fontainebleau, et il a fini par me développer son grand plan pour Versailles, qui est vraiment grand, beau et digne d'un arrière-petit-fils de Louis XIV. Mais cela se réalisera-t-il? Cette conversation nous a conduits aux nouveaux travaux qu'il a fait exécuter aux Tuileries mêmes. Il a ordonné qu'on illuminât tout, et, en sortant de table, il a parcouru tout le Château avec moi.

Tout est vraiment beau, très beau; et si l'escalier, qui est riche et élégant, avait un peu plus de largeur, ce serait parfait. Cette promenade nous a conduits du pavillon de Flore au pavillon de Marsan. Le Roi m'a demandé, alors, si je voulais faire une visite à son fils; j'ai dit, comme de raison, que je suivrais le Roi partout. Nous avons trouvé Mgr le duc d'Orléans jouant au whist avec M. de Talleyrand; les amis de celui-ci avaient été réunis au dîner par le Prince.

L'appartement du Prince royal est trop bien arrangé pour être celui d'un homme. C'est le seul reproche qu'on puisse lui faire, car, du reste, il est plein de belles choses trouvées dans le garde-meuble de la Couronne, où la Révolution avait relégué les beaux meubles de Louis XIV. La Restauration n'avait pas songé à les en tirer; M. le duc d'Orléans en a placé une grande partie dans son appartement. C'est fort curieux; j'ai été bien souvent aux Tuileries sans me douter des choses intéressantes qui s'y trouvaient réunies; ainsi, j'ai vu, cette fois-ci, dans le cabinet du Roi, parmi des choses que je ne connaissais pas, un portrait de Louis XIV enfant, sous les traits de l'Amour endormi, et celui de la reine Anne d'Autriche peinte en Minerve, et aussi des boiseries emblématiques du temps de Catherine de Médicis, qui a fait construire les Tuileries.

Le Roi est un admirable cicerone de ses châteaux: je me suis émerveillée tout le temps qu'on pût si bien connaître les traditions de sa famille, en être aussi fier, et… enfin!

Je pars après-demain pour Londres.

10.Léopold Ier, élu Roi des Belges en 1831, avait épousé, en 1832, Louise, princesse d'Orléans, fille de Louis-Philippe, Roi des Français.
11.En 1832, le Roi Ferdinand VII tomba si gravement malade, qu'on le crut mort. Calomarde se réunit alors aux partisans pour faire signer au moribond un décret mettant à néant la déclaration de 1830, par laquelle le Roi abolissait la loi salique en Espagne.
12.Valençay, où la duchesse de Dino venait de se transporter, est situé dans le département de l'Indre. Le château et le parc en sont magnifiques, avec de belles eaux. Le château fut bâti au seizième siècle par la famille d'Étampes, d'après les dessins de Philibert Delorme. Il servit de prison d'État de 1808 à 1814 pour Ferdinand VII et les Infants d'Espagne, par ordre de Napoléon Ier. Le prince de Talleyrand, qui s'en était rendu propriétaire à la fin du dix-huitième siècle, aimait ce séjour et l'habita beaucoup.
13.Les trois grandes puissances alliées, l'Autriche, la Prusse et la Russie, se réunirent plusieurs années de suite, soit à Téplitz, soit à Münchengraetz, pour y délibérer ensemble sur la situation de l'Europe. Elles y tombèrent d'accord pour se garantir, par un nouveau pacte secret, leurs possessions respectives en Pologne, soit contre une agression venant du dehors, soit contre un mouvement révolutionnaire intérieur. Elles s'y occupèrent également des affaires de France et d'Italie, du travail continuel des sectes et des réfugiés italiens sur le sol français, qui inspiraient alors de grandes inquiétudes au sujet de la tranquillité de la Péninsule. On finit par y décider que les Cabinets d'Autriche, de Prusse et de Russie enverraient chacun une note séparée au gouvernement du Roi Louis-Philippe, pour l'engager à surveiller avec plus d'attention les menées révolutionnaires.
14.Louis-Antoine, duc d'Angoulême (1773-1844) fils aîné du Roi Charles X, avait épousé en 1799, durant l'émigration, sa cousine Marie-Thérèse-Charlotte, fille du Roi Louis XVI et de la Reine Marie-Antoinette, dont il n'eut pas d'enfant. Après 1830, le duc d'Angoulême céda ses droits à son neveu, le duc de Bordeaux (comte de Chambord), et vécut en simple particulier.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
490 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

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