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Читать книгу: «Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires», страница 4

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CHAPITRE IV.
L'exposition

Ansi parla le Fantôme. Interdit de ce discours, et le cœur agité de diverses pensées, je demeurai long-temps en silence. Enfin, m'enhardissant à prendre la parole, je lui dis: «Ô Génie des tombeaux et des ruines! ta présence et ta sévérité ont jeté mes sens dans le trouble; mais la justesse de ton discours rend la confiance à mon ame. Pardonne à mon ignorance. Hélas! si l'homme est aveugle, ce qui fait son tourment fera-t-il encore son crime? J'ai pu méconnaître la voix de la raison; mais je ne l'ai point rejetée après l'avoir connue. Ah! si tu lis dans mon cœur, tu sais combien il désire la vérité, tu sais qu'il la recherche avec passion..... Et n'est-ce pas à sa poursuite que tu me vois en ces lieux écartés? Hélas! j'ai parcouru la terre; j'ai visité les campagnes et les villes; et voyant partout la misère et la désolation, le sentiment des maux qui tourmentent mes semblables a profondément affligé mon ame. Je me suis dit en soupirant: L'homme n'est-il donc créé que pour l'angoisse et pour la douleur? Et j'ai appliqué mon esprit à la méditation de nos maux, pour en découvrir les remèdes. J'ai dit: Je me séparerai des sociétés corrompues; je m'éloignerai des palais où l'ame se déprave par la satiété, et des cabanes où elle s'avilit par la misère; j'irai dans la solitude vivre parmi les ruines; j'interrogerai les monuments anciens sur la sagesse des temps passés; j'évoquerai du sein des tombeaux l'esprit qui jadis, dans l'Asie, fit la splendeur des États et la gloire des peuples. Je demanderai à la cendre des législateurs par quels mobiles s'élèvent et s'abaissent les empires; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations; sur quels principes enfin doivent s'établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes

Je me tus; et, les yeux baissés, j'attendis la réponse du Génie. «La paix, dit-il, et le bonheur descendent sur celui qui pratique la justice. Ô jeune homme! puisque ton cœur cherche avec droiture la vérité, puisque tes yeux peuvent encore la reconnaître à travers le bandeau des préjugés, ta prière ne sera point vaine: j'exposerai à tes regards cette vérité que tu appelles; j'enseignerai à ta raison cette sagesse que tu réclames; je te révélerai la sagesse des tombeaux et la science des siècles…» Alors s'approchant de moi et posant sa main sur ma tête: «Élève-toi, mortel, dit-il, et dégage tes sens de la poussière où tu rampes…» Et soudain, pénétré d'un feu céleste, les liens qui nous fixent ici-bas me semblèrent se dissoudre; et tel qu'une vapeur légère, enlevé par le vol du Génie, je me sentis transporté dans la région supérieure. Là, du plus haut des airs, abaissant mes regards vers la terre, j'aperçus une scène nouvelle. Sous mes pieds, nageant dans l'espace, un globe, semblable à celui de la lune; mais moins gros et moins lumineux, me présentait l'une de ses faces18; et cette face avait l'aspect d'un disque semé de grandes taches, les unes blanchâtres et nébuleuses, les autres brunes, vertes ou grisâtres; et tandis que je m'efforçais de démêler ce qu'étaient ces taches: «Homme qui cherches la vérité, me dit le Génie, reconnais-tu ce spectacle?»—«Ô Génie! répondis-je, si d'autre part je ne voyais le globe de la lune, je prendrais celui-ci pour le sien; car il a les apparences de cette planète vue au télescope dans l'ombre d'une éclipse: on dirait que ces diverses taches sont des mers et des continents.»

«—Oui; me dit-il, ce sont des mers et des continents, ceux-là mêmes de l'hémisphère que tu habites…»

«—Quoi! m'écriai-je, c'est là cette terre où vivent les mortels!…»

«—Oui, reprit-il: cet espace brumeux qui occupe irrégulièrement une grande portion du disque, et l'enceint presque de tous côtés, c'est là ce que vous appelez le vaste Océan, qui, du pôle du sud s'avançant vers l'équateur, forme d'abord le grand golfe de l'Inde et de l'Afrique, puis se prolonge à l'orient à travers les îles Malaises jusqu'aux confins de la Tartarie, tandis qu'à l'ouest il enveloppe les continents de l'Afrique et de l'Europe jusque dans le nord de l'Asie.

«Sous nos pieds, cette presqu'île de forme carrée est l'aride contrée des Arabes; à sa gauche ce grand continent presque aussi nu dans son intérieur, et seulement verdâtre sur ses bords, est le sol brûlé qu'habitent les hommes noirs19. Au nord, par delà une mer irrégulière et longuement étroite20, sont les campagnes de l'Europe, riche en prairies et en champs cultivés: à sa droite, depuis la Caspienne, s'étendent les plaines neigeuses et nues de la Tartarie. En revenant à nous, cet espace blanchâtre est le vaste et triste désert du Gobi, qui sépare la Chine du reste du monde. Tu vois cet empire dans le terrain sillonné qui fuit à nos regards sous un plan obliquement courbé. Sur ces bords, ces langues déchirées et ces points épars sont les presqu'îles, et les îles des peuples Malais, tristes possesseurs des parfums et des aromates. Ce triangle qui s'avance au loin dans la mer, est la presqu'île trop célèbre de l'Inde. Tu vois le cours tortueux du Gange, les âpres montagnes du Tibet, le vallon fortuné de Kachemire, les déserts salés du Persan, les rives de l'Euphrate et du Tigre, et le lit encaissé du Jourdain, et les canaux du Nil solitaire…»

«—Ô Génie, dis-je, en l'interrompant, la vue d'un mortel n'atteint pas à ces objets dans un tel éloignement…» Aussitôt, m'ayant touché la vue, mes yeux devinrent plus perçants que ceux de l'aigle; et cependant les fleuves ne me parurent encore que des rubans sinueux, les montagnes, des sillons tortueux, et les villes que de petits compartiments semblables à des cases d'échecs.

Et le Génie m'indiquant du doigt les objets: «Ces monceaux, me dit-il, que tu aperçois dans l'aride et longue vallée que sillonne le Nil, sont les squelettes des villes opulentes dont s'enorgueillissait l'ancienne Éthiopie; voilà cette Thèbes aux cent palais, métropole première des sciences et des arts, berceau mystérieux de tant d'opinions qui régissent encore les peuples à leur insu. Plus bas, ces blocs quadrangulaires sont les pyramides dont les masses t'ont épouvanté: au delà, le rivage étroit que bornent et la mer et de raboteuses montagnes, fut le séjour des peuples phéniciens. Là furent les villes de Tyr, de Sidon, d'Ascalon, de Gaze et de Beryte. Ce filet d'eau sans issue est le fleuve du Jourdain, et ces roches arides furent jadis le théâtre d'événements qui ont rempli le monde. Voilà ce désert d'Horeb et ce mont Sinai, où, par des moyens qu'ignore le vulgaire, un homme profond et hardi fonda des institutions qui ont influé sur l'espèce entière. Sur la plage aride qui confine, tu n'aperçois plus de trace de splendeur, et cependant ici fut un entrepôt de richesses. Ici étaient ces ports iduméens, d'où les flottes phéniciennes et juives, côtoyant la presqu'île arabé, se rendaient dans le golfe Persique pour y prendre les perles d'Hévila, et l'or de Saba et d'Ophir. Oui, c'est là, sur cette côte d'Oman et de Bahrain, qu'était le siége de ce commerce de luxe, qui, dans ses mouvements et ses révolutions, fit le destin des anciens peuples: c'est là que venaient se rendre les aromates et les pierres précieuses de Ceylan, les schals de Kachemire, les diamants de Golconde, l'ambre des Maldives, le musc du Tibet, l'aloës de Cochin, les singes et les paons du continent de l'Inde, l'encens d'Hadramaût, la myrrhe, l'argent, la poudre d'or et l'ivoire d'Afrique: c'est de là que prenant leur route, tantôt par la mer Rouge, sur les vaisseaux d'Égypte et de Syrie, ces jouissances alimentèrent successivement l'opulence de Thèbes, de Sidon, de Memphis et de Jérusalem; et que, tantôt remontant le Tigre et l'Euphrate, elles suscitèrent l'activité des nations assyriennes, mèdes, kaldéennes et perses; et ces richesses, selon l'abus et l'usage qu'elles en firent, élevèrent ou renversèrent tour à tour leur domination. Voilà le foyer qui suscitait la magnificence de Persépolis, dont tu aperçois les colonnes; d'Ecbatane, dont la septuple enceinte est détruite; de Babylone qui n'a plus que des monceaux de terre fouillée; de Ninive, dont le nom à peine subsiste; de Tapsaque, d'Anatho, de Gerra, de cette désolée Palmyre. Ô noms à jamais glorieux! champs célèbres, contrées mémorables! combien votre aspect présente de leçons profondes! combien de vérités sublimes sont écrites sur la surface de cette terre! Souvenirs des temps passés, revenez à ma pensée! Lieux témoins de la vie de l'homme en tant de divers âges, retracez-moi les révolutions de sa fortune! Dites quels en furent les mobiles et les ressorts! Dites à quelles sources il puisa ses succès et ses disgrâces! Dévoilez à lui-même les causes de ses maux! Redressez-le par la vue de ses erreurs! Enseignez-lui sa propre sagesse, et que l'expérience des races passées devienne un tableau d'instruction et un germe de bonheur pour les races présentes et futures!»

CHAPITRE V.
Condition de l'homme dans l'univers

Et après quelques moments de silence, le Génie reprit en ces termes:

«Je te l'ai dit, ô ami de la vérité! l'homme reporte en vain ses malheurs à des agents obscurs et imaginaires; il recherche en vain à ses maux des causes mystérieuses.... Dans l'ordre général de l'univers, sans doute sa condition est assujettie à des inconvénients; sans doute son existence est dominée par des puissances supérieures; mais ces puissances ne sont, ni les décrets d'un destin aveugle, ni les caprices d'êtres fantastiques et bizarres: ainsi que le monde dont il fait partie, l'homme est régi par des lois naturelles, régulières dans leur cours, conséquentes dans leurs effets, immuables dans leur essence; et ces lois, source commune des biens et des maux, ne sont point écrites au loin dans les astres, ou cachées dans des codes mystérieux; inhérentes à la nature des êtres terrestres, identifiées à leur existence, en tout temps, en tout lieu, elles sont présentes à l'homme, elles agissent sur ses sens, elles avertissent son intelligence, et portent à chaque action sa peine et sa récompense. Que l'homme connaisse ces lois! qu'il comprenne la nature des êtres qui l'environnent, et sa propre nature, et il connaîtra les moteurs de sa destinée; il saura quelles sont les causes de ses maux et quels peuvent en être les remèdes.

«Quand la puissance secrète qui anime l'univers forma le globe que l'homme habite, elle imprima aux êtres qui le composent des propriétés essentielles qui devinrent la règle de leurs mouvements individuels, le lien de leurs rapports réciproques, la cause de l'harmonie de l'ensemble; par-là, elle établit un ordre régulier de causes et d'effets, de principes et de conséquences, lequel, sous une apparence de hasard, gouverne l'univers et maintient l'équilibre du monde: ainsi, elle attribua au feu le mouvement de l'activité; à l'air, l'élasticité; la pesanteur et la densité à la matière; elle fit l'air plus léger que l'eau, le métal plus lourd que la terre, le bois moins tenace que l'acier; elle ordonna à la flamme de monter, à la pierre de descendre, à la plante de végéter; à l'homme, voulant l'exposer au choc de tant d'êtres divers, et cependant préserver sa vie fragile, elle lui donna la faculté de sentir. Par cette faculté, toute action nuisible à son existence lui porta une sensation de mal et de douleur; et toute action favorable, une sensation de plaisir et de bien-être. Par ces sensations; l'homme, tantôt détourné de ce qui blesse ses sens, et tantôt entraîné vers ce qui les flatte, a été nécessité d'aimer et de conserver sa vie. Ainsi, l'amour de soi, le désir du bien-être, l'aversion de la douleur, ont été les lois essentielles et primordiales imposées à l'homme par la nature même; les lois que la puissance ordonnatrice quelconque a établies pour le gouverner, et qui, semblables à celles du mouvement dans le monde physique, sont devenues le principe simple et fécond de tout ce qui s'est passé dans le monde moral.

Telle est donc la condition de l'homme: d'un côté, soumis à l'action des éléments qui l'environnent, il est assujetti à plusieurs maux inévitables; et si dans cet arrêt la nature s'est montrée sévère, d'autre part juste, et même indulgente, elle a non-seulement tempéré ces maux par des biens équivalents, elle a encore donné à l'homme le pouvoir d'augmenter les uns et d'alléger les autres; elle a semblé lui dire: «Faible ouvrage de mes mains, je ne te dois rien, et je te donne la vie; le monde où je te place ne fut pas fait pour toi, et cependant je t'en accorde l'usage: tu le trouveras mêlé de biens et de maux; c'est à toi de les distinguer, c'est à toi de guider tes pas dans des sentiers de fleurs et d'épines. Sois l'arbitre de ton sort; je te remets ta destinée.»—Oui, l'homme est devenu l'artisan de sa destinée; lui-même a créé tour à tour les revers ou les succès de sa fortune; et si, à la vue de tant de douleurs dont il a tourmenté sa vie, il a eu lieu de gémir de sa faiblesse ou de son imprudence, en considérant de quels principes il est parti et à quelle hauteur il a su s'élever, peut-être a-t-il plus droit encore de présumer de sa force et de s'enorgueillir de son génie.

CHAPITRE VI.
État originel de l'homme

Dans, l'origine, l'homme formé nu de corps et d'esprit; se trouva jeté au hasard sur la terre confuse et sauvage: orphelin délaissé de la puissance inconnue qui l'avait produit, il ne vit point à ses côtés des êtres descendus des cieux pour l'avertir de besoins qu'il ne doit qu'à ses sens, pour l'instruire de devoirs qui naissent uniquement de ses besoins. Semblable aux autres animaux, sans expérience du passé, sans prévoyance de l'avenir, il erra au sein des forêts, guidé seulement et gouverné par les affections de sa nature; par la douleur de la faim, il fut conduit aux aliments, et il pourvut à sa subsistance; par les intempéries de l'air, il désira de couvrir son corps, et il se fit des vêtements; par l'attrait d'un plaisir puissant, il s'approcha d'un être semblable à lui, et il perpétua son espèce......

Ainsi, les impressions qu'il reçut de chaque objet, éveillant ses facultés, développèrent par degrés son entendement, et commencèrent d'instruire sa profonde ignorance; ses besoins suscitèrent son industrie, ses périls formèrent son courage; il apprit à distinguer les plantes utiles des nuisibles, à combattre les éléments, à saisir une proie, à défendre sa vie, et il allégea sa misère.

Ainsi, l'amour de soi, l'aversion de la douleur, le désir du bien-être, furent les mobiles simples et puissants qui retirèrent l'homme de l'état sauvage et barbare où la nature l'avait placé; et lorsque maintenant sa vie est semée de jouissances, lorsqu'il peut compter chacun de ses jours par quelques douceurs, il a le droit de s'applaudir et de se dire: «C'est moi qui ai produit les biens qui m'environnent, c'est moi qui suis l'artisan de mon bonheur: habitation sûre, vêtements commodes, aliments abondants et sains, campagnes riantes, coteaux fertiles, empires peuplés, tout est mon ouvrage; sans moi, cette terre livrée au désordre ne serait qu'un marais immonde, qu'une forêt sauvage, qu'un désert hideux.» Oui, homme créateur, reçois mon hommage! Tu as mesuré l'étendue des cieux, calculé la masse des astres, saisi l'éclair dans les nuages, dompté la mer et les orages, asservi tous les éléments: ah! comment tant d'élans sublimes se sont-ils mélangés de tant d'égarements?

CHAPITRE VII.
Principe des sociétés

Cependant, errants dans les bois et aux bords des fleuves, à la poursuite des fauves et des poissons, les premiers humains, chasseurs et pêcheurs, entourés de dangers, assaillis d'ennemis, tourmentés par la faim, par les reptiles, par les bêtes féroces, sentirent leur faiblesse individuelle; et, mus d'un besoin commun de sûreté et d'un sentiment réciproque de mêmes maux, ils unirent leurs moyens et leurs forces; et quand l'un encourut un péril, plusieurs l'aidèrent et le secoururent; quand l'un manqua de subsistance, un autre le partagea de sa proie: ainsi les hommes s'associèrent pour assurer leur existence, pour accroître leurs facultés, pour protéger leurs jouissances; et l'amour de soi devint le principe de la société.

Instruits ensuite par l'épreuve répétée d'accidents divers, par les fatigues d'une vie vagabonde, par les soucis de disettes fréquentes, les hommes raisonnèrent en eux-mêmes, et se dirent: «Pourquoi consumer nos jours à chercher des fruits épars sur un sol avare? Pourquoi nous épuiser à poursuivre des proies qui nous échappent dans l'onde et les bois? Que ne rassemblons-nous sous notre main les animaux qui nous sustentent? Que n'appliquons-nous nos soins à les multiplier et à les défendre? Nous nous alimenterons de leurs produits, nous nous vêtirons de leurs dépouilles, et nous vivrons exempts des fatigues du jour et des soucis du lendemain.» Et les hommes, s'aidant l'un et l'autre, saisirent le chevreau léger, la brebis timide; ils captivèrent le chameau patient, le taureau farouche, le cheval impétueux; et, s'applaudissant de leur industrie, ils s'assirent dans la joie de leur ame, et commencèrent de goûter le repos et l'aisance; et l'amour de soi, principe de tout raisonnement, devint le moteur de tout art et de toute jouissance.

Alors que les hommes purent couler des jours dans de longs loisirs et dans la communication de leurs pensées, ils portèrent sur la terre, sur les cieux, et sur leur propre existence, des regards de curiosité et de réflexion; ils remarquèrent le cours des saisons, l'action des éléments, les propriétés des fruits et des plantes, et ils appliquèrent leur esprit à multiplier leurs jouissances. Et dans quelques contrées, ayant observé que certaines semences contenaient sous un petit volume une substance saine, propre à se transporter et à se conserver, ils imitèrent le procédé de la nature; ils confièrent à la terre le riz, l'orge et le blé, qui fructifièrent au gré de leur espérance, et ayant trouvé le moyen d'obtenir, dans un petit espace, et sans déplacement, beaucoup de subsistances et de longues provisions, ils se firent des demeures sédentaires; ils construisirent des maisons, des hameaux, des villes, formèrent des peuples, des nations; et l'amour de soi produisit tous les développements du génie et de la puissance.

Ainsi, par l'unique secours de ses facultés, l'homme a su lui-même s'élever à l'étonnante hauteur de sa fortune présente. Trop heureux si, observateur scrupuleux de la loi imprimée à son être, il en eût fidèlement rempli l'unique et véritable objet! Mais, par une imprudence fatale, ayant tantôt méconnu, tantôt transgressé sa limite, il s'est lancé dans un dédale d'erreurs et d'infortunes; et l'amour de soi, tantôt déréglé et tantôt aveugle, est devenu un principe fécond de calamités.

CHAPITRE VIII.
Source des maux des sociétés

En effet, à peine les hommes purent-ils développer leurs facultés, que, saisis de l'attrait des objets qui flattant les sens, ils se livrèrent à des désirs effrénés. Il ne leur suffit plus de la mesure des sensations douces que la nature avait attachées à leurs vrais besoins pour les lier à leur existence: non contents des biens que leur offrait la terre, ou que produisait leur industrie, ils voulurent entasser les jouissances, et convoitèrent celles que possédaient leurs semblables; et un homme fort s'éleva contre un homme faible, pour lui ravir les fruits de ses peines; et le faible invoqua un autre faible, pour résister à la violence; et deux forts se dirent: «Pourquoi fatiguer nos bras à produire des jouissances qui se trouvent dans les mains des faibles? Unissons-nous, et dépouillons-les; ils fatigueront pour nous, et nous jouirons sans peine.» Et les forts s'étant associés pour l'oppression, les faibles pour la résistance, les hommes se tourmentèrent réciproquement; et il s'établit sur la terre une discorde générale et funeste, dans laquelle les passions, se produisant sous mille formes nouvelles, n'ont cessé de former un enchaînement successif de calamités.

Ainsi, ce même amour de soi qui, modéré et prudent, était un principe de bonheur et de perfection, devenu aveugle et désordonné, se transforma en un poison corrupteur; et la cupidité, fille et compagne de l'ignorance, s'est rendue la cause de tous les maux qui ont désolé la terre.

Oui, l'ignorance et la cupidité! voilà la double source de tous les tourments de la vie de l'homme! C'est par elles que, se faisant de fausses idées de bonheur, il a méconnu ou enfreint les lois de la nature, dans les rapports de lui-même aux objets extérieurs, et que, nuisant à son existence, il a violé la morale individuelle; c'est par elles que, fermant son cœur à la compassion et son esprit à l'équité, il a vexé, affligé son semblable, et violé la morale sociale. Par l'ignorance et la cupidité, l'homme s'est armé contre l'homme, la famille contre la famille, la tribu contre la tribu, et la terre est devenue un théâtre sanglant de discorde et de brigandage: par l'ignorance et la cupidité, une guerre secrète, fermentant au sein de chaque État, a divisé le citoyen du citoyen; et une même société s'est partagée en oppresseurs et en opprimés, en maîtres et en esclaves: par elles, tantôt insolents et audacieux, les chefs d'une nation ont tiré ses fers de son propre sein, et l'avidité mercenaire a fondé le despotisme politique; tantôt hypocrites et rusés, ils ont fait descendre du ciel des pouvoirs menteurs, un joug sacrilège; et la cupidité crédule a fondé le despotisme religieux: par elles enfin se sont dénaturées les idées du bien et du mal, du juste et de l'injuste, du vice et de la vertu; et les nations se sont égarées dans un labyrinthe d'erreurs et de calamités.... La cupidité de l'homme et son ignorance!… voilà les génies malfaisants qui ont perdu la terre! voilà les décrets du sort qui ont renversé les empires! voilà les anathèmes célestes qui ont frappé ces murs jadis glorieux, et converti la splendeur d'une ville populeuse en une solitude de deuil et de ruines!… Mais puisque ce fut du sein de l'homme que sortirent tous les maux qui l'ont déchiré, ce fut aussi là qu'il en dut trouver les remèdes, et c'est là qu'il faut les chercher.

18.Voyez la planche II, qui réprésente une moitié de la terre.
19.L'Afrique.
20.La Méditerranée.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2018
Объем:
401 стр. 3 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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