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Читать книгу: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 2», страница 6

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La première est que toute tradition sur la haute antiquité est aussi nulle chez les Orientaux que chez les Européens. Parmi eux, comme parmi nous, les faits de cent ans, quand ils ne sont pas écrits, sont altérés, dénaturés, oubliés: attendre d’eux des éclaircissements sur ce qui s’est passé au temps de David ou d’Alexandre, c’est comme si on demandait aux paysans de Flandre des nouvelles de Clovis ou de Charlemagne.

La deuxième est que, dans toute la Syrie, les Mahométans, comme les Juifs et les Chrétiens, attribuent tous les grands ouvrages à Salomon; non que la mémoire s’en soit perpétuée sur les lieux, mais parce qu’ils font des applications des passages de l’ancien Testament: c’est, avec l’Évangile, la source de presque toutes les traditions, parce que ce sont les seuls livres historiques qui soient lus et connus; mais comme les interprètes sont très-ignorants, leurs applications manquent presque toujours de vérité: c’est ainsi qu’ils sont en erreur, quand ils disent que Balbek est la domus saltûs Libani de Salomon; et ils choquent également la vraisemblance, quand ils attribuent à ce roi les puits de Tyr et les édifices de Palmyre.

Enfin, une troisième remarque est que la croyance aux trésors cachés s’est accréditée et se soutient par des découvertes qui se font effectivement de temps à autre. Il n’y a pas dix ans que l’on trouva à Hébron un petit coffre plein de médailles d’or et d’argent, avec un livre d’ancien arabe, traitant de la médecine. Dans le pays des Druzes, un particulier découvrit aussi, il y a quelque temps, une jarre où il trouva des monnaies d’or faites en croissant; mais comme les commandants s’attribuent ces découvertes, et que, sous pretexte de les faire restituer, ils ruinent ceux qui les ont faites, les propriétaires s’efforcent d’en dérober la connaissance: ils fondent en secret les monnaies anciennes, où même ils les recachent par ce même esprit de crainte qui les fit enfouir dans les temps anciens, et qui indique la même tyrannie.

D’après la magnificence extraordinaire du temple de Balbek, on s’étonnera avec raison que les écrivains grecs et latins en aient si peu parlé. Wood, qui les a compulsés à ce sujet, n’en a trouvé de mention que dans un fragment de Jean d’Antioche, qui attribue la construction de cet édifice à l’empereur Antonin-le-Pieux. Les inscriptions qui subsistent sont conformes à cette opinion, et elle explique très-bien pourquoi l’ordre employé est le corinthien, puisque cet ordre ne fut bien usité que dans le troisième âge de Rome; mais l’on ne doit pas alléguer, pour la confirmer encore, l’oiseau sculpté sur la soffite: si son bec crochu, si ses grandes serres et le caducée qu’elles tiennent doivent le faire regarder comme un aigle, l’aigrette de sa tête, semblable à celle de certains pigeons, prouve qu’il n’est point l’aigle romain: d’ailleurs il se retrouve le même au temple de Palmyre, et par cette raison il s’annonce pour un aigle oriental, consacré au soleil, qui fut la divinité de ces deux temples. Son culte existait à Balbek dès la plus haute antiquité. Sa statue, semblable à celle d’Osiris, y avait été transportée d’Héliopolis d’Égypte. On l’y adorait avec des cérémonies que Macrobe décrit dans son livre curieux des Saturnales45. Wood suppose, avec raison, que ce fut de ce culte que vint le nom de Balbek, qui signifie en syriaque ville de Bal, c’est-à-dire du soleil. Les Grecs, en disant Héliopolis, n’ont fait, comme en bien d’autres cas, qu’une traduction littérale de l’oriental. On ignore l’état que put avoir cette ville dans la haute antiquité; mais il est à présumer que sa position sur la route de Tyr à Palmyre lui donna quelque part au commerce de ces opulentes métropoles. Sous les Romains, au temps d’Auguste, elle est citée comme tenant garnison; et il reste sur le mur de la porte du midi, à droite en entrant, une inscription qui en fait preuve; car on y lit en lettres grecques: Kenturia prima. 140 ans après cette époque, Antonin y bâtit le temple actuel à la place de l’ancien, qui sans doute tombait en ruines; mais le christianisme ayant pris l’ascendant sous Constantin, le temple moderne fut négligé, puis converti en église, dont il reste un mur qui masquait le sanctuaire de l’idole. Il subsista ainsi jusqu’à l’invasion des Arabes: il est probable qu’ils envièrent aux chrétiens une si belle possession. L’église moins fréquentée se dégrada: les guerres survinrent; on en fit un lieu de défense; l’on bâtit sur le mur de l’enceinte, sur les pavillons et aux angles, des créneaux qui existent encore; et de ce moment, le temple, exposé au sort de la guerre, tomba rapidement en ruines.

L’état de la ville n’est pas moins déplorable; le mauvais gouvernement des émirs de la maison de Harfouche lui avait déja porté des atteintes funestes; le tremblement de 1759 acheva de la ruiner. Les guerres de l’émir Yousef et de Djezzâr ont encore aggravé sa situation; de 5000 habitants que l’on y comptait en 1751, il n’en reste pas 1200, tous pauvres, sans industrie, sans commerce, et sans autres cultures que quelques cotons, quelques maïs et des pastèques. Dans toute cette partie, le sol est maigre, et continue d’être tel, soit en remontant au nord, soit en descendant au sud-est vers Damas.

CHAPITRE VI

Du pachalic de Damas

LE pachalic de Damas, quatrième et dernier de la Syrie, en occupe presque toute la partie orientale. Il s’étend au nord, depuis Marra, sur la route d’Alep, jusqu’à Habroun, dans le sud-est de la Palestine: la ligne de ses limites à l’ouest suit les montagnes des Ansârîé, celles de l’Antiliban, le cours supérieur du Jourdain; puis traversant ce fleuve au pays de Bisân, elle enveloppe Nâblous, Jérusalem, Habroun, et passe à l’orient dans le désert, où elle s’avance plus ou moins, selon que le pays est cultivable; mais en général elle s’y éloigne peu des dernières montagnes, à l’exception du canton de Tadmour ou Palmyre, vers lequel elle prend un prolongement de cinq journées.

Dans cette vaste étendue de pays, le sol et les produits sont variés; les plaines du Hauran, et celles des bords de l’Oronte sont les plus fertiles; elles rendent du froment, de l’orge, du doura, du sésame et du coton. Le pays de Damas et le haut Beqâà, sont d’un sol graveleux et maigre, plus propre aux fruits et au tabac qu’aux autres denrées. Toutes les montagnes sont attribuées aux oliviers, aux mûriers, aux fruits, et en plusieurs lieux aux vignes, dont les Grecs font du vin, et les Musulmans des raisins secs.

Le pacha jouit de tous les droits de sa place; ils sont plus considérables que ceux d’aucune autre; car outre la ferme générale et le commandement absolu, il est encore conducteur de la caravane sacrée de la Mekke, sous le nom très-respecté d’émir-Hadj46. Les Musulmans attachent une si grande importance à cette conduite, que la personne d’un pacha qui s’en acquitte bien devient inviolable même pour le sultan; il n’est plus permis de verser son sang. Mais le divan sait tout concilier; et quand un tel homme encourt sa disgrace, il satisfait tout à la fois au littéral de la loi et à sa vengeance, en le faisant piler dans un mortier, ou étouffer dans un sac, ainsi qu’il y en a eu plusieurs exemples.

Le tribut du pacha au sultan n’est que de quarante-cinq bourses (cinquante-six mille deux cent cinquante livres); mais il est chargé de tous les frais du Hadj. On les évalue à six mille bourses, ou sept millions cinq cent mille livres. Ils consistent en provisions de blé, d’orge, de riz, etc., et en louage de chameaux qu’il faut fournir aux troupes d’escorte, et à beaucoup de pèlerins. En outre, l’on doit payer dix-huit cents bourses aux tribus arabes qui sont sur la route, pour obtenir un libre passage. Le pacha se rembourse sur le miri ou impôt des terres, soit qu’il le perçoive lui-même, soit qu’il le sous-afferme, comme il arrive en plusieurs lieux. Il ne jouit pas des douanes; elles sont régies par le deftardâr ou maître des registres, pour être employées à la solde des janissaires et des gardes des châteaux qui sont sur la route de la Mekke. Le pacha hérite en outre de tous les pèlerins qui meurent en route; et cet article n’est pas sans importance, car l’on a observé que c’étaient toujours les plus riches. Enfin, il a son industrie, qui consiste à prêter à intérêt de l’argent aux marchands et aux laboureurs, et à en prendre à qui bon lui semble, à titre de balse ou d’avanie.

Son état militaire consiste en six ou sept cents janissaires, moins mal tenus et plus insolens qu’ailleurs; en autant de Barbaresques nus et pillards comme partout, et en huit à neuf cents délibaches ou cavaliers. Ces troupes, qui passent en Syrie pour un corps d’armée considérable, lui sont nécessaires, non-seulement pour l’escorte de la caravane, et pour réprimer les Arabes, mais encore contre ses propres sujets, pour la perception du miri. Chaque année, trois mois avant le départ du Hadj, il fait ce qu’on appelle la tournée; c’est-à-dire qu’escorté de ses troupes, il parcourt son vaste gouvernement, en faisant contribuer les villes et les villages. La liquidation se passe rarement sans troubles; le peuple ignorant, excité par des chefs factieux, ou provoqué par l’injustice du pacha, se révolte souvent, et paie sa dette à coups de fusil; les habitants de Nâblous, de Bethlem et de Habroun, se sont fait en ce genre une réputation qui leur vaut des franchises particulières; mais aussi, lorsque l’occasion se présente, on leur fait payer au décuple les intérêts et les dommages. Le pachalic de Damas, par sa situation, est plus exposé qu’aucun autre aux incursions des Arabes-Bedouins: cependant on observe qu’il est le moins ruiné de la Syrie. La raison qu’on en donne est qu’au lieu d’en changer fréquemment les pachas, comme elle fait ailleurs, la Porte le donne ordinairement à vie: dans ce siècle, on l’a vu occupé pendant cinquante ans par une riche famille de Damas, appelée El-Adm, dont un père et trois frères se sont succédés. Asàd, le dernier d’entre eux, dont nous avons parlé dans l’histoire de Dâher, l’a tenu quinze ans, pendant lesquels il a fait un bien infini. Il avait établi assez de discipline parmi ses soldats, pour que les paysans fussent à l’abri de leurs pillages. Sa passion était, comme à tous les gens en place de la Turkie, d’entasser de l’argent: mais il ne le laissait point oisif dans ses caisses; et par une modération inouïe dans ce pays, il n’en retirait qu’un intérêt de six pour cent47. On cite de lui un trait qui donnera une idée de son caractère: s’étant un jour trouvé dans un besoin d’argent, les délateurs qui environnent les pachas lui conseillèrent d’imposer une avanie sur les chrétiens et sur les fabricants d’étoffes. Combien croyez-vous que cela puisse me rendre? dit Asàd: Cinquante à soixante bourses, lui répondirent-ils. Mais, répliqua-t-il, ce sont des gens peu riches; comment feront-ils cette somme? Seigneur, ils vendront les joyaux de leurs femmes, et puis ce sont des chiens.Je veux éprouver, reprit le pacha, si je serai plus habile avaniste que vous. Dans le jour même il envoie ordre au mofti de venir le trouver secrètement et de nuit: le mofti arrivé, Asàd lui déclare «qu’il a appris que depuis long-temps il mène dans sa maison une vie très-irrégulière; que lui, chef de la loi, boit du vin et mange du porc, contre les préceptes du livre très-pur; qu’il a résolu d’en faire part au mofti de Stamboul (Constantinople), mais qu’il a voulu l’en prévenir, afin qu’il n’eût point à lui reprocher de perfidie.» Le mofti, effrayé de cette menace, le conjure de s’en désister; et comme chez les Turks on traite ouvertement les affaires, il lui promet un présent de mille piastres. Le pacha rejette l’offre; le mofti double et triple la somme; enfin ils s’accordent pour six mille piastres, avec engagement réciproque de garder un profond silence. Le lendemain Asàd fait appeler le qâdi, lui tient des propos semblables, lui dit qu’il est informé d’abus criants dans sa gestion; qu’il a connaissance de telle affaire, qui ne va pas moins qu’à lui faire couper la tête. Le qâdi confondu, implore sa clémence, négocie comme le mofti, s’accommode pour une somme pareille, et se retire fort content d’échapper à ce prix. Après le qâdi vint l’ouâli, puis le naqîb, l’aga des janissaires, le mohteseb, et enfin les plus riches marchands turks et chrétiens. Chacun d’eux, pris pour les délits de son état, et surtout pour l’article des femmes, s’empressa d’en acheter le pardon par une contribution. Lorsque la somme totale fut rassemblée, le pacha se retrouvant avec ses familiers, leur dit: Avez-vous entendu dire dans Damas qu’Asàd ait jeté une avanie? Non, seigneur.—Comment se fait-il donc que j’aie trouvé près de deux cents bourses que voici? Les délateurs de se récrier, d’admirer, de demander quel moyen il avait pris. J’ai tondu les beliers, répondit-il, plutôt que d’écorcher les agneaux et les chèvres. Après quinze années de règne, cet homme fut enlevé au peuple de Damas par les suites d’une intrigue dont on raconte ainsi l’histoire: vers 1755, un eunuque noir du sérail allant en pèlerinage à la Mekke, prit l’hospitalité chez Asàd; mais peu content de l’accueil simple qu’il en reçut, il ne voulut point repasser par Damas, et il prit sa route par Gaze. Hosein pacha, qui commandait alors en cette ville, mit du faste à bien traiter l’eunuque. Celui-ci, de retour à Constantinople, n’oublia pas ses deux hôtes: pour satisfaire à la fois sa reconnaissance et son ressentiment, il résolut de perdre Asàd, et d’élever Hosein à sa place. Ses intrigues eurent tant de succès, que dès 1756, Jérusalem fut détachée de Damas, et donnée à Hosein à titre de pachalic. L’année suivante il obtint Damas même: Asàd déposé se retira dans le désert, avec les gens de sa maison, pour éviter une plus grande disgrace. Le temps de la caravane arriva: Hosein la conduisit, selon le droit de sa place; mais au retour, ayant pris querelle avec les Arabes pour un paiement qu’il refusait, ils l’attaquèrent en force, battirent son escorte, et pillèrent complètement la caravane en 1757. A la nouvelle de ce désastre, ce fut dans l’empire une désolation comme à la perte d’une grande bataille; les familles de vingt mille pèlerins morts de soif, de faim, ou tués par les Arabes; les parents de nombre de femmes faites esclaves; les marchands intéressés à la cargaison dissipée, demandèrent vengeance de la lâcheté de l’émir Hadj, et du sacrilége des Bedouins. La Porte alarmée proscrivit d’abord la tête de Hosein; mais il se cacha si bien, que l’on ne put le surprendre: du sein de sa retraite, travaillant de concert avec l’eunuque, son protecteur, il entreprit de se disculper; et il y parvint au bout de trois mois, en produisant à la Porte une lettre, vraie ou fausse, d’Asàd, par laquelle il parut que ce pacha avait excité les Arabes à le venger de Hosein. Alors la proscription se tourna contre Asàd, et l’on n’attendit plus que l’occasion de la mettre en exécution.

Cependant le pachalic restait vacant: Hosein flétri n’y pouvait reparaître. La Porte désirait de réparer son affront, et de rétablir la sûreté du pèlerinage: elle jeta les yeux sur un homme singulier, dont les mœurs et l’histoire méritent que j’en dise deux mots. Cet homme, appelé Abd-Allah-el-Satadji, était né près de Bagdad, dans une condition obscure. S’étant mis de bonne heure à la solde du pacha, il avait passé les premières années de sa vie dans les camps, à la guerre, et avait fait en qualité de simple cavalier toutes les campagnes de Perse, contre Chah-Thamas-Koulikan. La bravoure et l’intelligence qu’il y montra, l’élevèrent de grade en grade jusqu’au pachalic de Bagdad même. Revêtu de cet éminent emploi, il s’y comporta avec tant de fermeté et de prudence, qu’il rétablit dans le pays la paix étrangère et domestique. La vie simple et militaire qu’il continua de mener, ne lui faisant pas éprouver de grands besoins d’argent, il n’en amassa point; mais les grands officiers du sérail de Constantinople, à qui cette modération ne rendait rien, trouvèrent mauvais le désintéressement d’Abd-Allah, et ils n’attendirent qu’un prétexte pour le déplacer: ils le trouvèrent dans la retenue qu’Abd-Allah fit d’une somme de 100,000 livres, provenant de la succession d’un marchand. A peine le pacha l’eut-il touchée qu’on en exigea le paiement; en vain représenta-t-il qu’il en avait payé de vieilles soldes de troupes; en vain demanda-t-il du délai, le vizir ne l’en pressa que plus vivement; et sur un second refus, il dépêcha un eunuque noir, muni en secret d’un kat-chérif, pour lui couper la tête. L’eunuque, arrivé aux environs de Bagdad, feignit d’être un malade qui voyageait pour sa santé: en cette qualité, il fit saluer le pacha, et par forme de politesse, il le pria de lui permettre une visite. Abd-Allah, qui connaissait l’esprit turk, se méfia de tant d’honnêteté, et soupçonna quelque raison secrète. Son trésorier, non moins versé dans les usages, et très-attaché à sa personne, le confirma dans ses soupçons; pour acquérir des certitudes, il lui proposa de visiter le paquet de l’eunuque, pendant qu’il serait chez le pacha avec sa suite. Abd-Allah approuva l’expédient. A l’heure indiquée, le trésorier va dans la tente de l’eunuque, et il y fait une recherche si exacte, qu’il découvre le kat-chérif caché dans le revers d’une pelisse: aussitôt il vole vers le pacha, le fait avertir de passer un instant dans une pièce voisine, et lui remet la découverte48. Abd-Allah, muni du fatal écrit, le cache dans son sein, et rentre dans l’appartement; puis reprenant d’un air tranquille la conversation avec l’eunuque: «Plus j’y pense, dit-il, seigneur aga, plus je m’étonne de votre voyage en ce pays. Bagdad est si loin de Stamboul; notre air est si peu vanté, que j’ai peine à croire que vous ne veniez nous demander que de la santé. Il est vrai, reprit l’aga, que je suis aussi chargé de vous demander en passant quelque à-compte des 100,000 livres. Passe encore, reprit le pacha; mais tenez, ajouta-t-il d’un air décidé, avouez que vous venez aussi pour ma tête. Écoutez; vous me connaissez de réputation; vous savez ce que vaut ma parole; je vous la donne: si vous me faites un aveu sincère, je vous relâcherai sans vous faire le moindre mal.» Alors l’eunuque commençant une longue défense, protesta qu’il venait sans noires intentions. Par ma tête! dit Abd-Allah, avouez-moi la vérité. L’eunuque continua sa défense.—Par vôtre tête. Il nia encore. Prenez-y garde. Par celle du sultan. Il persista encore.—Allons, dit Abd-Allah, c’en est fait, tu as prononcé ton arrêt; et tirant le kat-chérif: Reconnais-tu ce papier? «Voilà comme vous vous gouvernez là-bas: oui, vous êtes une troupe de scélérats qui vous jouez de la vie de quiconque vous déplaît, et qui vous livrez de la main à la main le sang des serviteurs du sultan. Il faut des têtes au vizir: il en aura une; qu’on la coupe à ce chien, et qu’on l’envoie à Constantinople.» Sur-le-champ l’ordre fut exécuté; et la suite de l’aga congédiée partit avec sa tête. Après ce coup, Abd-Allah eût pu profiter de la faveur du pays pour se révolter: il préféra de passer chez les Kourdes. Ce fut là que vint le trouver l’amnistie du sultan, et l’ordre de passer au pachalic de Damas. Il s’ennuyait dans son exil; il n’avait plus d’argent; il accepta la commission, et partit avec 100 hommes qui suivirent sa fortune. En arrivant aux frontières de son gouvernement, il apprit qu’Asàd était campé dans un lieu voisin; il en avait entendu parler comme du plus grand homme de la Syrie; il désirait de le voir. Il se déguisa; et suivi de six cavaliers, il se rendit à son camp, et demanda à lui parler: on l’introduisit, selon l’usage de ces camps, sans beaucoup de cérémonies. Après le salut, Asàd lui demande où il va, et d’où il vient; Abd-Allah répond qu’ils sont six à sept cavaliers kourdes qui cherchent du service; qu’ils savent que Satadji vient à Damas; qu’ils vont le trouver; mais qu’ayant appris en passant, que lui Asàd était campé dans le voisinage, il sont venus lui demander une ration. Volontiers, dit Asàd; mais connaissez-vous Satadji?—Oui.—Quel homme est-ce? Aime-t-il l’argent?—Non. Satadji ne s’embarrasse ni d’argent, ni de pelisses, ni de châles, ni de perles, ni de femmes; il n’aime que les bonnes armes de fer; les bons chevaux et la guerre. Il chérit la justice, protège la veuve et l’orphelin, lit le Qôran, vit de beurre et de laitage.—Est-il âgé? dit Asàd.—Moins qu’il ne paraît: la fatigue l’a prématuré: il est couvert de blessures, il a reçu un coup de sabre qui le fait boiter de la jambe gauche; un autre lui fait porter le cou sur l’épaule droite. Tenez, dit-il en se levant debout, depuis les pieds jusqu’à la tête c’est mon portrait. A ce mot, Asàd pâlit et se crut perdu; mais Abd-Allah se rasseyant, lui dit: Frère, rassure-toi; je ne suis pas un messager de l’antre des voleurs: je ne viens point pour te trahir: au contraire, si je puis t’être bon à quelque chose, emploie-moi, car nous sommes tous deux au même rang chez nos maîtres; ils m’ont rappelé, parce qu’ils veulent châtier les Bedouins. Quand ils auront satisfait leur vengeance de ce côté, ils en reviendront à ma tête. Dieu est grand: il en arrivera ce qu’il a décrété.

Abd-Allah se rendit dans ces sentiments à Damas; il y rétablit le bon ordre, il réprima les vexations des gens de guerre, et conduisit la caravane le sabre à la main, sans payer une piastre aux Arabes: pendant son administration, qui dura deux ans, le pays jouit de la plus parfaite tranquillité. On dormait les portes ouvertes, disent encore les habitants de Damas. Lui-même, souvent déguisé en mendiant, voyait par ses yeux; les traits de justice qui lui échappaient quelquefois sous ce déguisement, avaient établi une circonspection salutaire: on aime encore aujourd’hui à en citer quelques-uns. Par exemple, on rapporte qu’étant à Jérusalem dans sa tournée, il avait défendu à ses soldats de rien prendre, ni de commander sans salaire. Un jour qu’il rôdait déguisé en pauvre, tenant un petit plat de lentilles à la main, un soldat qui portait un fagot, l’obligea de s’en charger; après quelque résistance, il le mit sur son dos, et commença de marcher devant le délibache, qui le pressait en jurant. Un autre soldat reconnut le pacha, et fit signe à son camarade. Celui-ci de fuir et de s’échapper par des rues de traverse. Après quelques pas, Abd-Allah n’entendant plus son homme, se retourna, et fâché d’avoir manqué son coup, il ne put s’empêcher de jeter son faix à terre, en disant: Le coquin, il est si mauvais sujet qu’il a emporté mon salaire et mon plat de lentilles. Mais il ne le porta pas loin; car peu de jours après, le pacha le surprit à voler dans un jardin les légumes d’une pauvre femme qu’il maltraitait, et sur-le-champ il lui fit couper la tête.

Quant à lui, il ne put éviter le sort qu’il avait prévu: après avoir échappé plus d’une fois à des assassins apostés, il fut empoisonné par son neveu. Il s’en aperçut avant de mourir, et l’ayant fait appeler: Malheureux! lui dit-il, les scélérats t’ont séduit; tu m’as empoisonné pour profiter de ma dépouille: je pourrais avant de mourir tromper ton espoir et punir ton ingratitude; mais je connais les Turks; ils se chargeront de ma vengeance. En effet, à peine Satadji fut-il mort, qu’un capidji montra un ordre d’étrangler le neveu; ce qui fut exécuté. Toute l’histoire des Turks prouve qu’ils aiment la trahison, mais qu’ils punissent toujours les traîtres. Depuis Abd-Allah, le pachalic de Damas a passé successivement à Seliq, à Osman, à Mohammed, et à Darouich, fils d’Osman, qui l’occupait en 1784. Cet homme, qui n’a pas les talents de son père, en a retenu le caractère tyrannique; en voici un trait digne d’être cité: Au mois de novembre 1784, un village de chrétiens grecs, près de Damas, qui avait acquitté le miri, fut sommé de le payer une seconde fois. Les chaiks réclamant le registre qui constatait l’acquit, s’y refusèrent. Une des nuits suivantes, un parti de soldats assaillit le village, et tua trente-une personnes. Des malheureux paysans consternés portèrent les têtes à Damas, et implorèrent la justice du pacha. Après les avoir entendus, Darouich leur dit de déposer ces têtes dans l’église grecque, en attendant qu’il fît des recherches. Trois jours se passèrent; les têtes se corrompirent; on voulut les enterrer; mais pour cet effet, il fallait une permission du pacha, et on ne l’obtint qu’au prix de 40 bourses (50,000 livres).

Depuis un an (en 1785), Djezzâr profitant du crédit que son argent lui donne à la Porte, a dépossédé Darouich, et commande aujourd’hui à Damas; il aspire, dit-on, à y joindre Alep. Il semblerait que le divan dût lui refuser cet agrandissement qui le rendrait maître de toute la Syrie; mais outre que les affaires des Russes ne laissent pas le divan libre dans ses opérations, il s’inquiète peu des révoltes de ses préposés: une expérience constante lui a appris qu’ils retombent toujours dans ses filets. Djezzâr n’est pas propre à faire exception; car quoiqu’il ne manque pas de talents, et surtout de ruse49, ce n’est pas un esprit capable d’imaginer ou d’exécuter un grand plan de révolution. La route qu’il suit est celle de tous ses prédécesseurs: il ne s’occupe du bien public qu’autant qu’il rentre dans ses intérêts particuliers. La mosquée qu’il a bâtie à Acre, est un monument de pure vanité, qui a consommé sans aucun fruit 3,000,000 de France: son bazar est plus utile sans doute; mais avant de songer au marché où se vendent les denrées, il eût fallu songer à la terre qui les produit: à une portée de fusil d’Acre, l’agriculture est languissante. La plupart de ses dépenses sont pour ses jardins, pour ses bains, pour ses femmes blanches: il en possédait dix-huit en 1784: et ces femmes sont d’une luxe dévorant. Maintenant que la satiété et l’âge surviennent, il prend la manie d’entasser de l’argent: cette avarice aliène ses soldats, et sa dureté lui fait des ennemis jusque dans sa maison. Déja deux de ses pages ont tenté de l’assassiner: il a eu le bonheur d’échapper à leurs pistolets; mais la fortune se lassera: il lui arrivera, comme à tant d’autres, d’être quelque jour surpris, et il n’aura recueilli de tant de soins à thésauriser, que d’avoir excité la cupidité de la Porte et la haine du peuple. Venons aux lieux remarquables de ce pachalic.

D’abord se présente la ville même de Damas, capitale et résidence des pachas. Les Arabes l’appellent el-châm, selon leur usage de donner le nom d’un pays à sa capitale. L’ancien nom oriental de Demechq n’est connu que des géographes. Cette ville est située dans une vaste plaine ouverte au midi et à l’est, du côté du désert, et serrée à l’ouest et au nord par des montagnes qui bornent d’assez près la vue. En récompense, il vient de ces montagnes une quantité de ruisseaux qui font du territoire de Damas, le lieu le mieux arrosé et le plus délicieux de la Syrie. Les Arabes n’en parlent qu’avec enthousiasme; et ils ne cessent de vanter la verdure et la fraîcheur des vergers, l’abondance et la variété des fruits, la quantité des courants d’eaux vives, et la limpidité des jets d’eau et des sources. C’est aussi le seul lieu où il y ait des maisons de plaisance isolées et en rase campagne: les naturels doivent mettre d’autant plus de prix à tous ces avantages, qu’ils sont plus rares dans les contrées environnantes. Du reste, le sol maigre, graveleux et rougeâtre, est peu propre aux grains; mais cette qualité tourne au profit des fruits, dont les sucs sont plus savoureux. Nulle ville ne compte autant de canaux et de fontaines. Chaque maison a la sienne. Toutes ces eaux sont fournies par trois ruisseaux, ou par trois branches d’une même rivière qui, après avoir fertilisé des jardins pendant trois lieues de cours, va se rendre au sud-est dans un bas-fond du désert, où elle forme un marais appelé Behairat el Mardj, c’est-à-dire lac du Pré.

Avec une telle situation l’on ne saurait disputer à Damas d’être une des plus agréables villes de la Turkie; mais il lui reste quelque chose à désirer pour la salubrité. On se plaint avec raison que les eaux blanchâtres de la Barrâdé sont froides et dures; on observe que les Damasquins sont sujets aux obstructions; que le blanc de leur peau est plutôt un blanc de convalescence que de santé; enfin, que l’abus des fruits, et surtout des abricots, y produit tous les étés et les automnes des fièvres intermittentes et des dyssenteries.

L’étendue de Damas consiste beaucoup plus en longueur qu’en largeur. Niebuhr, qui en a levé le plan géométrique, lui donne trois mille deux cent cinquante toises, c’est-à-dire, un peu moins d’une lieue et demie de circuit. En jugeant sur cette mesure par comparaison avec Alep, je suppose que Damas contient 40,000 habitans. La majeure partie est composée d’Arabes et de Turks; on estime que le nombre des chrétiens passe 15,000, dont les deux tiers sont schismatiques. Les Turks ne parlent point du peuple de Damas sans observer qu’il est le plus méchant de l’empire; l’Arabe, en jouant sur les mots, en a fait ce proverbe: Châmî, choûmî; Damasquin, méchant; on dit au contraire du peuple d’Alep, Halabi, tchelebi; Alepin, petit-maître. Par une distinction fondée sur le culte, on ajoute que les chrétiens y sont plus vils et plus fourbes qu’ailleurs; sans doute parce que les Musulmans y sont plus fanatiques et plus insolens; ils ont le même caractère que les habitans du Kaire; comme eux, ils détestent les Francs. L’on ne peut aller à Damas vêtu à l’européenne; nos négociants n’ont pu y former d’établissements; l’on n’y trouve que deux missionnaires capucins, et un médecin non avoué.

Cette intolérance des Damasquins est surtout entretenue par leur liaison avec la Mekke. Leur ville, disent-ils, est une ville sainte en qualité de porte de la Kiâbé; en effet, c’est à Damas que se rassemblent tous les pèlerins du nord de l’Asie, comme au Kaire ceux de l’Afrique. Chaque année le nombre s’en élève depuis 30 jusqu’à 50,000; plusieurs s’y rendent quatre à cinq mois d’avance; la plupart n’arrivent qu’à la fin du Ramadan. Alors Damas ressemble à une foire immense; l’on ne voit qu’étrangers de toutes les parties de la Turkie, et même de la Perse; tout est plein de chameaux, de chevaux, de mulets et de marchandises. Après quelques jours de préparatifs, toute cette foule se met confusément en marche, et faisant route par la frontière du désert, elle arrive en quarante jours à la Mekke, pour la fête du Bairâm. Comme cette caravane traverse le pays de plusieurs tribus arabes indépendantes, il a fallu faire des traités avec les Bedouins, leur accorder des droits de passage, et les prendre pour guides. Souvent il y a des disputes entre les chaiks à ce sujet; le pacha en profite pour améliorer son marché. Ordinairement la préférence est dévolue à la tribu de Sardié, qui campe au sud de Damas, le long du Hauran; le pacha envoie au chaik une masse d’armes, une tente et une pelisse, pour lui signifier qu’il le prend pour chef de conduite. De ce moment, ce chaik est chargé de fournir des chameaux à un prix convenu; il les tire de sa tribu et de celles de ses alliés, moyennant un louage également convenu; on ne lui répond d’aucun dommage, et toute perte par accident est pour son compte. Année commune, il périt dix mille chameaux; ce qui fait un objet de consommation très-avantageux aux Arabes.

45
   Il y appelle Héliopolis ville des Assyriens, par la confusion que les anciens font souvent de ce nom avec celui de Syriens.


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46
   La caravane de la Mekke porte exclusivement ce nom de Hadj, qui signifie pèlerinage: les autres se nomment simplement Qafl.


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47
   En Syrie et en Égypte l’intérêt ordinaire est de douze ou quinze pour cent; souvent il va à vingt et trente.


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48
   Je tiens ces faits d’un homme qui a connu particulièrement ce trésorier, et vu Abd-Allah à Jérusalem.


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49
   Le baron de Tott appelle Djezzâr un lion: je crois qu’il le définirait bien mieux en l’appelant un loup.


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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2018
Объем:
391 стр. 20 иллюстраций
Правообладатель:
Public Domain

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