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Читать книгу: «Voyage en Égypte et en Syrie - Tome 1», страница 20

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§ IV.
Du gouvernement des Druzes

Ainsi que les Maronites, les Druzes peuvent se partager en deux classes: le peuple, et les notables désignés par le nom de chaiks et par celui d'émirs, c'est-à-dire descendants des princes. La condition générale est celle de cultivateur. Soit comme fermier, soit comme propriétaire, chacun vit sur son héritage, travaillant à ses mûriers et à ses vignes: en quelques cantons l'on y joint les tabacs, les cotons et quelques grains, mais ces objets sont peu considérables. Il paraît que dans l'origine, toutes les terres furent, comme jadis parmi nous, aux mains d'un petit nombre de familles. Mais pour les mettre en valeur, il a fallu que les grands propriétaires fissent des ventes et des arrentements; cette subdivision est devenue le principal mobile de la force de l'état, en ce qu'elle a multiplié le nombre des intéressés à la chose publique; cependant il subsiste des traces de l'inégalité première, qui ont encore aujourd'hui des effets pernicieux. Les grands biens que conservent quelques familles, leur donnent trop d'influence sur toutes les démarches de la nation. Leurs intérêts particuliers ont trop de poids dans la balance des intérêts publics. Ce qui s'est passé dans ces derniers temps en a donné des exemples faits pour servir de leçon. Toutes les guerres civiles ou étrangères qui ont troublé le pays, ont été suscitées par l'ambition et les vues personnelles de quelques maisons principales, telles que les Lesbeks, les Djambelâts, les Ismaëls de Solyma, etc. Les chaiks de ces maisons, qui possèdent à eux seuls le 10e du pays, se sont fait des créatures par leur argent, et ils ont fini par entraîner le reste des Druzes dans leurs dissensions. Il est vrai que c'est peut-être à ce conflit de partis divers, que la nation entière a dû l'avantage de n'être point asservie par son chef.

Ce chef, appelé hâkem ou gouverneur, et aussi émir ou prince, est une espèce de roi ou général qui réunit en sa personne les pouvoirs civils et militaires. Sa dignité passe tantôt du père aux enfants, tantôt du frère au frère, selon le droit de la force bien plus que selon des lois convenues. Les femmes, dans aucun cas, ne peuvent y former des prétentions à titre d'héritage. Elles sont déja exclues de la succession dans l'état civil; à plus forte raison le seront-elles dans l'état politique. En général les états de l'Asie sont trop orageux, et l'administration y exige trop nécessairement les talents militaires, pour que les femmes osent s'en mêler. Chez les Druzes, lorsque la lignée mâle manque dans la famille régnante, c'est à l'homme de la nation qui réunit le plus de suffrages et de moyens, que passe l'autorité. Mais avant tout, il doit obtenir l'agrément des Turks dont il devient le vassal et le tributaire. Il arrive même qu'à raison de leur suzeraineté, ils peuvent nommer le hâkem contre le gré de la nation, ainsi que l'a pratiqué Djezzâr dans la personne d'Ismaël de Hasbêya; mais cet état de contrainte ne dure qu'autant qu'il est maintenu par la violence qui l'établit. Les fonctions du gouverneur sont de veiller à l'ordre public, d'empêcher les émirs, les chaiks et les villages de se faire la guerre; il a droit de les réprimer par la force, s'ils désobéissent. Il est aussi chef de la justice, et nomme les qâdis, en se réservant toutefois à lui seul le droit de vie et de mort; il perçoit le tribut, dont il paie au pacha une somme convenue chaque année. Ce tribut varie selon que la nation sait se faire redouter: au commencement du siècle, il était de 160 bourses (200,000 livres). Melhem força les Turks de le réduire à 60. En 1784, l'émir Yousef en payait 80, et en promettait 90. Ce tribut, que l'on appelle miri, est imposé sur les mûriers, sur les vignes, sur les cotons et sur les grains. Tout terrain ensemencé paie à raison de son étendue; chaque pied de mûrier est taxé 3 medins, c'est-à-dire 3 sous 9 deniers. Le cent de pieds de vigne paie une piastre ou 40 medins. Souvent l'on refait à neuf les rôles de dénombrement; afin de conserver l'égalité dans l'imposition. Les chaiks et émirs n'ont aucun privilége à cet égard, et l'on peut dire qu'ils contribuent aux fonds publics à raison de leur fortune. La perception se fait presque sans frais; chacun paie son contingent à Dair-el-Qamar, s'il lui plaît, ou à des collecteurs du prince qui parcourent le pays après la récolte des soies. Le bénéfice du tribut est pour le prince, en sorte qu'il est intéressé à réduire les demandes des Turks: il le serait aussi à augmenter l'impôt; mais cette opération exige le consentement des notables, qui ont le droit de s'y opposer. Leur consentement est également nécessaire pour la guerre et pour la paix. Dans ces cas, l'émir doit convoquer des assemblées générales, et leur exposer l'état des affaires. Tout chaik et tout paysan qui, par son esprit ou son courage, a quelque crédit, a droit d'y donner sa voix; en sorte que l'on peut regarder le gouvernement comme un mélange tempéré d'aristocratie, de monarchie et de démocratie. Tout dépend des circonstances: si le gouverneur est homme de tête, il est absolu; s'il en manque, il n'est rien. La raison de cette vicissitude est qu'il n'y a point de lois fixes; et ce cas, qui est commun à toute l'Asie, est la cause radicale de tous les désordres de ses gouvernements.

Ni l'émir principal, ni les émirs particuliers n'entretiennent de troupes: ils n'ont que des gens attachés au service domestique de leur maison, et quelques esclaves noirs. S'il s'agit de faire la guerre, tout homme, chaik ou paysan, en état de porter les armes, est appelé à marcher. Chacun alors prend un petit sac de farine, un fusil, quelques balles, quelque peu de poudre fabriquée dans le village, et il se rend au lieu désigné par le gouverneur. Si c'est une guerre civile, comme il arrive quelquefois, les serviteurs, les fermiers, les amis s'arment chacun pour leur patron, ou pour leur chef de famille, et se rangent autour de lui. Souvent en pareil cas l'on croirait que les partis échauffés vont se porter aux derniers désordres; mais rarement passent-ils aux voies de fait, et surtout au meurtre: il intervient toujours des médiateurs, et la querelle s'apaise d'autant plus vite, que chaque patron est obligé d'entretenir ses partisans de vivres et de munitions. Ce régime, qui a d'heureux effets dans les troublés civils, n'est pas sans abus pour les guerres du dehors: celle de 1784 en a fait preuve. Djezzâr, qui savait que toute l'armée vivait aux frais de l'émir Yousef, affecta de temporiser; les Druzes qui trouvaient doux d'être nourris sans rien faire, prolongèrent les opérations; mais l'émir s'ennuya de payer, et il conclut un traité dont les conditions ont été fâcheuses et pour lui, et par contrecoup pour la nation, puisqu'il est constant que les vrais intérêts du prince et des sujets sont toujours inséparables.

Les usages dont j'ai été témoin dans ces circonstances, représentent assez bien ceux des temps anciens. Lorsque l'émir et les chaiks eurent décidé la guerre à Dair-el-Qamar, des crieurs montèrent le soir sur les sommets de la montagne; et là ils commencèrent à crier à haute voix: A la guerre, à la guerre; prenez le fusil, prenez les pistolets; nobles chaiks, montez à cheval; armez-vous de la lance et du sabre; rendez-vous demain à Dair-el-Qamar. Zèle de Dieu! zèle des combats! Cet appel, entendu des villages voisins, y fut répété; et comme tout le pays n'est qu'un entassement de hautes montagnes et de vallées profondes, les cris passèrent en peu d'heures jusqu'aux frontières. Dans le silence de la nuit, l'accent des cris et le long retentissement des échos, joints à la nature du sujet, avaient quelque chose d'imposant et de terrible. Trois jours après, il y avait 15,000 fusils à Dair-el-Qamar, et l'on eût pu sur-le-champ entamer les opérations.

L'on conçoit aisément que des troupes de ce genre ne ressemblent en rien à notre militaire d'Europe; elles n'ont ni uniformes, ni ordonnance, ni distribution; c'est un attroupement de paysans en casaque courte, les jambes nues et le fusil à la main. A la différence des Turks et des Mamlouks, ils sont tous à pied; les émirs seuls et les chaiks ont des chevaux d'assez peu de service, vu la nature âpre et raboteuse du terrain. La guerre qu'on y peut faire est purement une guerre de poste. Jamais les Druzes ne se risquent en plaine; et ils ont raison: ils y supporteraient d'autant moins le choc de la cavalerie, qu'ils n'ont pas même de baïonnettes à leurs fusils. Tout leur art consiste à gravir sur les rochers, à se glisser parmi les broussailles et les blocs de pierre, et à faire de là un feu assez dangereux, en ce qu'ils sont à couvert, qu'ils tirent à leur aise, et qu'ils ont acquis par la chasse et des jeux d'émulation, l'habitude de tirer juste. Ils entendent assez bien les irruptions à l'improviste, les surprises de nuit, les embuscades et tous les coups de main où l'on peut aborder l'ennemi promptement et corps à corps. Ardents à pousser leurs succès, prompts à se décourager et à reprendre courage, hardis jusqu'à la témérité, quelquefois même féroces, ils ont surtout deux qualités qui font les excellentes troupes: ils obéissent exactement à leurs chefs, et sont d'une sobriété et d'une vigueur de santé désormais inconnues chez les nations civilisées. Dans la campagne de 1784, ils passèrent trois mois en plein air, sans tentes, et n'ayant pour tout meuble qu'une peau de mouton; cependant il n'y eut pas plus de malades et de morts que s'ils eussent été dans leurs maisons. Leurs vivres consistaient, comme en tout autre temps, en petits pains cuits sous la cendre ou sur une brique, en oignons crus, en fromage, en olives, en fruit et quelque peu de vin. La table des chefs était presque aussi frugale, et l'on peut assurer qu'ils ont vécu 100 jours, où un même nombre de Français et d'anglais ne vivrait pas 10. Ils ne connaissent ni la science des fortifications, ni l'artillerie, ni les campements, en un mot, rien de ce qui fait l'art de la guerre. Mais s'il se trouvait parmi eux quelques hommes qui en eussent l'idée, ils en prendraient facilement le goût, et deviendraient une milice redoutable. Elle serait d'autant plus aisée à former, que les mûriers et les vignes ne suffisent pas pour les occuper toute l'année, et qu'il leur reste beaucoup de temps224 que l'on pourrait employer aux exercices militaires. Dans les derniers recensements des hommes armés, on en a compté près de 40,000; ce qui suppose pour le total de la population environ 120,000 ames: il y a peu à y ajouter, parce qu'il n'y a point de Druzes dans les villes de la côte. La surface du pays étant de 110 lieues carrées, il en résulte pour chaque lieue, 1,090 ames; ce qui égale la population de nos meilleures provinces. Pour sentir combien est forte cette proportion, l'on observera que le sol est rude, qu'il reste encore beaucoup de sommets incultes, que l'on ne recueille pas en grains de quoi se nourrir 3 mois par an, qu'il n'y a aucune manufacture, que toutes les exportations se bornent aux soies et aux cotons, dont la balance surpasse de bien peu l'entrée du blé de Haurân, des huiles de Palestine, du riz et du café que l'on tire de Baîrout. D'où vient donc cette affluence d'hommes sur un si petit espace? Toute analyse faite, je n'en puis voir de cause, que le rayon de liberté qui y luit. Là, à là différence du pays turk, chacun jouit, dans la sécurité, de sa propriété et de sa vie. Le paysan n'y est pas plus aisé qu'ailleurs; mais il est tranquille: il ne craint point, comme je l'ai entendu dire plusieurs fois, que l'aga, le quâiemmaquâm, ou le bacha envoient des djendis225 piller la maison, enlever la famille, donner la bastonnade, etc. Ces excès sont inouis dans la montagne. La sécurité y a donc été un premier moyen de population, par l'attrait que tous les hommes trouvent à se multiplier partout où il y a de l'aisance. La frugalité de la nation, qui consomme peu en tout genre, a été un second moyen aussi puissant. Enfin un troisième est l'émigration d'une foule de familles chrétiennes qui désertent journellement les provinces turkes pour venir s'établir dans le Liban; elles y sont accueillies des Maronites par fraternité de religion, et des Druzes par tolérance et par l'intérêt bien entendu de multiplier dans leur pays le nombre des cultivateurs, des consommateurs et des alliés. Tous vivent en paix; mais je dois dire que les Chrétiens montrent souvent un zèle indiscret et tracassier, propre à la troubler.

La comparaison que les Druzes ont souvent lieu de faire de leur sort, à celui des autres sujets turks, leur a donné une opinion avantageuse de leur condition, qui, par une gradation naturelle, a rejailli sur leurs personnes. Exempts de la violence et des insultes du despotisme, ils se regardent comme des hommes plus parfaits que leurs voisins, parce qu'ils ont le bonheur d'être moins avilis. De là s'est formé un caractère plus fier, plus énergique, plus actif, un véritable esprit républicain. On les cite dans tout le Levant pour être inquiets, entreprenants, hardis et braves jusqu'à la témérité: on les a vus en plein jour fondre dans Damas, au nombre de 300 seulement, et y répandre le désordre et le carnage. Il est remarquable qu'avec un régime presque semblable, les Maronites n'ont point ces qualités au même degré: j'en demandai un jour la raison dans une assemblée où l'on en faisait l'observation, au sujet de quelques faits passés récemment; après un moment de silence, un vieillard maronite écartant sa pipe de sa bouche, et roulant le bout de sa barbe dans ses doigts, me répondit: Peut-être les Druzes craindraient-ils plus la mort, s'ils croyaient à ce qui la suit. Ils n'admettent pas non plus la morale du pardon des injures. Personne n'est aussi ombrageux qu'eux sur le point d'honneur. Une insulte dite ou faite à ce nom et à la barbe, est sur-le-champ punie de coups de kandjar ou de fusil, pendant que chez le peuple des villes, elle n'aboutit qu'à des cris d'injures. Cette délicatesse a causé dans les manières et le propos une réserve ou, si l'on veut, une politesse que l'on est surpris de trouver chez les paysans. Elle passe même jusqu'à la dissimulation et à la fausseté, surtout dans les chefs, que de plus grands intérêts obligent à de plus grands ménagements. La circonspection est nécessaire à tous, par les conséquences redoutables du talion, dont j'ai parlé. L'usage peut nous en paraître barbare; mais il a le mérite de suppléer à la justice régulière, toujours incertaine et lente dans des états troublés et presque anarchiques.

Les Druzes ont un autre point d'honneur arabe, celui de l'hospitalité. Quiconque se présente à leur porte à titre de suppliant ou de passager est sûr de recevoir le logement et la nourriture de la manière la plus généreuse et la moins affectée. J'ai vu en plusieurs rencontres de simples paysans donner le dernier morceau de pain de leur maison au passant affamé; et lorsque je leur faisais l'observation qu'ils manquaient de prudence: Dieu est libéral et magnifique, répondaient-ils, et tous les hommes sont frères. Aussi personne ne s'avise de tenir auberge dans leur pays, non plus que dans le reste de la Turkie. Lorsqu'ils contractent avec leur hôte l'engagement sacré du pain et du sel, rien ne peut par la suite le leur faire violer: on en cite des traits qui font le plus grand honneur à leur caractère. Il y a quelques années qu'un aga de janissaires, coupable de rébellion, s'enfuit de Damas, et se retira chez les Druzes. Le pacha le sut et le demanda à l'émir, sous peine de guerre; l'émir le demanda au chaik Talhouq qui l'avait reçu; mais le chaik indigné répondit: Depuis quand a-t-on vu les Druzes livrer leurs hôtes? Dites à l'émir que tant que Talhouq gardera sa barbe, il ne tombera pas un cheveu de la tête de son réfugié. L'émir menaça de l'enlever de force; Talhouq arma sa famille. L'émir, craignant une émeute, prit une voie usitée comme juridique dans le pays; il déclara au chaik qu'il ferait couper 50 mûriers par jour, jusqu'à ce qu'il rendît l'aga. On en coupa 1,000, et Talhouq resta inébranlable. A la fin, les autres chaiks indignés prirent fait et cause, et le soulèvement allait devenir général, quand l'aga, se reprochant d'occasioner tant de désordres, s'évada à l'insu même de Talhouq226.

Les Druzes ont aussi le préjugé des Bedouins sur la naissance: comme eux, ils attachent un grand prix à l'ancienneté des familles: cependant l'on ne peut pas dire qu'il en résulte des inconvénients essentiels. La noblesse des émirs et des chaiks ne les dispense pas de payer le tribut, en proportion de leurs revenus; elle ne leur donne aucune prérogative, ni dans la possession des biens-fonds, ni dans celle des emplois. On ne connaît dans le pays, non plus que dans toute la Turkie, ni droits de chasse, ni glèbe, ni dîmes seigneuriales ou ecclésiastiques, ni francs-fiefs, ni lods et ventes: tout est, comme l'on dit, en franc-aleu: chacun, après avoir payé son miri, sa ferme ou sa rente, est maître chez soi. Enfin, par un avantage particulier, les Druzes et les Maronites ne paient point le rachat des successions, et l'émir ne s'arroge pas, comme le sultan, la propriété foncière et universelle: néanmoins il existe dans la loi des héritages un abus qui a de fâcheux effets. Les pères ont, comme dans le droit romain, la faculté d'avantager tel de leurs enfants qu'il leur plaît; et de là il est arrivé, dans plusieurs familles de chaiks, que tous les biens se sont rassemblés sur un même sujet, qui s'en est servi pour intriguer et cabaler, pendant que ses parents sont demeurés, comme l'on dit, princes d'olives et de fromage; c'est-à-dire, pauvres comme des paysans.

Par une suite de leurs préjugés, les Druzes n'aiment pas à s'allier hors de leurs familles. Ils préfèrent toujours leur parent, fût-il pauvre, à un étranger riche; et l'on a vu plus d'une fois de simples paysans refuser leurs filles à des marchands de Saïde et de Baîrout, qui possédaient 12 et 15,000 piastres. Ils conservent aussi jusqu'à un certain point l'usage des Hébreux, qui voulait que le frère épousât la veuve du frère; mais il ne leur est pas particulier, et ils le partagent, ainsi que plusieurs autres de cet ancien peuple, avec les habitants de la Syrie, et en général avec les peuples arabes.

En résumé, le caractère propre et distinctif des Druzes est, comme je l'ai dit, une sorte d'esprit républicain qui leur donne plus d'énergie qu'aux autres sujets turks, et une insouciance de religion qui contraste beaucoup avec le zèle des musulmans et des chrétiens. Du reste, leur vie privée, leurs usages, leurs préjugés sont ceux des autres Orientaux. Ils peuvent épouser plusieurs femmes, et les répudier quand il leur plaît; mais, à l'exception de l'émir et de quelques notables, les cas en sont très-rares. Occupés de leurs travaux champêtres, ils n'éprouvent point ces besoins factices, ces passions exagérées que le désœuvrement donne aux habitants des villes. Le voile que portent leurs femmes est lui-même un préservatif de ces désirs qui troublent la société. Chaque homme ne connaît de visage de femme que celui de la sienne, de sa mère, de sa sœur et de sa belle-sœur. Chacun vit au sein de sa famille et se répand peu au dehors. Les femmes, celles même des chaiks, pétrissent le pain, brûlent le café, lavent le linge, font la cuisine, en un mot, vaquent à tous les ouvrages domestiques. Les hommes cultivent les vignes et les mûriers, construisent des murs d'appui pour les terres, creusent et conduisent, des canaux d'arrosement. Seulement le soir ils s'assemblent quelquefois dans la cour, l'aire ou la maison du chef du village ou de la famille; et là, assis en rond, les jambes croisées, la pipe à la bouche, le poignard à la ceinture, ils parlent de la récolte et des travaux, de la disette ou de l'abondance, de la paix ou de la guerre, de la conduite de l'émir, de la quantité de l'impôt, des faits du passé, des intérêts du présent, des conjectures de l'avenir. Souvent les enfants, las de leurs jeux, viennent écouter en silence; et l'on est étonné de les voir, à 10 ou 12 ans, raconter d'un air grave pourquoi Djezzâr a déclaré la guerre à l'émir Yousef, combien le prince a dépensé de bourses, de combien l'on augmentera le miri, combien il y avait de fusils au camp, et qui possédait la meilleure jument. Ils n'ont pas d'autre éducation: on ne leur fait lire ni les psaumes, comme chez les Maronites, ni le Qôran, comme chez les musulmans; à peine les chaiks savent-ils écrire un billet. Mais, si leur esprit est vide de connaissances utiles ou agréables, du moins n'est-il pas préoccupé d'idées fausses et nuisibles; et sans doute cette ignorance de la nature vaut bien la sottise de l'art. Il en est du moins résulté un avantage, qui est que les esprits étant tous à peu près égaux, l'inégalité des conditions ne s'est pas rendue aussi sensible. En effet, l'on ne voit point chez les Druzes cette grande distance entre les rangs qui, dans la plupart des sociétés, avilit les petits sans améliorer les grands. Chaiks ou paysans, tous se traitent avec cette familiarité raisonnable qui ne tient ni de la licence, ni de la servitude. Le grand émir lui-même n'est point un homme différent des autres: c'est un bon gentilhomme campagnard, qui ne dédaigne pas de faire asseoir à sa table le plus simple fermier. En un mot, ce sont les mœurs des temps anciens, c'est-à-dire les mœurs de la vie champêtre, par laquelle toute nation a été obligée de commencer; en sorte que l'on peut établir que tout peuple chez qui on les trouve n'est encore qu'à la première époque de son état social.

224
   A raison de ce loisir, lorsque la récolte des soies est faite dans le Liban, il en part beaucoup de paysans, qui vont, comme nos Limousins, faire les récoltes dans la plaine.


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225
   Gens de guerre.


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226
   J'ai trouvé dans un recueil manuscrit d'anecdotes arabes un autre trait qui, quoique étranger aux Druzes, me semble trop beau pour être omis.
  «Au temps des kalifes, dit l'auteur, lorsque Abdalah le verseur de sang eut égorgé tout ce qu'il put saisir de descendants d'Ommiah, l'un d'eux, nommé Ébrahim, fils de Soliman, fils d'Abd-el-Malek, eut le bonheur d'échapper, et se sauva à Koufa, où il entra déguisé. Ne connaissant personne à qui il pût se confier, il entra au hasard sous le portique d'une grande maison, et s'y assit. Peu après le maître arrive, suivi de plusieurs valets, descend de cheval, entre, et, voyant l'étranger, il lui demande qui il est. Je suis un infortuné, répond Ébrahim, qui te demande l'asyle. Dieu te protège, dit l'homme riche; entre, et sois en paix. Ébrahim vécut plusieurs mois dans cette maison, sans que son hôte lui fît de questions. Mais lui-même, étonné de le voir tous les jours sortir et rentrer à cheval à la même heure, se hasarda un jour à lui en demander la raison. J'ai appris, répondit l'homme riche, qu'un nommé Ébrahim, fils de Soliman, est caché dans cette ville: il a tué mon père, et je le cherche pour prendre mon talion. Alors je connus, dit Ébrahim, que Dieu m'avait conduit là à dessein; j'adorai son décret, et, me résignant à la mort, je répliquai: Dieu a pris ta cause; homme offensé, ta victime est à tes pieds. L'homme riche étonné répondit: O étranger! je vois que l'adversité te pèse, et qu'ennuyé de la vie, tu cherches un moyen de la perdre; mais ma main est liée pour le crime. Je ne te trompe pas, dit Ébrahim: ton père était un tel; nous nous rencontrâmes en tel endroit, et l'affaire se passa de telle et telle manière. Alors un tremblement violent saisit l'homme riche; ses dents se choquèrent comme à un homme transi de froid, ses yeux étincelèrent de fureur, et se remplirent de larmes. Il resta ainsi quelque temps le regard fixé contre terre; enfin, levant la tête vers Ébrahim: Demain le sort, dit-il, te joindra à mon père; et Dieu aura pris mon talion. Mais, moi, comment violer l'asyle de ma maison? Malheureux étranger, fuis de ma présence; tiens, voilà 100 sequins; sors promptement; et que je ne te revoie jamais.»


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Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
30 июня 2018
Объем:
400 стр. 34 иллюстрации
Правообладатель:
Public Domain

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