Читать книгу: «La Pire Espèce», страница 4

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Keira se tourne et cette fois, elle le regarde sans se cacher : il a les doigts blancs à force de serrer le volant, et ses narines se dilatent à chaque respiration. Il est nerveux et prêt à exploser. Elle doit faire baisser la pression.

Elle change de ton, elle s’adoucit : « C’est bon, peut-être que tu as raison. J’admets t’avoir menti » .

« Sur quoi ? »

« Je t’ai dis que je ne voulais plus te voir, mais tu sais que ce n’est pas la vérité » .

« Ah, donc ça t’amuse de te faire poursuivre dans toute cette putain de ville ? » Evan la foudroie du regard et fait une embardée dans le virage.

« Oh, ça me plaît beaucoup quand tu me poursuis » le provoque-t-elle.

« Ne joue pas à la conne » .

« Tu as été méchant avec moi la dernière fois. Je devais savoir si tu tenais vraiment à moi » .

Elle doit se forcer pour cracher cette ineptie sans montrer le profond dégoût qu’elle éprouve. La dernière fois qu’ils se sont vus, Evan était saoul au point de demander une fellation dans les toilettes crasseuses d’une station-service et, après s’être vu refusé une telle pratique, il lui a donné un coup de poing dans le ventre. Keira l’a laissé au beau milieu de l’aire de stationnement et n’a plus jamais répondu à ses appels.

Mais l’indifférence, maintenant elle s’en rend compte, n’a pas été une solution suffisante.

« Ce ne sont que des conneries ! Je t’ai envoyé une centaine de messages pour te demander pardon, tu ne les as pas lus ? » Evan donne un coup de poing sur le volant.

Non, elle ne les a pas lus. Mais la vérité dans ce genre de situation ne serait pas d’une grande aide.

« Oui, c’est vrai, ils étaient très gentils. Tu sais être gentil » .

« Bien sûr, si tu ne me fais pas trop chier » .

« Je n’aime pas me disputer avec toi. Ça me rend mal, tu sais » .

« Justement, on ne doit pas se disputer » Evan place le couteau dans la main avec laquelle il tient le volant, et avec celle restée libre lui caresse une cuisse. Ça marche. Heureusement qu’elle a mis un jean.

« Non, on ne doit pas » Keira se penche pour susurrer à son oreille. « Au contraire, nous devrions faire la paix » .

« Oui. C’est comme ça que tu me plais » il change de route, et Keira comprend où il est en train de se diriger. « Docile, cochonne, et prête à me satisfaire » il ouvre son pantalon, il lui prend une main et l’introduit dans son caleçon.

Ce n’est pas le bon moment. Ce n’est pas le bon moment pour lui écraser les testicules et les lui faire bouffer. Elle doit avant tout écarter le couteau, car elle sait combien Evan peut être rapide s’il se sent menacé.

Elle prie pour qu’ils arrivent enfin où elle pense, et par chance cela arrive comme prévu. Evan a presque vingt-huit ans, et pourtant il vit encore chez ses parents, donc lorsqu’ils veulent “ être seuls ”ils vont dans un hangar désaffecté de l’aéroport auquel le père a accès car il travaille ici comme ouvrier. Au début, le poste lui plaisait : il rassemble les vieux avions en panne qui peuvent être exploitables, et les bagages égarés des passagers qui ne sont jamais venus les réclamer. Il devrait devenir le musée aéronautique de la ville, mais le projet n’a pas encore été lancé. Plusieurs fois, dans le dos d’Evan, Keira a amené ici Lake Pierce, pour fumer un joint sur les ailes d’un DC-3 et s’imaginer pouvoir partir vers des horizons inconnus. Durant l’une de leurs expéditions, Lake a même retrouvé une vieille paire de lunettes d’aviateur, à coques, qu’il a portée toute la soirée. Keira s’est foutue de lui, mais au final il les a rapportées avec lui à la maison.

Lake est un don Juan immature et irresponsable, mais il est sans aucun doute de meilleure compagnie que celle qui se trouve à présent à ses côtés.

Evan insère le badge permettant de soulever la barrière automatique et d’entrer dans le hall intérieur du hangar. Il arrête la voiture devant la porte métallique.

« Pourquoi tu t’arrêtes ? » il invite la main de Keira à continuer, et poursuit son exploration dans son décolleté pour lui palper les seins.

« On ne va pas à l’intérieur ? » Keira s’apprête à ouvrir la portière pour s’éloigner de lui.

Il la saisit par les épaules.

« Non, je suis déjà bien assez excité. On le fait là » il sort sa langue et lui bave dessus, déterminé à descendre un peu plus bas pour lui mordre les tétons.

Keira ne veut plus faire la moindre chose avec lui, jamais plus.

Elle ne lui permettra plus d’être son stupide jouet.

C’est le moment d’appliquer la première circonstance.

« Faisons-le dehors » réplique-t-elle.

« Comment ça dehors ? » Evan lui prête peu d’attention, sa bouche est arrivée au niveau du soutien-gorge et afin de pouvoir le lui baisser, il a relâché sa prise sur les épaules de Keira.

« Prends-moi sur le capot de la voiture » dit Keira.

Comme les putes de tes magazines pornos, pense-t-elle.

La proposition le bloque pendant un instant.

« Bien » dit-il ensuite, avec un regard obscène. « Dehors, avec le risque que l’on nous voit... Ça me plaît, c’est une bonne idée » .

Sans s’arrêter de la toucher, il l’autorise à ouvrir la portière et ils sortent de là ensemble, imbriqués l’un contre l’autre.

Evan la plaque contre le capot, l’obligeant à s’asseoir avant de lui sauter dessus. Plutôt que de laisser tomber le couteau, il lui effleure le visage avec la lame : « Je suis content d’être venu te voir » il sourit et lui écarte les jambes. « Maintenant je sais qu’il suffit juste de faire peur à ton frère pour faire de toi une docile chienne en chaleur » il baisse le couteau pour lui déboutonner son jean.

Quelque chose se passe en elle.

Keira ferme les yeux un moment et part dans ses pensées.

Puis, elle les ouvre à nouveau et se met à grincer des dents.

Personne ne doit s’approcher de son frère.

La circonstance explose.

Evan a son regard posé sur la fermeture éclair de son pantalon, alors Keira profite de ce moment d’égarement : elle lui balance un coup de poing dans le nez, rapide et précis.

« Merde, qu’est-ce que... ? » il recule, déconcerté par la réaction et par le coup reçu, mais cette fois-ci, c’est elle qui le saisit : elle le prend par la veste, elle s’agrippe, et avec élan, en une fraction de seconde, soulève un genou, droit dans l’entrejambe. Evan se plie en deux, tout en jurant, alors que le couteau lui glisse des mains. Keira se précipite pour le ramasser. Il s’en rend compte, tend le bras pour l’attraper, mais il réussit seulement à lui arracher une mèche de cheveux. Keira se débat, elle trébuche, elle se jette sur le couteau, elle le ramasse et, avec une rapidité meurtrière, se retourne avant qu’Evan ne revienne à l’attaque : « Je te crève un oeil, enfoiré » l’avertit-elle. « Ne t’approche pas » .

Il se met à cracher, la dévisageant avec haine. Elle fait un pas sur le côté, comme si elle voulait revenir vers la voiture. Keira baisse le couteau.

Les yeux d’Evan s’illuminent.

Une fois l’arme hors de sa vue, il s’écarte sur la gauche et fonce sur elle. Keira l’avait anticipé : elle court de l’autre côté de la voiture. Il glisse, il s’agrippe au coffre pour éviter la chute puis retrouve son équilibre.

S’il était tout simplement monté sur la voiture, alors il l’aurait eue. Pas forcément tout de suite, parce que le hall du hangar est énorme, mais il l’aurait eue ; au contraire, il préfère le contact direct et celui-ci lui échappe.

Alors qu’il essayait de l’attraper, il n’a pas remarqué où Keira s’en allait.

Il s’en rend compte trop tard.

Keira monte dans la voiture, elle tourne la clé de contact qu’il lui avait laissée là, bien en évidence, et démarre sur une parfaite imitation vrombissante digne de lui.

Evan se met à jurer, il tire le passe hors de sa poche et le soulève en l’air pour qu’elle puisse le voir :

« Tu ne peux pas sortir ! » hurle-t-il.

Keira l’entend.

« Ah non ? »

Elle appuie sur l’accélérateur, à fond, et redresse le volant.

Au dernier moment, elle ferme les yeux, accuse le coup, et bam !, la barrière en bois qui empêchait l’accès au hangar se brise en deux et vole en éclat.

Elle s’assure de voir dans le rétroviseur la même image que celle eue précédemment, seulement cette fois-ci ce n’est pas le visage réduit de son frère mais celui d’Evan. Les insultes qu’il lui lance au visage se perdent dans le grondement du moteur.

Circonstance numéro deux : un crétin reste toujours un crétin.

Keira se passe le dos de la main sur le visage, elle soupire, et jette le couteau par la fenêtre.

Il faut qu’elle se mette à aller à l’église et qu’elle se trouve un enfant de choeur comme petit ami.

Elle ralentit un peu qu’une fois immergée dans la circulation quotidienne de la nationale qui reconduit à la ville. Elle ajuste son top, elle reboutonne son jean puis cherche dans ses poches le téléphone pour appeler Josh et lui dire que, comme promis, elle rentrera bientôt. Elle ne le trouve pas. Elle doit l’avoir laissé dans la voiture, devant la maison. Elle regrette de ne pas pouvoir rassurer son frère, mais il devra attendre, car elle a une dernière chose à faire pour calmer ses nerfs.

Elle conduit jusqu’à la gare routière, là d’où partent toutes les lignes directes pour le centre-ville ou la province, puis tourne dans une rue adjacente. Elle fait une pause pour ramasser un morceau de bois. Elle estime à vue de nez deux mesures et le casse pour obtenir la longueur souhaitée, elle poursuit ainsi jusqu’à une vieille ferme abandonnée, au toit écroulé et aux fenêtres brisées. Elle ne veut faire de mal à personne et elle n’a rien contre cette pauvre maison, mais elle pense qu’elle n’en souffrira pas et que le propriétaire, s’il est encore vivant, ne se vexera pas trop.

Elle calcule approximativement la distance, juste, et la trajectoire, droite. Elle ouvre la portière sans arrêter la voiture et se prépare. Elle braque légèrement pour s’approcher de la terre battue, hors de la chaussée, puis donne une dernière fois deux coups d’oeil rapides, aussi bien pour la sécurité que pour profiter du spectacle. Puis, elle le fait.

Elle coince le bâton entre le siège et l’accélérateur. La Camaro sursaute à l’augmentation soudaine de la vitesse.

Keira est propulsée en arrière sur le siège et il lui faut quelques secondes de plus que ce qui était prévu pour sauter hors de la voiture. Elle roule sur la terre battue et s’écorche un coude mais elle se relève juste à temps pour assister au bouquet final : la voiture, sans conducteur, dévie vers la droite, et pendant un instant Keira craint qu’elle manque son objectif. Mais, au dernier moment, elle le touche en plein dans le mille.

Un fracas terrible met définitivement fin à la course de la Camaro contre un mur de la ferme délabrée.

Le capot se gondole, puis une explosion retentit, suivie d’une énorme fuite de gaz.

Le moteur a lâché.

Quel dommage.

Keira a toujours pensé qu’une voiture de ce genre était un gâchis dans les mains de quelqu’un comme Evan.

Elle se rend à pied à la gare routière.

Le bus numéro vingt-trois la laisse de l’autre côté du chemin. Elle attend qu’il reparte pour traverser et, lorsqu’elle a en visuel sa maison, elle remarque qu’une patrouille de police est garée juste devant.

« Merde » murmure-t-elle. Elle s’arrête à sa voiture pour récupérer son sac et son téléphone, elle sort les clés et court jusqu’à la porte.

Son arrivée est accueillie par un troupeau de personnes qui se rue hors du salon : Josh, avec les yeux rougis par les pleurs, sa mère, visiblement contrariée et suspendue au bras de son nouvel amour, alias Fallito Dick, et deux agents en uniforme.

« C’est votre fille ? » demande le plus gros des policiers à sa mère.

Bravo pour la perspicacité.

« Oui, oui, c’est elle » sa mère lâche le bras de son fallito pour la pointer du doigt. « Où diable étais-tu ? ! »

« Qu’est-ce qui se passe ? » Keira répond à la question par une deuxième question.

Première règle du petit enquêteur malin, ou de quiconque souhaitant s’en tirer à bon compte : écouter d’abord les versions des autres. De cette façon, on a le temps de comprendre ce qu’ils savent ou ce qu’ils croient, et de mettre au point un mensonge crédible.

« Votre frère nous a appelés pour nous dire que quelqu’un vous avait agressée » explique le gros lard. « Vous pouvez nous donner une explication ? »

Mon dieu. Keira lorgne Josh, lequel répond par un regard meurtri et furieux.

Elle ne pensait pas qu’il serait autant secoué.

Elle se sent coupable.

« Je crois qu’il y a eu une erreur » dit-elle.

« Le mineur a fourni un numéro précis de plaque à la centrale » poursuit le gros lard. « De plus, il a ajouté être seul à la maison et ne pas savoir qui d’autre avertir. Vous avez été agressée par le propriétaire du véhicule décrit par votre frère ? »

« Non » ment-elle, demandant mentalement pardon à Josh.

« Vous reconnaissez cette plaque ? » le partenaire du gros lard lui présente sous le nez un morceau de papier.

Josh a parfaitement mémorisé les numéros de la Camaro d’Evan.

« Oui, c’est celle d’un ami » elle répond, puis elle hésite.

Ce serait un sacré coup.

« J’étais avec lui, il y a peu de temps, mais il ne m’a rien fait de mal » elle fait une pause pour créer du suspens « Au contraire, je pense que c’est lui qui a un problème, car il vient tout juste de m’appeler pour me dire qu’on lui a volé sa voiture » .

« C’est à votre ami qu’on a volé la voiture ? » répète le gros lard « Celle qui porte cette plaque ? »

« Tout à fait » .

« Et vous, vous étiez avec lui avant qu’on la lui vole ? »

« Oui, il y a environ... Une demi-heure. Après, on est parti chacun de notre côté » .

L’autre policier suit son collègue dans son raisonnement :

« Alors, celui que le gamin a vu pourrait être non pas le propriétaire de la voiture mais le voleur » dit-il, se retournant pour regarder Josh. « Tu as dit que celui qui conduisait roulait très vite. Il t’a semblé qu’il était en train de fuir ? »

Josh le fixe, incrédule.

« Oui, ce doit être ça » sa mère s’interpose. « Mais étant donné que ma fille est là, je dirais que tout va bien et que la situation est en ordre et cetera et cetera, non ? »

« Un moment, madame : votre ami a déjà déclaré le vol ? » continue le gros lard s’adressant de nouveau à Keira.

« Hum, je le lui ai conseillé. Je crois qu’une aide pour retrouver sa voiture lui serait précieuse. Vous seriez tellement gentils... »

« Bien sûr, on s’en occupe. Vous savez où on peut le trouver ? »

Keira fournit l’adresse du hangar et le numéro de téléphone d’Evan, regrettant de ne pouvoir voir sa tête à l’arrivée de la police. Elle espère que ça, ajouté au reste, lui fera passer pour toujours l’envie de la harceler.

« Bien » reprend la mère. « Tout est arrangé » .

« Vous êtes sûre d’aller bien, mademoiselle ? » recommence l’autre. « Votre frère semblait vraiment préoccupé et je n’arrive pas à expliquer comment il peut avoir mal interprété... »

« Keira va très bien, elle est en parfaite santé » la mère prend le policier par le bras et le raccompagne jusqu’à la porte. « Voyez-vous, mon fils Josh est devenu très émotif et anxieux depuis que son père est mort... C’est une période difficile aussi bien pour lui que pour nous tous, mais notre intention n’était pas de vous déranger inutilement » .

Keira constate qu’elle est vraiment incroyable : sa mère ne parle jamais de son père, et lorsqu’elle daigne le nommer c’est pour attendrir un inconnu. C’est du joli.

Le gros lard les rejoint.

« Nous comprenons parfaitement, madame. Nous vous conseillons quand même de faire plus attention à votre enfant » .

« Certainement. Je vous remercie beaucoup » .

« Pas de souci, madame. Au revoir » .

La mère de Keira congédie le magnifique couple en uniforme et interrompt immédiatement sourires et simagrées.

« On peut savoir ce que tu as manigancé ? » hurle-t-elle à Keira. « Je suis contactée par la police parce que Josh donne nos numéros et toi, tu ne réponds pas au téléphone ! »

« Je suis désolée de t’avoir dérangé, maman » ironise la fille.

« Ne parle pas comme ça à ta mère » dit Dick.

« Et toi, ne me donne pas d’ordre » .

« Il vaudrait mieux que tu modifies ton comportement, Keira, avant que je m’énerve sérieusement. J’en ai vraiment marre de vos provocations » elle prend Dick par la main. « Allons nous faire un café, chéri, j’en ai besoin » .

« Bien sûr, laisse-moi te le préparer » .

Keira suit du regard les deux qui se dirigent vers la cuisine. Ils sont immondes.

« Merci de m’avoir fait passer pour un con » Josh lui envoie un coup de poing dans le bras. « Tu vas bien, au moins ? »

« Oui. Je suis navrée de t’avoir fait peur » .

« Et ce mec ? C’est quoi cette histoire de voiture ? »

« On la lui a vraiment volée. J’ai comme l’impression que nos dévoués agents la retrouveront détruite » .

Son frère la regarde bouche bée : « Merde, non. Tu ne vas pas bien du tout » .

« Il n’arrivera plus rien de ce genre. Je te le promets » .

« Eh bien, cette histoire a aussi un côté positif. Je n’aurai plus besoin de te présenter à personne » Josh l’observe avec une attitude défiante.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« Ça veut dire que tu es une hypocrite et que tu ne peux pas jouer la donneuse de leçon parfaite et juger mes amis, si tu ne sais même pas choisir les tiens. Donc, garde tes conseils pour toi » .

Josh file dans sa chambre.

Keira le suit.

« S’il te plaît, c’était rien qu’un incident, ne réagis pas comme ça... » elle le voit prendre son sweat. « Où tu vas ? »

« Dehors, avec des personnes normales » .

« Tu dois faire tes devoirs » .

« Ciao ! » Josh dévale les escaliers et sort, sans lui prêter attention.

Merde. Maudit soit Evan. Et sa mère. Et Dick.

Allez tous vous faire voir.

Elle monte dans sa chambre et se jette sur son lit.

Elle voudrait se reposer et se réveiller avec une nouvelle vie parfaite, où son père est encore vivant, sa mère est sa mère et non une adolescente au stade du premier amour, et elle, elle n’a aucun problème. Au lieu de ça, elle a une vie insignifiante, et dans quinze minutes elle devra commencer son service dans un stupide supermarché.

La sonnerie du téléphone freine ses instincts suicidaires. Elle regarde attentivement l’écran avant de répondre : elle n’a pas envie d’entendre de nouveau un Evan furieux et menaçant, elle en a eu assez pour aujourd’hui. Heureusement, ce n’est pas lui. C’est ce flemmard de Lake, qui ne daigne jamais se présenter aux cours.

Elle répond.

« Tu connais une technique pour retrouver la mémoire ? » fait-il.

« Tu as complètement débloqué ? »

Le pauvre s’est tout juste réveillé après une nuit de débauche. Normal.

« Tu ne peux pas continuer comme ça » lui fait-elle remarquer, hésitante à l’idée de faire allusion à sa situation scolaire ou personnelle.

Lake ricane : « Tu sais déjà ce que tu peux faire pour me voir apparaître sur les bancs de cette horrible Kennedy School » .

« Ferme-la » .

« De toute façon, tu finis toujours par accepter. Tu n’arrives jamais à renoncer au grand frisson ! »

Elle se moque de lui.

Malheureusement, il n’a pas tous les torts. Elle doit admettre que ses petits jeux la divertissent.

Elle soupire.

« De quoi tu parles ? »

LE LIEU

MERCREDI 13 MARS

NATIONALE 247, À 59 MILLES DU DÉSERT DE MOJAVE, CALIFORNIE.

« Nous devons être cruels. Nous devons l’être avec une conscience tranquille »

Adolf Hitler

Il a laissé la portière de la camionnette ouverte. La radio est réglée sur une fréquence qui passe de la musique classique. Le volume est fort. Il ne veut plus entendre aucun animateur. Pas plus. Sa mission, il l’a déjà accomplie.

Il veut seulement la musique.

La musique est importante : elle le relaxe, elle le rend lucide.

Il aime surtout le violon, dont le son peut être tellement ressemblant à celui des cris d’une femme, et le piano, dont le tintement cristallin fait sublimement pensé à celui de l’affûtage des couteaux. Depuis toujours, il espère qu’un pseudo-artiste compose un jour une Symphonie de l’horreur en se servant de ce genre de combinaison instrumentale. Qui sait, lui, il peut peut-être y arriver. Ou peut-être que non, car, lui, il est avant tout un homme de terrain.

Un homme de terrain vraiment nul pour faire le ménage. Tout est une question de sons, et il déteste vraiment le bruit flasque de la serpillière tombant à terre, en contact avec le sang. Cela lui semble presque une hérésie d’effacer le travail, la trace du sacrifice, le rouge puissant de l’expiation.

Mais il doit le faire, s’il veut que le lieu soit prêt.

Le lieu est bien, il a du potentiel et il a été facile de le trouver.

Ils doivent seulement le préparer à accomplir, l’adapter à leurs exigences, le faire devenir leur parc d’attractions. Ou leur tribunal.

La musique provenant de dehors ne couvre pas les bruits intérieurs. Mais, elle les atténue, les brouille, les réunit en une seule oeuvre. Les coups, la chute des corps constituent le lever du rideau. Le glissement des corps le long des marches, les traces de sang rouge vif qui les suivent jusque dehors, qui tâchent et illuminent la terre, sont le refrain. La chaussure abandonnée, sauvée à l’approche de la mort, est la pause qui précède l’entrée de la star.

Il laisse en suspens ses métaphores pour se retourner : il a entendu une fausse note. Il attend patiemment. Il se met à renifler l’air. Il se détend à nouveau. C’est le vent qui se lève.

Un poète qualifierait le paysage alentour de terre désolée, un lieu primitif où il est possible d’atteindre le génie immortel, ou une folie exaltante.

C’est drôle comme les deux qualités vont souvent de pair.

Depuis la radio, le rythme des instruments change, en même temps que les mouvements de ses bras. Il dépose au sol les deux victimes et soulève la pelle : il avait choisi l’emplacement avant même d’entrer.

La tombe doit être fonctionnelle et édifiante.

Il ne se donnera même pas la peine de creuser profondément. Sa mission est d’éliminer, non de cacher. Il ne fait aucune différence, ceux-là sont deux vieux, et de toute façon leurs corps auraient pourri.

Il atteint la juste, faible profondeur.

Il balance le premier tas de chair, la femme. Il répète l’opération avec le deuxième.

Puis, son attention se concentre vers un détail qui faillit lui faire perdre le contrôle.

La paupière gauche de l’homme cligne.

De façon non volontaire, mais c’est quand même un détail. Une petite tâche. Une erreur.

Les fonctions vitales doivent être réduites à zéro. Tout doit être parfait.

Cet inconvenant réflexe nerveux représente une imprécision qui doit être corrigée.

Ce n’est que le début et ce n’est pas bon signe.

Il doit rester calme. Il se concentre sur la musique.

Il respire profondément.

Puis, il envoie la pelle pile entre les deux yeux de cet enfoiré.

Les globes oculaires et l’os du nez sont réduits en miettes.

Le visage du vieux semble se diviser en deux, dessinant un sourire inversé qui contraste avec la bouche fendue.

Maintenant, ça va mieux.

Il sourit à son tour.

Il récupère sa lucidité et recouvre le carré de terre.

La première partie de la journée, et du programme, est terminée.

Pas le temps de se féliciter, il veut passer tout de suite à la deuxième phase, qui consiste en une restructuration méticuleuse. Peu excitant, très utile. Le travail manuel et le dur labeur ne lui font pas peur, il s’agit pour lui d’un procédé réfléchi.

Il retourne à la camionnette. Il ouvre la porte arrière.

Il réfléchit aux vidéos qu’il a visionnées, il réfléchit à la stupide soif de gloire due aux nouvelles technologies, il réfléchit à la superficialité, au manque de personnalité et d’inventivité des dernières générations.

À chaque pensée correspond un son.

Non plus seulement celui de la radio, qu’il baisse pour écouter ce qu’il y a de mieux : le bourdonnement pénétrant et rassurant d’une perceuse, le battement d’un marteau, le bruit d’un meuble inutile que l’on brise, le cliquetis métallique.

Il aime ses outils d’un amour fraternel. Virils. Puissants. Façonnés dans un but précis.

Ils lui ressemblent.

Il a déjà apporté à l’intérieur les meilleurs et les a placés bien en évidence, en ligne tels des enfants endormis la nuit de Noël. En attente de la fête.

Bientôt, tout commencera.

807,65 ₽
Возрастное ограничение:
16+
Дата выхода на Литрес:
17 октября 2019
Объем:
441 стр. 2 иллюстрации
ISBN:
9788873044697
Переводчик:
Правообладатель:
Tektime S.r.l.s.
Формат скачивания:
epub, fb2, fb3, ios.epub, mobi, pdf, txt, zip

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