Читайте только на ЛитРес

Книгу нельзя скачать файлом, но можно читать в нашем приложении или онлайн на сайте.

Читать книгу: «Les grandes espérances», страница 31

Шрифт:

– Cher enfant, répondit-il, en me serrant les mains, je ne sais pas quand nous nous reverrons et je n'aime pas le mot: adieu! dites-moi bonsoir!

– Bonsoir! Herbert nous servira d'intermédiaire, et quand le moment arrivera, soyez certain que je serai prêt. Bonsoir! bonsoir!»

Comme nous pensions qu'il valait mieux qu'il restât dans son appartement, nous le quittâmes sur le palier devant sa porte, tenant une lumière par-dessus la rampe pour nous éclairer. En me retournant vers lui, je pensais à la première nuit de son retour, où nos positions étaient renversées, et où je supposais peu que j'aurais jamais le cœur gros et inquiet en me séparant de lui, comme je l'avais en ce moment.

Le vieux Barley grognait et jurait quand nous repassâmes devant sa porte; il paraissait n'avoir pas cessé, et n'avoir pas l'intention de cesser. Quand nous arrivâmes au pied de l'escalier, je demandai à Herbert si Provis avait conservé son nom. Il répondit que bien certainement non, et que le locataire était M. Campbell. Il m'expliqua aussi que tout ce qu'on savait en ce lieu de ce M. Campbell, c'était qu'on le lui avait recommandé, à lui Herbert, et qu'il avait un grand intérêt personnel à ce qu'on eût bien soin de lui, et qu'il vécut d'une vie retirée. Ainsi quand nous entrâmes dans le salon où Mrs Whimple et Clara travaillaient, je ne dis rien de l'intérêt que je portais à M. Campbell, mais je le gardai pour moi.

Quand j'eus pris congé de la jolie et charmante fille aux yeux noirs, et de la bonne femme qui avait voué une honnête sympathie à une petite affaire d'amour véritable, je fus impressionné en remarquant combien la Vieille Corderie de Cuivre Vert était devenue un lieu tout à fait différent. Le vieux Barley pouvait être vieux comme les montagnes et jurer comme un régiment tout entier. Mais il y avait compensation de jeunesse, de foi et d'espérance dans le Bassin aux Écus, en quantité suffisante pour déborder. Je pensai ensuite à Estelle et à notre séparation, et je rentrai chez moi bien triste.

Tout était aussi tranquille que jamais dans le Temple; les fenêtres des chambres récemment occupées par Provis, étaient sombres et tranquilles, et il n'y avait personne dans la Cour du Jardin. Je passai deux ou trois fois devant la fontaine, avant de descendre les marches qui me séparaient de mon appartement, mais j'étais tout à fait seul. Découragé et fatigué comme je l'étais, je m'étais couché aussitôt arrivé. En rentrant, Herbert vint près de mon lit et me fit le même rapport. Ouvrant ensuite une des fenêtres, il regarda dehors à la lueur du clair de lune, et me dit que le pavé était aussi solennellement solitaire que celui d'une cathédrale à la même heure.

Le lendemain, je m'occupai à la recherche du bateau, et je ne fus pas long à trouver ce que je cherchais. J'amenai mon embarcation devant l'escalier du Temple, et l'attachai à un endroit où je pouvais l'atteindre en une ou deux minutes, puis je commençai à me promener dedans comme pour m'exercer, quelquefois seul, quelquefois avec Herbert. Je sortais souvent, malgré le froid, la pluie et le grésil, et quand je fus sorti ainsi un certain nombre de fois, personne ne fit plus attention à moi. Je me tins d'abord au-dessus du pont de Black-Friars, mais, à mesure que les heures de la marée changèrent, j'avançai vers le pont de Londres. C'était le vieux pont de Londres en ce temps-là, et à certaines marées, il y avait là un courant de marée et un remous qui lui donnaient une mauvaise réputation. La première fois que je passai le Moulin du Bord de l'Eau, Herbert et moi nous tenions une paire de rames, et, en allant comme en revenant, nous vîmes le store du côté de l'est se baisser. Herbert allait rarement moins de trois fois par semaine au Moulin, et jamais il ne m'apportait un mot de nouvelles qui fût le moins du monde alarmant. Cependant je savais qu'il y avait des motifs de s'alarmer, et je ne pouvais me débarrasser de l'idée que j'étais surveillé. Une fois cette idée adoptée, elle ne me quitta plus, et il serait difficile de calculer combien de personnes innocentes je soupçonnais de m'épier.

En un mot, j'étais toujours rempli de craintes pour l'homme hardi qui se cachait. Herbert m'avait dit quelquefois qu'il trouvait du plaisir à se tenir à l'une de nos fenêtres quand la nuit était venue, et, quand la marée descendait, de penser qu'elle coulait avec tout ce qu'elle portait vers Clara. Mais je pensais avec horreur qu'elle coulait vers Magwitch, et que toute marque noire à sa surface pouvait être des gens à sa poursuite, s'en allant doucement, silencieusement, et sûrement pour l'arrêter.

CHAPITRE XVII

Quelques semaines se passèrent sans apporter aucun changement. Nous attendions Wemmick, et il ne donnait aucun signe de vie. Si je ne l'avais pas connu hors de la Petite Bretagne, et si je n'avais jamais joui du privilège d'être sur un pied d'intimité au château, j'aurais pu douter de lui, mais le connaissant comme je le connaissais, je n'en doutai pas un seul instant.

Mes affaires positives prenaient un triste aspect, et plus d'un créancier me pressait pour de l'argent. Je commençais, moi-même, à connaître le besoin d'argent (je veux dire d'argent comptant dans ma poche), et j'atténuai ce besoin en vendant quelques objets de bijouterie, dont on se passe facilement; mais j'avais décidé que ce serait une action lâche de continuer à prendre de l'argent de mon bienfaiteur, dans l'état d'incertitude de pensées et de projets où j'étais. En conséquence, je lui renvoyai, par Herbert, le portefeuille intact, pour qu'il le gardât, et je sentis une sorte de satisfaction – était-elle réelle ou fausse? je le sais à peine – de n'avoir pas profité de sa générosité, depuis qu'il s'était révélé à moi.

Comme le temps s'écoulait, l'idée qu'Estelle était mariée s'empara de moi. Craignant de la voir confirmée, bien que ce ne fût rien moins qu'une conviction, j'évitais de lire les journaux, et je priai Herbert (auquel j'avais confié cette circonstance, lors de notre dernière entrevue) de ne jamais m'en parler. Pourquoi gardais-je avec soin ce misérable et dernier lambeau de la robe de l'Espérance, déchirée et emportée par le vent? Pourquoi, vous qui lisez ceci, avez-vous commis la même inconséquence, l'an dernier, le mois dernier, la semaine dernière?

C'était une vie malheureuse que celle que je menais, et son anxiété dominante dépassait toutes les autres anxiétés comme une haute montagne s'élève au-dessus d'une chaîne de montagnes, et ne disparaissait jamais de ma vue. Cependant aucune nouvelle cause de terreur ne s'élevait que je ne sautasse à bas de mon lit avec la nouvelle crainte qu'il était découvert, et que j'écoutasse avec anxiété les pas d'Herbert rentrant le soir de peur qu'il fût plus léger que de coutume et chargé de mauvaises nouvelles: malgré tout cela ou plutôt à cause de tout cela les choses allaient leur train. Condamné à l'inaction, à une inquiétude et à un doute continuels, je ramais çà et là dans mon bateau, et j'attendais… j'attendais… j'attendais… du mieux que je le pouvais.

Il y avait des marées où, après avoir descendu la rivière, je ne pouvais remonter son remous furieux à l'endroit des arches et de l'éperon du vieux pont de Londres. Alors je laissais mon bateau à un wharf près de la Douane, pour qu'on l'amenât ensuite aux escaliers du Temple. Je le faisais assez volontiers, car cela servait à me faire connaître, ainsi que mon bateau, des gens de ce côté de l'eau. Cette circonstance insignifiante amena deux rencontres dont je vais dire quelques mots.

Une après-midi, vers la fin du mois de février, j'abordai au wharf à la nuit tombante. J'étais descendu jusqu'à Greenwich avec la marée, et je remontais avec la marée. La journée avait été superbe, mais le brouillard s'était élevé après le coucher du soleil, et j'avais eu beaucoup de peine à me frayer un chemin parmi les navires. En descendant, comme en remontant, j'avais vu le signal à la fenêtre: tout allait bien.

Comme la soirée était âpre, et que j'avais très froid, je pensais à me réconforter, en dînant tout de suite; et comme j'avais des heures de tristesse et de solitude devant moi avant de rentrer au Temple, je me promis, après le dîner d'aller au théâtre. Le théâtre où M. Wopsle avait remporté son incontestable triomphe était de ce côté de l'eau (il n'existe plus nulle part aujourd'hui), et c'est à ce théâtre que je résolus d'aller. Je savais que M. Wopsle n'avait pas réussi à faire revivre le drame, mais qu'il avait au contraire aidé à sa décadence. On l'avait vu annoncé modestement sur les affiches comme un nègre fidèle à côté d'une petite fille de noble naissance et d'un singe. Herbert l'avait vu remplir le rôle d'un Tartare rapace et facétieux, avec une tête rouge comme une brique et un chapeau impossible tout couvert de sonnettes.

Je dînai à l'endroit qu'Herbert et moi nous appelions la gargote géographique, où il y avait une mappemonde sur les rebords des pots à bière et sur chaque demi-mètre de la nappe, et des cartes tracées avec le jus sur chaque couteau, – aujourd'hui, c'est à peine s'il y a une seule gargote dans le domaine du Lord Maire qui ne soit pas géographique, – et je passai le temps à faire des boulettes de mie de pain, à regarder les becs de gaz, et à cuire dans la chaude atmosphère des dîners. Bientôt je me levai pour me rendre au théâtre.

Là je vis un vertueux maître d'équipage au service de Sa Majesté, excellent homme, bien que j'eusse pu lui désirer un pantalon moins serré dans certains endroits et plus serré dans d'autres, qui enfonçait tous les petits chapeaux des hommes sur leurs yeux, quoiqu'il fût très généreux et brave, et qu'il eût désiré que personne ne payât d'impôts, et qu'il fût très patriote. Ce maître d'équipage avait un sac d'argent dans sa poche, qui faisait l'effet d'un pudding dans son linge14, et avec cet avoir, il épousait une jeune personne versée dans les fournitures de literie, au milieu de grandes réjouissances; toute la population de Portsmouth (au nombre de neuf au dernier recensement) se tournait vers la plage pour se frotter les mains, échanger des poignées de mains avec les autres et chanter à tue-tête: «Remplissez nos verres! Remplissez nos verres!» Un certain balayeur de navires, au teint foncé, qui ne voulait ni boire ni rien faire de ce qu'on lui proposait, et dont le cœur, disait ouvertement le maître d'équipage, devait être aussi noir que la figure, proposa à deux autres de ses camarades de mettre dans l'embarras tous ceux qui étaient là, ce qui fut si bien exécuté (la famille du balayeur ayant une influence politique considérable), qu'il fallut une demi-soirée pour arranger les choses, et alors tout fut mené par l'intermédiaire d'un petit épicier avec un chapeau blanc, des guêtres noires, un nez rouge, qui entra dans une horloge avec un gril à la main pour écouter, sortir et frapper par derrière avec son gril ceux qu'il ne pouvait pas convaincre de ce qu'il avait entendu. Ceci amena M. Wopsle (dont on n'avait pas encore entendu parler); il entra portant une étoile et une jarretière, comme grand plénipotentiaire envoyé par l'amirauté, pour dire que les balayeurs devaient aller en prison sur le champ, et qu'il apportait le pavillon anglais au maître d'équipage, comme un faible témoignage des services publics qu'il avait rendus. Le maître d'équipage, ému pour la première fois, essuya respectueusement son œil avec le pavillon; puis, éclatant de joie, et s'adressant à M. Wopsle:

«Avec la permission de Votre Honneur, dit-il, je sollicite l'autorisation de lui offrir la main.»

M. Wopsle le lui permit avec une dignité gracieuse et fut immédiatement conduit dans un coin poussiéreux, pendant que tout le monde dansait une gigue. C'est de ce coin, et en promenant sur le public un œil mécontent qu'il m'aperçut.

La seconde pièce était la dernière nouvelle grande pantomime de Noël, dans la première scène de laquelle je fus peiné de découvrir M. Wopsle. Il entra en scène en grands bas de laine rouge, avec un visage phosphorescent et une masse de franges écarlates en guise de cheveux. Puis le génie de l'Amour ayant besoin d'un aide, à cause de la brutalité paternelle d'un fermier ignorant, qui s'opposait au choix de sa fille, évoqua un enchanteur sentencieux et arrivant des Antipodes, quelque peu secoué, après un voyage apparemment rude. M. Wopsle parut dans ce nouveau rôle avec un chapeau pointu et un ouvrage de nécromancie en un volume sous le bras. Le but du voyage de cet enchanteur étant principalement d'écouter ce qu'on lui disait, ce qu'on lui chantait, ce qu'on lui criait, de voir ce qu'on lui dansait et lui montrait, avec des feux de diverses couleurs, il avait pas mal de temps à lui, et je remarquai, avec une grande surprise qu'il passait ce temps à regarder de mon côté, comme s'il se perdait en étonnement.

Il y avait quelque chose de si remarquable dans l'état croissant de l'œil de M. Wopsle, et tant de choses semblaient tourbillonner dans son esprit et y devenir confuses, que je n'y comprenais plus rien. J'y pensais encore en sortant du théâtre, une heure après, et en le trouvant qui m'attendait près de la porte.

«Comment vous portez-vous? dis-je en lui donnant une poignée de mains, pendant que nous descendions dans la rue. Je me suis aperçu que vous me voyiez.

– Si je vous voyais, monsieur Pip! répondit-il; mais oui, je vous voyais. Mais qui donc était là aussi?

– Qui?

– C'est étrange, dit M. Wopsle, retombant dans son regard perdu. Et cependant je jurerais que c'est lui.»

Prenant l'alarme, je suppliai M. Wopsle de s'expliquer.

«Je ne sais pas si je l'aurais remarqué d'abord, si vous n'eussiez pas été là, dit M. Wopsle, continuant du même ton vague; ce n'est pas certain, pourtant je le crois.»

Involontairement, je regardai autour de moi, comme j'avais l'habitude de le faire, en rentrant au logis, car ces paroles mystérieuses me donnaient le frisson.

«Oh! on ne peut plus le voir, dit M. Wopsle, il est sorti avant moi; je l'ai vu partir.»

Avec les raisons que j'avais d'être méfiant, j'allai jusqu'à soupçonner ce pauvre acteur. J'entrevoyais un dessein de m'arracher quelque aveu par surprise. Je le regardai donc en marchant, mais je ne disais rien.

«Je me figurais follement qu'il devait être avec vous, monsieur Pip, jusqu'à ce que je m'aperçusse que vous ne saviez pas qu'il était là, assis derrière vous comme un fantôme.»

Mon premier frisson me reprit, mais j'étais résolu à ne pas parler encore, car j'étais tout à fait convaincu, d'après les paroles de Wopsle, qu'il devait avoir été choisi pour m'amener à parler de ce qui concernait Provis. J'étais, bien entendu, parfaitement assuré que Provis n'était pas là.

«Je vois que je vous étonne, monsieur Pip, je le vois bien; mais c'est bien étrange. Vous aurez peine à croire ce que je vais vous dire; je pourrais à peine le croire moi-même, si vous me le disiez.

– Vraiment! dis-je.

– Non, vraiment, monsieur Pip. Vous vous souvenez d'un certain jour de Noël, alors que vous n'étiez encore qu'un enfant; je dînais chez Gargery, et des soldats vinrent frapper à la porte pour faire réparer une paire de menottes.

– Je m'en souviens très bien.

– Et vous vous souvenez qu'ils poursuivaient deux forçats; que nous y allâmes avec eux; que Gargery vous portait sur son dos, et que je me mis à la tête, et que vous vous teniez aussi près de moi que possible?

– Je me souviens très bien de tout cela.»

Mieux qu'il ne le croit, pensai-je, excepté ce dernier détail.

«Et vous vous souvenez que nous les trouvâmes tous les deux dans un fossé, et qu'ils se battaient, et que l'un avait été rudement frappé et blessé au visage par l'autre?

– Je les vois encore.

– Et que les soldats allumèrent des torches et mirent les deux forçats au milieu d'eux, et que nous avons été les voir emmener au-delà des marais; que la lumière des torches éclairait leurs visages; j'insiste sur ce détail, que la lumière des torches éclairait leurs visages, parce que tout était nuit noire autour de nous.

– Oui, dis-je, je me souviens de tout cela.

– Eh bien! monsieur Pip, un de ces deux prisonniers était derrière vous ce soir; je le voyais par-dessus votre épaule.

– Attention! pensai-je. Lequel des deux supposiez-vous que c'était? lui demandai-je.

– Celui qui a été maltraité, répondit-il aussitôt; et je jurerais que je l'ai vu. Plus j'y pense, plus je suis certain que c'est lui.

– C'est très curieux, dis-je en prenant le meilleur air que je pus pour lui faire croire que cela ne me faisait rien. C'est très curieux, en vérité!»

Je ne puis exagérer l'inquiétude extraordinaire dans laquelle cette conversation me jeta, ni la terreur étrange que je ressentais en songeant que Compeyson avait été derrière moi comme un fantôme. Car s'il était sorti un moment de ma pensée depuis que Provis était en sûreté, c'était dans le moment même qu'il avait été le plus près de moi; et penser que je m'en doutais si peu, que j'étais si peu sur mes gardes après toutes les précautions que j'avais prises, c'était comme si, après avoir fermé une enfilade de cent portes pour l'éloigner, je l'eusse retrouvé à mon bras! Je ne pouvais pas douter non plus qu'il n'eût pas été là, et que si légère que fût une apparence de danger autour de nous, le danger était toujours proche et menaçant.

Je demandai à M. Wopsle à quel moment l'homme était entré.

«Je ne puis vous le dire. Je vous ai vu, et par-dessus votre épaule j'ai vu l'homme. Ce n'est qu'après l'avoir vu pendant quelque temps que j'ai commencé à le reconnaître; mais je l'ai tout de suite, vaguement, associé à vous, et j'ai su qu'il avait, d'une manière ou d'une autre, quelque rapport avec vous, au temps où vous habitiez notre village.

– Comment était-il vêtu?

– Convenablement, mais sans rien de particulier; en noir, à ce que je pense.

– Son visage était-il défiguré?

– Non, je ne crois pas.»

Je ne le croyais pas non plus, bien que dans mon état de préoccupation je n'eusse pas fait beaucoup attention aux gens placés derrière moi; je pensais cependant qu'il était probable qu'un visage défiguré aurait attiré mon attention.

Quand M. Wopsle m'eut fait part de tout ce qu'il pouvait se rappeler ou de tout ce que je pouvais lui arracher, et quand je lui eus offert un léger rafraîchissement, pour le remettre de ses fatigues de la soirée, nous nous séparâmes. Il était entre minuit et une heure quand j'arrivai au Temple, et les portes étaient fermées. Il n'y avait personne près de moi, ni sur ma route, ni quand j'arrivai à la maison.

Herbert était rentré, et nous tînmes un conseil très sérieux auprès du feu. Mais il n'y avait rien à faire, si ce n'est de communiquer à Wemmick ce que j'avais découvert ce soir-là, et de lui rappeler que nous attendions sa décision. Comme je pensais que je pourrais le compromettre si j'allais trop souvent à son château, je lui fis cette communication par lettre. Je l'écrivis avant de me mettre au lit, et je sortis pour la mettre à la poste. Personne encore n'était derrière moi. Herbert et moi nous convînmes que nous n'avions rien à faire que d'être très prudents, et nous fûmes réellement très prudents, plus que prudents même si c'est possible; et pour ma part je n'approchais jamais du Bassin aux Écus, excepté quand j'y passais en bateau, et alors je ne regardais le Moulin du Bord de l'Eau que comme j'aurais regardé tout autre chose.

CHAPITRE XVIII

La seconde des deux rencontres dont j'ai parlé dans le chapitre précédent arriva une semaine environ après celle-ci. J'avais encore laissé mon bateau au wharf, en aval du pont. L'après-midi n'était pas encore avancée; je n'avais pas décidé où je dînerais; j'avais flâné dans Cheapside et j'y flânais encore, le plus inoccupé de tous ceux qui allaient et venaient autour de moi, quand la large main de quelqu'un qui venait derrière moi tomba sur mon épaule. C'était la main de M. Jaggers, et il la passa sous mon bras.

«Puisque nous allons du même côté, Pip, nous pouvons causer ensemble. Où allez-vous?

– Au Temple, je crois, dis-je.

– Vous ne le savez pas exactement? dit M. Jaggers.

– Mais, repris-je, heureux pour une fois de pouvoir le forcer à m'interroger, je ne crois pas, car je suis encore indécis.

– Vous allez dîner, dit M. Jaggers, vous ne craignez pas d'admettre cela, je suppose?

– Non, répondis-je, je ne crains pas d'admettre cela.

– Et vous n'êtes pas invité?

– Je ne crains pas d'admettre non plus que je ne suis pas invité.

– Alors, dit M. Jaggers, venez dîner avec moi.»

J'allais m'excuser quand il ajouta:

«Wemmick y sera.»

Je changeai donc mon refus en acceptation, les quelques mots que j'avais prononcés pouvant servir de commencement à l'une comme à l'autre phrase. Nous longeâmes Cheapside et nous gagnâmes la Petite Bretagne pendant que les lumières commençaient à jaillir brillamment des devantures des boutiques, et que les allumeurs de réverbères, trouvant à peine assez de place pour poser leurs échelles dans la foule qui montait et descendait continuellement, ouvraient plus d'yeux rouges dans le brouillard qui s'élevait que ma tour, servant de veilleuse, n'avait ouvert d'yeux blancs sur la muraille fantastique des Hummums.

À l'étude de la Petite Bretagne, il y eut le courrier ordinaire, le lavage des mains, le mouchage des chandelles, et la fermeture de la caisse qui terminait les occupations de la journée. Pendant que je me tenais devant le feu de M. Jaggers, sa flamme, en s'élevant et en s'abaissant, donnait aux deux bustes de la tablette la même apparence que s'ils avaient joué avec moi un jeu diabolique et à qui baisserait les yeux le premier. Quand à la paire de grasses et communes chandelles du bureau, elles éclairaient tristement M. Jaggers, qui écrivait dans son coin, et elles étaient décorées de sales feuilles de papier, qui les entouraient comme un linceul en souvenir d'une quantité de clients pendus.

Nous nous rendîmes tous trois ensemble à Gerrard Street dans une voiture de place. Dès que nous y arrivâmes, on servit le dîner. Bien que je n'eusse pas dû songer à faire dans cette maison la moindre allusion aux sentiments que Wemmick professait chez lui, cependant je n'aurais eu aucune objection à rencontrer de temps en temps un coup d'œil amical de sa part mais il n'en devait pas être ainsi. Toutes les fois qu'il levait les yeux de dessus la table, c'était pour les porter sur M. Jaggers, et il était sec et froid avec moi comme s'il y eût eu deux Wemmick, et que celui qui était devant moi eût été le mauvais.

«Avez-vous envoyé la lettre de miss Havisham à M. Pip, Wemmick? demanda M. Jaggers quand nous eûmes commencé à dîner.

– Non, monsieur, répondit Wemmick; elle allait partir par la poste quand vous êtes entré avec M. Pip dans l'étude, la voici.»

Il la tendit à son patron au lieu de me la donner.

«C'est une lettre de deux lignes, Pip, dit M. Jaggers en me la passant, que m'a envoyée miss Havisham parce qu'elle n'était pas sûre de votre adresse. Elle me dit qu'elle désire vous voir pour une petite affaire dont vous lui aviez parlé. Irez-vous?..

– Oui, dis-je en jetant les yeux sur la lettre qui était conçue exactement en ces termes.

– Quand croyez-vous pouvoir y aller?

– J'ai une affaire urgente à terminer, dis-je en regardant Wemmick qui mangeait du poisson, cela m'empêche de pouvoir préciser l'époque, mais peut-être irai-je de suite.

– Si M. Pip a l'intention d'y aller tout de suite, dit Wemmick à M. Jaggers, il n'est pas nécessaire qu'il fasse une réponse, n'est-ce pas?»

Recevant ceci comme un avertissement qu'il valait mieux ne pas mettre de retard, je décidai que j'irais le lendemain, et je le dis. Wemmick but un verre de vin et regarda M. Jaggers d'un air à la fois boudeur et satisfait, mais il ne me regarda pas.

«Ainsi, Pip, dit M. Jaggers, notre ami Drummle a joué ses cartes et il a gagné la partie.»

Tout ce que je pus faire ce fut d'ébaucher un signe d'assentiment.

«Ah! c'est un garçon qui promet, dans son genre; mais il pourrait bien ne pas pouvoir suivre ses inclinations. Le plus fort finira par l'emporter; mais le plus fort est encore à trouver. S'il allait l'être, et s'il la battait…

– Assurément, interrompis-je la tête et le cœur en feu, vous ne pensez pas qu'il soit assez scélérat pour agir ainsi, monsieur Jaggers?

– Je n'ai pas dit cela, Pip, je fais une supposition. S'il arrivait à la battre, il se peut qu'il ait la force pour lui; si c'était une question d'intelligence, il ne le ferait certainement pas. Il serait bien difficile de donner une opinion sur ce qu'un individu de cette espèce peut devenir dans telle circonstance, parce qu'il y a autant de chance pour l'un comme pour l'autre de ces deux résultats.

– Expliquez-moi donc cela.

– Un garçon comme notre ami Drummle, répondit M. Jaggers, ou bat ou rampe. Il peut ramper et se plaindre, ou ramper et ne pas se plaindre, mais il bat ou il rampe. Demandez à Wemmick ce qu'il en pense.

– Il bat ou il rampe, dit Wemmick sans s'adresser à moi le moins du monde.

– Ainsi, voici pour Mrs Bentley Drummle, dit M. Jaggers en prenant une carafe de vin de choix sur son buffet, et remplissant nos verres et le sien, et puisse la question de suprématie se terminer à la satisfaction de madame! ce ne sera jamais à la satisfaction de madame et de monsieur. Voyons donc, Molly, Molly, Molly, comme vous êtes lente aujourd'hui!»

Molly était à côté de lui quand il lui adressa la parole, et elle mettait un plat sur la table. Quand elle retira ses mains, elle recula d'un pas ou deux, murmura d'un ton agité quelques mots d'excuse, et un certain mouvement de ses doigts, pendant qu'elle parlait, attira mon attention.

«Qu'y a-t-il? demanda M. Jaggers.

– Rien, seulement le sujet de votre conversation m'était quelque peu pénible.»

Les doigts de Molly s'agitaient comme lorsque l'on tricote; elle regardait son maître, ne sachant pas si elle pouvait se retirer, ou s'il avait quelque chose de plus à lui dire, et s'il n'allait pas la rappeler si elle partait. Son regard était très perçant; bien certainement j'avais vu de tels yeux et de telles mains tout récemment, en une occasion mémorable!

Il la renvoya, et elle sortit vivement de la chambre; mais elle resta devant moi aussi distinctement que si elle eût été encore là. Je regardais ces yeux, je regardais ces mains, je regardais ces cheveux flottants, et je les comparais à d'autres yeux, à d'autres mains, à d'autres cheveux que je connaissais, et je pensais à ce que tout cela pourrait être après vingt années d'une vie orageuse avec un mari brutal. Je regardai encore les yeux et les mains de la gouvernante, et je pensai à l'inexplicable sentiment qui s'était emparé de moi la dernière fois que je m'étais promené avec quelqu'un dans le jardin abandonné et à travers la brasserie en ruines, je pensais comment le même sentiment m'était revenu quand j'avais vu un visage me regarder et une main me faire des signes par la portière de la voiture; et comment il était revenu encore une fois, et m'avait traversé comme l'éclair quand j'avais passé dans une voiture, n'étant pas seul, à travers l'éclat soudain d'une lumière dans une rue obscure, je pensais comment un anneau d'affinité qui manquait m'avait empêché de reconnaître cette identité au théâtre, et comment cet anneau qui manquait auparavant, avait été rivé par moi maintenant que je passais par hasard du nom d'Estelle aux doigts qui remuaient comme s'ils tricotaient et aux yeux attentifs, et je fus parfaitement convaincu que cette femme était la mère d'Estelle.

M. Jaggers m'avait vu avec Estelle, et il n'était pas probable que des sentiments que je ne m'étais pas donné la peine de cacher lui eussent échappé. Il fit un signe d'assentiment quand je dis que ce sujet m'était pénible, me frappa sur l'épaule, fit circuler le vin encore une fois, et continua son dîner.

Seulement deux fois encore la gouvernante reparut, et alors son séjour dans la salle fut très court, et M. Jaggers se montra avec elle. Mais ses mains étaient les mains d'Estelle, et ses yeux étaient les yeux d'Estelle, et, quand elle aurait reparu cent fois je n'aurais été ni plus ni moins certain que ma conviction était la vérité.

Ce fut une soirée bien triste, car Wemmick buvait son vin quand la carafe passait devant lui comme s'il eût rempli un devoir, juste comme il aurait pu prendre son salaire, le premier du mois, et, les yeux sur son chef, il se tenait perpétuellement prêt à subir un contre-interrogatoire. Quand à la quantité de vin, sa bouche était aussi indifférente et prête que toute autre boite aux lettres à recevoir sa quantité de lettres. À mon point de vue, il fut tout le temps le mauvais Wemmick, et du Wemmick de Walworth, il n'avait que l'enveloppe.

Wemmick et moi nous prîmes congé de bonne heure et nous partîmes ensemble. Même en cherchant à tâtons nos chapeaux parmi la provision de bottes de M. Jaggers, je sentis que le vrai Wemmick était en train de revenir; et nous n'eûmes pas parcouru douze mètres de Gerrard Street, dans la direction de Walworth, que je me trouvai marchant bras dessus bras dessous avec le bon Wemmick, et que le mauvais s'était évaporé dans l'air du soir.

«Eh bien! dit Wemmick, c'est fini. C'est un homme surprenant qui n'a pas son pareil au monde; mais il faut se serrer quand on dîne avec lui, et je dîne bien mieux quand je ne suis pas serré.»

Je sentais que c'était bien là le cas, et je le lui dis.

«Je ne le dirais pas à d'autre qu'à vous, répondit-il, mais je sais que ce qui se dit entre vous et moi ne va pas plus loin.

– Avez-vous jamais vu la fille adoptive de miss Havisham, Mrs Bentley Drummle? lui demandai-je.

– Non,» me répondit-il.

Pour éviter de paraître trop brusque, je lui parlai de son père et de miss Skiffins. Il prit un air fin quand je prononçai le nom de miss Skiffins, et s'arrêta dans la rue pour se moucher, avec un mouvement de tête et un geste qui n'étaient pas tout à fait exempts d'une secrète fatuité.

«Wemmick, dis-je, vous souvenez-vous de m'avoir dit, avant que j'allasse pour la première fois au domicile privé de M. Jaggers, de faire attention à sa gouvernante?

– Vous l'ai-je dit, répliqua-t-il; ma foi, je crois que oui; le diable m'emporte ajouta-t-il tout à coup, je crois que je l'ai dit! Il me semble que je ne suis pas encore tout à fait desserré.

14.Les puddings sérieux doivent cuire dans un torchon; une serviette les modifie en mal, dit le Cuisinier royal britannique.
Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
27 сентября 2017
Объем:
700 стр. 1 иллюстрация
Правообладатель:
Public Domain

С этой книгой читают