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Читать книгу: «Le magasin d'antiquités, Tome II», страница 26

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Ils virent refermer le caveau et fixer dessus la pierre. Quand l'obscurité du soir fut descendue, quand le calme sacré du lieu saint ne fut plus troublé par le moindre bruit, quand la brillante clarté de la lune se projeta sur la tombe et sur l'église, sur les piliers, les murailles, les arceaux, et principalement, on eût pu le croire du moins, sur la paisible sépulture de Nelly, à cette heure du repos où tous les objets extérieurs et les pensées de l'âme s'accordent pour témoigner de l'éternité devant laquelle les espérances muettes et les craintes s'humilient dans la poussière, alors les amis de l'enfant se retirèrent pieusement résignés, et la laissèrent avec Dieu.

Ah! elle coûte cher à apprendre la leçon que donnent de telles morts: mais qu'aucun homme ne la repousse; car c'est une leçon utile à tous, celle qui contient dans toute sa puissance et son universelle sagesse la vérité. Lorsque la mort frappe ces petits innocents, il sort de ces fragiles enveloppes d'où elle dégage l'âme palpitante, des essaims nombreux de vertus qui, sous la forme de la bonté, de la charité, de l'amour, vont par le monde répandre leurs bénédictions. De toute larme versée sur ces tombes verdoyantes par des êtres désolés, il naît quelque bien pour notre âme, quelque progrès pour notre nature. Les traces mêmes du génie destructeur fécondent de brillantes créations qui défient sa puissance, et le chemin sombre par où il a passé devient une traînée lumineuse qui conduit au ciel.

Il était tard quand le vieillard rentra au logis. L'enfant l'avait d'abord conduit chez sa mère, sous quelque prétexte. Assoupi par sa longue promenade et par ses veilles précédentes, le vieillard tomba dans un profond sommeil, au coin du feu. Épuisé de fatigue comme il l'était, on eut soin de ne point le réveiller. Ce repos dura longtemps, et, quand il en sortit, la lune brillait de tout son éclat.

Le plus jeune frère, inquiet de son absence prolongée, attendait son retour à la porte de la maison, quand il vit le vieillard s'avancer sous la conduite de son petit guide. Il alla au-devant d'eux, et pressant avec tendresse son frère de vouloir bien s'appuyer sur son bras, il le mena jusqu'en sa demeure où le vieillard rentra d'un pas lent et tremblant.

Il alla tout droit à la chambre de Nelly. N'y trouvant pas ce qu'il y avait laissé, il revint avec des yeux humides dans la pièce où ses amis étaient réunis. De là il courut à la maison du maître d'école, en appelant: «Nelly! Nelly!» On le suivait de près, et quand il eut vainement cherché sa petite fille, on le reconduisit chez lui.

Là, avec les paroles de tendresse et de persuasion que peuvent inspirer la pitié et l'amour, ils l'engagèrent à s'asseoir parmi eux, à écouter ce qu'ils avaient à lui communiquer. Alors, s'efforçant par quelques petits détours de préparer son esprit à une révélation indispensable, et insistant dans les termes les plus tendres sur le partage heureux qui était échu à Nelly, ils lui dirent enfin toute la vérité. À l'instant même où elle sortit de leur bouche, il tomba roide comme un homme assassiné.

Durant plusieurs heures on eut peu d'espoir de le ramener à la vie; mais la douleur a la vie dure, et le vieillard revint à lui.

S'il existait quelqu'un qui n'eût jamais connu le vide affreux qui suit la mort, ni le sentiment de désolation qui s'appesantit sur les esprits les plus forts, lorsqu'ils sentent à chaque instant qu'il leur manque un être précieux et chéri; ni le lien étroit qui s'établit entre les choses inanimées, les objets les plus insensibles et l'idole de leurs souvenirs, alors qu'il n'est pas un meuble dans la maison qui ne devienne un monument sacré, pas une chambre qui ne soit un tombeau; s'il existait quelqu'un qui ne connût pas cela et ne l'eût point éprouvé par sa propre expérience, celui-là aurait peine à comprendre comment, pendant de longs jours, le vieillard languissant usa le temps à errer çà et là comme une âme en peine, cherchant toujours quelque chose sans jamais trouver le repos.

Tout ce qu'il avait conservé de pensée et de mémoire était concentré sur elle. Jamais il ne reconnut ou ne parut reconnaître son frère. La tendresse, les soins le laissaient indifférent. Si on lui parlait de tel sujet ou de tel autre, sauf un seul, il écoutait quelques moments avec patience, puis il se dépêchait d'aller recommencer sa recherche.

Quant au sujet qui était dans sa pensée comme dans celle de tout le monde, il était impossible de l'aborder. Morte! Il ne pouvait ni entendre ni supporter ce mot. La moindre allusion à cet égard l'eût jeté dans un accès semblable à celui où il était tombé la première fois. Nul ne pourrait dire dans quelle espérance il supportait la vie: mais qu'il eût quelque espérance de retrouver Nelly, une espérance vague et obscure qui chaque jour fuyait devant lui, et qui de jour en jour lui rendait le coeur plus malade et plus accablé, personne n'en pouvait douter.

Ses amis décidèrent qu'il conviendrait de l'éloigner du théâtre de ce dernier malheur; d'essayer si un changement de lieu le tirerait de cet état de stupeur et de chagrin. Son frère consulta sur ce point les maîtres les plus habiles de la science; Ils vinrent et examinèrent le vieillard. Plusieurs restèrent à causer avec lui quand il voulait bien causer, et à suivre ses mouvements tandis qu'il marchait seul et silencieux.

«En quelque endroit qu'on le conduise, dirent-ils, il cherchera toujours à revenir ici. Son esprit n'en sortira pas. On pourrait le garder à vue, veiller sur lui avec soin, le tenir prisonnier enfin; mais s'il réussissait à s'échapper, il ne manquerait pas de retourner au même lieu, ou bien c'est qu'il mourrait en route.»

Le petit garçon, à qui il avait obéi d'abord, perdit sur lui son influence. Le vieillard lui permettait parfois de marcher à ses côtés, il paraissait assez sensible à sa présence pour lui donner la main, ou même encore il s'arrêtait de temps en temps pour l'embrasser sur la joue ou pour lui caresser la tête. D'autres fois il lui enjoignait, sans rudesse, cependant, de s'éloigner, et ne supportait pas sa vue près de lui. Mais soit qu'il fût seul ou avec son docile ami, soit qu'il se trouvât avec ceux qui eussent donné tout au monde pour pouvoir lui procurer quelque consolation, quelque repos d'esprit, toujours il restait le même: il n'aimait plus rien, il ne se souciait plus de rien dans la vie. C'était un coeur brisé à tout jamais.

Un jour enfin on s'aperçut qu'il s'était levé de très-bonne heure et qu'il était parti avec son havre-sac sur le dos, son bâton à la main, emportant avec lui le chapeau de paille de Nelly avec son petit panier rempli des objets qu'elle avait coutume d'y mettre. Comme on allait se mettre à sa poursuite, on vit accourir tout effrayé un enfant de l'école qui, un moment auparavant, l'avait aperçu assis dans l'église, sur le tombeau de Nelly, dit-il.

On s'y rendit en toute hâte: et, du seuil de la porte, dont on s'était approché sur la pointe du pied, on le vit là dans l'attitude d'un homme qui attend. On se garda bien de le déranger, on laissa seulement quelqu'un pour le surveiller toute la journée. Quand descendit l'ombre du soir, le vieillard se leva, retourna au logis et se mit au lit en murmurant: «Elle viendra demain!»

Le lendemain, il se rendit de nouveau dans l'église où il resta depuis le matin jusqu'à la nuit; et, la nuit venue, il alla se coucher en murmurant comme la veille: «Elle viendra demain!»

Ce fut ainsi que désormais chaque jour, et durant la journée entière, il attendit Nelly sur son tombeau. Que de fois dans la vieille, sombre et silencieuse église, il vit se dresser devant lui les brillantes visions de ce qu'avait été Nelly, de ce qu'il espérait qu'elle pouvait redevenir encore: ces tableaux d'excursions nouvelles dans de belles campagnes, de haltes pittoresques sous le ciel tout ouvert, d'allées et venues à travers les champs et les bois; ces accents de la voix toujours vivante dans son souvenir; ses traits, sa taille, son vêtement flottant, ses cheveux agités gaiement par la brise!

Jamais il ne dit à ses amis ni ce qu'il pensait ni où il allait. Le soir, il était assis parmi eux, méditant avec un secret plaisir, qui n'était un mystère pour personne, de fuir avec Nelly avant la nuit suivante; et on pouvait l'entendre de nouveau murmurer dans ses prières: «O mon Dieu, laissez-la venir demain!»

Ce fut par une belle journée de printemps que finit ce drame. Le vieillard n'était pas revenu à son heure habituelle. On se mit à sa recherche, et on le trouva couché sur le tombeau de Nelly. Il était mort.

On l'inhuma à côté de celle qu'il avait si tendrement aimée, dans cette église où souvent ils avaient prié, rêvé, en se tenant par la main. L'enfant et le vieillard reposent ensemble.

CHAPITRE XXXVI

Le tourbillon magique qui, dans sa course aventureuse, a entraîné jusqu'ici le chroniqueur, commence à ralentir son pas; il s'arrête. Le voilà arrivé au but; notre tâche va finir aussi.

Il ne nous reste plus qu'à prendre congé des acteurs du petit monde qui nous a tenu compagnie tout le long du chemin, pour terminer notre voyage.

Entre tous, par-dessus tous, le doucereux Sampson Brass et Sally, viennent, bras dessus bras dessous, réclamer notre attention et nos égards.

Nous avons déjà vu que M. Sampson était tombé entre les mains de la justice, après l'avoir invoquée d'abord, et on avait si fortement insisté pour qu'il voulût bien prolonger son séjour dans la prison, qu'il n'avait pu s'y refuser. Il demeura sous la protection des lois durant un temps considérable, tenu si étroitement à l'écart par l'attention pleine de sollicitude de ceux qui veillaient à ses besoins, qu'il était perdu pour la société, sans pouvoir se livrer à aucun exercice extérieur, si ce n'est dans l'espace d'une petite cour pavée. Les gens auxquels il avait affaire, connaissant son caractère modeste et son goût pour la retraite, jaloux d'ailleurs de l'avoir toujours près d'eux, ne voulurent pas s'en séparer avant que deux riches particuliers eussent fourni une caution de trente-sept mille cinq cents francs; ce ne fut qu'à cette condition que ses hôtes lui permirent de quitter leur toit hospitalier, tant ils avaient peur qu'il ne leur faussât pour toujours compagnie, s'ils ne prenaient pas leurs sûretés avant de lui donner la clef des champs. M. Brass, frappé de ce que ce badinage avait de spirituel, et le prenant tout à fait au sérieux, trouva dans le vaste cercle de ses relations une couple d'amis dont la fortune réunie s'élevait à un peu moins de un franc cinquante centimes; il offrit donc ces messieurs en garantie: histoire de rire! Mais, ces gentlemen n'ayant pas été accueillis, après vingt-quatre heures de réflexion pour la forme, M. Brass consentit à rester dans son domicile actuel, et il y resta en effet jusqu'au moment où un club d'esprits d'élite, vulgairement appelé le Grand-Jury, qui étaient dans le secret de la plaisanterie, l'appelèrent à comparaître pour parjure et dol, devant douze autres personnages facétieux qui, à leur tour, s'amusèrent beaucoup à le déclarer coupable. Il y a plus; la populace elle-même s'associa au badinage; et lorsque M. Brass fut emmené en fiacre vers l'édifice où se réunissaient ses juges, elle salua sa venue en lui jetant à la tête des oeufs pourris et des petits chats noyés; elle fit même semblant de vouloir le mettre en pièces, ce qui accrut infiniment le comique de la situation, et dut, sans nul doute, augmenter d'autant la satisfaction de l'ex- procureur.

Une fois en vaine de gaieté, M. Brass ne s'en tint pas là: il se pourvut en cassation, alléguant en sa faveur que, s'il avait consenti à déclarer lui-même les faits à sa charge, c'était sur l'assurance réitérée qu'on lui avait donnée, et les promesses qu'on lui avait faites d'obtenir pour lui pardon et impunité; il invoquait l'indulgence que la loi ne refuse pas en pareil cas aux esprits crédules, victimes de leur confiance innocente. Après un débat solennel, ce point, ainsi que d'autres de nature technique, dont il serait difficile d'exagérer la grotesque extravagance, fut déféré à la décision des juges. En attendant, Sampson avait été réintégré dans sa première résidence. Finalement, vainqueur sur quelques points, vaincu sur d'autres, le résultat définitif fut qu'au lieu d'être prié de vouloir bien voyager pour un temps en pays étranger, il obtint la faveur d'orner de sa présence la mère patrie, sous certaines restrictions tout à fait insignifiantes.

Voici quelles furent ces restrictions: il devait, durant un nombre d'années déterminé, résider dans un bâtiment spacieux où étaient logés et entretenus aux frais du public plusieurs autres gentlemen qui étaient vêtus d'un uniforme gris très-simple, bordé de jaune, portant les cheveux ras et vivant principalement d'un petit potage au gruau. On l'invita aussi à partager leur exercice qui consiste à monter constamment une série interminable de marches d'escalier; et de peur que ses jambes, peu accoutumées à ce genre de divertissement, ne s'en trouvassent avariées, on lui fit porter au-dessus de la cheville une amulette de fer pour lui servir de charme contre la fatigue. Une fois bien convenus de leurs faits, on le transporta un soir à son nouveau séjour, en grande cérémonie, dans un des carrosses de Sa Majesté, en compagnie de neuf autres gentlemen et de deux dames admis au même privilège.

Indépendamment de ces petites peines, autrement dit, de ces bagatelles, son nom fut effacé du rôle des attorneys; et je ne sais pas si vous savez que jusqu'à ces derniers temps cette mesure a toujours été considérée comme une marque de dégradation, de déshonneur pour celui qui la subit, comme impliquant nécessairement quelque acte de félonie abominable, vu qu'il y a tant de noms très-peu respectables qui se carrent tranquillement aux meilleures places de la liste des procureurs, sans être en rien molestés.

Quant à Sally Brass, il courut sur son compte une foule de rumeurs contradictoires. Il y en avait d'aucuns qui disaient avec pleine assurance qu'elle s'était rendue aux docks en habits d'homme et s'y était engagée comme matelot femelle. D'autres insinuaient qu'elle s'était enrôlée comme simple soldat dans le deuxième régiment des gardes à pied et qu'on l'avait aperçue en uniforme à son poste, c'est-à-dire se tenant un soir appuyée sur son fusil dans une des guérites du parc de Saint-James; mais de tous ces bruits, celui qui paraît le plus vraisemblable, c'est, qu'après un laps de quelque cinq années, pendant lesquelles rien n'indique que personne ait pu la rencontrer, on vit plus d'une fois deux misérables créatures se glisser à la nuit hors des réduits les plus reculés de Saint-Giles et cheminer le long des rues en traînant la savate, le corps tout courbé, scrutant les tas d'ordures et les ruisseaux comme pour y chercher quelque débris de nourriture, quelque rebut du souper de la veille. Jamais ces espèces de spectres n'apparaissaient que dans les nuits de froid et d'obscurité où ces terribles fantômes, ces images incarnées de la misère, du vice et de la famine, qui en tout autre temps se cachent dans les plus hideux repaires de Londres, sous les portes cochères, les voûtes sombres et dans les caves, s'aventurent à rôder dans les rues. Ceux qui avaient connu Sampson et Sally, disaient tout bas que ce devait être l'ex-procureur et sa soeur; et il paraît qu'encore aujourd'hui on les voit quelquefois passer, la nuit, quand il fait bien noir, avec leur sale accoutrement, tout contre le passant, qui s'écarte avec dégoût.

On ne retrouva le corps de Quilp qu'au bout de quelques jours. Une enquête fut ouverte près de l'endroit où les flots l'avaient déposé. L'opinion générale fut que le nain s'était suicidé, et comme toutes les circonstances de sa mort paraissaient s'accorder avec cette présomption, le verdict fut rendu dans ce sens. Il fut enterré avec un pieu enfoncé au travers du coeur, au beau milieu d'un carrefour.

Cependant, le bruit courut plus tard que cette horrible et barbare pratique n'avait pas été mise à exécution et que les restes de Quilp avaient été secrètement rendus à Tom Scott. Sur ce point même, toutefois, les sentiments furent divisés, car plusieurs personnes prétendirent que Tom Scott avait déterré à minuit la dépouille de son maître et l'avait portée à un endroit indiqué d'avance par la veuve. Il est à présumer que ces deux histoires n'avaient pas d'autre fondement que les larmes versées par Tom, lors de l'enquête: et nous devons dire à ceux qui ne voudraient pas le croire, que le fait des larmes est véritable; bien plus, Tom manifesta le plus vif désir d'aller donner une pile au jury. Voyant qu'on l'en empêchait et qu'on l'avait même chassé de la salle, il voulut du moins, par esprit de vengeance, en obscurcir l'unique croisée en se posant en éventail dans l'embrasure, la tête en bas, jusqu'à ce qu'un sergent de ville, qui ne badinait pas, le remit sur ses pieds lestement en lui faisant faire la culbute.

Se trouvant sur le pavé, par suite de la mort de son maître, il se détermina à courir le monde sur la tête et sur les mains, et, en conséquence, il commença à faire la roue pour gagner sa vie. Cependant, comme sa qualité d'Anglais lui paraissait un obstacle insurmontable à ses succès dans cette carrière (quoique l'art des culbutes soit chez nous en assez grande faveur), il prit le nom d'un marchand d'images italien avec qui il fit connaissance; et sous le nom de Tomscotino fit désormais ses pirouettes à l'envers avec un succès prodigieux et devant un public de plus en plus nombreux.

La petite mistress Quilp ne se pardonna jamais l'unique faute qui pesât sur sa conscience, et elle ne pouvait y penser ni en parler sans pleurer amèrement. Son mari ne laissait point de parents, elle était riche; il n'avait pas fait de testament, sinon elle fût restée pauvre. S'étant mariée la première fois à l'instigation de sa mère, elle ne consulta que son propre goût pour un second choix. Ce choix tomba sur un homme agréable et jeune encore; et comme il avait posé pour condition préliminaire que mistress Jiniwin vivrait hors de la maison avec une pension alimentaire, les deux époux n'eurent, après la célébration du mariage, que la moyenne nécessaire de querelles qu'il doit y avoir dans un bon ménage, et menèrent une joyeuse existence avec l'argent du défunt.

M. et mistress Garland et M. Abel continuèrent leur petit trantran ordinaire, à l'exception d'un changement qui se produisit dans leur intérieur, comme nous allons l'exposer: Quand le temps fut venu, M. Abel s'associa avec son ami le notaire. À cette occasion, il y eut dîner, bal, réjouissance complète. Au bal, le hasard voulut qu'on eût invité la jeune personne la plus modeste qu'on ait jamais vue, et le hasard voulut encore que M. Abel tombât amoureux d'elle. Comment se fit la chose, ou comment les deux jeunes gens s'en aperçurent, ou lequel des deux communiqua le premier à l'autre sa découverte, c'est ce que l'on ignore. Toujours est-il qu'après un certain temps ils se marièrent; toujours est-il qu'ils furent heureux à faire envie, toujours est- il enfin qu'ils méritaient bien leur bonheur. Il ne pouvait rien y avoir de plus agréable pour nous que d'ajouter à ces détails qu'ils eurent beaucoup d'enfants; car la bonté et la vertu ne peuvent se multiplier et se répandre sans que ce soit un ornement de plus à joindre aux autres beautés de la nature et un sujet de joie légitime pour l'humanité tout entière.

Le poney garda son caractère et ses principes d'indépendance jusqu'au dernier moment de sa vie, qui fut d'une longueur peu commune, et lui valut le surnom de Mathusalem. Souvent il traîna le petit phaéton de la maison de M. Garland père à la maison de M. Garland fils; et comme les parents et leurs enfants se réunissaient très-fréquemment, il eut chez les jeunes époux une écurie à lui où il se rendait de lui-même avec une étonnante dignité. Il voulut bien condescendre à jouer avec les enfants lorsque ceux-ci furent devenus assez grands pour cultiver son amitié, et il courait avec eux comme un chien à travers le petit enclos. Mais, bien qu'il se relâchât à tel point de sa fierté d'humeur, et leur permît des caresses et de petites privautés, comme par exemple d'examiner ses sabots ou de se pendre à sa queue, jamais il ne souffrit qu'aucun d'eux montât sur son dos pour le conduire; montrant ainsi que la familiarité elle-même a ses limites, et qu'il y a des points réservés avec lesquels il ne faut pas badiner.

Vers la fin de sa vie, Whisker prouva qu'il n'était pas encore incapable de former des attachements de coeur: lorsque le bon vieux bachelier vint vivre avec M. Garland après le décès de son ami le desservant, le poney se prit pour lui d'une grande amitié et se laissa volontiers conduire par lui sans opposer la moindre résistance. Deux ou trois années avant sa mort on cessa de le faire travailler; il vécut à même l'herbe des prés comme un vrai coq en pâte, et son dernier acte, bien digne d'un vieux gentleman colérique, fut de lancer une ruade contre son docteur… vétérinaire.

Après une longue convalescence, M. Swiveller, qui était entré en jouissance de son revenu, acheta une bonne garde-robe à la marquise et la mit aussitôt en pension, conformément au voeu qu'il avait fait sur son lit de souffrance. Il chercha longtemps un nom qui fût digne d'elle, et finit par se décider en faveur de Sophronie Sphinx, nom euphonique, gracieux, qui avait de plus l'avantage de laisser supposer au fond un mystère. Ce fut donc sous ce nom que la marquise se rendit, tout en larmes, à la pension choisie par M. Swiveller: mais elle en fut retirée, par suite de ses progrès rapides qui l'avaient placée au-dessus de ses compagnes, pour entrer dans un établissement d'un ordre plus élevé. M. Swiveller, c'est une justice à lui rendre, bien que les frais d'éducation de la marquise dussent le mettre à la gêne pour une demi-douzaine d'années au moins, ne sentit pas un instant son zèle se refroidir et se trouva toujours payé amplement par les rapports avantageux qu'il recevait, avec beaucoup de gravité, sur les progrès de la jeune élève, chaque fois qu'au bout du mois il faisait sa visite à la directrice, qui le considérait comme un gentleman aux habitudes excentriques, très-littéraire et d'une force prodigieuse sur les citations.

En un mot, M. Swiveller tint la marquise dans cette maison jusqu'à ce qu'elle eût atteint à peu près sa dix-neuvième année; elle avait alors de bonnes manières, de l'instruction, de l'élégance. Il se demanda sérieusement, à cette époque, ce qu'il y avait maintenant à faire. Dans une de ses visites périodiques, tandis qu'il roulait cette question dans son esprit, la marquise arriva au parloir; elle était seule, elle était plus souriante et plus fraîche que jamais: alors la pensée vint à Richard, et ce n'était pas la première fois, que si elle consentait à l'épouser, ils seraient parfaitement heureux ensemble. Richard lui posa la question, elle ne dit pas non. Au bout d'une semaine, ni plus ni moins, ils étaient mariés, ce qui permit à M. Swiveller de faire remarquer bien des fois plus tard qu'il y avait eu, avec tout cela, une jeune demoiselle qui l'avait attendu pour l'épouser.

Il y avait justement à louer un petit cottage à Hampstead avec une tabagie pour fumer, objet d'envie du monde civilisé; ils se gardèrent bien de manquer l'occasion, et allèrent s'y établir après la lune de miel. Chaque dimanche, M. Chukster se rendait régulièrement en ce lieu de retraite pour y passer la journée; il commençait par y déjeuner. C'était lui qui était leur grand pourvoyeur de nouvelles publiques et des cancans de la société fashionable. Durant quelques années, il continua de porter à Kit une haine à mort, protestant qu'il avait encore une meilleure opinion de lui du temps qu'on l'accusait d'avoir soustrait le billet de banque, que depuis qu'on avait reconnu pleinement son innocence; car enfin son crime témoignait au moins chez lui d'une certaine audace, d'une certaine énergie, tandis que son innocence n'était qu'une preuve de plus de son caractère souple et artificieux. Cependant il en vint plus tard, mais combien il fallut de temps! à se réconcilier avec lui; il alla même jusqu'à l'honorer de son patronage, comme un homme qui s'était assez visiblement corrigé pour mériter pardon et indulgence. Toutefois, il ne mit jamais en oubli et ne put lui pardonner le fait du schelling; car enfin, disait-il, s'il fût revenu pour en gagner un autre, à la bonne heure, mais revenir pour achever de gagner ce qu'on lui avait donné tout d'abord, c'était sur son caractère moral une tache que ni regret ni contrition ne pouvait jamais complètement faire disparaître.

M. Swiveller, qui avait toujours eu du goût pour la philosophie contemplative, s'y adonnait de temps en temps avec fureur dans sa petite tabagie, dont il ne pouvait s'arracher. Durant ces heures de méditation, il s'était mis à débattre dans son esprit la question mystérieuse de la famille de Sophronie. Sophronie elle- même croyait être orpheline; mais M. Swiveller, d'après quelques légers indices qu'il réunit d'autre part, inclina souvent à penser que miss Brass devait en savoir plus long, et, ayant appris par sa femme les détails de l'étrange entrevue qu'elle avait eue avec Quilp, il soupçonna maintes fois que le nain eût bien pu, de son vivant, fournir la clef de l'énigme, si cela lui eût convenu. Disons cependant que ces raisonnements ne troublaient aucunement le repos de M. Swiveller; car Sophronie était toujours pour lui une femme aimable, dévouée et vigilante. Richard, de son côté, d'humeur égale et paisible, à cela près de quelques brouilles passagères avec M. Chukster, que Sophronie, en femme de bon sens, encourageait plutôt qu'elle ne les calmait, fut toujours pour elle un époux plein d'égards et de tendresse. Ils jouèrent ensemble des milliers de parties de cribbage. Et nous devons ajouter, à l'honneur de Dick, que, depuis le commencement jusqu'à la fin, il continua d'appeler du titre de marquise celle que nous appelons, nous, Sophronie, et que, chaque année, à l'anniversaire du jour où il l'avait aperçue dans sa chambre de malade, il y avait un dîner auquel M. Chukster était engagé: et, ce jour-là, on mettait les petits plats dans les grands.

Les joueurs de profession Isaac List et Jowl, avec leur digne associé M. James Graves, ce personnage chatouilleux à l'endroit de sa réputation, poursuivirent leurs opérations avec des chances diverses jusqu'au moment où l'insuccès d'une affaire un peu hardie dans l'exercice de leur profession les obligea de se disperser dans toutes les directions, sans pouvoir éviter l'atteinte de la justice, qui a le bras long. Cette déroute provint de l'étourderie d'un nouvel affidé, le jeune Frédéric Trent, qui, en divulguant le secret de ses complices, devint ainsi, à son insu, l'instrument de leur châtiment comme du sien.

Ce jeune homme passa à l'étranger, où, pendant quelque temps, il s'abandonna à toutes sortes d'excès, vivant de son industrie, autrement dit, de l'abus de toutes les facultés qui, dignement employées, élèvent l'homme au-dessus de la bête, mais qui le ravalent au contraire au-dessous d'elle lorsqu'il s'est ainsi dégradé. Peu de temps après, son corps, tout meurtri et défiguré par quelque rixe violente, fut reconnu par un Anglais qui visitait par hasard le bâtiment spécial de la Morgue, à Paris, où sont exposés les noyés. Mais cet Anglais garda prudemment le secret jusqu'à son retour dans son pays, et le corps de Frédéric Trent ne fut réclamé par personne.

Le gentleman, désignation familière sous laquelle nous avons fait connaître le frère du grand-père de Nelly, voulait absolument tirer le pauvre maître d'école de sa retraite ignorée pour faire de lui son compagnon et son ami; mais l'humble instituteur de village craignait de s'aventurer dans un monde bruyant, et d'ailleurs, il s'était habitué à aimer le voisinage du vieux cimetière. Calme et heureux dans son école, dans son pays d'adoption, et surtout dans son attachement pour sa chère petite amie tant pleurée, il continua tranquillement sa vie paisible et demeura, malgré l'insistance du reconnaissant gentleman, ce qu'on peut exprimer en peu de mots, un pauvre maître d'école, rien de plus.

Son ami, le gentleman, ou le plus jeune frère, comme vous voudrez, avait conservé au fond du coeur un pesant chagrin. Mais ce chagrin ne faisait de lui ni un misanthrope ni un ermite. Il traversait le monde en gardant ses affections. Longtemps, très-longtemps, son principal plaisir fut de rechercher la trace des lieux par où avaient passé le vieillard et l'enfant, autant que les derniers récits de Nelly lui permirent de retrouver ces indices, de s'arrêter là où ils s'étaient arrêtés, de méditer là où ils avaient souffert, et de se réjouir là où ils avaient éprouvé quelque bon traitement. Ceux qui leur avaient témoigné quelque bonté ne purent échapper à ses recherches. Les deux soeurs du pensionnat de miss Monflathers, qui avaient été aimées de Nelly parce qu'elles-mêmes n'avaient pas d'amis; mistress Jarley, la propriétaire des figures de cire; Codlin, Short, tous, il les retrouva; et l'on nous a même affirmé qu'il n'oublia pas non plus le chauffeur de la fournaise.

L'histoire de Kit, en se répandant au dehors, lui attira une multitude d'amis et lui valut beaucoup d'offres généreuses. D'abord, il ne songeait nullement à quitter le service de M. Garland; mais, sur les représentations sérieuses et les bons avis de ce gentleman, il commença à s'accoutumer à l'idée d'un changement de condition dans le temps comme dans le temps; mais, en moins de rien et sans qu'il eût seulement le loisir de respirer, un des jurés qui l'avait autrefois cru coupable du crime qu'on lui imputait et qui s'était prononcé en conséquence, lui proposa un bon poste. Il avait la bonté d'assurer en même temps à la mère de Kit des moyens suffisants d'existence et de bien-être. Ce fut ainsi, comme Kit le répétait souvent, qu'un grand malheur devint pour lui la source de toutes ses prospérités.

Kit resta-t-il célibataire, ou bien se maria-t-il? Il va sans dire, qu'il se maria. Et qui pouvait-il épouser, si ce n'est Barbe? Et même, bien mieux, il se maria assez jeune pour que le petit Jacob se trouvât avoir des neveux et nièces avant que ses mollets, déjà mentionnés honorablement dans cette histoire, eussent encore eu l'honneur de se voir logés dans un grand pantalon. Au reste, ce n'était pas nécessaire pour porter le titre vénérable d'oncle, car le poupon l'était aussi comme lui. Le bonheur que cet événement causa à la mère de Kit et à la mère de Barbe est au-dessus de toute expression; se trouvant si bien d'accord sur ce point comme sur tous les autres, elles prirent le parti de se loger ensemble et vécurent dans la plus parfaite intimité. Le cirque d'Astley avait un attrait irrésistible pour les réunir tous au parterre à chaque trimestre; et la mère de Kit ne manquait pas de dire, chaque fois qu'elle voyait badigeonner à neuf l'extérieur de ce théâtre florissant, que son fils, en les y conduisant, n'avait pas nui au succès de la troupe, et elle s'attendait presque à voir le directeur sortir pour l'en remercier avec effusion quand elle passait par là.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
440 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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