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Читать книгу: «David Copperfield – Tome II», страница 6

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CHAPITRE V
Abattement

Dès que j'eus retrouvé ma présence d'esprit, qui m'avait complètement abandonné au premier moment, sous le coup accablant que m'avaient porté les nouvelles de ma tante, je proposai à M. Dick de venir chez le marchand de chandelles, et de prendre possession du lit que M. Peggotty avait récemment laissé vacant. Le magasin de chandelles se trouvait dans le marché d'Hungerford, qui ne ressemblait guère alors à ce qu'il est maintenant, et il y avait devant la porte un portique bas, composé de colonnes de bois, qui ne ressemblait pas mal à celui qu'on voyait jadis sur le devant de la maison du petit bonhomme avec sa petite bonne femme, dans les anciens baromètres. Ce chef-d'oeuvre d'architecture plut infiniment à M. Dick, et l'honneur d'habiter au-dessus de la colonnade l'eût consolé, je crois, de beaucoup de désagréments; mais comme il n'y avait réellement d'autre objection au logement que je lui proposais, que la variété des parfums dont j'ai déjà parlé, et peut-être aussi le défaut d'espace dans la chambre, il fut charmé de son établissement. Mistress Crupp lui avait déclaré, d'un air indigné, qu'il n'y avait pas seulement la place de faire danser un chat, mais comme me disait très-justement M. Dick, en s'asseyant sur le pied du lit et en caressant une de ses jambes: «Vous savez bien, Trotwood, que je n'ai aucun besoin de faire danser un chat; je ne fais jamais danser de chat; par conséquent, qu'est-ce que cela me fait, à moi?»

J'essayai de découvrir si M. Dick avait quelque connaissance des causes de ce grand et soudain changement dans l'état des affaires de ma tante; comme j'aurais pu m'y attendre, il n'en savait rien du tout. Tout ce qu'il pouvait dire, c'est que ma tante l'avait ainsi apostrophé l'avant-veille: «Voyons, Dick, êtes-vous vraiment aussi philosophe que je le crois?» Oui, avait-il répondu, je m'en flatte. Là-dessus, ma tante lui avait dit: «Dick, je suis ruinée.» Alors, il s'était écrié: «Oh! vraiment!» Puis ma tante lui avait donné de grands éloges, ce qui lui avait fait beaucoup de plaisir. Et ils étaient venus me retrouver, en mangeant des sandwiches et en buvant du porter en route.

M. Dick avait l'air tellement radieux sur le pied de son lit, en caressant sa jambe, et en me disant tout cela, les yeux grands ouverts et avec un sourire de surprise, que je regrette de dire que je m'impatientai, et que je me laissai aller à lui expliquer qu'il ne savait peut-être pas que le mot de ruine entraînait à sa suite la détresse, le besoin, la faim; mais je fus bientôt cruellement puni de ma dureté, en voyant son teint devenir pâle, son visage s'allonger tout à coup, et des larmes couler sur ses joues, pendant qu'il jetait sur moi un regard empreint d'un tel désespoir, qu'il eût adouci un coeur infiniment plus dur que le mien. J'eus beaucoup plus de peine à le remonter que je n'en avais eu à l'abattre, et je compris bientôt ce que j'aurais dû deviner dès le premier moment, à savoir que, s'il avait montré d'abord tant de confiance, c'est qu'il avait une foi inébranlable dans la sagesse merveilleuse de ma tante, et dans les ressources infinies de mes facultés intellectuelles; car je crois qu'il me regardait comme capable de lutter victorieusement contre toutes les infortunes qui n'entraînaient pas la mort.

«Que pouvons-nous faire, Trotwood? dit M. Dick. Il y a le mémoire…

– Certainement, il y a le mémoire, dis-je; mais pour le moment, la seule chose que nous ayons à faire, M. Dick, est d'avoir l'air serein, et de ne pas laisser voir à ma tante combien nous sommes préoccupés de ses affaires.»

Il convint de cette vérité, de l'air le plus convaincu, et me supplia, dans le cas où je le verrais s'écarter d'un pas de la bonne voie, de l'y ramener par un de ces moyens ingénieux que j'avais toujours sous la main. Mais je regrette de dire que la peur que je lui avais faite était apparemment trop forte pour qu'il pût la cacher. Pendant toute la soirée, il regardait sans cesse ma tante avec une expression de la plus pénible inquiétude, comme s'il s'attendait à la voir maigrir du coup sur place. Quand il s'en apercevait, il faisait tous ses efforts pour ne pas bouger la tête, mais il avait beau la tenir immobile et rouler les yeux comme une pagode en plâtre, cela n'arrangeait pas du tout les choses. Je le vis regarder, pendant le souper, le petit pain qui était sur la table, comme s'il ne restait plus que cela, entre nous et la famine. Lorsque ma tante insista pour qu'il mangeât comme à l'ordinaire, je m'aperçus qu'il mettait dans sa poche des morceaux de pain et de fromage, sans doute pour se ménager, dans ces épargnes, le moyen de nous rendre à l'existence quand nous serions exténués par la faim.

Ma tante, au contraire, était d'un calme qui pouvait nous servir de leçon à tous, à moi tout le premier. Elle était très-aimable pour Peggotty, excepté quand je lui donnais ce nom par mégarde, et elle avait l'air de se trouver parfaitement à son aise, malgré sa répugnance bien connue pour Londres. Elle devait prendre ma chambre, et moi coucher dans le salon pour lui servir de garde du corps. Elle insistait beaucoup sur l'avantage d'être si près de la rivière, en cas d'incendie, et je crois qu'elle trouvait véritablement quelque satisfaction dans cette circonstance rassurante.

«Non, Trot, non, mon enfant, dit ma tante quand elle me vit faire quelques préparatifs pour composer son breuvage du soir.

– Vous ne voulez rien, ma tante?

– Pas de vin, mon enfant, de l'ale.

– Mais j'ai du vin, ma tante, et c'est toujours du vin que vous employez.

– Gardez votre vin pour le cas où il y aurait quelqu'un de malade, me dit-elle; il ne faut pas le gaspiller, Trot. Donnez-moi de l'ale, une demi-bouteille.»

Je crus que M. Dick allait s'évanouir. Ma tante étant très-décidée dans son refus, je sortis pour aller chercher l'ale moi-même; comme il se faisait tard, Peggotty et M. Dick saisirent cette occasion pour prendre ensemble le chemin du magasin de chandelles. Je quittai le pauvre homme au coin de la rue, et il s'éloigna, son grand cerf-volant sur le dos, portant dans ses traits la véritable image de la misère humaine.

À mon retour, je trouvai ma tante occupée à se promener de long en large dans la chambre, ou plissant avec ses doigts les garnitures de son bonnet de nuit. Je fis chauffer l'ale, et griller le pain d'après les principes adoptés. Quand le breuvage fut prêt, ma tante se trouva prête aussi, son bonnet de nuit sur la tête, et la jupe de sa robe relevée sur ses genoux.

«Mon cher, me dit-elle, après avoir avalé une cuillerée de liquide; c'est infiniment meilleur que le vin, et beaucoup moins bilieux.»

Je suppose que je n'avais pas l'air bien convaincu, car elle ajouta:

«Ta… ta… ta… mon garçon, s'il ne nous arrive rien de pis que de boire de l'ale, nous n'aurons pas à nous plaindre.

– Je vous assure, ma tante, lui dis-je, que s'il ne s'agissait que de moi, je serais loin de dire le contraire.

– Eh bien! alors, pourquoi n'est-ce pas votre avis?

– Parce que vous et moi, ce n'est pas la même chose, repartis-je.

– Allons donc, Trot, quelle folie!» répliqua-t-elle.

Ma tante continua avec une satisfaction tranquille, qui ne laissait percer aucune affectation, je vous assure, à boire son ale chaude, par petites cuillerées, en y trempant ses rôties.

«Trot, dit-elle, je n'aime pas beaucoup les nouveaux visages, en général; mais votre Barkis ne me déplaît pas, savez-vous?

– On m'aurait donné deux mille francs, ma tante, qu'on ne m'aurait pas fait tant de plaisir; je suis heureux de vous voir l'apprécier.

– C'est un monde bien extraordinaire que celui où nous vivons, reprit ma tante en se frottant le nez; je ne puis m'expliquer où cette femme est allée chercher un nom pareil. Je vous demande un peu, s'il n'était pas cent fois plus facile de naître une Jakson, ou une Robertson, ou n'importe quoi du même genre.

– Peut-être est-elle de votre avis, ma tante; mais enfin ce n'est pas sa faute.

– Je pense que non, repartit ma tante, un peu contrariée d'être obligée d'en convenir; mais ce n'en est pas moins désespérant.

Enfin, à présent elle s'appelle Barkis, c'est une consolation.

Barkis vous aime de tout son coeur, Trot.

– Il n'y a rien au monde qu'elle ne fût prête à faire pour m'en donner la preuve.

– Rien, c'est vrai, je le crois, dit ma tante; croiriez-vous que la pauvre folle était là, tout à l'heure, à me demander, à mains jointes, d'accepter une partie de son argent, parce qu'elle en a trop? Voyez un peu l'idiote!»

Des larmes de plaisir coulaient des yeux de ma tante presque dans son ale.

– Je n'ai jamais vu personne de si ridicule, ajouta-t-elle. J'ai deviné dès le premier moment, quand elle était auprès de votre pauvre petite mère, chère enfant! que ce devait être la plus ridicule créature qu'on puisse voir; mais il y a du bon chez elle.»

Ma tante fit semblant de rire, et profita de cette occasion pour porter la main à ses yeux; puis elle reprit sa rôtie et son discours tout ensemble:

«Ah! miséricorde! dit ma tante en soupirant; je sais tout ce qui s'est passé, Trot. J'ai eu une grande conversation avec Barkis pendant que vous étiez sorti avec Dick. Je sais tout ce qui s'est passé. Pour mon compte, je ne comprends pas ce que ces misérables filles ont dans la tête; je me demande comment elles ne vont pas plutôt se la casser contre… contre une cheminée! dit ma tante, en regardant la mienne, qui lui suggéra probablement cette idée.

– Pauvre Émilie! dis-je.

– Oh! ne l'appelez pas pauvre Émilie, dit ma tante; elle aurait dû penser à cela avant de causer tant de chagrins. Embrassez-moi, Trot; je suis fâchée de ce que vous faites, si jeune, la triste expérience de la vie.»

Au moment où je me penchais vers elle, elle posa son verre sur mes genoux, pour me retenir, et me dit:

«Oh! Trot! Trot! vous vous figurez donc que vous êtes amoureux, n'est-ce pas?

– Comment! je me figure, ma tante! m'écriai-je en rougissant. Je l'adore de toute mon âme.

– Dora? vraiment! répliqua ma tante. Et je suis sûre que vous trouvez cette petite créature très-séduisante?

– Ma chère tante, répliquai-je, personne ne peut se faire une idée de ce qu'elle est.

– Ah! et elle n'est pas trop niaise? dit ma tante.

– Niaise, ma tante!»

Je crois sérieusement qu'il ne m'était jamais entré dans la tête de demander si elle l'était, ou non. Cette supposition m'offensa naturellement, mais j'en fus pourtant frappé comme d'une idée toute nouvelle.

«Comme cela, ce n'est pas une petite étourdie, dit ma tante.

– Une petite étourdie, ma tante! Je me bornai à répéter cette question hardie avec le même sentiment que j'avais répété la précédente.

– C'est bien! c'est bien! dit ma tante. Je voulais seulement le savoir; je ne dis pas de mal d'elle. Pauvres enfants! ainsi vous vous croyez faits l'un pour l'autre, et vous vous voyez déjà traversant une vie pleine de douceurs et de confitures, comme les deux petites figures de sucre qui décorent le gâteau de la mariée, à un dîner de noces, n'est-ce pas, Trot.»

Elle parlait avec tant de bonté, d'un air si doux, presque plaisant, que j'en fus tout à fait touché.

«Je sais bien que nous sommes jeunes et sans expérience, ma tante, répondis-je; et je ne doute pas qu'il nous arrive de dire et de penser des choses qui ne sont peut-être pas très-raisonnables; mais je suis certain que nous nous aimons véritablement. Si je croyais que Dora pût en aimer un autre, ou cesser de m'aimer, ou que je pusse jamais aimer une autre femme, ou cesser de l'aimer moi-même, je ne sais ce que je deviendrais… je deviendrais fou, je crois.

– Ah! Trot! dit ma tante en secouant la tête, et en souriant tristement, aveugle, aveugle, aveugle! – Il y a quelqu'un que je connais, Trot, reprit ma tante après un moment de silence, qui, malgré la douceur de son caractère, possède une vivacité d'affection qui me rappelle sa pauvre mère. Ce quelqu'un-là doit rechercher un appui fidèle et sûr qui puisse le soutenir et l'aider: un caractère sérieux, sincère, constant.

– Si vous connaissiez la constance et la sincérité de Dora, ma tante! m'écriai-je.

– Oh! Trot, dit-elle encore, aveugle, aveugle! et sans savoir pourquoi, il me sembla vaguement que je perdais à l'instant quelque chose, quelque promesse de bonheur qui se dérobait à mes yeux derrière un nuage.

– Pourtant, dit ma tante, je n'ai pas envie de désespérer ni de rendre malheureux ces deux enfants: ainsi, quoique ce soit une passion de petit garçon et de petite fille, et que ces passions-là très-souvent… faites-bien attention, je ne dis pas toujours, mais très-souvent n'aboutissent à rien, cependant nous n'en plaisanterons pas: nous en parlerons sérieusement, et nous espérons que cela finira bien, un de ces jours. Nous avons tout le temps devant nous.»

Ce n'était pas là une perspective très-consolante pour un amant passionné, mais j'étais enchanté pourtant d'avoir ma tante dans ma confidence. Me rappelant en même temps qu'elle devait être fatiguée, je la remerciai tendrement de cette preuve de son affection et de toutes ses bontés pour moi, puis après un tendre bonsoir, ma tante et son bonnet de nuit allèrent prendre possession de ma chambre à coucher.

Comme j'étais malheureux ce soir-là dans mon lit! Comme mes pensées en revenaient toujours à l'effet que produirait ma pauvreté sur M. Spenlow, car je n'étais plus ce que je croyais être quand j'avais demandé la main de Dora, et puis je me disais qu'en honneur je devais apprendre à Dora ma situation dans le monde, et lui rendre sa parole si elle voulait la reprendre; je me demandais comment j'allais faire pour vivre pendant tout le temps que je devais passer chez M. Spenlow, sans rien gagner; je me demandais comment je pourrais soutenir ma tante, et je me creusais la tête sans rien trouver de satisfaisant; puis je me disais que j'allais bientôt ne plus avoir d'argent dans ma poche, qu'il faudrait porter des habite râpés, renoncer aux jolis coursiers gris, aux petits présents que j'avais tant de plaisir à offrir à Dora, enfin à me montrer sous un jour agréable! Je savais que c'était de l'égoïsme, que c'était une chose indigne, de penser toujours à mes propres malheurs, et je me le reprochais amèrement; mais j'aimais trop Dora pour pouvoir faire autrement. Je savais bien que j'étais un misérable de ne pas penser infiniment plus à ma tante qu'à moi-même; mais pour le moment mon égoïsme et Dora étaient inséparables, et je ne pouvais mettre Dora de côté pour l'amour d'aucune autre créature humaine. Ah! que je fus malheureux, cette nuit-là!

Quant à mon sommeil, il fut agité par mille rêves pénibles sur ma pauvreté, mais il me semblait que je rêvais sans avoir accompli la cérémonie préalable de m'endormir. Tantôt je me voyais en haillons voulant obliger Dora à aller vendre des allumettes chimiques, à un sou le paquet; tantôt je me trouvais dans l'étude, revêtu de ma chemise de nuit et d'une paire de bottes, et M. Spenlow me faisait des reproches sur la légèreté de costume dans lequel je me présentais à ses clients; puis je mangeais avidement les miettes qui tombaient du biscuit que le vieux Tiffey mangeait régulièrement tous les jours au moment où l'horloge de Saint-Paul sonnait une heure; ensuite je faisais une foule d'efforts inutiles pour l'autorisation officielle nécessaire à mon mariage avec Dora, sans avoir, pour la payer, autre chose à offrir en échange qu'un des gants d'Uriah Heep que la Cour tout entière refusait, d'un accord unanime; enfin, ne sachant trop où j'en étais, je me retournais sans cesse ballotté comme un vaisseau en détresse, dans un océan de draps et de couvertures.

Ma tante ne dormait pas non plus: je l'entendais qui se promenait en long et en large. Deux ou trois fois pendant la nuit, elle apparut dans ma chambre comme une âme en peine, revêtue d'un long peignoir de flanelle qui lui donnait l'air d'avoir six pieds, et elle s'approcha du canapé sur lequel j'étais couché. La première fois, je bondis avec effroi, à la nouvelle qu'elle avait tout lieu de croire, d'après la lueur qui apparaissait dans le ciel, que l'abbaye de Westminster était en feu. Elle voulait savoir si les flammes ne pouvaient pas arriver jusqu'à Buckingham-Street dans le cas où le vent changerait. Lorsqu'elle reparut plus tard, je ne bougeai pas, mais elle s'assit près de moi en disant tout bas: «Pauvre garçon!» et je me sentis plus malheureux encore en voyant combien elle pensait peu à elle-même pour s'occuper de moi, tandis que moi, j'étais absorbé comme un égoïste, dans mes propres soucis.

J'avais quelque peine à croire qu'une nuit qui me semblait si longue pût être courte pour personne. Aussi je me mis à penser à un bal imaginaire où les invités passaient la nuit à danser: puis tout cela devint un rêve, et j'entendais les musiciens qui jouaient toujours le même air, pendant que je voyais Dora danser toujours le même pas sans faire la moindre attention à moi. L'homme qui avait joué de la harpe toute la nuit essayait en vain de recouvrir son instrument avec un bonnet de coton d'une taille ordinaire, au moment où je me réveillai, ou plutôt au moment où je renonçai à essayer de m'endormir, en voyant le soleil briller enfin à ma fenêtre.

Il y avait alors au bas d'une des rues attenant au Strand d'anciens bains romains (ils y sont peut-être encore) où j'avais l'habitude d'aller me plonger dans l'eau froide. Je m'habillai le plus doucement qu'il me fut possible, et, laissant à Peggotty le soin de s'occuper de ma tante, j'allai me précipiter dans l'eau la tête la première, puis je pris le chemin de Hampstead. J'espérais que ce traitement énergique me rafraîchirait un peu l'esprit, et je crois réellement que j'en éprouvai quelque bien, car je ne tardai pas à décider que la première chose à faire était de voir si je ne pouvais pu faire résilier mon traité avec M. Spenlow et recouvrer la somme convenue. Je déjeunai à Hampstead, puis je repris le chemin de la Cour, à travers les routes encore humides de rosée, au milieu du doux parfum des fleurs qui croissaient dans les jardins environnants ou qui passaient dans des paniers sur la tête des jardiniers, ne songeant à rien autre chose qu'à tenter ce premier effort, pour faire face au changement survenu dans notre position.

J'arrivai pourtant de si bonne heure à l'étude que j'eus le temps de me promener une heure dans les cours, avant que le vieux Tiffey, qui était toujours le premier à son poste, apparût enfin avec sa clef. Alors je m'assis dans mon coin, à l'ombre, à regarder le reflet du soleil sur les tuyaux de cheminée d'en face, et à penser à Dora, quand M. Spenlow entra frais et dispos.

«Comment allez-vous, Copperfield! me dit-il. Quelle belle matinée!

– Charmante matinée, monsieur! repartis-je. Pourrais-je vous dire un mot avant que vous vous rendiez à la Cour?

– Certainement, dit-il, venez dans mon cabinet.»

Je le suivis dans son cabinet, où il commença par mettre sa robe, et se regarder dans un petit miroir accroché derrière la porte d'une armoire.

«Je suis fâché d'avoir à vous apprendre, lui dis-je, que j'ai reçu de mauvaises nouvelles de ma tante!

– Vraiment! dit-il, j'en suis bien fâché; ce n'est pas une attaque de paralysie, j'espère?

– Il ne s'agit pas de sa santé, monsieur, répliquai-je. Elle a fait de grandes pertes, ou plutôt il ne lui reste presque plus rien.

– Vous m'é… ton… nez, Copperfield!» s'écria M. Spenlow.

Je secouai la tête.

«Sa situation est tellement changée, monsieur, que je voulais vous demander s'il ne serait pas possible… en sacrifiant une partie de la somme payée pour mon admission ici, bien entendu (je n'avais point médité cette offre généreuse, mais je l'improvisai en voyant l'expression d'effroi qui se peignait sur sa physionomie)… s'il ne serait pas possible d'annuler les arrangements que nous avions pris ensemble.»

Personne ne peut s'imaginer tout ce qu'il m'en coûtait de faire cette proposition. C'était demander comme une grâce qu'on me déportât loin de Dora.

«Annuler nos arrangements, Copperfield! annuler!»

J'expliquai avec une certaine fermeté que j'étais aux expédients, que je ne savais comment subsister, si je n'y pourvoyais pas moi- même, que je ne craignais rien pour l'avenir, et j'appuyai là- dessus pour prouver que je serais un jour un gendre fort à rechercher, mais que, pour le moment, j'en étais réduit à me tirer d'affaire tout seul.

«Je suis bien fâché de ce que vous me dites là, Copperfield, répondit M. Spenlow; extrêmement fâché. Ce n'est pas l'habitude d'annuler une convention pour des raisons semblables. Ce n'est pas ainsi qu'on procède en affaires. Ce serait un très-mauvais précédent… Pourtant.

– Vous êtes bien bon, monsieur, murmurai-je, dans l'attente d'une concession.

– Pas du tout, ne vous y trompez pas, continua M. Spenlow; j'allais vous dire que, si j'avais les mains libres, si je n'avais pas un associé, M. Jorkins!..»

Mes espérances s'écroulèrent à l'instant: je fis pourtant encore un effort.

«Croyez-vous, monsieur que si je m'adressais à M. Jorkins…?»

M. Spenlow secoua la tête d'un air découragé, «Le ciel me préserve, Copperfield, dit-il, d'être injuste envers personne, surtout envers M. Jorkins. Mais je connais mon associé, Copperfield. M. Jorkins n'est pas homme à accueillir une proposition si insolite. M. Jorkins ne connaît que les traditions reçues: il ne déroge point aux usages. Vous le connaissez!»

Je ne le connaissais pas du tout. Je savais seulement que M. Jorkins avait été autrefois l'unique patron de céans, et qu'à présent il vivait seul dans une maison tout près de Montagu- Square, qui avait terriblement besoin d'un coup de badigeon; qu'il arrivait au bureau très-tard, et partait de très-bonne heure; qu'on n'avait jamais l'air de le consulter sur quoi que ce fût; qu'il avait un petit cabinet sombre pour lui tout seul au premier; qu'on n'y faisait jamais d'affaires, et qu'il y avait sur son bureau un vieux cahier de papier buvard, jauni par l'âge, mais sans une tâche d'encre, et qui avait la réputation d'être là depuis vingt ans.

«Auriez-vous quelque objection à ce que je parlasse de mon affaire à M. Jorkins? demandai-je.

– Pas le moins du monde, dit M. Spenlow. Mais j'ai quelque expérience de Jorkins, Copperfield. Je voudrais qu'il en fût autrement, car je serais heureux de faire ce que vous désirez. Je n'ai pas la moindre objection à ce que vous en parliez à M. Jorkins, Copperfield, si vous croyez que ce soit la peine.»

Profitant de sa permission qu'il accompagna d'une bonne poignée de main, je restai dans mon coin, à penser à Dora, et à regarder le soleil qui quittait les tuyaux des cheminées pour éclairer le mur de la maison en face, jusqu'à l'arrivée de M. Jorkins. Je montai alors chez lui: et vous n'avez jamais vu un homme plus étonné de recevoir une visite.

«Entrez, monsieur Copperfield, dit M. Jorkins, entrez donc.»

J'entrai, je m'assis, et je lui exposai ma situation, à peu près comme je l'avais fait à M. Spenlow. M. Jorkins n'était pas, à beaucoup près, aussi terrible qu'on eût pu s'y attendre. C'était un gros homme de soixante ans, à l'air doux et bénin, qui prenait une telle quantité de tabac qu'on disait parmi nous que ce stimulant était sa principale nourriture, vu qu'il ne lui restait plus guère de place après, dans tout son corps, pour absorber d'autres articles de subsistance.

«Vous en avez parlé à M. Spenlow, je suppose? dit M. Jorkins, après m'avoir écouté jusqu'au bout avec quelque impatience.

– Oui, monsieur, c'est lui qui m'a objecté votre nom.

– Il vous a dit que je ferais des objections?» demanda M. Jorkins.

Je fus obligé d'admettre que M. Spenlow avait regardé la chose comme très-vraisemblable.

«Je suis bien fâché, monsieur Copperfield, dit M. Jorkins, très- embarrassé, mais je ne puis rien faire pour vous. Le fait est… Mais j'ai un rendez-vous à la Banque, si vous voulez bien m'excuser.»

Là-dessus il se leva précipitamment et allait quitter la chambre quand je m'enhardis jusqu'à lui dire que je craignais bien alors qu'il n'y eût pas moyen d'arranger l'affaire.

«Non, dit Jorkins en s'arrêtant à la porte pour hocher la tête, non, non, j'ai des objections, vous savez bien, continua-t-il en parlant très-vite, puis il sortit, vous comprenez, monsieur Copperfield, dit-il, en rentrant d'un air agité, que si M. Spenlow a des objections…

– Personnellement, il n'en a pas, monsieur.

– Oh! personnellement, répète M. Jorkins d'un air d'impatience; je vous assure qu'il y a des objections, monsieur Copperfield, insurmontables: ce que vous désirez est impossible… j'ai vraiment un rendez-vous à la Banque.» Là-dessus il se sauva en courant, et, d'après ce que j'ai su, il se passa trois jours avant qu'il reparût à l'étude.

J'étais décidé à remuer ciel et terre, s'il le fallait. J'attendis donc le retour de M. Spenlow, pour lui raconter mon entrevue avec son associé, en lui laissant entendre que je n'étais pas sans espérances qu'il fût possible d'adoucir l'inflexible Jorkins, s'il voulait bien entreprendre cette tâche.

«Copperfield, repartit M. Spenlow avec un sourire fin, vous ne connaissez pas mon associé M. Jorkins depuis aussi longtemps que moi. Rien n'est plus loin de mon esprit que la pensée de supposer M. Jorkins capable d'aucun artifice, mais M. Jorkins a une manière de poser ses objections qui trompe souvent les gens. Non, Copperfield! ajouta-t-il en secouant la tête, il n'y a, croyez- moi, aucun moyen d'ébranler M. Jorkins.»

Je commençai à ne pas trop savoir lequel des deux, de M. Spenlow ou de M. Jorkins, était réellement l'associé d'où venaient les difficultés, mais je voyais très-clairement qu'il y avait quelque part chez l'un ou l'autre un endurcissement invincible et qu'il ne fallait plus compter le moins du monde sur le remboursement des mille livres sterling de ma tante. Je quittai donc l'étude dans un état de découragement que je ne me rappelle pas sans remords, car je sais que c'était l'égoïsme (l'égoïsme à nous deux Dora) qui en faisait le fond, et je m'en retournai chez nous!

Je travaillais à familiariser mon esprit avec ce qui pourrait arriver de pis, et je tâchais de me représenter les arrangements qu'il faudrait prendre, si l'avenir se présentait à nous sous les couleurs les plus sombres, quand un fiacre qui me suivait s'arrêta juste à côté de moi et me fit lever les yeux. On me tendait une main blanche par la portière, et j'aperçus le sourire de ce visage que je n'avais jamais vu sans éprouver un sentiment de repos et de bonheur, depuis le jour où je l'avais contemplé sur le vieil escalier de chêne à large rampe, et que j'avais associé dans mon esprit sa beauté sereine avec le doux coloris des vitraux d'église.

«Agnès! m'écriai-je avec joie. Oh! ma chère Agnès, quel plaisir de vous voir; vous plutôt que toute autre créature humaine!

– Vraiment? dit-elle du ton le plus cordial.

– J'ai si grand besoin de causer avec vous! lui dis-je. J'ai le coeur soulagé, rien qu'en vous regardant! Si j'avais eu la baguette d'un magicien, vous êtes la première personne que j'aurais souhaité de voir!

– Allons donc! repartit Agnès.

– Ah! Dora d'abord, peut-être, avouai-je en rougissant.

– Dora d'abord, bien certainement, j'espère, dit Agnès en riant.

– Mais vous, la seconde, lui dis-je; où donc allez-vous?»

Elle allait chez moi pour voir ma tante. Il faisait très-beau, et elle fut bien aise de sortir du fiacre, qui avait l'odeur d'une écurie conservée sous cloche; je ne le sentais que trop, ayant passé la tête par la portière pour causer tout ce temps-là avec Agnès. Je renvoyai le cocher, elle prit mon bras et nous partîmes ensemble. Elle me faisait l'effet de l'espérance en personne; en un moment je ne me sentis plus le même, ayant Agnès à mes côtés.

Ma tante lui avait écrit un de ces étranges et comiques petits billets qui n'étaient pas beaucoup plus longs qu'un billet de banque: elle poussait rarement plus loin sa verve épistolaire. C'était pour lui annoncer qu'elle avait eu des malheurs, à la suite desquels elle quittait définitivement Douvres, mais qu'elle en avait très-bien pris son parti et qu'elle se portait trop bien pour que personne s'inquiétât d'elle. Là-dessus Agnès était venue à Londres pour voir ma tante, qu'elle aimait et qui l'aimait beaucoup depuis de longues années, c'est-à-dire depuis le moment où je m'étais établi chez M. Wickfield. Elle n'était pas seule, me dit-elle. Son papa était avec elle et… Uriah Heep.

«Ils sont associés maintenant? lui dis-je: que le ciel le confonde!

– Oui, dit Agnès. Ils avaient quelques affaires ici, et j'ai saisi cette occasion pour venir aussi à Londres. Il ne faut pas que vous croyiez que c'est de ma part une visite tout à fait amicale et désintéressée, Trotwood, car… j'ai peur d'avoir des préjugés bien injustes… mais je n'aime pas à laisser papa aller seul avec lui.

– Exerce-t-il toujours la même influence sur M. Wickfield, Agnès?»

Agnès secoua tristement la tête.

«Tout est tellement changé chez nous, dit-elle, que vous ne reconnaîtriez plus notre chère vieille maison. Ils demeurent avec nous, maintenant.

– Qui donc? demandai-je.

– M. Heep et sa mère. Il occupe votre ancienne chambre, dit Agnès en me regardant.

– Je voudrais être chargé de lui fournir ses rêves, répliquai-je, il n'y coucherait pas longtemps.

– J'ai gardé mon ancienne petite chambre, dit Agnès, celle où j'apprenais mes leçons. Comme le temps passe! vous souvenez-vous? La petite pièce lambrissée qui donne dans le salon.

– Si je me souviens, Agnès? C'est là que je vous ai vue pour la première fois; vous étiez debout à cette porte, votre petit panier de clefs au côté.

– Précisément, dit Agnès en souriant; je suis bien aise que vous en ayez gardé un si bon souvenir; comme nous étions heureux alors!

– Oh! oui! Je garde cette petite pièce pour moi, mais je ne puis pas toujours laisser là mistress Heep, vous savez? Ce qui fait, dit Agnès avec calme, que je me sens quelquefois obligée de lui tenir compagnie quand j'aimerais mieux être seule. Mais je n'ai pas d'autre sujet de plainte contre elle. Si elle me fatigue quelquefois par ses éloges de son fils, quoi de plus naturel chez une mère? C'est un très-bon fils!»

Je regardai Agnès pendant qu'elle me parlait ainsi, sans découvrir dans ses traits aucun soupçon des intentions d'Uriah. Ses beaux yeux, si doux et si assurés en même temps, soutenaient mon regard avec leur franchise accoutumée, et sans aucune altération visible sur son visage.

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
670 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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