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Читать книгу: «David Copperfield – Tome II», страница 3

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Je lui dis que j'en étais bien convaincu, et je ne lui cachai même pas mon espérance qu'un temps viendrait où il renoncerait à la vie solitaire à laquelle, en ce moment, il pouvait se croire naturellement condamné pour toujours.

«Non, monsieur, dit-il en secouant la tête; tout cela est passé pour moi. Jamais personne ne remplira la place qui est vide. Mais n'oubliez pas qu'il y aura toujours ici de l'argent de côté, monsieur.»

Je lui promis de m'en souvenir, tout en lui rappelant que M. Peggotty avait déjà un revenu modeste, il est vrai, mais assuré, grâce au legs de son beau-frère. Nous prîmes alors congé l'un de l'autre. Je ne peux pas le quitter, même ici, sans me rappeler son courage simple et touchant dans un si grand chagrin.

Quant à mistress Gummidge, s'il me fallait décrire toutes les courses qu'elle fit le long de la rue à côté de la diligence, sans voir autre chose, à travers les larmes qu'elle essayait de contenir, que M. Peggotty assis sur l'impériale, ce qui faisait qu'elle se heurtait contre tous les gens qui marchaient dans une direction opposée, je serais obligé de me lancer dans une entreprise bien difficile. J'aime donc mieux la laisser assise sur les marches de la porte d'un boulanger, essoufflée et hors d'haleine, avec un chapeau qui n'avait plus du tout de forme, et l'un de ses souliers qui l'attendait sur le trottoir à une distance considérable.

En arrivant au terme de notre voyage, notre première occupation fut de chercher pour Peggotty un petit logement où son frère pût avoir un lit; nous eûmes le bonheur d'en trouver un, très-propre et peu dispendieux, au-dessus d'une boutique de marchand de chandelles, et séparé par deux rues seulement de mon appartement. Quand nous eûmes retenu ce domicile, j'achetai de la viande froide chez un restaurateur et j'emmenai mes compagnons de voyage prendre le thé chez moi, au risque, je regrette de le dire, de ne pas obtenir l'approbation de mistress Crupp, bien au contraire. Cependant, je dois mentionner ici, pour bien faire connaître les qualités contradictoires de cette estimable dame, qu'elle fut très-choquée de voir Peggotty retrousser sa robe de veuve, dix minutes après son arrivée chez moi, pour se mettre à épousseter ma chambre à coucher. Mistress Crupp regardait cette usurpation de sa charge comme une liberté, et elle ne permettait jamais, dit-elle, qu'on prit des libertés avec elle.

M. Peggotty m'avait communiqué en route un projet auquel je m'attendais bien. Il avait l'intention de voir d'abord mistress Steerforth. Comme je me sentais obligé de l'aider dans cette entreprise, et de servir de médiateur entre eux, dans le but de ménager le plus possible la sensibilité de la mère, je lui écrivis le soir même. Je lui expliquai le plus doucement que je pus le mal qu'on avait fait à M. Peggotty, le droit que j'avais pour ma part de me plaindre de ce malheureux événement. Je lui disais que c'était un homme d'une classe inférieure, mais du caractère le plus doux et le plus élevé, et que j'osais espérer qu'elle ne refuserait pas de le voir dans le malheur qui l'accablait. Je lui demandais de nous recevoir à deux heures de l'après-midi, et j'envoyai moi-même la lettre par la première diligence du matin.

À l'heure dite, nous étions devant la porte… la porte de cette maison où j'avais été si heureux quelques jours auparavant, où j'avais donné si librement toute ma confiance et tout mon coeur, cette porte qui m'était désormais fermée maintenant, et que je ne regardais plus que comme une ruine désolée.

Point de Littimer. C'était la jeune fille qui l'avait remplacé à ma grande satisfaction, lors de notre dernière visite, qui vint nous répondre et qui nous conduisit au salon. Mistress Steerforth s'y trouvait. Rosa Dartle, au moment où nous entrâmes, quitta le siège qu'elle occupait dans un autre coin de la chambre, et vint se placer debout derrière le fauteuil de mistress Steerforth.

Je vis à l'instant sur le visage de la mère qu'elle avait appris de lui-même ce qu'il avait fait. Elle était très-pâle, et ses traits portaient la trace d'une émotion trop profonde pour être seulement attribuée à ma lettre, surtout avec les doutes que lui eût laissés sa tendresse. Je lui trouvai en ce moment plus de ressemblance que jamais avec son fils, et je vis, plutôt avec mon coeur qu'avec mes yeux, que mon compagnon n'en était pas frappé moins que moi.

Elle se tenait droite sur son fauteuil, d'un air majestueux, imperturbable, impassible, qu'il semblait que rien au monde ne fut capable de troubler. Elle regarda fièrement M. Peggotty quand il vint se placer devant elle, et lui ne la regardait pas d'un oeil moins assuré. Les yeux pénétrants de Rosa Dartle nous embrassaient tous. Pendant un moment le silence fut complet.

Elle fit signe à M. Peggotty de s'asseoir.

«Il ne me semblerait pas naturel, madame, dit-il à voix basse, de m'asseoir dans cette maison; j'aime mieux me tenir debout.» Nouveau silence, qu'elle rompit encore en disant:

«Je sais ce qui vous amène ici; je le regrette profondément. Que voulez-vous de moi? que me demandez-vous de faire?»

Il mit son chapeau sous son bras, et cherchant dans son sein la lettre de sa nièce, la tira, la déplia et la lui donna.

«Lisez ceci, s'il vous plaît, madame. C'est de la main de ma nièce!»

Elle lut, du même air impassible et grave; je ne pus saisir sur ses traits aucune trace d'émotion, puis elle rendit la lettre.

«À moins qu'il ne me ramène après avoir fait de moi une dame,» dit M. Peggotty, en suivant les mots du doigt: Je viens savoir, madame, s'il tiendra sa promesse?

– Non, répliqua-t-elle.

– Pourquoi non? dit M. Peggotty?

– C'est impossible. Il se déshonorerait. Vous ne pouvez pas ignorer qu'elle est trop au-dessous de lui.

– Élevez-la jusqu'à vous! dit M. Peggotty.

– Elle est ignorante et sans éducation.

– Peut-être oui, peut-être non, dit M. Peggotty. Je ne le crois pas, madame, mais je ne suis pas juge de ces choses-là. Enseignez- lui ce qu'elle ne sait pas!

– Puisque vous m'obligez à parler plus catégoriquement; ce que je ne fais qu'avec beaucoup de regret, sa famille est trop humble pour qu'une chose pareille soit possible, quand même il n'y aurait pas d'autres obstacles.

– Écoutez-moi, madame, dit-il lentement et avec calme: Vous savez ce que c'est que d'aimer son enfant; moi aussi. Elle serait cent fois mon enfant que je ne pourrais pas l'aimer davantage. Mais vous ne savez pas ce que c'est que de perdre son enfant; moi je le sais. Toutes les richesses du monde, si elles étaient à moi, ne me coûteraient rien pour la racheter. Arrachez-la à ce déshonneur, et je vous donne ma parole que vous n'aurez pas à craindre l'opprobre de notre alliance. Pas un de ceux qui l'ont élevée, pas un de ceux qui ont vécu avec elle, et qui l'ont regardée comme leur trésor depuis tant d'années, ne verra plus jamais son joli visage. Nous renoncerons à elle, nous nous contenterons d'y penser, comme si elle était bien loin, sous un autre ciel; nous nous contenterons de la confier à son mari, à ses petits enfants, peut-être, et d'attendre, pour la revoir, le temps où nous serons tous égaux devant Dieu!»

La simple éloquence de son discours ne fut pas absolument sans effet. Mistress Steerforth conserva ses manières hautaines, mais son ton s'adoucit un peu en lui répondant:

«Je ne justifie rien. Je n'accuse personne, mais je suis fâchée d'être obligée de répéter que c'est impraticable. Un mariage pareil détruirait sans retour tout l'avenir de mon fils. Cela ne se peut pas, et cela ne se fera pas: rien n'est plus certain. S'il y a quelque autre compensation…

– Je regarde un visage qui me rappelle par sa ressemblance celui que j'ai vu en face de moi, interrompit M. Peggotty, avec un regard ferme mais étincelant, dans ma maison, au coin de mon feu, dans mon bateau, partout, avec un sourire amical, au moment où il méditait une trahison si noire, que j'en deviens à moitié fou quand j'y pense. Si le visage qui ressemble à celui-là ne devient pas rouge comme le feu à l'idée de m'offrir de l'argent pour me payer la perte et la ruine de mon enfant, il ne vaut pas mieux que l'autre; peut-être vaut-il moins encore, puisque c'est celui d'une dame.»

Elle changea alors en un instant: elle rougit de colère, et dit avec hauteur, en serrant les bras de son fauteuil:

«Et vous, quelle compensation pouvez-vous m'offrir pour l'abîme que vous avez ouvert entre mon fils et moi? Qu'est-ce que votre affection en comparaison de la mienne? Qu'est-ce que votre séparation au prix de la nôtre?»

Miss Dartle la toucha doucement et pencha la tête pour lui parler tout bas, mais elle ne voulut pas l'écouter.

«Non, Rosa, pas un mot! Que cet homme m'entende jusqu'au bout! Mon fils, qui a été le but unique de ma vie, à qui toutes mes pensées ont été consacrées, à qui je n'ai pas refusé un désir depuis son enfance, avec lequel j'ai vécu d'une seule existence depuis sa naissance, s'amouracher en un instant d'une misérable fille, et m'abandonner! Me récompenser de ma confiance par une déception systématique pour l'amour d'elle, et me quitter pour elle! Sacrifier à cette odieuse fantaisie les droits de sa mère à son respect, son affection, son obéissance, sa gratitude, des droits que chaque jour et chaque heure de sa vie avaient dû lui rendre sacrés! N'est-ce pas là aussi un tort irréparable?»

Rosa Dartle essaya de nouveau de la calmer, mais ce fut en vain.

«Je vous le répète, Rosa, pas un mot! S'il est capable de risquer tout sur un coup de dé pour le caprice le plus frivole, je puis le faire aussi pour un motif plus digne de moi. Qu'il aille où il voudra avec les ressources que mon amour lui a fournies! Croit-il me réduire par une longue absence? Il connaît bien peu sa mère s'il compte là-dessus. Qu'il renonce à l'instant à cette fantaisie, et il sera le bienvenu. S'il n'y renonce pas à l'instant, il ne m'approchera jamais, vivante on mourante, tant que je pourrai lever la main pour m'y opposer, jusqu'à ce que, débarrassé d'elle pour toujours, il vienne humblement implorer mon pardon. Voilà mon droit! Voilà la séparation qu'il a mise entre nous! Et n'est-ce pas là un tort irréparable?» dit-elle en regardant son visiteur du même air hautain qu'elle avait pris tout d'abord.

En entendant, en voyant la mère, pendant qu'elle prononçait ces paroles, il me semblait voir et entendre son fils y répondre par un défi. Je retrouvais en elle tout ce que j'avais vu en lui d'obstination et d'entêtement. Tout ce que je savais par moi-même de l'énergie mal dirigée de Steerforth me faisait mieux comprendre le caractère de sa mère; je voyais clairement que leur âme, dans sa violence sauvage, était à l'unisson.

Elle me dit alors tout haut, en reprenant la froideur de ses manières, qu'il était inutile d'en entendre ou d'en dire davantage, et qu'elle désirait mettre un terme à cette entrevue. Elle se levait d'un air de dignité pour quitter la chambre, quand M. Peggotty déclara que c'était inutile.

«Ne craignez pas que je sois pour vous un embarras, madame: je n'ai plus rien à vous dire, reprit-il en faisant un pas vers la porte. Je suis venu ici sans espérance et je n'emporte aucun espoir. J'ai fait ce que je croyais devoir faire, mais je n'attendais rien de ma visite. Cette maison maudite a fait trop de mal à moi et aux miens pour que je pusse raisonnablement en espérer quelque chose.»

Là-dessus nous partîmes, en la laissant debout à côté de son fauteuil, comme si elle posait pour un portrait de noble attitude avec un beau visage.

Nous avions à traverser, pour sortir, une galerie vitrée qui servait de vestibule; une vigne en treille la couvrait tout entière de ses feuilles; il faisait beau et les portes qui donnaient dans le jardin étaient ouvertes. Rosa Dartle entra par là, sans bruit, au moment où nous passions, et s'adressant à moi:

«Vous avez eu une belle idée, dit-elle, d'amener cet homme!»

Je n'aurais pas cru qu'on pût concentrer, même sur ce visage, une expression de rage et de mépris comme celle qui obscurcissait ses traits et qui jaillissait de ses yeux noirs. La cicatrice du marteau était, comme toujours dans de pareils accès de colère, fortement accusée. Le tremblement nerveux que j'y avais déjà remarqué l'agitait encore, et elle y porta la main pour le contenir, en voyant que je la regardais.

«Vous avez bien choisi votre homme pour l'amener ici et lui servir de champion, n'est-ce pas? Quel ami fidèle!

– Miss Dartle, répliquai-je, vous n'êtes certainement pas assez injuste pour que ce soit moi que vous condamniez en ce moment?

– Pourquoi venez-vous jeter la division entre ces deux créatures insensées, répliqua-t-elle; ne voyez-vous pas qu'ils sont fous tous les deux d'entêtement et d'orgueil?

– Est-ce ma faute? repartis-je.

– C'est votre faute! répliqua-t-elle. Pourquoi amenez-vous cet homme ici?

– C'est un homme auquel on a fait bien du mal, miss Dartle, répondis-je; vous ne le savez peut-être pas.

– Je sais que James Steerforth, dit-elle en pressant la main sur son sein comme pour empêcher d'éclater l'orage qui y régnait, a un coeur perfide et corrompu; je sais que c'est un traître. Mais qu'ai-je besoin de m'inquiéter de savoir ce qui regarde cet homme et sa misérable nièce?

– Miss Dartle, répliquai-je, vous envenimez la plaie: elle n'est déjà que trop profonde. Je vous répète seulement, en vous quittant, que vous lui faites grand tort.

– Je ne lui fais aucun tort, répliqua-t-elle: ce sont autant de misérables sans honneur, et, pour elle, je voudrais qu'on lui donnât le fouet.»

M. Peggotty passa sans dire un mot et sortit.

«Oh! c'est honteux, miss Dartle, c'est honteux, lui dis-je avec indignation. Comment pouvez-vous avoir le coeur de fouler aux pieds un homme accablé par une affliction si peu méritée?

– Je voudrais les fouler tous aux pieds, répliqua-t-elle. Je voudrais voir sa maison détruite de fond en comble; je voudrais qu'on marquât la nièce au visage avec un fer rouge, qu'on la couvrît de haillons, et qu'on la jetât dans la rue pour y mourir de faim. Si j'avais le pouvoir de la juger, voilà ce que je lui ferais faire: non, non, voilà ce que je lui ferais moi-même! Je la déteste! Si je pouvais lui reprocher en face sa situation infâme, j'irais au bout du monde pour cela. Si je pouvais la poursuivre jusqu'au tombeau, je le ferais. S'il y avait à l'heure de sa mort un mot qui pût la consoler, et qu'il n'y eut que moi qui le sût, je mourrais plutôt que de le lui dire.»

Toute la véhémence de ces paroles ne peut donner qu'une idée très- imparfaite de la passion qui la possédait tout entière et qui éclatait dans toute sa personne, quoiqu'elle eût baissé la voix au lieu de l'élever. Nulle description ne pourrait rendre le souvenir que j'ai conservé d'elle, dans cette ivresse de fureur. J'ai vu la colère sous bien des formes, je ne l'ai jamais vue sous celle-là.

Quand je rejoignis M. Peggotty, il descendait la colline lentement et d'un air pensif. Il me dit, dès que je l'eus atteint, qu'ayant maintenant le coeur net de ce qu'il avait voulu faire à Londres, il avait l'intention de partir le soir même pour ses voyages. Je lui demandai où il comptait aller? Il me répondit seulement:

«Je vais chercher ma nièce, monsieur.»

Nous arrivâmes au petit logement au-dessus du magasin de chandelles, et là je trouvai l'occasion de répéter à Peggotty ce qu'il m'avait dit. Elle m'apprit à son tour qu'il lui avait tenu le même langage, le matin. Elle ne savait pas plus que moi où il allait, mais elle pensait qu'il avait quelque projet en tête.

Je ne voulus pas le quitter en pareille circonstance, et nous dînâmes tous les trois avec un pâté de filet de boeuf, l'un des plats merveilleux qui faisaient honneur au talent de Peggotty, et dont le parfum incomparable était encore relevé, je me le rappelle à merveille, par une odeur composée de thé, de café, de beurre, de lard, de fromage, de pain frais, de bois à brûler, de chandelles et de sauce aux champignons qui montait sans cesse de la boutique. Après le dîner, nous nous assîmes pendant une heure à peu près, à côté de la fenêtre, sans dire grand'chose; puis M. Peggotty se leva, prit son sac de toile cirée et son gourdin, et les posa sur la table.

Il accepta, en avance de son legs, une petite somme que sa soeur lui remit sur l'argent comptant qu'elle avait entre les mains, à peine de quoi vivre un mois, à ce qu'il me semblait. Il promit de m'écrire s'il venait à savoir quelque chose, puis il passa la courroie de son sac sur son épaule, prit son chapeau et son bâton, et nous dit à tous les deux: «Au revoir!»

«Que Dieu vous bénisse, ma chère vieille, dit-il en embrassant Peggotty, et vous aussi, monsieur David, ajouta-t-il en me donnant une poignée de main. Je vais la chercher par le monde. Si elle revenait pendant que je serai parti (mais, hélas! ça n'est pas probable), ou si je la ramenais, mon intention serait d'aller vivre avec elle là où elle ne trouverait personne qui pût lui adresser un reproche; s'il m'arrivait malheur, rappelez-vous que les dernières paroles que j'ai dites pour elles sont: «Je laisse à ma chère fille mon affection inébranlable, et je lui pardonne!»

Il dit cela d'un ton solennel, la tête nue; puis, remettant son chapeau, il descendit et s'éloigna. Nous le suivîmes jusqu'à la porte. La soirée était chaude, il faisait beaucoup de poussière, le soleil couchant jetait des flots de lumière sur la chaussée, et le bruit constant des pas s'était un moment assoupi dans la grande rue à laquelle aboutissait notre petite ruelle. Il tourna tout seul le coin de cette ruelle sombre, entra dans l'éclat du jour et disparut.

Rarement je voyais revenir cette heure de la soirée, rarement il m'arrivait de me réveiller la nuit et de regarder la lune ou les étoiles, ou de voir tomber la pluie et d'entendre siffler le vent, sans penser au pauvre pèlerin qui s'en allait tout seul par les chemins, et sans me rappeler ces mots:

«Je vais la chercher par le monde. S'il m'arrivait malheur, rappelez-vous que les dernières paroles que j'ai dites pour elle étaient: «Je laisse à ma chère fille mon affection inébranlable, et je lui pardonne.»

CHAPITRE III
Bonheur

Durant tout ce temps-là, j'avais continué d'aimer Dora plus que jamais. Son souvenir me servait de refuge dans mes contrariétés et mes chagrins, il me consolait même de la perte de mon ami. Plus j'avais compassion de moi-même et plus j'avais pitié des autres, plus je cherchais des consolations dans l'image de Dora. Plus le monde me semblait rempli de déceptions et de peines, plus l'étoile de Dora s'élevait pure et brillante au-dessus du monde. Je ne crois pas que j'eusse une idée bien nette de la patrie où Dora avait vu le jour, ni de la place élevée qu'elle occupait par sa nature dans l'échelle des archanges et des séraphins; mais je sais bien que j'aurais repoussé avec indignation et mépris la pensée qu'elle pût être simplement une créature humaine comme toutes les autres demoiselles.

Si je puis m'exprimer ainsi, j'étais absorbé dans Dora. Non- seulement j'étais amoureux d'elle à en perdre la tête, mais c'était un amour qui pénétrait tout mon être. On aurait pu tirer de moi, ceci est une figure, assez d'amour pour y noyer un homme, et il en serait encore resté assez en moi et tout autour de moi pour inonder mon existence tout entière.

La première chose que je fis pour mon propre compte en revenant, fut d'aller pendant la nuit me promener à Norwood, où, selon les termes d'une respectable énigme qu'on me donnait à deviner dans mon enfance, «je fis le tour de la maison, sans jamais toucher la maison»: Je crois que cet incompréhensible logogriphe s'appliquait à la lune. Quoi qu'il en soit, moi, l'esclave lunatique de Dora, je tournai autour de la maison et du jardin pendant deux heures, regardant à travers des fentes dans les palissades, arrivant par des effets surhumains à passer le menton au-dessus des clous rouillés qui en garnissaient le sommet, envoyant des baisers aux lumières qui paraissaient aux fenêtres, faisant à la nuit des supplications romantiques pour qu'elle prit en main la défense de ma Dora… je ne sais pas trop contre quoi, contre le feu, je suppose; peut-être contre les souris, dont elle avait grand'peur.

Mon amour me préoccupait tellement, et il me semblait si naturel de tout confier à Peggotty, lorsque je la retrouvai près de moi dans la soirée avec tous ses anciens instruments de couture, occupée à passer en revue ma garde-robe, qu'après de nombreuses circonlocutions, je lui communiquai mon grand secret. Peggotty y prit un vif intérêt; mais je ne pouvais réussir à lui faire considérer la question du même point de vue que moi. Elle avait des préventions audacieuses en ma faveur, et ne pouvait comprendre d'où venaient mes doutes et mon abattement. «La jeune personne devait se trouver bien heureuse d'avoir un pareil adorateur, disait-elle, et quant à son papa, qu'est-ce que ce monsieur pouvait demander de plus, je vous prie?»

Je remarquai pourtant que la robe de procureur et la cravate empesée de M. Spenlow imposaient un peu à Peggotty, et lui inspiraient quelque respect pour l'homme dans lequel je voyais tous les jours davantage une créature éthérée, et qui me semblait rayonner dans un reflet de lumière pendant qu'il siégeait à la Cour, au milieu de ses dossiers, comme un phare destiné à éclairer un océan de papiers. Je me souviens aussi que c'était une chose qui me passait, pendant que je siégeais parmi ces messieurs de la Cour, de penser que tous ces vieux juges et ces docteurs ne se soucieraient seulement pas de Dora s'ils la connaissaient, qu'ils ne deviendraient pas du tout fous de joie si on leur proposait d'épouser Dora: que Dora pourrait, en chantant, en jouant de cette guitare magique, me pousser jusqu'aux limites du la folie, sans détourner d'un pas de son chemin un seul de tous ces êtres glacés!

Je les méprisais tous sans exception. Tous ces vieux jardiniers gelés des plates-bandes du coeur m'inspiraient une répulsion personnelle. Le tribunal n'était pour moi qu'un bredouilleur insensé. La haute Cour me semblait aussi dépourvue de poésie et de sentiment que la basse-cour d'un poulailler.

J'avais pris en main, avec un certain orgueil, le maniement des affaires de Peggotty, j'avais prouvé l'identité du testament, j'avais tout réglé avec le bureau des legs, je l'avais même menée à la Banque; enfin, tout était en bon train. Nous apportions quelque variété dans nos affaires légales, en allant voir des figures de cire dans Fleet-Street (j'espère qu'elles sont fondues, depuis vingt ans que je ne les ai vues), en visitant l'exposition de miss Linwood, qui reste dans mes souvenirs comme un mausolée au crochet, favorable aux examens de conscience et au repentir; enfin, en parcourant la tour de Londres, et en montant jusqu'au haut du dôme de Saint-Paul. Ces curiosités procurèrent à Peggotty le peu de plaisir dont elle pût jouir dans les circonstances présentes; pourtant il faut dire que Saint-Paul, grâce à son attachement pour sa boîte à ouvrage, lui parut digne de rivaliser avec la peinture du couvercle, quoique la comparaison, sous quelques rapports, fût plutôt à l'avantage de ce petit chef- d'oeuvre: c'était du moins l'avis de Peggotty.

Ses affaires, qui étaient ce que nous appelions à la Cour des affaires de formalités ordinaires, genre d'affaires, par parenthèse, très-facile et très-lucratif, étant finies, je la conduisis un matin à l'étude pour régler son compte. M. Spenlow était sorti un montent, à ce que m'apprit le vieux Tiffey, il était allé conduire un monsieur qui venait prêter serment pour une dispense de bans; mais comme je savais qu'il allait revenir tout de suite, attendu que notre bureau était tout près de celui du vicaire général, je dis à Peggotty d'attendre.

Nous jouions un peu, à la Cour, le rôle d'entrepreneurs de pompes funèbres, lorsqu'il s'agissait d'examiner un testament, et nous avions habituellement pour règle de nous composer un air plus ou moins sentimental quand nous avions affaire à des clients en deuil. Par le même principe, autrement appliqué, nous étions toujours gais et joyeux quand il s'agissait de clients qui allaient se marier. Je prévins donc Peggotty qu'elle allait trouver M. Spenlow assez bien remis du coup que lui avait porté le décès de M. Barkis, et le fait est que lorsqu'il entra, on aurait cru voir entrer le fiancé.

Mais ni Peggotty ni moi nous ne nous amusâmes à le regarder, quand nous le vîmes accompagné de M. Murdstone. Ce personnage était très-peu changé. Ses cheveux étaient aussi épais et aussi noirs qu'autrefois, et son regard n'inspirait pas plus de confiance que par le passé.

«Ah! Copperfield, dit M. Spenlow, vous connaissez monsieur, je crois?»

Je saluai froidement M. Murdstone. Peggotty se borna à faire voir qu'elle le reconnaissait. Il fut d'abord un peu déconcerté de nous trouver tous les deux ensemble, mais il prit promptement son parti et s'approcha de moi.

«J'espère, dit-il, que vous allez bien?

– Cela ne peut guère vous intéresser, lui dis-je. Mais, si vous tenez à le savoir, oui.»

Nous nous regardâmes un moment, puis il s'adressa à Peggotty.

«Et vous, dit-il, je suis fâché de savoir que vous ayez perdu votre mari.

– Ce n'est pas le premier chagrin que j'aie eu dans ma vie, monsieur Murdstone, répliqua Peggotty en tremblant de la tête aux pieds. Seulement, j'ose espérer qu'il n'y a personne à en accuser cette fois, personne qui ait à se le reprocher.

– Ah! dit-il, c'est une grande consolation, vous avez accompli votre devoir?

– Je n'ai troublé la vie de personne, dit Peggotty. Grâce à Dieu! Non, monsieur Murdstone, je n'ai pas fait mourir de peur et de chagrin une pauvre petite créature pleine de bonté et de douceur.»

Il la regarda d'un air sombre, d'un air de remords, je crois, pendant un moment, puis il dit en se retournant de mon côté, mais en regardant mes pieds au lieu de regarder mon visage.

«Il n'est pas probable que nous nous rencontrions de longtemps, ce qui doit être un sujet de satisfaction pour tous deux, sans doute, car des rencontres comme celle-ci ne peuvent jamais être agréables. Je ne m'attends pas à ce que vous, qui vous êtes toujours révolté contre mon autorité légitime, quand je l'employais pour vous corriger et vous mener à bien, vous puissiez maintenant me témoigner quelque bonne volonté. Il y a entre nous une antipathie…

– Invétérée, lui dis-je en l'interrompant. Il sourit et me décocha le regard le plus méchant que pussent darder ses yeux noirs.

– Oui, vous étiez encore au berceau, qu'elle couvait déjà dans votre sein, dit-il: elle a assez empoisonné la vie de votre pauvre mère, vous avez raison. J'espère pourtant que vous vous conduirez mieux; j'espère que vous vous corrigerez.»

Ainsi finit notre dialogue à voix basse, dans un coin de la première pièce. Il entra après cela dans le cabinet de M. Spenlow, en disant tout haut, de sa voix la plus douce:

«Les hommes de votre profession, monsieur Spenlow, sont accoutumés aux discussions de famille, et ils savent combien elles sont toujours amères et compliquées.» Là-dessus il paya sa dispense, la reçut de M. Spenlow soigneusement pliée, et après une poignée de main et des voeux polis du procureur pour son bonheur et celui de sa future épouse, il quitta le bureau.

J'aurais peut-être eu plus de peine à garder le silence après ses derniers mots, si je n'avais pas été uniquement occupé de tâcher de persuader à Peggotty (qui n'était en colère qu'à cause de moi, la brave femme!) que nous n'étions pas en un lieu propre aux récriminations et que je la conjurais de se contenir. Elle était dans un tel état d'exaspération, que je fus enchanté d'en être quitte pour un de ses tendres embrassements. Je le devais sans doute à cette scène qui venait de réveiller en elle le souvenir de nos anciennes injures, et je soutins de mon mieux l'accolade en présence de M. Spenlow et de tous les clercs.

M. Spenlow n'avait pas l'air de savoir quel était le lien qui existait entre M. Murdstone et moi et j'en étais bien aise, car je ne pouvais supporter de le reconnaître moi-même, me souvenant comme je le faisais de l'histoire de ma pauvre mère. M. Spenlow semblait croire, s'il croyait quelque chose, qu'il s'agissait d'une différence d'opinion politique: que ma tante était à la tête du parti de l'État dans notre famille, et qu'il y avait un parti de l'opposition commandé par quelque autre personne: du moins ce fut la conclusion que je tirai de ce qu'il disait, pendant que nous attendions le compte de Peggotty que rédigeait M. Tiffey.

«Miss Trotwood, me dit-il, est très-ferme, et n'est pas disposée à céder à l'opposition, je crois. J'admire beaucoup son caractère, et je vous félicite, Copperfield, d'être du bon côté. Les querelles de famille sont fort à regretter, mais elles sont très- communes, et la grande affaire est d'être du bon côté.»

Voulant dire par là, je suppose, du côté de l'argent.

«Il fait là, à ce que je puis croire, un assez bon mariage, dit M. Spenlow.»

Je lui expliquai que je n'en savais rien du tout.

«Vraiment? dit-il. D'après les quelques mots que M. Murdstone a laissé échapper, comme cela arrive ordinairement en pareil cas, et d'après ce que miss Murdstone m'a laissé entendre de son côté, il me semble que c'est un assez bon mariage.

– Voulez-vous dire qu'il y a de l'argent, monsieur, demandai-je.

– Oui, dit M. Spenlow, il parait qu'il y a de l'argent, et de la beauté aussi, dit-on.

– Vraiment? sa nouvelle femme est-elle jeune?

– Elle vient d'atteindre sa majorité, dit M. Spenlow. Il y a si peu de temps que je pense bien qu'ils n'attendaient que ça.

– Dieu ait pitié d'elle!» dit Peggotty si brusquement et d'un ton si pénétré que nous en fûmes tous un peu troublés, jusqu'au moment où Tiffey arriva avec le compte.

Il apparut bientôt et tendit le papier à M. Spenlow pour qu'il le vérifiât. M. Spenlow rentra son menton dans sa cravate, puis le frottant doucement, il relut tous les articles d'un bout à l'autre, de l'air d'un homme qui voudrait bien en rabattre quelque chose, mais que voulez-vous, c'était la faute de ce diable de M. Jorkins: puis il la remit à Tiffey avec un petit soupir.

«Oui, dit-il, c'est en règle, parfaitement en règle. J'aurais été très-heureux de réduire les dépenses à nos déboursés purs et simples, mais vous savez que c'est une des nécessités pénibles de ma vie d'affaires que de n'avoir pas la liberté de consulter mes propres désirs. J'ai un associé, M. Jorkins.»

Возрастное ограничение:
12+
Дата выхода на Литрес:
28 сентября 2017
Объем:
670 стр. 1 иллюстрация
Переводчик:
Правообладатель:
Public Domain

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